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N°12
LA SITUATION DE L'USINE DE LA HAGUE
ET DE L'INDUSTRIE DU TRAITEMENT
DES COMBUSTIBLES IRRADIES

INTRODUCTION
     Dans un précédent numéro de la Gazette Nucléaire (N°4, nov. 1976), nous avons présenté le fonctionnement général d'une usine de retraitement, son importance dans le cycle du combustible nucléaire et les gros problèmes techniques à moyen et long terme posés par les déchets nucléaires. Le problème plus spécifique et particulièrement grave de la prolifération de l'arme nucléaire, liée à la banalisation du plutonium issu de ce retraitement a été, pour sa part, évoqué dans la Gazette N°7.
     Depuis un an le problème du retraitement est revenu au devant de la scène par les grèves de septembre 76 à janvier 77 qui se sont produites dans les centres de la Hague, Miramas et Marcoule. Celles-ci débouchèrent sur la création du «Comité d'Hygyiène et Sécurité élargi» (CHSe) de La Hague, qui devait rendre, en octobre 1977, les conclusions de son travail d'enquête. Elles sont accablantes en ce qui concerne le centre «pilote» de La Hague, car elles mettent à nu l'imprévoyance technique, la vétusté de certaines installations, alors que dans le même temps on s'engage dans une politique commerciale du retraitement. Elles dénoncent les conséquences de cette politique sur les conditions de travail et l'environnement.
     Cette situation alarmante a amené le SNPEA-CFDT[1] à exposer, dans sa conférence de presse d'octobre 1977, l'ensemble du dossier, et les six positions que son bureau national a prises. Nous avons pensé que le texte de cette conférence de presse méritait d'être connu tel quel; nous le reproduisons ici dans son intégralité (avec l'accord du SNPEA).
     Mais auparavant, nous voudrions examiner le point suivant: y a-t-il cohérence entre la situation du retraitement et le programme électronucléaire? En effet, une des conclusions auxquelles est arrivée la CHSe est que dans l'état actuel de l'usine de La Hague, il serait déraisonnable de traiter plus de 100 à 150 tonnes par an de combustible «eau légère»[2]. Ce chiffre est basé sur le facteur de décontamination au STE[3 ] observé dans les années 1974-1975 où l'on atteignait déjà les 2/3 des autorisations de rejet en ayant retraité 500 tonnes de combustibles irradiés Graphite-Gaz[4] (lequel avait d'ailleurs déjà séjourné en piscine deux ans depuis sa sortie du réacteur). Ces chiffres sont ensuite utilisés pour connaître le tonnage de combustibles «eau légère» que l'on peut retraiter après 5 mois de refroidissement.
     A cette affirmation, la COGEMA[5] répond que l'on s'en sortira, sans avoir à relever les normes de rejet, en laissant refroidir en piscine les combustibles irradiés «eau légère» pendant plusieurs années. Il est vrai que les 150 tonnes maximum par an dont parle la CHSe correspondent à environ 5.000 MW(e) installé, c'est-àdire aux premières tranches EDF (Fessenheim, Bugey, Dampierre). Se pose alors le problème de savoir si les 1,5 tonnes de Plutonium (Pu) issus par an de ce retraitement seront suffisants pour alimenter la filière surrégénératrice[6]. Rappelons en effet que rien que pour Superphénix, on aura besoin de 2,5 T/an de Pu et qu'en ce qui concerne les 4 réacteurs rapides[7] de 1.800 MW(e) prévus par EDF sur la Saône (2 commençant à fonctionner vers 1986, et les 2 suivants vers 1991), il faudrait environ 15 T/an de Pu, ce qui implique la réalisation  «parfaite» de  UP3A  et UP3B[7]!
suite:
     Evidemment, dans l'immédiat, on pourra tirer 11 à 15 tonnes de Pu des 1.100 tonnes de combustibles irradiés graphite-gaz, actuellement stockés. Mais après, il est à redouter que devant la nécessite d 'obtenir des quantités importantes de Pu, pour lancer les tranches surrégénératrices, on ne soit amené à retraiter un tonnage supérieur à 150 tonnes, sans avoir attendu une plus grande désactivation en piscine. Et ce d'autant plus que l'on s'engage dans le même temps à retraiter des combstibles provenant de Suède, du Japon et d'Allemagne.
     Une autre interrogation concerne le retraitement des combustibles irradiés qui sortiront de la filière surrégénératrice. Actuellement, l'Atelier pilote (ATI ) de La Hague a retraité de petites quantités de combustibles de Rapsodie, ayant atteint des taux d'irradiation de 100.000 MWj/T[8] Avec Superphénix, il faudra retraiter 2,5 Tonnes/an. Ceci posera des problèmes spécifiques:
     a) forte irradiation (100.000 MWj/t au lieu de 30.000 pour les PWR)
     b) forte concentration en Pu (15 à 20% au lieu de 1%), donc problème de criticité des solutions
     c) fort dégagement de chaleur :présence possible de sodium
     d) nécessité de retraiter rapidement, car ici beaucoup de Pu est en jeu et ne peut donc être immobilisé par une période trop longue de désactivation.
     Actuellement, ce problème n'a donc été étudié que sur une petite échelle (l'atelier ATI). En ce qui concerne le passage au stade industriel, on peut aflfrmer qu'il y aura des problèmes très sérieux, alors que ce retraitement est a priori beaucoup plus délicat que celui des combustibles «eau légère» sur lequel on bute actuellement. De plus, on sait que le coût du retraitement des combustibles «rapides»[9] sera très élevé (certains avancent un chiffre variant entre 20 à 200 fois celui des combustibles oxydes). Rappelons que celui-ci, en 34 ans, est passé de 100 à 400 dollars le kg actuellement
Tout ceci devrait permettre de nous interroger sur la cohérence interne du programme électronucléaire français et sur sa crédibilité, notamment au plan économique

