L'intitulé de votre conférence
est "L'avenir de la vie sur terre". Considérez-vous que l'espèce
humaine a mis en place les ferments de sa propre extinction ?
Tout à fait. Des menaces pèsent non pas sur la vie sur la Terre - car la vie va continuer, elle est très robuste - mais sur une espèce particulière qui n'est pas très robuste et qui est l'espèce humaine. Personne ne connaît l'avenir, mais on a effectivement mis en place tous les éléments pour rendre la planète inhabitable. Si cela ne change pas très rapidement, notre espèce pourrait disparaître. On n'est pas habitué à cette idée car on a toujours vécu dans l'idée qu'on était l'espèce unique, bénie, choisie, mais c'est faux, nous sommes une espèce parmi des millions d'autres et beaucoup d'espèces ont disparu de la Terre dans le passé parce qu'elles n'ont pas su ou pas pu s'adapter à des circonstances nouvelles. Et là, nous rencontrons des circonstances qui pourraient nous mettre en danger. C'est la vitesse de cette nécessaire adaptation qui est aujourd'hui en cause... Oui. Il y a déjà eu des phénomènes importants dans le passé. Des changements de température, de concentration de gaz carbonique, mais ceux-ci se sont toujours produits très lentement. On montait d'un degré en un millénaire. Là, on est à un degré en un siècle et ça continue à s'accélérer. La quantité de gaz carbonique que nous émettons est tellement importante et émise à une telle rapidité que l'océan, qui est d'habitude le puits dans lequel le gaz carbonique est absorbé, n'en peut plus. En dehors du réchauffement climatique, quels sont selon vous les autres gros points noirs inscrits à l'agenda de la planète? Le réchauffement climatique est celui qui est le plus évident. Il y en a d'autres, mais il est difficile de donner des bons points à chacun. Tous sont également dangereux et reliés d'une certaine façon au réchauffement comme, par exemple, le trou dans la couche d'ozone. La stérilisation des terres en raison de l'emploi excessif d'engrais, de pesticides, etc. qui menacent les ressources de nourriture à relativement court terme. Le fait que les océans se vident des poissons. L'érosion de la biodiversité, nous éliminons aujourd'hui des quantités incroyables d'espèces végétales et animales... Tout cela est un peu relié, donc il est très difficile de dire ce qui est le plus grave. On est vraiment dans une dynamique très dangereuse qui a de nombreuses facettes. Dans votre livre "Mal de Terre" publié en 2003, vous évoquiez trois scénarios catastrophes. Sur quelle voie sommes-nous engagés aujourd'hui? Aujourd'hui, nous augmentons chaque année nos émissions de CO2 de presque 2%, alors que nous savons que le but de Kyoto à l'horizon 2012 est de les réduire de 6%. Et pour stabiliser la température, il faudrait diminuer la quantité de gaz carbonique émise de 60%. C'est toujours intéressant de faire des scénarios catastrophes. Cela ne veut pas dire que c'est ce qui va arriver, mais que si on ne fait pas ce qu'il faut, cela pourrait arriver. Les scénarios dont vous parlez sont des scénarios qui se produiraient successivement si on laissait la température augmenter. Venus est un bon exemple car c'est l'exemple extrême: elle a une atmosphère composée à 100% ou presque de gaz carbonique, ce qui a produit un effet de serre très important. La température à la surface y est de presque 500°C. Evidemment, il n'y a aucune vie, pas de liquide, que des zones désertiques. Venus est un peu le symbole devant nos yeux de ce qui se passe si l'on n'arrête pas cette progression du gaz carbonique. Je ne pense pas que l'on pourrait atteindre une telle concentration de CO2 sur Terre, mais l'augmentation de la température est un phénomène qui est déjà présent et qui va certainement continuer. Même si on arrêtait aujourd'hui d'émettre du gaz carbonique, on aurait de toute façon un effet retard qui se produirait et la température augmenterait certainement encore de quelques degrés. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le réchauffement n'est pas simplement proportionnel à la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère, il peut y avoir des effets d'emballement que l'on redoute. |
Vous qui avez une formation en astrophysique
nucléaire, vous prônez le développement des énergies
renouvelables plutôt que le nucléaire. Pourquoi
ce choix?
