RESEAU SOL(ID)AIRE DES ENERGIES !
Controverses / hydroélectricité
Belgique
De l'électricité verte sur la Lesse
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=355251
20 juin 2007
 
     Construire un gigantesque barrage sur la Lesse pour produire de l'électricité? Le projet dort dans les cartons ministériels depuis trente ans. Ne serait-il pas temps de le ressortir?
Christophe VIELLE,
chercheur du FNRS à l'UCL.

     Les grands pays cités en exemple pour leur croissance économique fulgurante que sont l'Inde et la Chine ont l'un et l'autre entrepris ou achevé de colossaux travaux de génie civil de type hydro-électrique: le projet de barrages sur la Narmada pour l'un, les barrages sur le fleuve Yangzi pour l'autre. Au moment où, en Belgique, aucun projet alternatif probant ne se fait jour pour assurer des capacités énergétiques comparables à celles offertes actuellement par les centrales électriques nucléaires ou au charbon et au gaz, mis à part peut-être les parcs à éoliennes davantage adaptés aux conditions climatiques du littoral flamand, on peut se demander si la solution en Wallonie ne réside pas dans la valorisation énergétique de sa richesse naturelle principale: l'eau.
     Un des axes d'une telle politique écologique serait, pour chacun de ses nombreux cours d'eau, la multiplication de mini-centrales ou moulins aptes à fournir l'énergie électrique à l'échelle d'une commune rurale. Complémentairement, et notamment pour la régulation du débit des eaux, seraient construits un ou plusieurs grands barrages permettant à la fois le stockage régulateur des eaux et la fourniture supplémentaire d'énergie électrique.
     Pour rappel, dès 1964 en Belgique, le ministre alors national des Travaux publics proposait la création, dans les Ardennes, de réserves immenses d'eaux (près d'un milliard de mètres cubes) pour soutenir l'étiage de la Meuse à hauteur de l'écluse de Monsin. Le premier projet de barrage sur la Semois provoqua un tollé général, car il impliquait la destruction de plusieurs villages. Il fut abandonné au profit d'autres projets sur la Lesse: "Lesse I", puis un plus modeste "Lesse II", et enfin "Lesse III" (1971). Ce dernier ne devait entraîner la destruction que de quelques maisons du hameau de Lesse (entité de Redu), mais il ne résista pas non plus à l'opposition des défenseurs du patrimoine naturel, lesquels par ailleurs furent bien impuissants, quelques années plus tard, face aux bouleversements beaucoup plus considérables du paysage engendrés par la construction de l'autoroute E411 à quelques kilomètres de là (traversée de la Lesse et percée du massif ardennais à hauteur de Tellin). On renonça donc définitivement à ce type d'entreprise... juste avant le premier choc pétrolier (1973), puis la régionalisation des compétences des travaux publics.
     En quoi consistait la dernière mouture de ce projet qui dort depuis plus de trente ans dans les archives ministérielles. Il s'agissait d'édifier au petit hameau de Neupont, en aval de Daverdisse, un "barrage-poids", c'est-à-dire un mur massif de béton, calculé pour résister aux sollicitations les plus fortes. D'une longueur de 820 mètres et d'une hauteur maximum de 72 mètres, pour un volume de 93.000 mètres cubes de béton, il devait pouvoir retenir cent quatre-vingt-un millions de mètres cubes d'eau à la cote 265, pour une superficie de plan d'eau de 684 hectares, alimenté par la Haute-Lesse et ses affluents comme la Mache (voir plan ci-contre). Le projet prévoyait aussi l'installation d'une infrastructure touristique diversifiée autour du nouveau lac, dont les rives auraient fait environ 60 km - presque autant que la côte belge tout entière. La régulation du débit de l'eau à environ 10 mètres cubes par seconde ne devait, en outre, pas affecter, en aval, les grottes de Han ou la navigation des kayaks sur la Basse-Lesse.
     Outre la meilleure gestion des réserves d'eaux et la production d'énergie électrique, les avantages d'un tel projet pour l'économie régionale seraient énormes : pour le secteur de la construction d'abord, pour celui du tourisme ensuite, avec des perspectives éco-touristiques susceptibles de profiter directement aux gens de Redu (déjà village du livre) et des autres villages des alentours. Le financement d'un tel projet devrait être principalement public, mais ses retombées le seraient assurément tout autant. Car dans une perspective de développement durable, l'idée du "Barrage (pour de l'eau destinée à la région) flamand (e)" brandis par les anciens opposants ne résisterait pas à la réalité du "Barrage (pour la bonne gestion des ressources énergétiques de la région) wallon(ne)".
     Laissant de côté les visions apocalyptiques du chantre de l'Ardenne, Adrien de Prémorel, selon lequel il fallait alors "trouver autre chose que ce sacrilège, que ce mépris des droits de la vie et de la mort. Il faut s'éveiller de ce cauchemar" ("Le Soir", janvier 1965), ne serait-il pas opportun que les pouvoirs publics wallons rouvrent ce dossier (s'ils le retrouvent...) et en jaugent les avantages et les inconvénients dans un débat ouvert et démocratique impliquant l'ensemble des acteurs concernés?