QUELQUES DEFINITIONS
     Pou une compréhension détaillée de ce qu'est le retraitement, on pourra se reporter au N°4 de la Gazette Nucléaire, et au dernier livre rédigé par le GSIEN («Electronucléaire: Danger»[11].
     Rappelons que le retraitemeni a pour but d'extraire le Plutonium des combustibles irradiés. De cette opération on récupère également de l'uranium[12] que l'on peut recycler et enfin des produits de fission (P.F.) hautement actifs que l'on doit conditionner, puis stocker sur plusieurs centaines d'années. Le retraitement est donc une série d'opérations mécaniques et chimiques en milieu actif, qui deviennent de plus en plus délicats au fur et à mesure que l'on manipule des combustibles de plus en plus irradiés (Graphite-Gaz[4]: de 1.000 à 6.500 MWj/T[8], P.W.R.[2]: 20 à 35.000 MWj/T et surgénérateur: 100.000MWj/T).

p.2
1. Syndicat National du Personnel de l'Energie Atomique.
2. Eau légère: type de Centrale actuellement en construction, aussi appelé P.W.R.
3. STE: Servioe de traitement des effluents (voir plus loin).
4. Graphite-Gaz: filière française fonctionnant à l'uranium naturel.
5. COGEMA: filiale du CEA ayant pour fonction la chaîne du combustible de la mine au retraitement.
6. Surgénérateur (aussi appelé filière à neutrons rapides et par abrévation filière rapide): filière mise au point en particulier en France (Rapsodie, Phénix) qui fonctionne avec du plutonium et qui permet de transformer l'uranium 238 en Pu, donc de redonner du combustible.
7. UP3A et UP3B: Unité de Production N° 3 (voir plus loin).
8. Ce chiffre caractérise l'énergie extraite du combustible, c'est-à-dire le nombre de fissions donc aussi la quantité de produits de fission (MWj/T: Mégawatt jour/Tonne).
9. Le temps de doublement td, c'est-à-dire le temps nécessaire pour qu'un réacteur surgénérateur produise la charge d'un nouveau réacteur, est td = M/m(1 + Tr/Ts)
M: masse de Pu d'origine - m: masse de Pu produit annuellement - Tr: temps de refroidissement + retraitement + fabrication du combustible, donc temps d'immobilisation du Pu - Ts temps de séjour du Pu dans le réacteur.
On trouve td = 47 ans pour Superphénix, avec M = 4.900 kg - m = 157 kg/an - Ts = 2 ans et Tr = 1 an.
Mais si Tr = 2 ans  td ® 62 ans - Tr = 3 ans ® td = 78 ans - Tr  = 4 ans ® td = 96 ans!
10. Voir l'Électronucléaire en Franoe (SNPEA-CFDT), Seuil.
11. Édition du Seuil (premier tirage épuisé, 2ème tirage en cours).
12. Rappelons que l'uranium naturel contient surtout deux isotopes, l'un de masse 238, l'autre de masse 235. Pour les réacteurs à eau légère, il faut faire passer la proportion d'uranium 235 de 0,71% (uranium naturel) à 3,1% (enrichissement). A la sortie du réacteur, après 3 ans de séjour, le combustible contient encore 0,78% d'uranium 238, donc un peu plus que l'uranium naturel.

     Le tableau ci-dessous résume l'historique des installations construites à Marcoule et La Hague.
     Une unité telle que UP2 comprend un atelier de dégainage et dissolution (HAOE) pour les combustibles Graphite-Gaz, une unité de séparation des P.F. (HA) et 2 ateliers de séparation, purification et conditionnement de l'uranium (MAU) et du plutonium (MAPu). Pour les combustibles oxydes[13], on a construit HAO (Haute activité oxyde) en 1976, où s'effectue le cisaillage et la dissolution et qui remplace (HADE). La suite des opérations est ensuite la même que pour les combustibles graphite-gaz.
     Les effluents gazeux (essentiellement 85Kr) sont rejetés par la cheminée de ventilation de UP2 après un filtrage «absolu» à la sortie.
     Les résidus des diverses opérations chimiques sont traités au (STE) (Service de Traitement des Effluents) avant d'être rejetés à la mer pour les rejets liquides ou stockés pour les déchets solides ou boues.
     On trouvera ci-dessous, sous forme d'un schéma, le cheminement du combustible provenant des réacteurs à eau légère à travers l'usine de la Hague:
     En fonction de l'irradiation et de la contamination possibles, 4 types de zones sont définies dans l'usine de La Hague:
     - Zone 600: accès normal,
     - Zone 700: accès contrôlé, mais tenue de travail ordinaire,
     - Zone 800: accès contrôlé, avec tenue de travail spéciale,
     - Zone 900: accès contrôlé, avec tenue «Shadock» (comportant en particulier le port du masque respiratoire).
     Au fur et à mesure du vieillissement, les zones 700 ont tendance à passer 800, les 800 à 900. Une des zones particulièrement critique est actuellement l'atelier de conditionnement du Pu (Zone 817).
     L'annexe 1 présente l'historique des diverses installations du CEA. Nous espérons que ces précisions permettront au lecteur de mieux suivre le texte de la conférence de presse de la CFDT que nous donnons page suivante.
p.3

