Une analyse des données
sur la mortalité par cancers et autres causes parmi tes travailleurs
du Centre Nucléaire de Hanford (USA) a été effectuée
récemment [1, 2, 3] par Thomas Mancuso, Alice Stewart et
George Kneale. Cette étude concerne 35.000 personnes qui ont travaillé
à Hanford entre 1944 et 1977. Les doses d'irradiation externe reçues
par les travailleurs exposés au rayonnement ont été
régulièrement mesurées par les films-dosimètres
et les contaminations internes enregistrées. Il s'agissait de déterminer
si les faibles doses de rayonnement auxquelles ont été soumis
ces travailleurs - quelques rad pour l'ensemble de la vie professionnelle
d'un travailleur - ont induit des cancers. Le but de cette étude,
financée par l'Atomic Energy Commission, a en effet été
explicité ainsi par les auteurs «d'après les dossiers
des morts dont la cause est bien connue, nous devons être capables
de découvrir si les recommandations de la NRCP (National Council
on Radiation Protection) concernant la protection des travailleurs directement
affectés à des travaux sous rayonnement, qui sont strictement
imposées à toutes les entreprises ayant des contrats avec
l'ERDA (Energy Research and Development Administration), ont été
efficaces et ont éliminé les risques de cancers ou, si ayant
échoué, elles ont maintenu les risques dans des limites acceptables».
Parmi les 23.755 travailleurs contrôlés pour l'irradiation
externe, 4.033 sont morts dont 832 de cancers (voir le tableau qui suit).
D'après Mancuso, Stewart et Kneale, parmi les 743 cancers masculins,
environ 35 à 40 cancers ont été radio-induits, soit
5% (principalement des cancers de la moelle osseuse, du pancréas
et du poumon) alors que d'après les estimations de la CIPR (Commission
Internationale de Protection Radiologique) il ne devrait y en avoir que
3 ou 4. Le risque est donc dix fois supérieur à celui estimé
par la CIPR. Jusqu'à présent les estimations de la CIPR concernant
les risques de cancers aux faibles doses étaient déduites
par extrapolation des observations faites sur deux populations*:
- les survivants de la bombe A qui ont reçu de très fortes doses (bien supérieures à 100 rad et en une seule fois), - les malades soignés par radiothérapie. L'étude de Mancuso, Stewart et Kneale est donc totalement nouvelle car elle concerne des travailleurs sélectionnés sur des critères de bonne santé et dont on a effectivement contrôlé les doses reçues. Elle se distingue des études du même genre par l'importance de la population étudiée et par le fait que toutes les causes de mort ont été analysées pour tous les travailleurs de l'usine même pour ceux ayant quitté l'usine depuis longtemps. La méthode statistique utilisée est également originale [2, 3]. Elle ne cherche pas à déterminer les taux de mortalité standard des travailleurs exposés ou non au rayonnement mais compare les doses de rayonnement reçues par les travailleurs morts par cancers ou par non-cancers. Cette méthode est beaucoup plus efficace que la précédente. On peut dire que cette étude est la première étude statistique précise faite sur l'effet du rayonnement aux faibles doses. 1. DONNEES ANALYSEES
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Dans le dossier médical de Hanford fjgurent pour chaque travailleur les doses d'irradiation extérne reçues année par année ainsi que les contaminatiôns internes éventuelles. C'est grâce au système particulier de la sécurité sociale américaine que Thomas Mancuso a pu corréler doses reçues et cause de mort. La sécurité sociale aux USA est un système de retraite auquel chaque travailleur cotise dès son premier emploi. On lui affecte alors un numérà mentionné sur tous les actes administratifs le concernant, en particulier sur l'acte de décès et sur l'acte permettant aux ayants droit de réclamer les indemnités de décès (« death benefit cIaims~»). Le docteur Mancuso a mis au point une méthode qui permet de remonter au certificat de décès - donc à la cause de mort - à partir des réclamations des ayants droit par l'intermédiaire des numéros de sécurité sociale. Signalons qu'en Frapce un tel système de données serait très difficile à rassembler, même en dehors de la mauvaise volonté évidente des responsables bfficiels de la santé. En effet, le numéro INSEE n'appara't pas sur le certificat de décès portant la cause du décès. Il ne mentionne qu'un numéro de code de catégorie socio-professionnelle trop vague pour identifier quelqu'un d'un Centre nucléairè. Le tableau suivant résume la composition de la populalation de travailleurs étudiée:
Les travailleurs dits «contrôlés» sont ceux qui portaient un film dosimètre pour la mesure du rayonnement externe. 2. LA MÉTHODE STATISTIQUE UTILISÉE:
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S'il n'y a pas corrélation
entre doses reçues et morts par oencers, les deux groupes «
cas » et « contrôles », morts par cancers et par
non cancers, devraient en moyenne avoir reçu les mêmes doses.
La méthode CMD est plus effioece que la méthode SMR.