Il est vrai que l'on ne pense pas qu'avec les technologies actuelles, on pourrait atteindre avec les énergies renouvelables une fraction importante du bilan énergétique mondial, surtout si la consommation d'énergie continue à augmenter. Ceci dit, on prévoit que cette consommation pourrait doubler d'ici une cinquantaine d'années, alors rien ne fera l'affaire, ni le renouvelable, ni le nucléaire. Je crois que de toute façon, on est dans une situation énergétique très difficile. Mais il reste un fait fondamental, c'est que l'on veut de l'eau chaude au robinet et de la chaleur dans nos maisons. On veut pouvoir se déplacer. Or pour disposer de tous ces avantages, il faut de l'énergie. Le nucléaire de troisième génération que nous connaissons aujourd'hui utilise l'uranium 235 comme combustible. Or il y a moins de réserves de ce combustible que de pétrole. C'est donc quelque chose qui sera épuisé en peu de temps si l'ensemble de la planète se mettait à utiliser ce type d'énergie. La quatrième génération concerne les surgénérateurs utilisant de l'uranium 238 ou le projet Iter de fusion nucléaire contrôlée. Ces deux filières sont encore très incertaines, et personne ne sait si l'on pourra les rentabiliser. Je pense personnellement qu'il faut miser sur le renouvelable de façon majeure, même s'il est bien que l'on continue également les recherches sur le nucléaire, en sachant que cette dernière filière reste très spéculative. Le renouvelable ne présente pas le même risque de danger que la prolifération nucléaire. Il faut dire que le nucléaire et le terrorisme notamment ne font pas bon ménage. Je pense que c'est une filière qui psychologiquement va être très difficile à faire accepter à la population. On l'a vu après Tchernobyl. Les gens ont peur, ils l'ont diabolisé à tort ou à raison, je ne sais pas, mais c'est un fait. Vous dénoncez la vision à court terme des responsables politiques et économiques. Avez-vous le sentiment qu'un déclic s'est produit ces derniers temps? Oui, tout à fait. Depuis un an, les choses changent rapidement Par exemple, la conférence de Davos qui vient d'avoir lieu en Suisse et qui regroupe tous les décideurs gouvernementaux et économiques portait essentiellement sur cette évolution de l'économie vers le développement durable. C'est une nouveauté. J'étais à Davos il y a cinq ans et il n'était absolument pas question de cela. On n'en parlait pas, c'était même considéré comme un peu déplacé. En France avec l'action de Nicolas Hulot, et je crois que c'est également le cas en Belgique, il y a un mouvement qui met la pression sur les politiques pour qu'ils s'expriment sur leur programme au point de vue écologique et qu'ils prennent des engagements. Les tiendront-ils? C'est autre chose... A vous entendre, l'humanité doit procéder à une révolution des mentalités. Etes-vous réellement convaincu qu'un tel changement soit possible? Je dirais qu'on n'a pas le choix. Ce n'est pas économie OU écologie. Si on ne renverse pas la tendance présente, l'économie elle-même est en péril. C'est ce qu'a bien démontré Nicholas Stern qui a eu l'heureuse idée de mettre des chiffres sur ces conséquences. Des dollars et des cents, c'est ce qui fait mouche chez beaucoup de gens qui sont des décideurs et qui n'entendent que ce langage. La réalité, c'est que souvent les gens ne changent que quand ils y sont forcés. C'est quand il y a eu Katrina aux Etats-Unis qu'ils ont commencé à bouger. On ne met un feu rouge à un carrefour que quand il y a eu trois morts, on n'y touche pas auparavant. Malheureusement, les catastrophes contemporaines jouent un rôle positif. Elles éveillent les consciences, les gens se rendent alors compte que l'on n'a pas le choix, que l'on doit aller dans ce sens. |