Le saumon est un poisson mythique qui
a failli disparaître à cause des microcentrales. On trouve
ce poisson, sculpté, à même le plafond d'un abri rocheux
à la Laugerie-Basse sur les bords de la Vezère, non loin
des Eyzies, il y a environ 25.000 ans. Les romains le découvrirent
lors de la conquête des Gaules et l'appelèrent Salmo salar
du latin salire qui veut dire sauter. Au Moyen-Age, on trouve sa
sculpture sur le portail de la cathédrale Sainte-Marie à
Oloron (Pyrénées-Atlantiques). Avant la révolution,
on ne pouvait le pêcher que moyennant accord et redevance à
la couronne.
Jusqu'au milieu du 19e siècle, l'abondance
du saumon dans nos cours d'eau était telle que les contrats
de louage des ouvriers à la ferme (brassiers) en Bretagne, Auvergne,
Périgord, Limousin ou Béarn, stipulaient qu'on ne leur servirait
pas du saumon en cuisine plus de deux ou trois fois par semaine!
A la fin du 19e siècle, c'est en concentrant
et en fractionnant les différents constituants du sperme de
très nombreux saumons que le professeur Meischer de l'université
de Bâle a isolé le premier acide nucléique, découverte
fondamentale en biologie cellulaire. En 1890, ce même savant, en
travaillant toujours sur les saumons du Rhin, mais utilisant leur sang
cette fois, y établissait l'existence de liaisons entre les protides
et les lipides. Au début du 20e siècle, il y avait encore
des centaines de milliers de saumons qui remontaient les fleuves et leurs
affluents côté atlantique. A la fin du siècle, il n'y
en ayait plus que quelques milliers et encore pas dans tous les fleuves.
Le constat est le même pour tous les poissons
migrateurs (saumons, esturgeons, truites de mer, anguilles, aloses et lamproies).
Certes, des progrès ont été faits avec la réalisation
des passes à poissons; mais il n'en existe pas dans tous les barrages
et celles qui existent ne sont pas toutes performantes.
Les avantages
Líénergie hydraulique est bien une
énergie renouvelable. Elle n'émet aucun gaz à effet
de serre. Líhydro-électricité participe pour environ
15 % à la production électrique française, la micro-hydraulique
à hauteur de 1 %. Cela diminue d'autant les productions électriques
d'origine fossile.
Par contre, nous devons nous méfier des affirmations
trompeuses. Jean-Marie Dyon écrit «Les passes a poissons,
bien étudiées, permettent aux migrateurs de trouver des zones
de repos, plus nombreuses que dans les parcours naturels». La
nature se serait-elle trompée en faisant des rivières sans
passes à poissons?
Cette solution devrait être soumise au COGEPOMI,
Comité de gestion des poissons migrateurs, qui s'efforce de faire
remonter un plus grand nombre de migrateurs vers leurs frayères
en rivière avec des frais considérables payés pour
la construction de passes à poissons pour les barrages qui níen
ont pas encore, pour la levée des marins pêcheurs aux estuaires
des fleuves, pour des études confiées à l'IFREMFR
(1) et pour l'alevinage des zones de frayères, car la reproduction
naturelle est encore insuffisanté pour la survie des espèces.
A l'aval de l'ouvrage
Les nuisances sont bien plus importantes que celles
décrites par Jean-Marie Dyon.
A l'aval de l'ouvrage, le lit naturel ne comporte
très souvent qu'un filet d'eau jusqu'au point de rencontre des eaux
turbinées ou dérivées. Ceci même si la loi (2)
prévoit le maintien dans le lit naturel d'un «débit
réservé», celui-ci n'étant pas toujours respecté
par l'exploitant de la micro-centrale.
S'il n'y a pas totale mise à sec, on assiste
cependant à une réduction considérable de la superficie
du «lit mouillé» donc de l'habitat piscicole. La profondeur
d'eau étant faible, celle-ci s'évapore plus vite et la teneur
en oxygène dissous diminue. Les espèces d'eau vive comme
les salmonidés disparaissent, seuls les poissons blancs subsistent.
Le courant se ralentissant, les fonds se colmatent
et la circulation interstitielle de líeau se réduit considérablement.
La reproduction des salmonidés qui ne peut
s'effectuer que dans des bancs de graviers irrigués en profondeur
devient vite impossible, car si malgré tout des pontes se produisent,
les oeufs sont rapidement asphyxiés et n'éclosent pas.
