Les scientifiques du Groupe d'experts international sur l'évolution du climat (Giec) vont faire le point, pendant une semaine à Paris, de leurs connaissances sur les questions clés du réchauffement de la planète et autres sujets au coeur de leurs recherches. Sept chercheurs ont accepté de confier à Libération leurs conclusions sur sept problèmes essentiels.
L'évolution du climat depuis
150 ans est-elle due à nos émissions de gaz à effet
de serre?
Serge Planton, chercheur à Météo France. Editeur du Giec pour la compréhension et l'attribution du changement climatique. «Nous savons que la teneur en gaz à effet de serre a augmenté dans l'atmosphère depuis 1750 à cause des activités humaines, passant de 280 à 383 parties par million pour le gaz carbonique en 2006. Les observations montrent que la température moyenne planétaire a augmenté de 0,4 à 0,8°C au XXe siècle. Il ne suffit pas de rapprocher ces deux mesures pour en déduire une relation de cause à effet. En 1990, le rapport du Giec ne concluait pas sur l'origine naturelle variabilité solaire et volcanisme ou humaine du réchauffement. La responsabilité de l'effet de serre additionnel lié à l'homme n'a été prouvée qu'à la fin des années 90, grâce aux progrès des simulations du climat confrontés aux observations. Le troisième rapport du Giec, en 2001, s'appuyait sur de nouvelles preuves, mieux étayées qu'auparavant, pour affirmer que l'essentiel du réchauffement des cinquante dernières années est attribuable à nos émissions. Depuis, cette conclusion prudente a été confirmée par des études nouvelles, qui portent notamment sur d'autres paramètres que la température moyenne de surface (indicateurs de températures océaniques et études régionales).» Pourquoi le gaz carbonique est le principal coupable?
Le niveau des océans monte-t-il?
La réaction des nuages au réchauffement
est-elle comprise?
Les scénarios du Giec sont-ils réalistes?
Peut-on prévoir le climat sur cent ans?
Les scénarios catastrophes sont-ils possibles?
«Les arguments sont scientifiques et non politiques» Jean Jouzel, vice-président du groupe 1 du Giec, détaille le fonctionnement de cette institution originale. Directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace, Jean Jouzel a participé avec Claude Lorius à la reconstitution de l'histoire du climat à partir des glaces de l'Antarctique. Leur découverte, en 1987, des relations entre la teneur en gaz à effet de serre et l'évolution climatique sur les derniers 150.000 ans, avec la glace forée par les Russes à la station Vostok, a joué un rôle décisif. En 2004, cette analyse s'étendait sur 740.000 ans grâce aux carottes forées par les Européens à la station Concordia. Vice-président du groupe 1 du Giec, Jean Jouzel y est le chef de file des scientifiques français. Quel est le sujet de la réunion du Giec qui débute
aujourd'hui?
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Que doit-on attendre de ce diagnostic? Nous appliquons une règle stricte : nos rapports s'appuient sur des articles publiés ou au moins acceptés par des revues scientifiques à comité de lecture. Ils ont donc passé les étapes de revue critique par les pairs et les données scientifiques qu'ils contiennent ont déjà été publiées. Mais une synthèse s'impose car cette production scientifique est très large, forte de milliers d'articles parfois contradictoires. Il faut centrer l'attention sur les résultats les plus importants en termes de compréhension du climat et de son changement sous l'effet des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport complet d'environ 1.000 pages s'adresse aux chercheurs, aux enseignants, et à toute personne disposée à faire l'effort de lecture. Le résumé technique de 50 pages et le résumé pour décideurs s'adressent aux opinions publiques, aux responsables politiques, aux médias. Ce rapport permet un message clair, critique, consensuel sur les aspects les plus importants comme les causes du changement climatique actuel, sa mesure, les projections à échéance de quelques décennies en fonction des scénarios d'émissions. L'opinion publique doit savoir que cela se traduit par une approche plutôt prudente des résultats scientifiques, du diagnostic et des prévisions. Les rapports du Giec risquent plus de sous-estimer les changements climatiques que de les exagérer. La relecture du résumé pour décideurs par
des représentants des gouvernements est critiquée comme une
ingérence politique, qu'en est-il?
