YOUGOS LA VIE?
Adaptation d'un article de la revue "Silence" (Lyon),
mensuel sous-titré "Ecologie, non-violence, alternatives": tout
un (gigantesque et indispensable!) programme...
Peu de choses peuvent avoir une influence aussi négative
sur nous que la haine. Dans l'antiquité déjà,
elle passait pour le commencement de la folie. Que répondre d'autre
à ceux qui, au seuil du 21ème siècle, veulent résoudre
les problèmes par la violence? Est-il maintenant encore besoin de
prouver encore davantage que la haine nationaliste est ce qu'il peut y
avoir de plus vil et destructeur dans le (légitime à défaut
d'être juste...) sentiment national?
Comment se fait-il que des humains qui parlent la
même langue, qui des décennies durant ont vécu ensemble
en paix, se déchirent à nouveau? Nous pensions tous, contemporains
ou non de LA dernière (?) guerre que, particulièrement en
ces lieux, avait grandi une nouvelle génération, pour laquelle
l'origine nationale et l'appartenance religieuse n'étaient plus
des valeurs exclusives. Nulle part en Europe le nombre de victimes n'avait
été aussi élevé. Pourtant, pour la deuxième
fois au cours de ce siècle, les Balkans sont le théâtre
d'une guerre civile, de combats d'une crauté inconcevable et des
représentants de cette génération nouvelle se combattent
et se haïssent...
On a déjà vu des guerres de trente
ans, des guerres de cent ans; pas encore de guerre éternelle (si
l'on parle de notre seul continent...). Dans l'ex-Yougoslavie, la guerre
se terminera un jour. Alors ceux qui se vouaient une haine mortelle lèveront
les yeux et s'apercevront qu'ils sont toujours voisins; il leur faudra
alors enterrer leurs morts si nombreux et donner un toit à ceux
qui ont fui par milliers.
Comment ne pas être remplis non seulement
de colère mais aussi et surtout de honte devant ces événements?
On a pu et on essaie encore de nous faire croire qu'une intervention militaire
extérieure aurait été LA solution; on peut comprendre
qu'elle ait pu paraître à beaucoup (mais a-t'on demandé
à ceux qui l'auraient subie?...) comme le dernier recours plutôt
que la résignation et l'indifférence; pourtant, aux dires
même des observateurs militaires, elle aurait risqué un enlisement
dans une guérilla comme au Vietnam. De plus, elle aurait peut-être
"sauvé l'honneur et le droit" (entendu à la TV...), mais
n'aurait pas fait avancer les peuples de l'ex-Yougoslavie vers une capacité
à vivre ensemble et à se réconcilier; d'autre part
elle aurait renforcé l'influence des nations riches sur ces pays.
En outre, l'action du commandant des casques bleus,
qui s'est solidarisé avec la population de Srebrenica, montre qu'une
autre forme de résistance, inspirée de la non-violence, aurait
été possible (voir un récente chronique sur Martin
Luther King...).
Ces conflits sont extrêmement complexes et
tirent leurs racines de l'histoire lointaine et proche, mais renverser
le sens de l'histoire et ne prendre en compte que sa dimension religieuse
sous-jacente ne doit pas nous faire croire que nous sommes en présence
d'une guerre de religions; d'autre part, le terme de "musulman" est inexact
pour désigner les serbes convertis à l'islam. Les meneurs
nationalistes ont ainsi surtout exploité les tensions qui existent
entre orthodoxes et catholiques, entres chrétiens de tous bords
et l'islam. Dans nos pays (dits de culture "judéo-chrétienne"),
on entretient toujours l'image d'un islam fanatique et conquérant
symbolisé par les minorités islamistes, en passant sous silence
toutes
les autres formes de l'islam tournées vers la justice et la paix;
mais nous pouvons nous douter que l'image que les musulmans doivent
avoir des "chrétiens" ne doit pas être meilleure, puisqu'ils
sont mêlés aux guerres coloniales et à la domination
du Sud par le Nord...
J'avais déjà posé la question
de savoir ce qui se serait passé si les musulmans avaient été
à la place des Serbes (et vice-versa); une réponse à
donner, face à l'absence d'intervention occidentale en Bosnie, ne
pourrait-il pas être que les Occidentaux seraient très satisfaits
de ne pas voir créer un Etat à majorité musulmane
dans cette région des Balkans? Un certaine forme de propagande agite
toujours cette menace qui me rappelle celle des périls juif, jaune
et autre rouge...
Ce calcul politique, à courte vue,
ne peut avoir que des conséquences négatives. La plus directe
est d'alimenter la peur de l'autre et le fanatisme avec toutes les conséquences
violentes qui ressortiront plus tard. C'est maintenant qu'il faut prendre
garde au développement de cette "mauvaise herbe": profitons-en d'ailleurs
pour réfléchir sur le parallèle existant entre la
lutte contre l'assainissement ethnique "là-bas" et celle contre
l'exclusion et le racisme "ici".
Mais beaucoup de travail là-bas et ici (abandon
de nos à-prioris en particulier) reste à faire pour que l'ex-Yougoslavie
puisse accéder à une paix qui ne soit pas contrainte et forcée;
alors pourrons-nous un jour transformer nos égoïsmes en solidarités
et passer d'une responsabilité nationale à une responsabilisation
planétaire et donc tout simplement humaine.
Yves Renaud