Cette fois, partisans
et détracteurs des fameux permis à polluer auront des arguments
concrets. Depuis hier, les deux camps peuvent s'appuyer sur des données
effectives: celles du marché européen de la finance carbone
mis en place il y a près d'un an et demi. Selon les chiffres publiés
hier par la Commission européenne pour 21 pays (manquent encore
à l'appel les données pour Chypre, Luxembourg, Malte et la
Pologne), les 9.000 sites industriels les plus polluants en dioxyde de
carbone (CO2), l'un des gaz à effet de serre responsables
du réchauffement climatique, ont rejeté l'an dernier 1.785
millions de tonnes de CO2 sur les 1 829 qui leur ont été
allouées en moyenne annuelle sur la période 2005-2007. L'Europe
des Vingt-Cinq se retrouve donc avec un excédent de 44 millions
de tonnes de CO2.
Petit retour en arrière sur les origines de la finance carbone. Dans le cadre du protocole de Kyoto, l'Union européenne s'est engagée à réduire à l'horizon 2012 ses émissions de CO2 de 8% par rapport à son niveau de 1990. Pour espérer y parvenir, une directive européenne de 2003 confie à chaque Etat le soin de fixer lui-même les quantités de CO2 que les sites industriels grands consommateurs d'énergie (électriciens, chimistes, cimentiers, verriers, sidérurgistes...) sont en droit d'émettre. Au niveau européen, 11.400 sites se sont vu attribuer des quotas ou permis de pollution... avec la bénédiction de la Commission européenne. La première période d'allocation des quotas court de 2005 à 2007, avec un rendez-vous annuel, en avril, au moment où les sites industriels nationaux doivent présenter un bilan à leur Etat, qui lui-même le fait remonter à la Commission. Kyotoland, et plus précisément son système de bourse à polluer, est donc opérationnel depuis un an et demi. Gros ratés. L'idée de ce marché des permis à polluer est de faciliter les investissements dans les technologies propres en fixant un prix à ce qui était gratuit jusqu'ici: la tonne de CO2 émise dans l'air. Comment? En créant un marché des permis à polluer, avec un volume de départ suffisamment faible pour que le prix de la tonne de CO2 soit élevé. En théorie, le système est relativement simple. Les entreprises concernées par les fameux plans nationaux d'allocations des quotas (PNAQ) qui peuvent réduire leurs dépenses énergétiques à moindres frais sont incitées à le faire. |
Et pour cause, puisqu'elles tireront un bénéfice de la
revente de leurs quotas inutilisés. Encore faut-il que leurs coûts
d'investissement dans des procédés de fabrication plus propres
soient inférieurs aux prix des quotas d'émissions qu'elles
possèdent et qu'elles peuvent revendre. Car à l'inverse,
les industriels qui dépassent leurs quotas de droits à polluer
doivent acheter des quotas excédentaires aux entreprises vertueuses.
Mais voilà, cette mécanique n'a cessé d'avoir de gros
ratés depuis son lancement.
D'abord, au départ, lorsque furent communiqués les PNAQ, les ONG estimaient que la plupart des gouvernements, avec le consentement de la Commission, donnaient l'impression de faire des efforts sans pour autant modifier leur mode de croissance. De leur côté, les analystes et autres spéculateurs s'étaient persuadés qu'une bourse de la tonne CO2 combinée à un volume restreint allait forcément entraîner de la rareté. Et donc une envolée des prix. Au point que la spéculation sur la tonne de CO2 s'est déchaînée il y a plusieurs mois. Mais fin mars, les premiers bilans de six pays (France, République Tchèque, Pays-Bas, Estonie, Belgique et Espagne) ont sonné la fin de la récréation. En l'espace d'une séance, le prix des certificats d'émission de CO2 perdait 35% de sa valeur à la bourse européenne des droits à polluer Powernext Carbon, pour s'établir à moins de 15 €. Règles du jeu. Pour Henrik Hasselknippe, analyste de la lettre d'information Point Carbon, «l'important est maintenant d'analyser ces excédents pour savoir s'ils sont dus à des réductions effectives d'émissions ou à une sur-allocation de quotas aux entreprises», comme l'affirment les écologistes (et comme souligné par Resosol). Ces derniers estiment qu'un prix trop faible de la tonne de CO2 n'oblige pas les entreprises à investir dans des technologies moins énergivores en CO2. Certes, le débat sur ce premier bilan ne fait que commencer. Mais l'essentiel est ailleurs, notamment dans les nouvelles règles du jeu qui doivent maintenant être rapidement définies pour la période 2008-2012. La Commission devrait publier ses propositions vers la mi-juin. Un test pour prouver, chiffres à l'appui, son leadership mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et surtout, sa capacité à résister aux différents lobbies. |