L'hydroélectricité n'est pas verte!
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=356773

     La production hydroélectrique va de pair avec des dommages écologiques importants voire majeurs qui sont bien souvent irréversibles.

B. SOTTIAUX,
directeur de la fédération sportive des pêcheurs francophones de Belgique

     Le présent billet est écrit en réaction à l'article précédent. L'auteur y fait l'apologie tant des microcentrales que des barrages producteurs d'électricité et incite au développement de cette source d'énergie en Wallonie, allant même jusqu'à prétendre qu'il s'agirait là de développement durable!
     Nous savons qu'il n'en est rien et que la production hydroélectrique va de pair avec des dommages écologiques importants voire majeurs qui sont bien souvent irréversibles. À l'heure où des efforts considérables sont menés par les gestionnaires (Ministère de l'Équipement et des Transports, Ministère de la Région wallonne-Division de l'Eau) pour réduire l'impact écologique de certains de ces ouvrages existants, les propos tenus par M. Christophe Vielle sont particulièrement choquants.
     Ce chercheur se plaît à souligner l'aboutissement de gigantesques chantiers de construction de barrages en Inde ou en Chine. N'aurait-il donc jamais entendu parler des conséquences humaines dramatiques de la construction pharaonique du barrage des Trois Gorges en Chine, à savoir: la déportation d'1,2 million d'habitants, l'engloutissement de 15 villes et 116 villages, la délocalisation de 60 pc des paysans sur des terres moins fertiles, la disparition de 160 sites historiques et archéologiques, le décès accidentel de quelques centaines d'ouvriers. Et tout cela, dans un contexte d'opposition au projet inégalé dans un pays communiste et avec le refus de participation de la Banque Mondiale qui doute de la viabilité même du projet pour produire seulement deux petits pour cent de la consommation nationale d'électricité.
     N'évoquons pas par pudeur exagérée les conséquences écologiques à venir... mais qui, par comparaison avec d'autres régions du monde, s'avèrent extrêmement dommageables. Ainsi, mettons en évidence l'exemple du barrage d'Assouan en Egypte, mis en service en 1975. Si ce barrage a bien permis la régularisation des crues du Nil, l'irrigation de terres supplémentaires ou encore l'augmentation de la production d'électricité du pays, il engendre déjà des conséquences environnementales majeures. L'érosion marine déchire le delta et le menace d'inondation; le sel stérilise des terres autrefois fertiles; certaines espèces comme la sardine régressent en conséquence de la diminution du flot d'eau douce en provenance du fleuve et enfin, les crues n'apportent plus leur légendaire limon bénéfique pour les cultures.
     L'auteur du billet incriminé sait-il que, chez nos voisins français, la réparation du dommage écologique peut aller jusqu'à la destruction pure et simple de l'ouvrage qui pose problème! Ainsi, par exemple, le 24 juin 1998, on a procédé, sous la pression du collectif "SOS Loire Vivante" à la destruction par dynamitage du barrage EDF de Saint-Etienne du Vigan (Haut Allier, Département de la Haute Loire) qui, depuis près de 100 ans, stérilisait une frayère à saumons! Le barrage de "Maisons rouges" sur la Vienne, affluent principal de la Loire a subi le même sort en octobre 1998. Il est vraisemblable que d'autres démantèlements suivront...
