ACTUALITE INTERNATIONALE de L'ENVIRONNEMENT
2003
 La plus grande plate-forme de glace de l'Arctique s'est brisée
LE MONDE | 26.09.03
Sources ADIT, octobre:
    Ce déversoir dans l'océan Arctique du glacier de l'île d'Ellesmere s'est rompu en deux immenses blocs et plusieurs îlots. La faille a vidé un lac d'eau douce précieux car il abritait un écosystème des milieux extrêmes. Le phénomène serait lié au réchauffement de la planète.
    A 800 km du pôle Nord, à l'extrémité de l'île canadienne d'Ellesmere, en plein océan Arctique, la plate-forme de glace Ward Hunt s'est rompue. Trois chercheurs, Warwick Vincent et Dereck Mueller de l'université Laval au Québec ainsi que Martin Jeffries de l'université d'Alaska Fairbanks, révèlent cet événement dans la dernière édition du Geophysical Reviews Letters. Ils estiment que cet événement est la conséquence du réchauffement du globe terrestre. C'est une "catastrophe sans précédent", a commenté le professeur de géophysique Martin Jeffries dans l'édition du 23 septembre du Los Angeles Times.
    La rupture de cette plate-forme a donné naissance à deux blocs imposants et à des îles de glace, dont certaines ont une taille qui les rend dangereuses pour la navigation, et qui pourrait mettre en danger les installations de forage de la mer de Beaufort. Cette plate-forme de glace d'eau douce (ice shelf en anglais) est le déversoir dans l'océan du glacier continental que porte l'île d'Ellesmere. Elle avait la forme d'une immense langue de 30 à 40 mètres d'épaisseur flottant sur l'eau de mer. Selon le climatologue Jean Jouzel, directeur de l'Institut Pierre Simon Laplace, ces entités ont été formées par "la calotte de glace qui s'écoule naturellement dans l'océan". Maintenant que le Ward Hunt s'est brisé, "le glacier pourrait être déstabilisé".

FISSURES SPECTACULAIRES
    Le phénomène révélé par les trois chercheurs apparaît comme l'aboutissement d'un lent processus amorcé dès le début du XXe siècle. En effet, en 1907, lorsque l'explorateur Robert Peary l'a traversée en tentant d'atteindre le pôle Nord, cette plate-forme, à la surface ondulée, bordait de façon continue l'intégralité de la côte tourmentée de l'île d'Ellesmere. Aujourd'hui, elle a perdu 90 % de sa superficie et il n'en reste que des morceaux isolés dont le plus grand était celui de Ward Hunt. Mais son épaisseur est passée de 45 mètres en 1980 à moins de la moitié aujourd'hui en certains endroits. Cette imposante langue de glace est restée relativement stable jusqu'en 2000 bien que sa superficie totale soit passée de 600 km2 au début des années 1960 à 490 km2 en 1998 et à 443 km2 aujourd'hui.
    Il semble qu'à partir de l'an 2000 a commencé à se propager et à s'élargie la faille qui, en 2002, a conduit à la séparation de la plate-forme Ward Hunt en deux blocs. Les chercheurs reconnaissent avoir eu de la chance de découvrir cette saignée dans une région aussi peu fréquentée. C'est Derek Mueller, un étudiant travaillant avec Warwick Vincent, qui le premier l'a vue depuis un hélicoptère en juillet et en août 2002. Il voulait alors étudier les microbes vivant dans ces conditions extrêmes lorsqu'il a observé ces fissures spectaculaires s'étendant sur toute l'épaisseur de la glace. Grâce aux images prises par le satellite canadien Radarsat, les chercheurs ont pu visualiser la faille de rupture de la plate-forme Ward Hunt.
    Un phénomène qui concerne directement l'équipe de chercheurs, même si ce n'est pas pour des raisons d'étude du climat. En effet, la séparation de la plate-forme en plusieurs parties a ouvert une brèche par laquelle la majeure partie des eaux du fjord Disraeli - long de 30 km - se sont écoulées vers la mer. C'est la couche d'eau douce et saumâtre de 43 mètres d'épaisseur, flottant sur 360 mètres d'une eau salée plus dense, qui a souffert de cette fuite.

SEUIL CRITIQUE
    Or elle abritait un milieu biologique exceptionnel dans lequel vivaient des espèces de plancton adaptées à la fois à l'eau douce et à l'eau de mer. La faille a également réduit, considérablement, la taille de l'habitat abritant des animaux et des algues résistant aux conditions polaires.
    Pour les chercheurs, les causes de la rupture de la plate-forme de Ward Hunt sont à chercher dans le réchauffement planétaire. Dans la région, les enregistrements de température les plus anciens sont effectués à Alert, à 175 km à l'est du fjord Disraeli. Là, une augmentation d'à peine un dixième de degré par décennie a été relevé depuis 1951. Mais, entre 1967 et aujourd'hui, cette montée a été multipliée par quatre pour se retrouver à une valeur similaire à celle que l'on enregistre en Antarctique, où l'atmosphère se réchauffe d'un demi-degré tous les dix ans depuis soixante ans.
    En corrélant les mesures d'Alert avec celles de la température de surface de la plate-forme de Ward Hunt mesurée en 2001 et 2002, les chercheurs ont calculé une température moyenne de surface en juillet pour les années 1967-2002 de 1,3 degré. Soit une valeur nettement supérieure au zéro degré considéré comme le seuil critique au-delà duquel les plates-formes de glace commencent à se briser.
    Pour les trois chercheurs, la rupture de la langue de glace de Ward Hunt est due "aux effets cumulés d'un réchauffement à long terme depuis le XIXe siècle". Ils suggèrent également que la date de la fracture et son trajet sont influencés par les cycles de gel et dégel, le vent, les marées ainsi que les modifications de la température de l'eau, de la salinité et des courants de l'océan Arctique.
    "Selon certaines projections, les glaces permanentes pourraient avoir disparu d'ici à la fin du siècle", avertit le climatologue Jean Jouzel, car les effet du réchauffement de la planète sont amplifiés dans les régions polaires. "Si la température moyenne de la planète augmente de 3 degrés en cent ans, celle de l'Arctique pourrait progresser de 10 degrés", note-t-il. Heureusement, la rupture de la plate-forme de Ward Hunt ne devrait avoir qu'une "influence locale" sur la circulation des glaces dans l'Arctique et pas de répercussions planétaires. La véritable crainte des climatologues, c'est la fonte du Groenland qui provoquerait, à l'échelle de deux ou trois siècles, une hausse de 6 mètres du niveau des mers.

Michel Alberganti

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