Pour avoir un niveau de confiance statistique à 95 %, en supposant une dose de doublement du risque de cancer par rayonnement de 15 rad et une dose cumulée moyenne pour les travailleurs de Hanford de 1,6 rad, avec un risque normal de mortalité par cancer de 2.600 par million, pour utiliser la méthode SMR, il faudrait pouvoir disposer d'une population de 135.000 personnes, c'est-à-dire 4 fois plus nombreuse que celle de Hanford. Une population de 32.700 personnes suffit pour la méthode CMD, c'est-à-dire une population de taille similaire à celle de Hanford. Les différences de doses reçues par les morts par cancers et par non-cancers sont significatives. Elles ont été contrôlées par une analyse de Mante-H aenszel pour 5 facteurs répartis en 240 niveaux l'âge à la mort, le sexe, la date de la mort, la durée de l'exposition au rayonnement, la contamination interne. Les points les plus importants de l'étude concernent: - la fréquence des cancers en fonction des doses reçues dans une échelle de doses à 7 niveaux, - la dose reçue pour diverses catégories de cancers classés suivant la radiosensibi lité des tissus correspondants, - l'âge au moment de l'exposition. 3. RÉSULTATS
3.1. Doses cumulées et causes de
mort
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3.2. Fréquence des cancers et doses reçues Les morts par cancers et par non-cancer ont été classées en sept catégories suivant sept niveaux de doses cumulées reçues. Les résultats sont les suivants:
On voit un accroissement de pourcentage des morts par cancers par rapport aux morts par non cancer quand la dose reçue augmente. 3.3. Doses cumulées et nature des
cancers
p.4
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L'effet du rayonnement se voit
particulièrement bien sur les courbes représentant, en fonction
du temps, les doses cumulées moyennes reçues par les travailleurs
morts des cancers de chaque catégorie (voir figure). Les doses cumulées
sont calculées en additionnant, pour chaque catégorie, les
doses annuelles depuis la date d'embauche jusqu'à une date correspondant
à n année avant la mort de chaque travaitieur. Les courbes
donnent les variations de cette dose en fonction de n. Sur le graphique,
on voit que les courbes sont nettement différentes pour les diverses
catégories de cancers. Elles sont déjà significativement
différentes quinze ans avant la mort.
3.4. Influence du sexe
3.5. Influence de l'âge
3.6. Estimation du risque dû au rayonnement
* D'après le rapport de 1972 (p 185) du Comité BEIR (Comité sur les effets biologiques des rayonnements ionisants) de l'Académie des Sciences des USA. Ce rapport a servi de base pour l'évaluation des risques liés au rayonnement faite par la CIPR. + Il n'y a pas de valeurs publiées pour les cancers groupés de cette façon. (suite)
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Le nombre de cancers induits par le rayonnement, estimé par cette étude, est compris entre 35 et 40 alors que l'estimation maximale du risque publiée par la CIPR en donne 3 ou 4. Le taux apparent de cancer est très peu modifié. Le taux naturel de cancer pour une population d'hommes en très bonne santé et bien suivie médicalement étant de l'ordre de 20% (743/3742) est augmenté d'environ 5% (37/743) par des expositions d'environ 2 rad sur la totalité de la vie professionnelle, ce qui fait varier de 1% (37/3742) le taux de mortalité total. 4. VALIDITÉ STATISTIQUE DE L'ÉTUDE
5. CRITIQUES FAITES A L'ÉTUDE DE MANCUSO, STEWART ET KNEALE
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Cependant elle met en évidence
que, pour les ouvriers ayant travaillé plus de deux ans, ce taux
augmente de 2% pour toutes les causes de mort et de 13% pour les morts
par cancers, ceci par rapport aux travailleurs ayant travaillé moins
de deux ans, alors que ces deux groupes de travailleurs ont subi les mêmes
contrôles de santé à l'embauche. Bien évidemment,
ceux qui ont travaillé plus de deux ans ont reçu plus de
rayonnement que les autres.
Les résultats de Gilbert se résument dans le tableau suivant. On y indique, pour les travailleurs de Hanford, les taux de mortalité pour toutes les causes de mort et pour les morts par cancers. Ces taux sont normalisés à 100 pour l'ensemble de la population des USA.
Sanders [6], lui, ne retient essentiellement
des données sur les travailleurs de Hanford que la plus forte longévité
des travailleurs exposés, par rapport aux autres, sans s'interroger
sur la nature des contrôles de santé à l'embauche.