Líeau perd l'essentiel de sa turbulence et,
par suite, son pouvoir épurateur par défaut d'aération
dynamique, pouvoir déja diminué par l'effet thermique évoqué:
les concentrations en polluants augmentent en conséquence.
La rugosité des fonds disparaît et,
avec elle, la productivité du cours d'eau qui en dépend directement.
Les poissons perdent les abris et postes de chasse
qui leur sont indispensables.
Si le débit subsistant dans le lit naturel
connaît des variations brutales, il se produit des chocs thermiques
très nuisibles aux poissons. Ces variations brutales de débit
qui peuvent aussi être dangereuses pour les humains, se produisent
lors des fonctionnements «à l'éclusée»
de certaines microcentrales, lors des lâchés d'eau pour répondre
aux besoins des irriguants ou pour favoriser la pratique des sports d'eau
vive. En outre, les phénomènes de marnage qui en résultent
se traduisent par des exondations (3) du substrat détruisant brutalement
la faune benthique (4) à la base de la pyramide alimentaire et
anéantissant l'éventuelle reproduction des salmonidés
(ce qui s'est produit pour les saumons de l'Allier et les ombres du Doubs).
Líinsuffisance de débit trop souvent
constatée peut totalement interdire le transit des poissons effectuant
leurs migrations de reproduction. C'est notamment le cas pour les saumons
qui étant des poissons de grande taille, ne peuvent se déplacer
que dans des veines d'eau en rapport avec leurs dimensions. Si malgré
tout le transit est possible, c'est au prix d'un stress et d'efforts démesurés
qui épuisent les poissons et diminuent leurs performances de reproducteurs
quand ils ne les annihilent pas: en effet, les saumons adultes ne s'alimentant
pas en rivière, les efforts fournis le sont aux dépens de
leurs réserves énergétiques et au détriment
de la maturation de leurs gonades (5). |
Au niveau du barrage
Lorsque les poissons montent, au pire, lorsque le
barrage est dépourvu de dispositifs de franchissement, les poissons
migrateurs s'épuisent en vains efforts à vouloir à
tout prix le franchir s'ils y parviennent, c'est souvent après s'être
blessés en retombant sur des enrochements.
Au mieux, lorsque la passe existe, celle-ci est
parfois mal placée, ou encore ne dispose pas d'une attractivité
suffisante (débit trop faible, eau émulsionnée gênant
la nage des poissons); parfois aussi, il n'existe pas de fosse d'appel
au pied de celle- ci, ou bien elle est encombrée de débris
qui en interdisent l'utilisation.
De toute façon, chaque franchissement díouvrage,
même correctement équipé, induit du retard. La multiplication
des obstacles sur un même cours d'eau allonge la durée de
la migration et les poissons arrivent trop tardivement sur les frayères
pour se reproduire ou bien son contraints à la faire sur des gravières
déja occupées; il se produit alors un surcreusement de celles-ci
et une libération au fil du courant des pontes déja déposées,
ainsi irrémédiablement perdues.
Comme le dit Dominique Bans du CSP (6) de Montpellier
«A la montée, les adultes de saumons peuvent attendre quinze
jours à un mois devant un barrage selon la température de
l'eau ou l'attractivité de la passe à poissons. Ils peuvent
avec cinq barrages avoir jusqu'à trois mois de retard dans leur
programme de route et arriver trop tard pour les frayères situées
en amont». Comment s'étonner après cela que l'on
n'arrive pas à permettre la remontée normale des saumons
sur le gave de Pau avec ses 34 barrages pour micro-centrales! A propos
du gave, Bernard Charbonneau écrivait en 1950: «Les poissons
que l'on pêche dans le plus beau gave sont les meilleurs à
manger tandis que les bêtes livides de ce bouillon que dégueule
aujourd'hui la ville sont à vomir».
Dans le sens de la descente, les jeunes alevins
et smolts (jeunes saumons) descendant vers les zones de croissance fluviale
ou maritime, dont la dérive est passive, sont souvent aspirés
vers les turbines. Quand ils ne sont pas hachés par celles-ci. Les
variations de pressions brutales existant dans la veine d'eau turbinée
sont souvent responsables de phénomènes de détente
gazeuse dans le sang, à l'origine d'accidents comparables à
ceux que connaissent parfois les plongeurs. Lorsque le barrage alimente
une salmoniculture, les alevins périssent souvent plaqués
sur les grilles d'isolement amont par la force du courant, ou si celles-ci
n'existent pas, constituent un dessert apprécié des poissons
d'élevage.
