RESEAU SOL(ID)AIRE DES ENERGIES !
Controverses sur l'hydroélectricité
Les impacts des microcentrales

    Dans Silence N° 290, Jean-Marie Dyon fait un plaidoyer pour la microhydraulique. Celui-ci est «exploitant de microcentrales par conviction écologique». Voici l'avis d'Albert Danjan, de l'association nationale pour la protection des eaux et rivières.
 
    Le saumon est un poisson mythique qui a failli disparaître à cause des microcentrales. On trouve ce poisson, sculpté, à même le plafond d'un abri rocheux à la Laugerie-Basse sur les bords de la Vezère, non loin des Eyzies, il y a environ 25.000 ans. Les romains le découvrirent lors de la conquête des Gaules et l'appelèrent Salmo salar du latin salire qui veut dire sauter. Au Moyen-Age, on trouve sa sculpture sur le portail de la cathédrale Sainte-Marie à Oloron (Pyrénées-Atlantiques). Avant la révolution, on ne pouvait le pêcher que moyennant accord et redevance à la couronne.
    Jusqu'au milieu du 19e siècle, l'abondance du saumon dans nos cours d'eau était telle  que les contrats de louage des ouvriers à la ferme (brassiers) en Bretagne, Auvergne, Périgord, Limousin ou Béarn, stipulaient qu'on ne leur servirait pas du saumon en cuisine plus de deux ou trois fois par semaine!
    A la fin du 19e siècle, c'est en concentrant et en fractionnant les différents  constituants du sperme de très nombreux saumons que le professeur Meischer de l'université de Bâle a isolé le premier acide nucléique, découverte fondamentale en biologie cellulaire. En 1890, ce même savant, en travaillant toujours sur les saumons du Rhin, mais utilisant leur sang cette fois, y établissait l'existence de liaisons entre les protides et les lipides. Au début du 20e siècle, il y avait encore des centaines de milliers de saumons qui remontaient les fleuves et leurs affluents côté atlantique. A la fin du siècle, il n'y en ayait plus que quelques milliers et encore pas dans tous les fleuves.
    Le constat est le même pour tous les poissons migrateurs (saumons, esturgeons, truites de mer, anguilles, aloses et lamproies). Certes, des progrès ont été faits avec la réalisation des passes à poissons; mais il n'en existe pas dans tous les barrages et celles qui existent ne sont pas toutes performantes.

Les avantages
    Líénergie hydraulique est bien une énergie renouvelable. Elle n'émet aucun gaz à effet de serre. Líhydro-électricité participe pour environ 15 % à la production électrique française, la micro-hydraulique à hauteur de 1 %. Cela diminue d'autant les productions électriques d'origine fossile.
    Par contre, nous devons nous méfier des affirmations trompeuses. Jean-Marie Dyon écrit «Les passes a poissons, bien étudiées, permettent aux migrateurs de trouver des zones de repos, plus nombreuses que dans les parcours naturels». La nature se serait-elle trompée en faisant des rivières sans passes à poissons?
    Cette solution devrait être soumise au COGEPOMI, Comité de gestion des poissons migrateurs, qui s'efforce de faire remonter un plus grand nombre de migrateurs vers leurs frayères en rivière avec des frais considérables payés pour la construction de passes à poissons pour les barrages qui níen ont pas encore, pour la levée des marins pêcheurs aux estuaires des fleuves, pour des études confiées à l'IFREMFR (1) et pour l'alevinage des zones de frayères, car la reproduction naturelle est encore insuffisanté pour la survie des espèces.

