Faudra-t-il lever les ponts-levis
ou tisser des passerelles? C'était la question que se posaient,
vendredi, les patrons français lors d'un atelier consacré
aux réfugiés climatiques à l'université du
Medef. En guise de témoin, Laurence Parisot avait fait venir Tavau
Teii, vice-Premier ministre de Tuvalu, petit bout de terre du Pacifique,
dont la survie est menacée par la montée des eaux. Chercheur
à l'université de Liège, François Gemenne décrypte
les enjeux de cette nouvelle immigration.
Comment définir un réfugié environnemental?
La notion de réfugié environnemental
reste assez floue et difficile à cerner, car il n'existe pas
encore de définition du concept qui fasse l'unanimité.
Généralement, c'est une personne forcée de quitter
l'endroit où elle vit suite à un changement de son environnement,
qui peut être brutal (tremblement de terre, tsunami…) ou progressif
(désertification, montée des eaux…), naturel (éruption
volcanique…) ou anthropogène (déforestation…). Parmi les
réfugiés environnementaux, les réfugiés climatiques
sont ceux dont la migration est motivée par des bouleversements
directement liés aux changements climatiques. Mais attention, le
terme «réfugié» est trompeur et utilisé
à mauvais escient. Ce concept est strictement défini par
la convention de Genève de 1951, et il était taillé
sur mesure pour les réfugiés d'après-guerre. De surcroît,
une partie des réfugiés environnementaux choisit de migrer
volontairement et pour d'autres raisons, économiques, politiques,
et sociales.
Peut-on prévoir le nombre de réfugiés environnementaux
dans le monde?
Le rapport Stern sur les conséquences
économiques du changement climatique, publié l'an dernier,
estime que le nombre de personnes déplacées par le changement
climatique pourrait s'élever à 200 millions en 2050
(un chiffre de l'écologiste Norman Myers), c'est-à-dire le
double du nombre total de migrants actuels. En réalité, ce
chiffre est basé sur le nombre de personnes qui vivent dans des
régions à risque. Le nombre réel de personnes déplacées
dépendra surtout de l'ampleur des modifications climatiques, c'est-à-dire
de ce que nous ferons aujourd'hui pour en limiter les effets, mais surtout
des mesures d'adaptation qui seront prises pour aider ces populations à
faire face aux conséquences du changement climatique. Mais le phénomène
de déplacement des populations a déjà commencé,
en Afrique subsaharienne ou dans les Etats insulaires du Pacifique Sud,
par exemple.
Quel statut accorder aux réfugiés environnementaux?
Une réflexion est en cours dans
les milieux académiques, qui tente d'évaluer les avantages
et les inconvénients de chaque régime de protection possible.
Certains Parlements se sont saisis du débat: une résolution
a été votée l'an dernier au Sénat de Belgique,
demandant à ce que la délégation belge aux Nations
unies pousse à la reconnaissance internationale du statut de réfugié
environnemental, et des résolutions similaires ont été
déposées au Parlement européen et au Conseil de l'Europe. |
En Australie, une proposition de loi a été introduite
par le parti écologiste, demandant la création d'une nouvelle
catégorie de visas, et le Parti travailliste a aussi produit un
document similaire. Enfin, il y a une amorce de réflexion au sein
du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, sur
la question d'une éventuelle révision de la convention de
Genève. Mais si on met aujourd'hui ce sujet sur la table, beaucoup
craignent que le régime d'asile soit en réalité restreint
plutôt qu'élargi.
Comment cet afflux de migrants va-t-il modifier les politiques d'immigration?
Les migrations environnementales recouvrent
des types de déplacements extrêmement diverses (préventifs
ou non, liés à une catastrophe naturelle ou bien à
des dégradations beaucoup plus lentes). Certains migrants peuvent
rentrer chez eux après un certain laps de temps, tandis que d'autres
sont condamnés à un exil définitif. Des migrations
différentes appellent donc des réponses différentes.
D'une manière générale, on manque d'éléments:
s'il y a beaucoup de travaux menés sur les migrations économiques
ou politiques, nous connaissons encore assez mal les migrations environnementales.
Comment réagissent les Etats face à ces vagues de migrants?
Quand ils y sont confrontés, c'est
généralement l'impréparation qui prévaut.
Deux ans après le passage de l'ouragan Katrina, un très grand
nombre de personnes déplacées vivent encore dans des caravanes,
notamment parce que les autorités n'étaient absolument pas
préparées. C'est vrai aussi pour le Darfour, où la
sécheresse a provoqué les premiers mouvements de populations.
Or dans de très nombreux cas il y a urgence: les populations déplacées
par des désastres environnementaux ne sont absolument pas (ou mal)
assistées et leur migration n'est pas encadrée. Toutefois,
les déplacements environnementaux sont souvent des migrations à
l'intérieur d'un seul Etat, et la question se pose donc un peu différemment.
Mais le changement climatique pourrait bien sûr modifier cet état
de fait.
Et les populations?
Dans le cas de Katrina, on a vu que les populations
des villes voisines de La Nouvelle-Orléans, comme Houston, avaient
d'abord très bien accueilli les immigrants, mais, au bout de quelques
mois, avaient manifesté une hostilité croissante à
leur égard. Des problèmes de racisme et de discrimination
sont devenus plus criants: après la réaction émotionnelle
du début s'est installée une certaine exaspération.
Cela sera d'autant plus vrai si ces problèmes sont couplés
à des problèmes de surpopulation, d'accès aux ressources
ou à l'eau potable. |