«Partout dans le monde
le nucléaire est attaqué et, le plus souvent, régresse
ou même disparaît. Aux Etats-Unis, l'industrie nucléaire,
victime de règlements et de structures inadéquates, victime
aussi des attaques des groupes écologiques, est bloquée:
déficit prévisible d'uranium naturel, plus de commande
de centrales, pas de relais aux usines de séparation isotopique
actuellement saturées, pas de perspective de retraitement du combustible
avant trois ans au moins, pas d'horizon réels pour les surgénérateurs.
Que ce soit en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Suède, partout des blocages et des échecs apparaissent, dus à des difficultés financières ou techniques et plus encore aux attaques des écologistes... Enfin plus récemment, la politique nucléaire internationale a connu une évolution dans laquelle se mêlent aux préoccupations de la non prolifération des armes, des motifs moins avouables. La pièce centrale en serait l'interdiction du retraitement pour de nombreuses années, par conséquenr l'arrêt de la production du plutonium et des surgénérateurs. A moyen terme ce serait même l'arrêt total du nucléaire». |
De qui sont ces commentaires? D'un anti-nucléaire
qui prend ses désirs pour des réalités? Non I Ils
sont de M. André Giraud, Administrateur général du
CEA. Ils sont parus dans «les Echos du CEA» de novembre 1976.
Pour un défenseur de la politique du «tout nucléaire», c'est une bien curieuse façon, ou du moins une façon bien pessimiste de célébrer le troisième anniversaire du programme Messmer. Il y aura en effet trois ans, le 4 mars prochain, le gouvernement français abandonnait la politique du «tout pétrole»et se lançait «à marche forcée» dans la politique du «tout nucléaire». Où en est-on aujourd'hui? Le nucléaire est-il aussi mal parti que le dit M. Giraud? Avant de poursuivre, nous voudrions tout de suite rassurer les amis de M. Giraud. Non! Il n'a pas été gagné par les démons de la contestation. Son pessimisme ne concerne que l'avenir de l'énergie nucléaire à l'étranger... p.1
|
En France « grâce
à une politique cohérente, grâce aux efforts de tous,
dans l'administration, l'EDF, l'industrie et le CEA, notre pays possède
actuellement la meilleure position dans le secteur du nucléaire
civil». La meilleure par rapport à qui? par rapport à
l'étranger où précisément tout va mal? Est-ce
bien rassurant? Effectivement M. Giraud n'est pas rassuré. «
Dans ce contexte économique et politique il ne sera pas facile de
développer ou simplement de maintenir nos positions. La contestation
s'enhardira»... Heureusement M Giraud a une solution «Il
faut serrer les rangs ». Si par malheur cela n'est pas suffisant,
M. Giraud connaît dès maintenant les responsables de «nos»
échecs. Ce sont les travailleurs qui ont fait grève à
la Hague et à Marcoule, qui «discréditent à
l'extérieur... l'énergie nucléaire ou les installations
du CEA ou ses programmes ou ses résultats». Le nucléaire
est-il si mal parti en France pour que les responsables de l'exécution
du programme Messmer en soient à demander que «l'on serre
les rangs», à chercher des «boucs émissaires»
?
Sans vouloir faire aujourd'hui un bilan d'ensemble (nous ferons celui-ci prochainement), il nous semble que dès maintenant un certain nombre de points peuvent être dégagés. 1. Trois ans après le démarrage du programme Messmer, rien n'est prit. - La centrale de Fessenheim I, qui doit servir de prototype aux 22 centrales envisagéesdepuis 1974, n'a toujours pas démarré: elle a deux ans de retard. - L'approvisionnement en uranium enrichi est incertain aux Etats-Unis... mais aussi en France: les Etats-Unis sont nos fournisseurs jusqu'au démarrage d'Eurodif. - Aucune usine dans le monde n'est actuellement capable de retraiter des quantités industrielles de combustibles irradiés provenant des centrales PWR. L'usine de la Hague, qui a été en grève pendant deux mois (parce que notamment les conditions de travail y sont déplorables), va fermer prochainement pour six mois (L'usine de traitement de Windscale en Angleterre a été arrêtée pour six mois en principe... cela fait trois ans de cela. Personne ne peut dire actuellement quand elle redémarera !). 2. Un certain nombre de problèmes (notamment le stockage des déchets sur de longues périodes) ne sont toujours pas résolus. D'autres, tel la sécurité des PWR, le sont mal. 3. Divers aspects du programme Messmer sont critiqués par des organismes officiels: le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), le BRGM (Bureau des Recherches Géologiques et Minières), les Agences de Bassin (chargées de l'ensemble des problèmes relatifs à l'eau dans une zone géographique donnée: approvisionnement, pollution, échauffement, etc.). |
4. Les critiques contre le programme
Messmer se développent. Après les écologistes, les
scientifiques, les svndicalistes, ce sont maintenant les milieux politiques
qui émettent des réserves. Les Conseils généraux
de l'Isère et de la Savoie «demandent au gouvernement de surseoir
au projet de construction de la centrale de Creys-Malville» tant
qu'un certain nombre de préalables (notamment l'organisation d'un
large débat public) n'auront pas été acceptés.
5. La construction de Super-Phénix rencontre de plus en plus d'oppositions (voir notamment en dernière page la prise de position des scientifiques du CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) de Genève. Et, comme le dit si bien M. Giraud, l'arrêt des surgénérateurs c'est, à moyen terme, l'arrêt total du nucléaire! La Gazette nucléaire a déjà abordé plusieurs de ces problèmes en soulignant combien ils risquaient de constituer autant de points de blocage du programme mais aussi en soulignant qu'ils sont autant d'aspects essentiels à sa réalisation: l'approvisionnement en combustible (Gazette no 3 ), le retraitement des combustibles (Gazette no 4 ), les surgénérateurs (Gazette no 1 ). Nous voudrions aborder aujourd'hui un nouvel aspect de l'industrie nucléaire: la radioprotection. On retrouvera, là encore, les deux caractéristiques principales du programme Messmer: l'improvisation et la fragilité. «Les travailleurs de l'énergie nucléaire n'ont rien à craindre, toutes les précautions sont prises pour protéger leur santé» répètent à l'envi les pro-nucléaires. Il est incontestable que ces précautions sont impressionnantes, surtout quand on les compare à ce qui se passe dans l'industrie «ordinaire». Mais en soi, ça ne veut rien dire. La sécurité dans le nucléaire s'apprécie non en fonction de la sécurité dans le reste de l'industrie, mais en fonction des risques courus. Or, si les précausions sont plus grandes, les risques sont aussi beaucoup plus élevés. C'est pourquoi tout le problème revient à se demander si ces précautions, qui paraissent si extraordinaires, sont réellement à la mesure des dangers courus. C'est ce que nous allons faire dans le présent numéro de la Gazette. p.2
|