A côté de l'impact direct sur les poissons,
on enregistre une perturbation importante de la dérive benthique
d'invertébrés. Or ce phénomène est vital: il
est en effet à l'origine de l'ensemencement des secteurs aval des
cours d'eau en organismes se situant à la base de la chaîne
alimentaire aboutissant aux poissons.
Il convient aussi de noter l'interruption de líalimentation
en graviers des secteurs en aval indispensables au maintien d'habitats
favorables aux salmonidés et à leurs proies et à la
constitution de secteurs de frayères.
Ce que souligne encore Dominique Baril: «Au
printemps, les jeunes saumons descendent la rivière et suivent le
courant pour regagner la mer. Les barrages hydroélectriques sont
équipés de grilles qui laissent pénétrer une
partie des salmoneaux dans les turbines occasionnant des mortalités
très élevées.
Dans la retenue d'eau
Les retenues d'eau sont des sources de gaspillage
d'eau par évaporation: sous nos climats, celle-ci est en moyenne
de 3,5m3/hectare. On conçoit que lorsque les retenues
se succèdent sur un même cours d'eau, le débit de celui-ci
et la vie qu'il héberge puissent être cruellement affectés.
La retenue piège engrais et nutriments qui
enrichissent le milieu. Les végétaux aquatiques, algues notamment,
se développent considérablement. Le déficit en oxygène
dissous qui en résulte la nuit (interruption de la fonction chlorophyllienne)
peut être très important. La combinaison de l'élévation
de température et de l'eutrophisation peut rendre le milieu très
pauvre en oxygène. Au mieux, les salmonidés (qui exigent
en oxygène un minimum de 7mg/l à saturation à100 %)
sont remplacés par des cyprinidés (poissons blancs), au pire
(milieu devenu anoxique), toute la vie piscicole disparaît.
Sont également piégés sédiments
et polluants provenant du bassin amont ou de la décomposition des
masses végétales de la retenue. Leur accumulation
artificielle constitue une véritable bombe à retardement
pour les secteurs aval des cours d'eau, par exemple lors des vidanges décennales
obligatoires. Un processus d'envasement s'installe qui conduit inexorablement
à la mort biologique du cours d'eau.
Pour conclure, je donnerais l'avis d'écologistes
comme ceux de France Nature Environnement: «le label vise en fait
à camoufler sous des dehors d'amélioration de l'environnement,
une augmentation tarifaire reportée sur le prix du kWh payé
par le consommateur individuel. Quand on connaît les effets destructeurs
et malheureusement difficiles à réduire de ces installations,
on comprend qu'un tel label a beaucoup de chances de se révéler
peu productif: on ne turbine pas innocemment» ou encore «Líétude
d'impact et l'enquête publique devraient être réalisées
pour faire participer le citoyen au débat, faire émerger
les questions cachées, examiner la qualité des réponses,
en un mot, être en phase de validation ou de rejet du projet. Bien
entendu une telle procédure serait vivante et n'aurait rien à
voir avec les enquêtes publiques actuelles, presqu'inutiles et stagnantes
comme l'eau des retenues. Avec la mise en oeuvre de ces idées, ce
serait la démocratie vivante: la fin des barrages».
De Jacques Pubu, de la FRAPNA (7), l'association
dans laquelle milite également Jean-Marie Dyon: «Dans
un certain nombre de cours d'eau comme ceux de montagne, le palmarès
de l'irréversibilité revient incontestablement à l'hydroélectricité.
Lorsqu'une rivière est harnachée par la fée électrique,
c'est un coup de gomme pour la vie qui habitait cette rivière. Il
faut se méfier des termes de micro-centrale. Ce qui est micro, c'est
le site à aménager, pas les dégâts».
Comme eux, je suis pour une Eau vivante,
donc opposé à toute construction de barrages pour des microcentrales
ou pour d'autres usages.
Le rapport au premier ministre du député
vert Yves Cochet proposait la construction de 500 nouvelles microcentrales
hydro-électriques. C'est ce rapport qui hélas a relancé
la construction des microcentrales en France. Les lecteurs de Silence
savent bien qu'il existe en France d'autres énergies renouvelables
pratiquement inexploitées comme l'énergie éolienne
et la géothermie qui permettraient de sortir du nucléaire
proprement. |