Ce rêve est porté par un
programme de recherche européen, Elcat (Electrocatalytic Gas-Phase
Conversion of CO2 in Confined Catalysts), dont l'objectif est
de maîtriser cette réaction convoitée de "réduction"
du gaz carbonique - et ce avec un très faible apport énergétique.
Le visuel du programme de recherche européen Elcat (Electrocatalytic
Gas-Phase Conversion of CO2 in Confined Catalysts). | D.R.
Lancé fin 2004, le projet fédère
quatre universités et instituts de recherche européens. Il
a fait l'objet d'une première communication remarquée, mi-septembre
2006 à San Francisco, au congrès de l'American Chemical Society
et, selon son coordinateur Gabriele Centi, professeur à l'université
de Messine (Italie), il a soulevé "un grand intérêt",
malgré son caractère très exploratoire. La raison
de cet engouement est simple: la molécule de dioxyde de carbone
est très stable et la faire réagir sans apport énergétique
conséquent est singulièrement délicat.
"Le but ultime de ce travail est en quelque sorte
de concevoir une cellule fonctionnant sur le même principe que la
photosynthèse, c'est-à-dire capable d'utiliser l'énergie
solaire et de l'eau pour transformer du dioxyde de carbone en produits
utiles entrant dans la composition de nos carburants actuels", explique
Gauthier Winé, chercheur au sein du groupe Carbures et nanostructures
du Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés
pour la catalyse (LMSPC) de Strasbourg, associé au projet.
Un premier élément du dispositif repose
sur l'utilisation de l'énergie solaire et d'un catalyseur à
base de titane pour "craquer" la molécule d'eau et obtenir des électrons
et des protons. Les deux produits de cette première réaction
sont ensuite utilisés dans une deuxième étape pour
réaliser la "réduction" proprement dite du CO2
en hydrocarbures. "Notre travail ne porte pas spécifiquement
sur la première étape du processus, qui fait l'objet de nombreux
travaux dans le monde, précise Julien Amadou, doctorant au LMSPC.
Nous travaillons sur la seconde, qui concentre les difficultés et
repose sur une approche absolument nouvelle." |
Cette étape cruciale nécessite l'utilisation
d'un autre catalyseur. Au contact de ce matériau - constitué
de particules de platine - "le CO2 réagit avec les
électrons et les protons pour se réduire en méthanol
ou en alcanes" (méthane, butane, propane, etc.), explique M.
Winé. Selon le chercheur, l'efficacité de la réaction
est encore ténue : "Nous parvenons aujourd'hui à convertir
20 millilitres de gaz carbonique par minute, à température
et pression ambiantes, ce qui est très intéressant du point
de vue du bilan énergétique puisqu'il n'est pas nécessaire
de chauffer ou de refroidir les réactifs", dit-il.
A l'avenir, les progrès réalisés
dans la fabrication de nanotubes de carbone - qui sont le siège
de la réaction, là où entrent en contact les réactifs
et le catalyseur - devraient permettre d'améliorer la vitesse et
le rendement du procédé. Ce recours aux nanotubes de carbone
est nécessaire car il permet d'augmenter considérablement
la surface de contact entre les différents ingrédients de
la réaction et le catalyseur.
Des travaux sont également menés sur
le catalyseur lui-même, pour en abaisser le coût et en accroître
l'efficacité. "Nous utilisons aujourd'hui principalement du platine
mais nous travaillons aussi à expérimenter d'autres métaux
nobles, dit M. Amadou. En améliorant le catalyseur, on pourra augmenter
la vitesse de passage du gaz dans la cellule."
Combien d'années de recherche en laboratoire
seront-elles nécessaires pour que le processus puisse être
mis en oeuvre par l'industrie? "Cela dépend de nombreux facteurs,
et en particulier de l'intérêt que manifesteront d'autres
groupes de recherche et les industriels pour ce domaine très exploratoire
où nous sommes aujourd'hui seuls, répond Gabriele Centi,
coordinateur du projet. Mais pour rester réaliste, il faut compter
au moins dix ans avant d'éventuelles applications à grande
échelle." Les capacités de ces dispositifs ne permettront
cependant pas, à moyen terme, de produire des hydrocarbures à
partir du CO2 présent dans l'atmosphère. Celui-ci
s'y trouve en effet, comme l'explique M. Centi, "en concentrations trop
faibles pour être exploité". "Cela ne semble pas impossible,
mais cela nécessitera de nombreuses années supplémentaires
de travail, précise M. Centi. Les premières applications
se feront sans doute pour exploiter les rejets de dioxyde de carbone de
centrales ou d'usines."
D'autres voies que l'électrocatalyse pourront
être explorées. Certains instituts de recherche réfléchissent
en particulier à des moyens d'utiliser le métabolisme de
micro-organismes (bactéries ou archées) pour réduire
en hydrocarbures certaines formes carbonées inaptes à la
combustion.
Stéphane Foucart |