Le triomphe d'une utopie «Desertec», un projet qui vise
à relier les déserts du Sahara au continent européen
avance à grands pas. Pour une fois, l'utopie prend forme
(suite)
|
suite:
Thomas Edison, dont l'ampoule électrique à incandescence est condamnée pour ses mauvaises performances, obtient une belle revanche posthume. Le courant continu revient sur le devant de la scène technologique pour deux qualités essentielles: les pertes sur longues distances sont plus faibles et l'enterrement de lignes s'en trouve facilité. Pendant longtemps, ces avantages étaient relatifs, car l'on ne concevait pas de transporter de grandes quantités de courant au-delà de quelques centaines de kilomètres. On mentionnera une seule grande réalisation d'importance en courant continu, c'est la ligne de 600 mégawatts qui relie la Nouvelle-Zélande du nord au sud. Mais depuis quelques années, le progrès fait des pas de géant et les lignes se multiplient. L'an passé, la Norvège et les Pays-Bas ont inauguré un câble sous-marin en courant continu de 600 kilomètres. ABB est chargé par la Chine de construire une ligne de 2.000 kilomètres qui reliera les grands barrages du nord-ouest à Shanghai avec une puissance de 6.400 mégawatts, soit l'équivalent de trois grosses centrales thermiques qu'il aurait été nécessaire sinon de construire en banlieue de la métropole chinoise. Dans son programme pour l'énergie, le président Barack Obama a promis 20 milliards de dollars pour moderniser le réseau électrique; une partie substantielle ira à la construction de grandes lignes en courant continu pour relier les grandes plaines balayées par les vents et les déserts aux métropoles des cotes. Pour les ingénieurs allemands de Desertec, la barrière technique qu'on leur opposait depuis toujours tombe: le transport du courant sur des milliers de kilomètres n'est plus un obstacle infranchissable. Mieux, en couplant ce «super-réseau» à haute tension en courant continu avec une production décentralisée d'énergie renouvelable, on diversifie les sources et on assure au tout une robustesse systémique que l'on devra de toute manière envisager pour améliorer l'interconnexion des réseaux. Les ingénieurs ont fait un calcul dont les résultats ont surpris. Certes, Desertec nécessite un investissement global de 1,5 trillion d'euros, dont environ 130 milliards pour la construction du réseau. Cette somme, aussi astronomique qu'elle y paraît, est en réalité assez modeste si on la compare aux 13,6 trillions d'investissements prévus dans des centrales fossiles d'ici à 2030. Les premières études montrent que le pari financier n'a rien de fantaisiste: le coût du kWh a été évalué à 4,7 centimes € par l'étude de faisabilité commandée par le gouvernement allemand, soit grosso modo le prix du kWh des meilleures centrales à gaz actuelles. Utopie que tout cela, répondront les tenants de la politique énergétique classique. A de rares exceptions près, les électriciens parient encore sur de très grosses centrales proches des grands centres et répètent que les énergies renouvelables ne pourront «jamais» satisfaire les besoins d'une économie développée. Desertec et les ambitions américaines brisent leurs certitudes. Le transport n'est plus un obstacle. De même, répliquent les ingénieurs, il est possible de stocker de nuit une production solaire thermique excédentaire sous forme de sels fondus. Mieux, un «super-réseau» électrique a les qualités d'une batterie à l'échelle d'un continent, d'autant plus si l'on imagine à terme des lignes supraconductrices (4Mo, pdf). Enfin, Desertec offre à l'Afrique du Nord et au Moyen-Orient l'opportunité de faire un saut de géant dans l'électrification, tout en valorisant une ressource renouvelable infinie. Pour l'Europe, la proposition est honnête et équitable envers l'espace Méditerranée qu'elle cherche à mieux intégrer. Le Club de Rome, dont on s'est souvent gaussé, obtient lui une superbe revanche; l'utopie prend forme et devient raison. Source: New Scientist, 14 mars 2009 |