A l'aval de l'ouvrage
    Les nuisances sont bien plus importantes que celles décrites par Jean-Marie Dyon.
    A l'aval de l'ouvrage, le lit naturel ne comporte très souvent qu'un filet d'eau jusqu'au point de rencontre des eaux turbinées ou dérivées. Ceci même si la loi (2) prévoit le maintien dans le lit naturel d'un «débit réservé», celui-ci n'étant pas toujours respecté par l'exploitant de la micro-centrale.
    S'il n'y a pas totale mise à sec, on assiste cependant à une réduction considérable de la superficie du «lit mouillé» donc de l'habitat piscicole. La profondeur d'eau étant faible, celle-ci s'évapore plus vite et la teneur en oxygène dissous diminue. Les espèces d'eau vive comme les salmonidés disparaissent, seuls les poissons blancs subsistent.
    Le courant se ralentissant, les fonds se colmatent et la circulation interstitielle de líeau se réduit considérablement.
    La reproduction des salmonidés qui ne peut s'effectuer que dans des bancs de graviers irrigués en profondeur devient vite impossible, car si malgré tout des pontes se produisent, les oeufs sont rapidement asphyxiés et n'éclosent pas.
    Líeau perd l'essentiel de sa turbulence et, par suite, son pouvoir épurateur par défaut d'aération dynamique, pouvoir déja diminué par l'effet thermique évoqué: les concentrations en polluants augmentent en conséquence.
    La rugosité des fonds disparaît et, avec elle, la productivité du cours d'eau qui en dépend directement.
    Les poissons perdent les abris et postes de chasse qui leur sont indispensables.
    Si le débit subsistant dans le lit naturel connaît des variations brutales, il se produit des chocs thermiques très nuisibles aux poissons. Ces variations brutales de débit qui peuvent aussi être dangereuses pour les humains, se produisent lors des fonctionnements «à l'éclusée» de certaines microcentrales, lors des lâchés d'eau pour répondre aux besoins des irriguants ou pour favoriser la pratique des sports d'eau vive. En outre, les phénomènes de marnage qui en résultent se traduisent par des exondations (3) du substrat détruisant brutalement la faune benthique (4) à la base de la pyramide alimentaire et  anéantissant  l'éventuelle reproduction des salmonidés (ce qui s'est produit pour les saumons de l'Allier et les ombres du Doubs).
    Líinsuffisance de débit trop souvent constatée peut totalement interdire le transit des poissons effectuant leurs migrations de reproduction. C'est notamment le cas pour les saumons qui étant des poissons de grande taille, ne peuvent se déplacer que dans des veines d'eau en rapport avec leurs dimensions. Si malgré tout le transit est possible, c'est au prix d'un stress et d'efforts démesurés qui épuisent les poissons et diminuent leurs performances de reproducteurs quand ils ne les annihilent pas: en effet, les saumons adultes ne s'alimentant pas en rivière, les efforts fournis le sont aux dépens de leurs réserves énergétiques et au détriment de la maturation de leurs gonades (5).

Au niveau du barrage
    Lorsque les poissons montent, au pire, lorsque le barrage est dépourvu de dispositifs de franchissement, les poissons migrateurs s'épuisent en vains efforts à vouloir à tout prix le franchir s'ils y parviennent, c'est souvent après s'être blessés en retombant sur des enrochements.
    Au mieux, lorsque la passe existe, celle-ci est parfois mal placée, ou encore ne dispose pas d'une attractivité suffisante (débit trop faible, eau émulsionnée gênant la nage des poissons); parfois aussi, il n'existe pas de fosse d'appel au pied de celle- ci, ou bien elle est encombrée de débris qui en interdisent l'utilisation.
    De toute façon, chaque franchissement díouvrage, même correctement équipé, induit du retard. La multiplication des obstacles sur un même cours d'eau allonge la durée de la migration et les poissons arrivent trop tardivement sur les frayères pour se reproduire ou bien son contraints à la faire sur des gravières déja occupées; il se produit alors un surcreusement de celles-ci et une libération au fil du courant des pontes déja déposées, ainsi irrémédiablement perdues.
    Comme le dit Dominique Bans du CSP (6) de Montpellier  «A la montée, les adultes de saumons peuvent attendre quinze jours à un mois devant un barrage selon la température de l'eau ou l'attractivité de la passe à poissons. Ils peuvent avec cinq barrages avoir jusqu'à trois mois de retard dans leur programme de route et arriver trop tard pour les frayères situées en amont». Comment s'étonner après cela que l'on n'arrive pas à permettre la remontée normale des saumons sur le gave de Pau avec ses 34 barrages pour micro-centrales!  A propos du gave, Bernard Charbonneau écrivait en 1950: «Les poissons que l'on pêche dans le plus beau gave sont les meilleurs à manger tandis que les bêtes livides de ce bouillon que dégueule aujourd'hui la ville sont à vomir».
    Dans le sens de la descente, les jeunes alevins et smolts (jeunes saumons) descendant vers les zones de croissance fluviale ou maritime, dont la dérive est passive, sont souvent aspirés vers les turbines. Quand ils ne sont pas hachés par celles-ci. Les variations de pressions brutales existant dans la veine d'eau turbinée sont souvent responsables de phénomènes de détente gazeuse dans le sang, à l'origine d'accidents comparables à ceux que connaissent parfois les plongeurs. Lorsque le barrage alimente une salmoniculture, les alevins périssent souvent plaqués sur les grilles d'isolement amont par la force du courant, ou si celles-ci n'existent pas, constituent un dessert apprécié des poissons d'élevage.
    A côté de l'impact direct sur les poissons, on enregistre une perturbation importante de la dérive benthique d'invertébrés. Or ce phénomène est vital: il est en effet à l'origine de l'ensemencement des secteurs aval des cours d'eau en organismes se situant à la base de la chaîne alimentaire aboutissant aux poissons.
    Il convient aussi de noter l'interruption de líalimentation en graviers des secteurs en aval indispensables au maintien d'habitats favorables aux salmonidés et à leurs proies et à la constitution de secteurs de frayères.
    Ce que souligne encore Dominique Baril: «Au printemps, les jeunes saumons descendent la rivière et suivent le courant pour regagner la mer. Les barrages hydroélectriques sont équipés de grilles qui laissent pénétrer une partie des salmoneaux dans les turbines occasionnant des mortalités très élevées.