* [atelier 817 où l'on concentre le Pu sous forme de PuO2 par précipitation et séchage]
13. Combustible oxyde: combustible des filières eau légère (UO2) [corps réfractaire, fusion à 2.700°C, densité 10,9].
1. PRESENTATION
     Les travaux du Comité d'Hygiène et  Sécurité élargi (CHSe) de La Hague sont maintenant terminés. La réunion de ce CHS, véritable commission d'enquête, avait été obtenue à la suite du conflit marqué par les grèves des centres de La Hague, Miramas et Marcoule de septembre 1976 à janvier 1977.
     La délégation du SNPEA-CFDT qui a participé aux travaux du CHSe a déposé un bref rapport de conclusion qui est annexé au projet de rapport officiel final et qui complète le document établi par notre Syndicat en 1976 sur l'usine de La Hague.
     Pour bien comprendre l'importance du problème posé par la situation de l'usine de La Hague, quelques explications sont nécessaires.
     Le traitement des combustibles irradiés a commencé à Marcoule (usine UP1) au milieu des années 50 pour le programme militaire: retraitement des combustibles des réacteurs à uranium naturel graphite-gaz (G1, G2, G3) pour en extraire le plutonium. Ces combustibles étaient faiblement irradiés: séjour de quelques mois dans les réacteurs, irradiation maximale de l'ordre de 1.000 MWj/t (mégawatt-jour par tonne, mesure l'énergie extraite, donc le nombre de fissions; la quantité de produits de fission contenus dans le combustible irradié, et donc sa radioactivité, est à peu près proportionnelle à l'irradiation). On peut dire que le traitement à Marcoule s'est passé correctement.
     L'usine de La Hague (UP2) a démarré en 1967. Elle avait pour but de traiter les combustibles des réacteurs des centrales nucléaires d'EDF: réacteurs à uranium naturel-graphite-gaz (UNGG) de Chinon, Saint-Laurent, Bugey et Vandelos en Espagne. Le plutonium produit est essentiellement destiné à servir de combustible aux réacteurs à neutrons rapides «surrégénérateurs»  (Rapsodie, Phénix, Superphénix). Les taux d'irradiation de ces combustibles sont supérieurs à ceux de Marcoule et vont jusqu'à 6.500 MWj/t maximum.
     Avec le changement de filière pour les réacteurs EDF (choix des PWR, réacteurs à eau pressurisée et abandon des UNGG), la politique du traitement des combustibles irradiés devait être la suivante:
     a) Construction à La Hague de l'atelier HAO (Haute Activité Oxyde) permettant le découpage et la dissolution des combustibles  PWR  (assemblage  de crayons d'oxyde d'uranium) avant de leur faire suivre la méme chaîne de traitement que les combustiblès graphite-gaz. L'atelier HAO ne constitue donc que le premier maillon de l'usine pour les combustibles oxyde.
     La capacité de cette «nouvelle» usine UP2 + HAO devait être de 400 tonnes par an à partir de 1976 ou 1977 et passer à 800 tonnes par an à partir de 1981.