Quel rôle ce rapport doit jouer auprès de l'opinion
publique, des médias et des responsables politiques?
Transparence http://www.liberation.fr/actualite/societe/231539.FR.php S'il est permis de ne pas se montrer trop optimiste sur l'avenir de notre planète, la démarche des scientifiques qui se penchent sur son sort est, en revanche, exemplaire et porteuse d'espoir. Il est vrai que si les habitants de la planète Terre ne parvenaient pas à travailler ensemble sur ce sujet d'intérêt commun par excellence qu'est le climat, son évolution et son impact sur la vie humaine, il serait préférable de fermer boutique au plus tôt. Mais les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui se réunissent à partir d'aujourd'hui à Paris, vont plus loin que la simple mise en commun d'informations et d'expérience : ils assurent une transparence exceptionnelle dans une structure nommée par des gouvernements. Il n'est pas fréquent, dans le monde des structures internationales, qu'un rapport soit publié dans sa forme brute aussi bien que dans sa version finale revue par les politiques, afin que tout le monde puisse juger de l'état de l'information de la communauté scientifique, et de l'«ingérence» éventuelle des gouvernants. Cette démarche est destinée à couper court aux polémiques qui ne manqueront pas de suivre la publication de ce rapport, destiné à façonner l'agenda environnemental au-delà de 2012. L'information, en la matière, est assurément le nerf de la guerre : il est vital, au sens premier du terme, que les enjeux du climat soient compris et intégrés par les citoyens de l'ensemble des pays du monde, afin que leurs gouvernements ne puissent pas fuir leurs responsabilités. Il ne serait pas acceptable qu'un nouveau George W. Bush maintienne un pays comme les Etats-Unis hors du coup comme l'actuel chef de la Maison Blanche l'a fait pour le protocole de Kyoto, ou que les dirigeants des nouvelles puissances industrielles du Sud, comme la Chine ou le Brésil, n'assument pas, dans l'après-Kyoto, la part du fardeau dont ils seront alors copropriétaires à part entière. Un bel enjeu de gouvernance mondiale. Des experts à deux casquettes http://www.liberation.fr/actualite/societe/231537.FR.php Depuis 1990, le Giec associe rigueur scientifique et consensus diplomatique. Le climat, c'est comme le rugby, en cas de doute, un retour aux fondamentaux s'impose. Faut-il ou pas entrer dans l'ère d'une diète volontaire d'énergie fossile ? Considérer charbon, pétrole et gaz 80 % de l'énergie mondiale comme des amis dangereux, et s'en passer le plus possible? En principe, la décision en a été prise... en 1992. Lorsque fut signée, à Rio de Janeiro, la convention des Nations unies sur le climat. En pratique, un seul et timide pas a été fait, avec le protocole de Kyoto (1997), par les pays industrialisés qui se sont engagés à diminuer de 5% leurs émissions d'ici à 2012 relativement à 1990. Sauf que... Réduction drastique. Sauf que les Etats-Unis, principal émetteur de gaz à effet de serre sur la planète malgré son faible poids démographique (25 % des émissions pour 5% de la population mondiale), se sont retirés du protocole. Sauf que, en 1992, les émissions mondiales de CO (carbone fossile et déforestation) atteignaient sept milliards de tonnes de gaz carbonique, contre neuf milliards de tonnes en 2008, malgré la hausse des prix du pétrole et du gaz. Sauf que, parmi les pays qui ont ratifié Kyoto, plusieurs, comme le Canada ou l'Espagne, ne semblent pas en mesure de tenir leurs engagements. Sauf que les nouveaux géants industriels Chine, Inde, Brésil voient leurs émissions grimper à vive allure et que personne ne s'avance à prédire quand cette tendance pourrait se retourner. L'humanité hésite, manifestement, devant le traitement requis par les climatologues. D'où l'intérêt d'un retour sur leur diagnostic : quid du climat futur, si nous persistons dans cette voie? Est-il assez solide pour justifier la mutation énergétique, technologique, économique et sociétale nécessaire à la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre qu'ils recommandent? La question se trouve au coeur d'une réunion singulière, à