Dans la retenue d'eau
    Les retenues d'eau sont des sources de gaspillage d'eau par évaporation: sous nos climats, celle-ci est en moyenne de 3,5m3/hectare. On conçoit que lorsque les retenues se succèdent sur un même cours d'eau, le débit de celui-ci et la vie qu'il héberge puissent être cruellement affectés.
    La retenue piège engrais et nutriments qui enrichissent le milieu. Les végétaux aquatiques, algues notamment, se développent considérablement. Le déficit en oxygène dissous qui en résulte la nuit (interruption de la fonction chlorophyllienne) peut être très important. La combinaison de l'élévation de température et de l'eutrophisation peut rendre le milieu très pauvre en oxygène. Au mieux, les salmonidés (qui exigent en oxygène un minimum de 7mg/l à saturation à100 %) sont remplacés par des cyprinidés (poissons blancs), au pire (milieu devenu anoxique), toute la vie piscicole disparaît.
    Sont également piégés sédiments et polluants provenant du bassin amont ou de la décomposition des masses végétales de la retenue.  Leur  accumulation  artificielle constitue une véritable bombe à retardement pour les secteurs aval des cours d'eau, par exemple lors des vidanges décennales obligatoires. Un processus d'envasement s'installe qui conduit inexorablement à la mort biologique du cours d'eau.
    Pour conclure, je donnerais l'avis d'écologistes comme ceux de France Nature Environnement: «le label vise en fait à camoufler sous des dehors d'amélioration de l'environnement, une augmentation tarifaire reportée sur le prix du kWh payé par le consommateur individuel. Quand on connaît les effets destructeurs et malheureusement difficiles à réduire de ces installations, on comprend qu'un tel label a beaucoup de chances de se révéler peu productif: on ne turbine pas innocemment» ou encore «Líétude d'impact et l'enquête publique devraient être réalisées pour faire participer le citoyen au débat, faire émerger les questions cachées, examiner la qualité des réponses, en un mot, être en phase de validation ou de rejet du projet. Bien entendu une telle procédure serait vivante et n'aurait rien à voir avec les enquêtes publiques actuelles, presqu'inutiles et stagnantes comme l'eau des retenues. Avec la mise en oeuvre de ces idées, ce serait la démocratie vivante: la fin des barrages».
    De Jacques Pubu, de la FRAPNA (7), l'association dans laquelle milite également   Jean-Marie Dyon: «Dans un certain nombre de cours d'eau comme ceux de montagne, le palmarès de l'irréversibilité revient incontestablement à l'hydroélectricité. Lorsqu'une rivière est harnachée par la fée électrique, c'est un coup de gomme pour la vie qui habitait cette rivière. Il faut se méfier des termes de micro-centrale. Ce qui est micro, c'est le site à aménager,  pas les dégâts».
    Comme eux, je suis pour une Eau vivante, donc opposé à toute construction de barrages pour des microcentrales ou pour d'autres usages.
    Le rapport au premier ministre du député vert Yves Cochet proposait la construction de 500 nouvelles microcentrales hydro-électriques. C'est ce rapport qui hélas a relancé la construction des microcentrales en France. Les lecteurs de Silence savent bien qu'il existe en France d'autres énergies renouvelables pratiquement inexploitées comme l'énergie éolienne et la géothermie qui permettraient de sortir du nucléaire proprement.

Albert Danjau
Délégué régional Pyrénées de l'association nationale pour la protection des eaux et rivières
(dite TOS, pour Truite, ombre, saumon).
(1) Institut français de recherche pour l'exploitation en mer.
(2) Article L 232-5 du code rural.
(3) exondations: mises en dehors de l'eau
(4) benthique: se dit d'un organisme aquatique qui vit à proximité du fond d'une rivière, d'un plan d'eau ou de la mer
(5) Gonades: organes reproducteurs.
(6) Conseil supérieur de la pêche.
(7) Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature.

Bibliographie
- N°173 de la revue TOS, numéro spécial Barrages, TOS, 67, rue de Seine, 94140 Altortville, tél: 0l 43 75 84 84.
- N° 2 de la Lettre de l'eau de France-Nature-Environnement, 57, rue Cuvier 75005 Paris, tél: 0l 43 36 16 12.
- Edition spéciale "micro-centrales" de l'Union nationale de la pêche en France et la protection du milieu aquatique, 17, rue Bergère 75009 Paris, tél: 01 48 24 96 00.
- Tristes campagnes, Bernard Charbonneau, éd. Denoël, réed. 1973.