     b) Diminution progressive du traitement  des combustibles irradiés UNGG à La Hague par transfert à Marcoule des combustibles sortis des réacteurs EDF.
     On voit immédiatement apparaître deux difficultés:
     a) L'usine UP1 de Marcoule serait amenée à traiter des combustibles UNGG à  des taux d'irradiation de 3.000 à 6.500 MWj/t. Or, indépendamment d'autres facteurs (conception de l'usine, niveau technique, qualité de l'encadrement), on s'aperçoit que les difficultés ont commencé à La Hague lorsque le taux d'irradiation a dépassé 3.000 MWj/t. Il est à peu près certain que Marcoule rencontrerait des déboires du même ordre que ceux de La Hague, ceci étant aggravé par le fait que le transfert des connaissances acquises, de l'une à l'autre usine, est mal assuré.
     b) L'usine de La Hague (UP2 + HAO), pour traiter les combustibles PWR doit assurer:
     - le bon fonctionnement de HAO,
     - le bon fonctionnement de l'usine actuelle UP2, sur laquelle est branché le HAO.
suite:
     Or, les combustibles PWR, outre leur géométrie complexe et leur gaine insoluble qui nécessitent le HAO pour les rendre acceptables pour le reste de l'usine, ont des taux d'irradiation de 20.000 à 30.000 MWj/t. Ce qui signifie, à tonnage égal, 5 à 10 fois plus de produits de fission et de plutonium contenus, donc une radioactivité bien supérieure.
     En ce qui concerne la capacité de l'usine, il faut noter qu'elle est en moyenne de 400 t/an de combustible UNGG, le maximum ayant été atteint en 1974 avec 635 tonnes.
     Les difficultés se sont déjà concrétisées: l'expérience de fonctionnement de HAO + UP2 est à peu près nulle. En effet, le seul essai effectué date de mai 1976 et a porté sur 15 tonnes de combustible irradié en provenance du réacteur suisse de Muhleberg (réacteur BWR à eau bouillante; taux de combustion maximal de 19.000 MWj/t; géométrie du combustible plus simple que celle des PWR). Depuis mai 1976, aucun combustible oxyde n'a été traité à La Hague.
     Il faut noter d'autre part que, pour les combustibles oxyde et dans l'état actuel de l'usine UP2 (en particulier la station de  traitement des effluents
-STE-), le niveau limite de rejet en mer serait atteint avec 230 tonnes de combustibles irradiés par an.
     Espérons que ces difficultés ne seront pas surmontées par un simple relèvement des autorisations de rejets des effluents liquides qui sont, pour 1977:
     - émetteur b hors tritium, 40.000 curies,
     - émetteur a                           90 curies,
     - tritium                            60.000 curies.
     Dans ces conditions, si l'on veut garder la maîtrise des rejets, il ne faut pas traiter plus de 100 à 150 tonnes de combustible oxyde par an.

