Une baguette magique
De cette heureuse rencontre va surgir l'invention
d'un drôle d'instrument, le BAO-PAO – acronyme de baguette assistée
par ordinateur/pupitre assisté par ordinateur –, dont le prototype
est né voilà trois ans.
L'objet au nom exotique se présente sous
la forme d'un arc de cercle en acier chromé de 1,20 mètre
de diamètre, fixé sur un pupitre ordinaire et portant à
ses extrémités deux boules : une diode laser d'un côté,
un récepteur de lumière de l'autre. Mis en action, l'appareil
déploie alors sa corde invisible, un faisceau laser, qu'il suffit
de couper avec une baguette pour enclencher le programme informatique (la
partition enregistrée) et déclencher le son. Fugue de Bach
ou salsa, la musique avance.
L'utilisateur ne produit ainsi ni le son (c'est
l'électronique qui s'en charge), ni la hauteur de la note (le logiciel
en fait son affaire). "L'économie de la gestuelle se situe à
ces deux niveaux", résume Jean Schmutz. Le contrôle de
l'expression est donc laissé à l'utilisateur. "Si la vitesse
de passage de la baguette est rapide, on produit une nuance forte.
Si elle est lente, ce sera piano. L'instrument agit comme une touche,
virtuelle, permettant ces nuances", explique l'ingénieur. "C'est
magique !", s'émerveille-t-il devant cette "source de plaisir".
Un plaisir à partager, car l'instrument peut accueillir sous quatre
arcs autant de handicapés. Et une activité collective rare
et précieuse pour des humains souvent confinés à la
lutte pour les seuls gestes quotidiens de la vie.
D'autres dispositifs de l'inventive Puce mettent
en œuvre des "capteurs", procédés électroniques de
"capture" du geste. Chez un tétraplégique, on recueille ainsi
le moindre battement du cou qui pourra être relayé par un
agencement informatique. Tel ce handicapé de l'orchestre Contre-Silence,
qui a réuni durant plusieurs années neuf paralytiques. Une
démonstration que ce rassemblement de forces saisies était
possible.
Du champignon au tuba-lumière
Instrument-phare, le BAO-PAO trouve aussi la faveur
des musiciens chevronnés pour "manger de la partition", dit
Jean Schmutz. "Comme c'est plus facile de jouer ainsi, ils peuvent exécuter
dix œuvres en deux heures. Au lieu de lire une partition et la penser,
ils la jouent aussitôt."
L'envie d'intriguer aussi l'oreille du grand public
démange La Puce. Des BAO-PAO ont ainsi essaimé tant dans
un conservatoire traditionnel de Gap (Hautes-Alpes) que dans une école
de musique de La Garde, près de Toulon (accessible aux handicapés),
en Lozère, à Orange, en région parisienne... Diverses
autorités (du ministère de la culture au conseil général
des Bouches-du-Rhône), ainsi que l'association Dactylion (pour l'activité
de recherche) ou l'Association française pour la myopathie aident
La Puce à être toujours plus vive.
Installée non loin du Vieux-Port de Marseille,
elle poursuit sans relâche – avec sa dizaine de membres et sous l'étendard
du BAO-PAO – l'invention d'instruments pittoresques pour les handicapés
de tous genres : physiques ou mentaux, adultes et enfants. Le "champignon",
la "poire pneumatique", le "tuba-lumière"... éclairent un
univers souvent laissé dans l'ombre. Pourtant le geste infime peut
sonner musical.