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Controverses / Energie hydraulique
Trois-Gorges, un barrage monstre
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    Symbole de la puissance chinoise, le plus gros barrage du monde fait peser sur la région de gros risques écologiques.
Par Philippe GRANGEREAU, samedi 20 mai 2006
Pékin de notre correspondant

     Le plus grand barrage du monde sera achevé samedi. Au cours d'une cérémonie qui doit être retransmise en direct sur les télévisions chinoises, les dernières tonnes de béton seront coulées sur le manteau du barrage des Trois-Gorges, sur le fleuve Yang-Tsé, à Sandouping, près de Yichang, dans la province du Hubei (Centre). Les travaux avaient été inaugurés en 1994 par le Premier ministre Li Peng, un ingénieur de formation, qui avait lancé le projet en 1988. Ce barrage de Sanxia («trois gorges» en chinois) ne sera complètement opérationnel qu'en 2009, lorsque les 26 turbines, notamment fournies par le français Alstom, auront été installées, et le gigantesque bassin de retenue rempli. L'ouvrage permettra de produire, selon Pékin, autant d'électricité que 18 centrales nucléaires : 85 milliards de kilowattheures. Il aura coûté 24 milliards de dollars au bas mot, sans doute plus près de 40 milliards, et de nombreuses vies humaines. Selon le quotidien Xinjing, citant un responsable du chantier, «une centaine de personnes sont mortes sur le chantier en dix ans». Par ailleurs, 1,2 million de personnes auront été déplacées (lire ci-contre).

Obsession
     Le barrage des Trois-Gorges symbolise un orgueil national retrouvé grâce au développement économique sans précédent qu'a connu le pays depuis le lancement des réformes économiques, en 1978. L'engouement pour ce projet remonte à 1919, lorsque Sun Yat-sen, le fondateur de la Chine républicaine (en 1911), lança l'idée de domestiquer ce fleuve qui provoquait périodiquement des inondations faisant des millions de morts. Cette vision futuriste d'un ouvrage aux dimensions de la Grande Muraille inspira un poème à Mao Zedong. Le barrage devint, au milieu des années 80, une «obsession» pour le Premier ministre Li Peng. Sa déception fut grande lorsque le Conseil d'Etat, en 1989, frappa le projet d'un moratoire de cinq ans.

L'idée fut relancée après la reprise en main autoritaire qui suivit la répression sanglante du «Printemps de Pékin», pour être finalement adoptée par l'Assemblée nationale en 1992. Mais avec seulement deux tiers des suffrages, ce qui équivaut, en Chine, à un camouflet.
    Les détracteurs du projet, auxquels se sont opposés de nombreux scientifiques chinois, y compris sous le règne de Mao Zedong, sont nombreux. A commencer par l'écrivaine Dai Qing qui a qualifié l'ouvrage de «farce ridicule et néfaste qui va hanter les dirigeants chinois». La Banque mondiale a refusé de participer au financement du projet, qu'elle a jugé non viable. Une rupture du barrage affecterait pas moins de 75 millions d'habitants, estime International Rivers Network, une organisation de protection de l'environnement, qui note que «la sécurité a été pratiquement négligée dans l'étude de faisabilité». Dans un recueil d'interviews publié en 1989, les critiques accusaient les planificateurs d'avoir sous-estimé l'impact d'un tel ouvrage sur l'environnement (le dauphin d'eau douce du Yang-Tsé paraît condamné); certains prédisent que la sédimentation du Yang-Tsé, qui charrie énormément d'alluvions, risque de rendre le barrage inopérant, et même d'accroître les risques d'inondations en amont.

Craquelures
     Les avantages du projet, tels qu'ils sont mis en avant par le gouvernement, sont tout aussi nombreux. Pékin plaide pour ce barrage qui fournira au moins 2% des besoins en énergie du pays, tout en diminuant d'autant la consommation de charbon, catastrophique pour l'environnement. Le barrage, sur lequel des «craquelures superficielles sans importance» avaient été détectées en 2000, s'inscrit dans une stratégie de désenclavement de l'intérieur du pays, jusqu'alors relativement peu concerné par le boom économique des zones côtières. Les navires de fort tonnage peuvent, grâce à un jeu d'écluses titanesques, remonter le fleuve jusqu'à Chongqing. «Nous ne pouvons pas dire que le projet des Trois-Gorges est parfait, reconnaissait ce mois-ci Cao Guangjing, vice-directeur de la compagnie qui gère les travaux. Il faudra attendre 30 ans pour effectuer ce jugement