CENTRES COMMERCAUX OU VITAUX?
La vision ringarde du Français en béret, sa baguette de pain sous le bras, qui nuisait tant à notre image de marque sur les "marchés" internationaux va disparaître: le temps est venu du jeune cadre "Tapiesé" mâchant du chewing gum en poussant un caddy, outil de base de nos supermarchets, parsemés le long de nos merveilleuses autoroutes en compagnie de gigantesques parcs de loisirs dont Disneyland constitue un modèle pour l'Europe Macdonaldisée; enfin se trouveront gommés nos espaces verts "inoccupés". Vivant à l'heure de son siècle, le citoyen français des années 2000 n'aura plus qu'à rentrer dans son HLM pour assister à la messe télévisuelle; 1789 avait attaqué la France des châteaux, le 21ème siècle fait la place à celle des caddies.

Que se passe t'il donc? Etant un amoureux de notre belle région (ne parle t'on pas du "Pays vert"?), je suis de plus en plus stupéfait de tous ces hypermarchés et autres centres commerciaux qui "fleurissent" un peu partout (sans compter ceux qui sont encore dans les cartons) et qui à l'inverse des crocus n'annoncent pas le retour du printemps mais plutôt l'adoration de la consommation outrancière. J'ai donc été touché du "cri" d'une habitante du Pays de Gex dans le numéro du 12 février du "Pays Gessien"... Mais puisque la place me manque (cela nécessiterait non seulement plusieurs chroniques mais un véritable échange) et que nous ne pouvons pas séparer les problèmes locaux de ceux de la société, je ne pourrai pas parler exactement de "chez nous" mais ferai part de quelques réflexions générales, tant il est vrai que l'économique étant fabriqué par les humains et tout problème économique entrainant donc une réflexion éthique, celle-ci ne peut être séparée des..."tics" (ou plutôt des tares) de notre société. D'autre part tout problème devant être pensé aussi bien localement que globalement, il est nécessaire de ne pas oublier que dans notre société règne à plein une "certaine" inconscience du reste du monde, par l'oubli quasi total qu' AU CADDY REBONDI ICI, CORRESPOND LE VENTRE ARRONDI DE L'ENFANT QUI MEURT DE FAIM LA-BAS.

Nous en sommes donc arrivés au "vendre pour fabriquer": créér le besoin et le marché, créer sans fin (sans faim!) quitte à ce que ces objets (et services) ne durent pas. Peut importe si ce qui est proposé pollue, ne sert à rien, est dégradant, voire peut tuer, du moment qu'on peut vendre et par là gagner de l'argent... Continuer dans l'escalade de la production et de la consommation AVANT de répondre (entre autres) à la question "qu'allons nous faire de nos déchets?", c'est comme mettre la charrue avant les boeufs: quelques emplois seront créés pour construire les charrues mais il n'y aura plus personne pour les guider. Messieurs les décideurs, un bon système économique est celui qui satisfait les besoins de tout son monde: à quoi sert de plus en plus de richesses, de savoir scientifique et de techniques si le gaspillage des ressources et les misères ont atteint un record? Messieurs les élus, vous devez (nous devons aussi!) plus que jamais être attentifs aux inégalités et injustices locales; ne nous cachons pas que le mot "déchet" est malheureusement souvent associé aussi à des humains, que nous avons jugés tels. D'une certaine façon (d'une façon certaine!) c'est notre système qui les a produit: alors, en même temps et AVANT même de résoudre nos problèmes d'évacuation (y compris dans le sens psychologique...) de "déchets", posons nous la question de savoir comment moins en produire; et il est confirmé que, dans le domaine de la consommation, les grandes surfaces ne vont pas dans ce sens...

Pour en venir quand même à un domaine plus "palpable", le commerce de détail est ainsi dominé, dans notre petit pays comme partout (voir plus loin...), par ce commerce de surconsommation. Par le gigantisme et la séduction d'une abondance comblante, ces surfaces sont devenues des points d'attraction obligés. L'incitation à acheter y devient totalitaire: multiplier les "promos", attirer par les emballages, rendre les enfants assoiffés de sucreries et de gadgets, infantiliser les "adultes", envoûter par un fond sonore, orienter et susciter le désir alors que le petit commerce traditionnel, lui, garde tout son rôle de proximité et de convivialité.

Il existe maintenant de plus en plus d'exemples de zones, en particulier celles dites "piétonnes", où des emplacements de petits commerces restent vacants depuis l'implantation de centres commerciaux décentralisés (voir à Givors en particulier !). Mais les petits commerçants ne sont pas les seuls touchés: les artisans et agriculteurs locaux sont atteints eux aussi car les grands centres ont leurs circuits, nationaux et internationaux utilisant de la main d'oeuvre bon marché. Bilan: qu'en est-il, par suite, des mirifiques promesses de création d'emplois?! A ce sujet, on pourrait aussi parler des conditions de travail dans ces centres, et à la remarque "mais il n'y a jamais de grèves !", à vous de décider si c'est parce qu'ils sont satisfaits ou parce qu'ils sont peu protégés; et demandons nous aussi pourquoi il y a si souvent des postes de travail vacants...

Autres remarques: leur emplacement toujours plus loin du centre des villes exige l'utilisation de la voiture (mais savons nous vraiment qu'il existe "encore" des gens sans voiture ?), puis la taille des parcs de stationnement nécessite les caddies qui eux même entrainent la plus grande consommation, et la boucle est bouclée... Enfin, la place me manque décidemment pour parler du fameux rapport qualité/prix, mais sachez que le "bas" prix d'un produit vendu dans ces conditions se "paye quelque part", soit socialement soit écologiquement mais généralement les deux!

Saurons nous aussi rappeler sans cesse qu'il est nécessaire d'inclure dans le coût d'un produit, d'un service, voire de toute inaction et donc toute inattention à l'Autre, ces coûts sociaux et écologiques, oserons nous donc remettre en question nos habitudes, ouvrir des pistes, indiquer des exemples d'attitudes et d'actions concrètes? Saurons nous enfin, oserons nous ICI supprimer de notre vocabulaire le "comme partout" ci-dessus?

Seules les richesses spirituelles sont multipliables, les autres sont seulement... "déplaçées" (dans tous les sens du mot!). Il nous faudra donc sortir de l'idéologie de la compétition et de la quantité pour entrer dans l'ère de la qualité, de la complémentarité, de la solidarité: et le faire volontairement maintenant sera moins douloureux que si nous y sommes obligés plus tard (mais plus vite qu'à notre goût...)!

""Acheter est un acte humain qui dépend de notre volonté et qui est donc nécessairement moral ou immoral; en éluder la responsabilité, c'est en faire nécessairement un acte immoral"" (Lanza del Vasto).

Yves Renaud