2. LA SITUATION ACTUELLE
     2.1. Les piscines de stockage des combustibles  irradiés de  La Hague, Marcoule et des réacteurs EDF contiennent 1.100 tonnes de combustible UNGG qui doivent être traitées le plus vite possible. En effet, les gaines de ces combustibles se corrodent dans les piscines et relâchent des produits de fission à travers des micro-fissures, ce qui entraîne la contamination de l'eau des piscines de stockage.
     De facon plus précise, le traitement des combustibles irradiés UNGG doit se répartir comme suit:
     a) les combustibles à âme graphite (SaintLaurent I et II, Vandellos, bientôt Chinon Il et III) doivent être traités à Marcoule  (dégainage  mécanique).  La quantité déchargée chaque année est de 4 à 500 tonnes.
     b) les combustibles tubulaires d'alliage Uranium-Molybdène doivent être traités à La Hague (dégainage chimique). Ce type de combustible ne sera plus utilisé, mais il y a encore une quantité à traiter de l'ordre de 900 tonnes. Le traitement de ce stock devrait être étalé par quantité annuelle de 200 à 250 tonnes sur 3 à 4 ans.
     c) les combustibles annulaires de Bugey I doivent être traités à La Hague (dégainage chimique). La quantité annuellement déchargée est de 110 à120 tonnes.
     Ainsi, l'usine de Marcoule devrait retraiter environ 500 tonnes de combustible par an, et ceci tant que durera l'exploitation des centrales UNGG. Il faut y ajouter le retraitement des combustibles des réacteurs G2 et G3 de Marcoule et celui des combustibles de la centrale à eau lourde de Brennilis.
     L'usine de La Hague devrait retraiter de l'ordre de 350 tonnes par an de combustibles UNGG, pendant encore 4 ans, à partir de début 1978. C'est à peu près la capacité de l'usine en fonctionnement normal (400 t/an).