Paris, toute cette semaine. Singulière puisqu'elle réunit certes les scientifiques dont le diagnostic climatique est le métier mais dans le cadre de délégations gouvernementales. Conséquence du statut hybride, et remarquable, du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec, IPCC en anglais). Créé en 1988 par l'ONU et l'Organisation météorologique mondiale, il a joué un «rôle décisif dans la marche en avant de la diplomatie du climat», soutient le climatologue Jean Jouzel. Son premier rapport, publié en 1990, a servi d'argumentaire à l'écriture de la convention de l'ONU par laquelle plus de 150 pays, se déclarent «résolus à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures». Le second, en 1995, a nourri les rudes négociations qui ont abouti au protocole de Kyoto, en 1997, où les pays industrialisés s'engageaient à des réductions d'émissions d'ici à 2012. Le troisième, en 2001, a notamment réuni un consensus scientifique sur l'affirmation selon laquelle l' «influence de l'homme sur le climat» était déjà perceptible. La prochaine synthèse globale (1), en particulier le redoutable «résumé pour décideurs», voté phrase par phrase par toutes les délégations, sera publiée cet automne, juste avant la Conférence des parties de la convention où «l'après Kyoto» viendra en négociations. Résumé pour décideurs. Cette semaine, c'est le groupe 1 du Giec, chargé des sciences du climat, qui doit rendre sa copie. Les délégations gouvernementales vont donc, sur la base d'un texte déjà longuement discuté, mettre la dernière main à son «résumé pour décideurs». Souvent, ces dernières sont constituées de scientifiques, accompagnées d'un ou deux diplomates. C'est le cas de la délégation française, dirigée par Marc Gillet, de l'Observatoire national sur l'effet du réchauffement climatique, forte de huit personnes, dont six scientifiques. D'autres pays, notamment du Sud et producteurs de pétrole, sont moins fournis en climatologues, et plus en hauts fonctionnaires. Marc Gillet s'attend à des discussions serrées «sur le risque d'événements extrêmes, la fonte des glaciers continentaux, la circulation océanique.... Mais prédit que, comme d'habitude, les résistances politiques vont céder devant la force des argumentaires scientifiques. La menace de voir une note signaler que tel gouvernement refuse de reconnaître un résultat scientifique validé par la plupart des pays suffit souvent pour que les récalcitrants «laissent tomber leur objection». Quant au «lobbying productiviste», s'amuse-t-il, «celui des ONG le compense». De toute façon, il est décidé à ne céder ni à l'un ni à l'autre, le «catastrophisme n'est pas une bonne démarche, il peut se retourner sur le mode de la fable où l'on crie trop souvent au loup.» Alerte renforcée. Depuis 2001, le dernier rapport du Giec, les scientifiques ont accumulé résultats et questions. Parfois les nouvelles sont bonnes. Ainsi, même le Earth simulator japonais, le plus puissant des supercalculateurs chargés de simuler le climat futur, n'a pas trouvé trace dans ce dernier d'une menace cyclonique en augmentation sous les tropiques. Pourtant, sa puissance lui a permis d'utiliser des mailles de calcul de quelques kilomètres de côtés seulement, contre une centaine pour la plupart des supercalculateurs. A l'inverse, la plupart des avancées scientifiques ont plutôt renforcé l'alerte climatique. «Je ne vois aucune conclusion qui revienne en arrière, affirme Gillet, alors que des éléments supplémentaires sont venus appuyer le diagnostic initial.» La succession d'années plus chaudes que la moyenne depuis 2000, l'accélération de la course vers la mer des glaciers du Groenland, le réchauffement des océans... «Ce rapport comporte de nombreuses indications et de nombreux éléments qui établissent de manière claire non seulement le fait que le changement climatique a bien lieu, mais aussi que c'est réellement l'activité humaine qui influence ce changement», a annoncé depuis le président du Giec, Rajendra Pachauri.
(1) Baptisée «AR4», elle est élaborée par 450 auteurs principaux, 800 auteurs, relecteurs et éditeurs et fait appel à un réseau de 2500 scientifiques de 130 pays. |