     Revenons-en aux dommages et aux risques écologiques que l'on peut, de manière générale, imputer à la production d'énergie hydroélectrique. Selon une étude menée par le Professeur J.-C. Philippart (Université de Liège) en 2001, les principales nuisances pour les milieux piscicoles sont:
     - l'entrave à la migration (saumons, truites de mer - espèces en voie de restauration en Wallonie, anguilles - en diminution alarmante en Europe) et aux déplacements des poissons (ombre, barbeau, hotu, brochet...);
     - les mortalités ou les blessures de poissons dans les turbines; ainsi, pour ne citer que cet exemple, moins de 10% des adultes reproducteurs d'anguille pourront rejoindre la mer en raison du cumul des prises d'eau industrielles sur la Meuse;
     - la diminution du débit des cours d'eau (voire, dans les cas les plus graves, l'assèchement) entre la prise d'eau et son point de restitution; ce point est particulièrement inquiétant pour les microcentrales établies sur des cours d'eau d'importance moyenne;
     - la variation du débit des cours d'eau selon le turbinage entraînant la fuite des petits poissons (alevins) lorsque le débit est élevé ou au contraire la mise à sec des oeufs à l'étiage;
     - le réchauffement de l'eau en amont de la retenue avec risque de développement excessif du plancton végétal;
     - la sédimentation importante en amont du barrage et les "pollutions mécaniques" lors des opérations de vidange des retenues.
     La Directive européenne (2000/60/CE) impose d'atteindre, pour 2015, un bon état de la qualité écologique des cours d'eau qui intègre à la fois des composantes physico-chimiques (qualité de l'eau), hydromorphologiques (bon état des rives, caractère naturel du cours d'eau) et biologiques. Pour l'évaluation de l'atteinte du bon état écologique du cours d'eau, la grille d'évaluation imposée par l'Europe est conçue de telle manière que c'est la composante la plus mauvaise qui détermine la qualité générale. Il va sans dire que l'accroissement du nombre de microcentrales en Wallonie ou pire, l'érection de barrages dans les vallées ardennaises anéantirait tout espoir d'atteindre les objectifs de la Directive-cadre Eau, avec dégâts écologiques et astreintes à la clef.
     Depuis 1997, la Fédération des pêcheurs "Vesdre-Amblève" mène pour le compte de la Région wallonne un imposant travail d'inventaire des obstacles à la libre circulation des poissons dans les cours d'eau non navigables. A ce jour, près de 2.500 obstacles ont été répertoriés et font l'objet d'un classement selon leur importance et la possibilité de les lever.
     Sur la Meuse, le ministère de l'Équipement et des Transports a doté trois barrages (Lixhe, Monsin et Yvoz-Ramet) d'échelles à poissons fonctionnelles pour les grands migrateurs (saumons, truites de mer...). D'autre part, des efforts importants (mais sans doute encore insuffisants) associant de nombreux partenaires (Universités de Liège et de Namur, MET, Division de l'Eau, Service de la Pêche, Fonds piscicole de Wallonie...) sont consentis pour la réhabilitation d'un poisson emblématique. Il serait inacceptable, n'en déplaise aux constructeurs de barrages et autres microcentrales, d'altérer encore plus nos cours d'eau au nom d'une énergie verte qui ne l'est assurément pas!