p.4

     2.2. La situation mise en évidence lors de la grève d'automne 76 et confirmée par les travaux du CHSe conduit le SNPEA-CFDT à estimer qu'il faut au moins six mois de réparation avec arrêt de la production à l'usine de La Hague, et ceci immédiatement, pour mettre l'usine dans des conditions de travail à peu près correctes avant d'entreprendre le traitement des combustibles UNGG stockés. De toute facon, les conditions de travail seront mauvaises, mais ces réparations pourraient permettre d'éviter une dégradation excessive qui se traduirait pour les travailleurs par une croissance continue des nuisances radioactives.
     La poursuite dans les conditions actuelles, outre l'accroissement des risques pour le personnel, pourrait conduire à une très grave situation de panne, comme pour l'usine de traitement anglaise de Windscale, ou même  de fermeture, comme pour l'usine américaine NFS. Dans les deux cas c'est à la fois la sécurité et l'emploi des travailleurs qui seraient menacés.
     2.3. La Direction de La Hague prévoit un nouvel essai de 60 tonnes environ de combustible oxyde pour l'ensemble UP2 + HAO à l'automne 1977 (prévision initiale 15 tonnes). Ceci surtout pour prouver que le HAO peut fonctionner et obtenir le permis de marche industrielle.
     La date limite pour ce permis est le 4 février 1978. S'il n'était pas accordé, le décret de création de l'installation HAO devrait, normalement, automatiquement être annulé.
     2.4. Les usines de traitement de Marcoule et de La Hague appartenant à la société COGEMA, de droit privé, filiale à 100% du CEA. La création de cette société et le transfert des personnels du CEA à la COGEMA sont contestés par les travailleurs (grève de 1976).
    La Direction de la COGEMA négocie avec plusieurs pays étrangers (Allemagne, Suède, Japon) des contrats de traitement des combustibles irradiés. Pour faciliter les négociations, elle déploie une intense activité publicitaire et va jusqu'à affirmer que l'usine de La Hague est en état de fonctionnement industriel et que sa capacité est de 400 (ou 800 selon les déclarations) tonnes par an.
     Comme aucune usine de traitement ne fonctionne actuellement au monde et que l'assurance que cette opération sera effectuée est exigée dans plusieurs pays (Suède, Allemagne) comme condition nécessaire pour l'obtention de l'autorisation  de démarrer  les  réacteurs, la COGEMA remporte quelques succès donr le premier résultat est l'accumulation, dans les piscines de stockage de La Hague, de combustibles irradiés de toutes provenances. Cela ne semble pas beaucoup inquiéter la Direction de la COGEMA, ni celle du CEA, qui voient d'abord dans ces contrats une source d'argent et une justification à leur politique.
     Autant le retraitement des combustibles des réacteurs EDF peut être considéré comme une mission d'utilité publique, autant le retraitement des combustibles des réacteurs étrangers est une pure opération commerciale; sa finalité doit être en tout cas discutée largement au niveau politique et de façon publique.
Elle pose en effet deux problèmes:
     - l'accumulation de déchets radioactifs dont le renvoi aux pays fournisseurs de combustibles est plus que problématique, malgré les affirmations de la COGEMA de toute facon, ni les rejets liquides, ni les déchets de faible et moyenne activité ne seront renvoyés. Par ailleurs, la vitrification des déchets solides de haute activité n'en est qu'au stade de prototype.
     - la circulation internationale du plutonium (renvoi ou non aux pays fournisseurs) est loin d'être réglementée (risques de criticité, détournement, etc.).
suite:
3. LES COMBUSTIBLES OXYDE A TRAITER

3.1. Les combustibles oxyde de provenance étrangère (plus le réacteur franco-belge de Chooz) stockés actuellement en piscine à La Hague  environ 200 «châteaux» contenant de 1 à 3 tonnes de combustible.

3.2. Contrats  ou  engagements  avec l'étranger: le total des engagements (y compris les combustibles déjà stockés) s'élève pour la période 1975-1980 et pour les combustibles de réacteurs étrangers européens (essentiellement Allemagne) à environ 1.800 tonnes. Nous ne connaissons pas les caractères spécifiques des contrats (engagements fermes, lettres d'intention; etc.) mais on peut toutefois estimer le niveau des transferts à La Hague pour les trois prochaines années:
     - 1978, à environ 150 tonnes,
     - 1979, à environ 300 tonnes,
     - 1980, à environ 500 tonnes.
     A cette date, viendront s'ajouter annuellement, avec une croissance élevée, le combustible des centrales EDF.
     Il faudrait y ajouter:
     a) combustibles japonais:
     - le rapport du CEA sur «l'industrie nucléaire française» indique que Kansai Electric Power (Japon) a signé un contrat de 7 ans avec United Reprocessors pour le retraitement de 700 à 800 tonnes de combustible irradiés japonais qui débutera en 1917 et sera effectué, pour la plus grande part, à La Hague;
     - le récent contrat avec le Japon portant sur 1.800 tonnes de combustibles à retraiter à partir de 1983.
     b) de nouveaux contrats sont en discussion actuellement avec la Suède, (estimation 6 à 700 tonnes) et l'Allemagne (estimation 1.000 tonnes).

