Mais voilà, il est habituel de trouver des boucs émissaires. Or, "l'ombre de la guerre est toujours sous-jacente aux dissensions intérieures" (René Girard): les nations ne survivent à celles-ci qu'en se donnant un ennemi commun; Bergson a dit aussi que cet ennemi est "la seule parade que l'homme ait inventé pour refaire perpétuellement l'unité menacée de ses sociétés". Une société qui, comme la nôtre, vit surtout "pour le pain et les jeux" comme disaient les romains, ne sait plus qu'elle est guerrière: du fait que sa course au bien-être matériel et même culturel s'opère au détriment de ce qu'on appelle le tiers et le quart monde, elle est guerrière, elle prépare la guerre d'une manière ou d'une autre. Un très court exemple: lorsque les Etats dépensent un franc dans les opérations de la paix, ils en attribuent 7500 à leur armement...(source ONU). Tout ceci semble expliquer que lorsque la société n'a pas d'ennemi extérieur... galvanisant, elle en secrète un intérieur; pour résumer, il y a eu le juif, il y a donc maintenant l'immigré (mais il en a beaucoup d'autres!). L'immigré devient en France un personnage symbolique: face à un symbole, les réactions sont en général sans nuances.
Il faut se rendre compte qu'en tenant les étrangers hors de nos frontières, nous entretenons les abcès et les risques d'explosion, car en les laissant en "souffrance" (dans tous les sens du mot!) à nos frontières, nous favorisons même l'immigration clandestine: les migrants ne viennent pas pour profiter, mais pour survivre. SI NOUS VOULONS QUE L'ARGENT ET LES MARCHANDISES CIRCULENT LIBREMENT SUR LA PLANETE, COMMENT NOUS OPPOSER A LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES?! Je n'entrerai pas cette fois dans les chiffres et les faits de la migration, cela fera probablement l'objet d'une prochaine chronique; ne nions simplement pas que l'histoire des hommes est un mouvement permanent de brassage de populations et de métissages et ce, depuis l'empire gréco-romain jusqu'aux Etats-Unis. ""La migration est un processus de transmission d'idées et de valeurs; elle participe au processus de changement des comportements et des moeurs dans les pays concernés. En ce sens elle accélère indirectement l'innovation car elle modifie les esprits, apprend des habitudes et des réflexes inconnus jusqu'alors. Elle crée le support le plus solide pour l'établissement d'échanges de toute nature entre les pays de départ et d'arrivée; les immigrés sont même ainsi, sans le savoir, des agents de coopération, des vecteurs du progrès technique et humain. Enfin, l'expérience séculaire des grands pays d'émigration européens amène à relativiser le pessimisme des propos courants sur les migrants: qu'il s'agisse de l'Irlande, de l'Italie, de l'Espagne ou du Portugal, aucun n'a été condamné au sous-développement. Bien plus, ces pays ont fait montre, au cours des deux décennies écoulées, de performances exceptionnelles."" (1)
Mais voila encore, nous ne nous sentons pas directement concernés car NOUS NE SOUFFRONS PAS DIRECTEMENT DES CONSEQUENCES DE NOTRE COMPORTEMENT. Ce n'est pas nous qui souffrons en premier lieu des conséquences des déséquilibres Nord-Sud ou de NOS ventes d'armes. Au contraire nous nous enrichissons. Et il ne suffit pas de se réjouir d'un accord (voir Israël et Palestine) pour être quitte de tous comptes et d'invoquer la crise, la nôtre, pour s'exonérer d'une indispensable solidarité. Si la modernisation et le progrès comportent des aspects positifs indéniables, ils se limitent trop souvent, dans nos pays nantis, à la maximisation du profit et à la multiplication des besoins, alors que pour les pauvres (la majorité d'entre nous!) la finalité de la production vise la survie; ce qui implique chez nous l'insatisfaction permanente due à la recherche permanente de "l'avoir", ce qui nous fait oublier "l'être". Et quelle misère est la plus grave: celle de l'avoir ou celle de l'être?!
(1) J-Cl. Chesnais, démographe à l'Institut National des Etudes Démographiques.