RESEAU SOL(ID)AIRE DES ENERGIES !
Débat problématique énergétique / effet de serre / climat, etc.
MARCHÉ des GES ("Droit à polluer")

L'Europe, pionnière sur le marché du CO2 (ADIT, novembre 2005)
LE MONDE | 29.11.05
    Le grand pari des signataires du protocole de Kyoto a été de choisir les mécanismes de marché pour parvenir à leurs objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Taxer purement et simplement les pollueurs aurait été plus difficile à faire admettre. Le recours au marché a en outre le mérite de récompenser ceux des "pollueurs" qui font des efforts pour contrôler ou limiter leurs émissions.
     Sur le papier, le principe est simple. Il consiste à mettre fin à la gratuité des émissions de gaz à effet de serre, à commencer par celles du dioxyde de carbone (CO2). Pour avoir le droit de polluer l'atmosphère en y recrachant une tonne de CO2, il faut acheter un permis (ou quota). Son prix dépend de l'offre et de la demande. Le but des concepteurs du système est qu'il devienne suffisamment élevé pour inciter les pollueurs à investir dans des technologies propres.
    En pratique, la mise en place d'un marché international du dioxyde de carbone est nettement plus complexe. Il devra être opérationnel dès 2008, date du début des efforts de réduction auxquels se sont engagés les pays signataires du protocole de Kyoto. Chacun de ces Etats se verra alors attribuer un certain nombre de crédits à ne pas dépasser. Ils auront en outre la possibilité de racheter des crédits à d'autres : pays, entreprises, fonds d'investissement, ou même personnes physiques (la détention de crédits étant ouverte à tous). Ils pourront aussi en acquérir via deux types de mécanismes.
    Le mécanisme "développement propre" permet de récupérer des crédits en contrepartie de réductions d'émission issues de projets conduits dans un pays en développement (Inde, Chine, Brésil, etc.). Avec la "mise en oeuvre conjointe", un pays signataire de Kyoto peut gagner des crédits supplémentaires suite à la mise en place d'un projet de réduction d'émissions dans un autre pays signataire. Ces deux types de crédit ne seront accordés qu'après une validation des projets "verts" par l'Organisation des Nations unies (ONU).
    L'Europe a choisi d'être une bonne élève de Kyoto et a ouvert son propre marché de "quotas" de CO2 dès le 1er janvier 2005. "L'idée de la Commission européenne est de tester le fonctionnement du marché pour que les membres de l'Union soient fin prêts en 2008", selon Ariane de Dominicis, chercheuse à la mission Climat de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
    L'Europe a choisi de faire porter l'essentiel de l'effort de réduction sur les entreprises. Sont concernés au premier chef les producteurs d'énergie, les cimentiers, les chimistes et les sidérurgistes, qui représentent 40% des émissions totales de CO2 de l'Union. Quelques acteurs territoriaux comme des centres hospitaliers universitaires (CHU) ou des communautés urbaines sont également sur la liste. Toutes les installations de combustion de plus de 20 MW ont été prises en compte à l'exception de celles des secteurs des transports et de l'agriculture, pourtant très polluants, restés à l'écart du processus.
AFFECTATION DE QUOTAS
    En 2003 et 2004, tous les Etats d'Europe ont ainsi dû s'engager sur un niveau maximal d'émissions au niveau national (correspondant à autant de permis d'émission) à ne pas dépasser. Puis, ils ont travaillé à une répartition de ces permis entre les principaux sites pollueurs de leurs territoires. Ces "plans nationaux d'affectation de quotas" ont tous été soumis à la Commission de Bruxelles pour validation. Cette dernière en a refusé plus d'un jugé trop laxiste, dont celui de la France, qui a dû revoir sa copie. D'âpres négociations se sont tenues entre chacun des Etats et leurs principaux sites industriels.
    Au final, environ 2 milliards de tonnes de permis d'émission ont été distribués en 2005 et 12.000 sites répertoriés en Europe. En France, 1.126 sites se sont partagé un total de 151 millions de quotas de CO2. A eux de respecter, sur l'année, leurs volants de quotas respectifs, en allant acheter ceux qui leur manquent auprès d'autres sites éligibles de l'Union. Début 2006, ils seront tous contrôlés et ceux qui auront dépassé leur volant autorisé d'émissions devront non seulement racheter les droits d'émettre manquants mais, aussi, payer une amende de 40 € par quota. L'exercice sera renouvelé en 2007.
    Pour effectuer les échanges de quotas entre sites, Bruxelles n'a imposé aucune plate-forme de transaction particulière. Les Bourses de l'électricité se sont manifestées en premier, en lançant des Bourses du dioxyde de carbone un peu partout en Europe. En France, la Bourse de l'électricité Powernext a lancé "Powernext Carbon" fin juin, en partenariat avec la CDC et la Bourse de Paris.
    En 2008, le système d'échanges européen sera censé s'interconnecter avec le marché des crédits Kyoto (un quota européen sera alors échangeable contre un crédit "Kyoto"). Il devra aussi, théoriquement, se rapprocher de ceux du Canada et de la Nouvelle-Zélande, qui ont également mis en place, avec un peu d'avance sur Kyoto, des systèmes nationaux d'échanges de droits d'émission de CO2.
    Cette délicate mécanique réussira-t-elle à se mettre en branle? Les optimistes pointent le démarrage plutôt réussi, selon eux, des Bourses européennes du carbone. Environ 30.000 tonnes de CO2 s'échangent aujourd'hui quotidiennement sur Powernext Carbon, avec des pointes à plus de 100.000 tonnes. Un niveau inespéré lors du lancement de la plate-forme. Surtout, le prix du quota y est élevé: environ 21,5 €, alors que, au début de l'année, les économistes ne pariaient pas sur plus de 10 € la tonne. Trop faible, il n'aurait eu aucune chance d'inciter les pollueurs à contrôler leurs émissions.
    Toutefois, les pessimistes déplorent l'inconnue 2012. Aujourd'hui, personne ne sait si le dioxyde de carbone sera encore payant au 1er janvier 2013. Cette incertitude enraye le développement de la "finance carbone". Comment investir à long terme dans des projets de réduction d'émission quand la pérennité du système n'est pas assurée?
Cécile Ducourtieux