3.3. Le programme EDF
    Chaque réacteur d'une unité électronucléaire de 1.000 MWe (Fessenheim 1 par exemple) fournit 30 tonnes par an de combustible irradié à partir de deux ans après son démarrage. Le retard actuel des démarrages arrange bien les choses, mais en prenant le planning actuel d'EDF, on voit que les quantités à traiter vont vite devenir considérables. Pour le seul premier contrat programme 5CP1) lancé en 1974 et les réacteurs lancés de 70 à 74, on obtient les chiffres suivants:

Date
Nbre de démarrages
(unités de 1.000MWé)
Combustibles urradiés
(tonnes/an)
Combustibles irradiés
(tonnes cumulées)
1977
2
0
0
1978
3
0
0
1979
5
60
60
1980
5
150
210
1981
6 (ou 7)
300
510
1982
 
450
960
1983
 
630
1.590
L'échéancier ci-dessus peut subir un glissement dans le temps (incidents de fonctionnement, retards au démarrage, etc.)
p.5

4. ANALYSE DE LA SITUATION
     L'incohérence est donc totale entre le programme de construction des centrales en France et les capacités de retraitement. Le programme CP1 d'EDF apparaît comme déjà trop important. Cette situation critique est aggravée par:
     - la signature de contrats de retraitement avec des pays étrangers,
     - la nécessité de traiter dans les plus brefs délais, à Marcoule et à La Hague, les combustibles irradiés des réacteurs UNGG qui s'accumulent dans les piscines de stockage,
     - les incertitudes sur le fonctionnement industriel de l'ensemble HAO + UP2 qui est loin d'avoir fait ses preuves et dont la capacité sera de toute facon bien inférieure aux chiffres annoncés.
     Le retard actuel signifie que l'on admet un stockage en piscine pendant plusieurs années. Si l'on est certain de pouvoir retraiter, cinq à six ans de stockage sont peut-être acceptables, encore que la contamination des piscines et le risque d'incidents à répétition ne sont pas négligeables. Mais la situation actuelle est que l'on n'est pas certain d'être techniquement capable de retraiter à l'échelle industrielle.
     Une solution technique consisterait à accélérer la construction d'une nouvelle usine de traitement pour répondre aux besoins au début des années 80. Ce serait une fuite en avant dangereuse de construire une usine de taille industrielle, alors que le prototype HAO n'a pas fonctionné suffisamment. D'autre part, l'implantation d'une telle usine n'est pas un problème simple et les populations du Nord-Cotentin ont leur mot à dire.
    Il est en tout cas certain que les contrats avec l'étranger sont utilisés par les directions du CEA et de la COGEMA, non seulement pour leur apport financier, mais aussi comme moyen de pression pour obtenir la décision - et les fonds -pour une nouvelle usine.

5. CONCLUSION
     Cette situation a amené le Bureau National du SNPEA CFDT à prendre les positions suivantes:
     a) Confirmation de la nécessité du traitement des combustibles irradiés. En effet, un stockage de durée indéfinie en piscine signifierait:
     - au mieux, repousser le problème du retraitement avec l'exigence de traiter continument l'eau des piscines, opération qui devient difficile à maîtriser après 4 à 5 ans de stockage,
     - au pire, de nouveaux dangers et un retraitement plus difficile.

suite:
     b) Limitation absolue du programme EDF à CP1 tant que l'on n'est pas assuré:
     - sur le plan de la technique et des capacités de retraiter les combustibles irradiés des réacteurs EDF. Il doit y avoir cohérence entre les centrales construites et les possibilités de retraitement sans risques.
     c) Arrêt immédiat de six mois environ de La Hague pour les réparations urgentes, permettant un retraitement à peu près correct des combustibles graphite-gaz.
     d) Airêt immédiat de la signature de contrats de retraitement pour des réacteurs étrangers, annulation de ceux déjà signés. Ceci vaut même si les contrats sont à long terme.
     e) Pas de lancemant de construction d'une nouvelle usine de retraitament (UP3) tant que l'installation HAO + UP2 n'aura pas permis une vérification des techniques de traitement à l'échelle industrielle.
     f) Pendant les 3 à 4 ans qui viennent (1978-81):
     - retraitement des combustibles UNGG stockés et arrivant à La Hague. Le gros de ces combustibles devant être traité àMarcoule, le fonctionnement de cette usine - et les conditions de travail -devra être suivi de très près.
     - essai de courte durée du HAO pour définir les possibilités et les conditions d'utilisation à un rythme industriel.
     - construction d'une nouvelle station de traitement des effluents d'un nouvel atelier plutonium (MAO, prévu, devrait être opérationnel vers 1981 et remplacer les actuelles chaînes uranium et plutonium).
     - révision complète de l'usine à la fin du traitement des combustlbles UNGG.
     Vers 1981, en fonction de l'expérience acquise sur HAO, la décision pourrait être prise de construire une nouvelle usine de traitement, et donc la continuation éventuelle du programme électronucléaire (CP2).
     Il est clair pour nous que, comme nous le disions en 1976, la Direction de la COGEMA a fait très nettement le choix de considérer le traitement des combustibles irradiés comme une activité commerciale banale dont la réussite est sanctionnée par l'obtention de contrats juteux.
     Nous sommes totalement opposés à cette conception qui ne fait que multiplier les risques d'une industrie déjà dangereuse pour les travailleurs et la population. Nous demandons que le traitement des combustibles irradiés soit une activité de service public confié à un organisme public et que, dans l'immédiat, les usines de Marcoule et de La Hague soient réintégrées au sein du CEA.
Le SNPEA CFDT, octobre 1977
p.6
BIZARRE, BIZARRE...

     La création du «Centre d'Études de Protection Nucléaire» (Association régie par la loi du 1er juillet 1901) a été annoncée au Journal Officie1 du 12 décembre 1976. La composition du bureau de cette Association ne laisse aucun doute sur l'identité des bonnes fées qui l'ont vu naître:
     - Président Professeur Tubiana
     - Vice-Président  Professeur Jammet (CEA)
     - Secrétaire M. Bresson (CEA)
     - Trésorier  M. Duclos (Chef du Département «Affaires Générales et Internationales» du Service des Études Économiques Générales d'EDF).
     Seul le Président, un grand mandarin de la médecine, n'appartient pas à EDF ou au CEA. Mais il faut le dire vite car le Professeur Tubiana (dont il a été question dans la Gazette N°5 et ci-dessus) a signé plusieurs contrats avec la Direction des Études et Recherches d'EDF[1], et il a été d'ailleurs choisi comme Président du Comité de Radioprotection d'EDF.
   Un détail: le siège de cette Assoclation se situe au numéro 26 de la rue d'Ulm à Paris, dans des locaux de la Fondation Curie-Institut de Radium, qu'elle «occupe» grâce à un accord signé par M. Robert Calle, Directeur de l'hôpital Curie, qui n'a pas qualité pour agir ainsi, un tel accord ne pouvant être donné que par le Conseil d'Administration de la Fondation.
   Mais le plus grave est qu'une telle Association est tout à fait en mesure, de par son statut, de drainer des subventions de l'État au détriment de la Fondation Curie, et qu'elle peut se présenter en interlocuteur «valable» tant vis-à-vis du public que vis-à-vis du gouvernement. Sinon, pourquoi l'aurait-on créée?


1. Ne parle-t-on pas d'honoraires dépassant les 10.000F par trimestre, auxquels s'ajouteraient des frais de représentation?

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