5.1. Effet du rayonnement naturel
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5.2. Dosimétrie du rayonnement reçu La critique des résultats à partir de la dosimé trie n'est pas officiellement faite car c'est là un terrain aussi dangereux pour l'industrie nucléaire que celui des résultats eux-mêmes. On pourrait critiquer certaines conclusions de l'étude à partir de la dosimétrie du rayonnement reçu. Les indications fournies par les films de contrôle reflètent-elles correctement tout le rayonnement reçu? Nous avons vu qu'en utilisant trois niveaux de contamination interne comme facteurs de contrôle, les résultats restent inchangés. Les doses indiquées ne séparent pas les composantes du rayonnement: g, c, neutrons. Pour les travailleurs de Hanford, environ 5% des doses absorbées proviennent des neutrons [4]. Pour évaluer le risque en fonction des doses en rem, comme le fait la CIPR, il faudrait connaître avec précision le facteur de qualité des neutrons. En prenant pour ceux-ci un facteur de qualité 10, comme le recommande la publication 26 de la CIPR (1977) la dose équivalente serait multipliée par 1,5 et le risque évalué par Mancuso, Stewart et Kneale serait surestimé de 30%. L'effet biologique des neutrons est actuellement fortement controversé, Rossi [8] par exemple estime que l'effet cancérigène des neutrons est beaucoup plus important que celui officiellement admis. En prenant un facteur de qualité de 20 pour les neutrons, il resterait encore un facteur 5 entre le risque trouvé et celui estimé par la CIPR. Ceci d'ailleurs impliquerait que cette Commission réévalue en hausse l'effet biologique des neutrons. De toute façon cela ne change rien en ce qui concerne les risques courus par les travailleurs par rapport aux doses de rayonnement qu'ils reçoivent. On voit que c'est là un terrain peu favorable aux promoteurs du nucléaire. Quelle que soit la critique qu'on puisse faire à la dosimétrie du rayonnement pris en compte dans l'étude des travailleurs de Hanford, l'existence d'une corrélation linéaire très forte entre les morts par cancers et les doses mesurées par les films de contrôle implique ou bien qu'il y a perturbation éventuellement par les irradiations aléatoires assez faibles, ou bien que ces perturbations sont directement proportionnelles à la dose enregistrée sur les films de contrôle. Dans ce dernier cas, il pourrait se faire que les estimations de la CIPR ne soient pas aussi fausses qu'il est dit, mais alors c'est toute la dosimétrie de contrôle qui est à mettre en cause et les travailleurs auraient reçu des doses de rayonnement beaucoup plus importantes que l'on croyait et bien au-dessus des normes recommandées par la CIPR, avec des risques élevés pour les travailleurs. 6. ORIGINE DES DIFFERENCES TROUVEES PAR RAPPORT A L'ESTIMATION DE
LA CIPR
p.6
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Le modèle de risque admis
par la CIPR à partir des survivants des bombes A implique, d'une
façon ou d'une autre, l'existence d'un seuil pour les effets biologiques
de rayonnement car pour cette Commission, aux faibles doses le risque serait
extrêmement faible, voire inexistant, et les niveaux de risques qui
sont indiqués dans ses publications sont présentés
comme des surestimations par rapport au risque réel déduit
de l'étude des surviyants des bombes A.
L'hypothèse d'un seuil n'a aucun support théorique bien qu'elle ait encore certains adeptes parmi les promoteurs du nucléaire. Bien au contraire, le développement des cancers se faisant à partir de la modification de cellules individuelles, il ne peut exister de seuil de niveau de rayonnement en-dessous duquel il n'y aurait pas d'effet et il est officiellement admis actuellement que toute dose de rayonnement comporte un danger soit par effet direct du rayonnernent, soit par effet synergique*** avec des substances potentiellement cancérigènes. Signalons tout de suite que les observations faites sur les survivants des bombes A sont en contradiction avec celles faites sur d'autres populations irradiées. Rotblat [10] a résumé les résultats dans le tableau suivant en ce qui concerne le risque de radio-induction de cancer observé sur les survivants japonais et sur d'autres populations irradiées (mineurs des mines d'uranium, habitants des îles Marshall irradiés par les retombées radioactives de tests de bombes, malades soignés par radiothérapie). Les risques sont indiqués en nombre de cancers par million de rem/homme.
L'accord n'est bon que pour les risques de leucémie.
Pour les autres cancers, les résûltats sont plus proches de
ceux de l'étude des travailleurs de Hanford que des survivants japonais.
6.1. Dosimétrie de rayonnement
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6.2. Fractionnement des doses reçues Les survivants japonais ont reçu de fortes doses en une seule fois. Les travailleurs de Hanford ont reçu des doses faibles très fractionnées. Il a été mis en évidence [11] sur des cellules que le fractionnement des doses joue un rôle important et qu'il accroît le risque pour des doses faibles et qu'il le décroît pour des doses fortes. D'autre part ceci pourrait jouer un rôle dans la nature des cancers, les doses massives reçues en une seule fois pourraient conduire à des cancers généralisés (leucémie), les doses fractionnées faibles, à des cancers localisés [2, 4]. 6.3. Nature des populations
6.4. Population de référence
6.5. Conclusion
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Pour maintenir le risque au niveau
considéré comme «acceptable» par la CIPR, il
faudrait donc réduire les doses maximales admissibles par un facteur
10.
Cette réduction aurait des conséquences considérables sur le développement de l'industrie nucléaire. Il ne faudrait pas que cette réduction, si elle était décidée (ce qui est loin d'être envisagé par les responsables de la CIPR), s'accompagne d'un accroissement du personnel pour effectuer les travaux les plus exposés au rayonnement; en effet dans ce cas le nombre total de cancers parmi les travailleurs resterait inchangé car la dose totale du rayonnement reçu ne serait pas modifiée. Elle serait probablement même augmentée [12] car le nombre d'entrées en zones contaminées augmenterait et ces entrées contribuent pour une part non négligeable dans les doses totales par rapport aux doses reçues pendant le temps de travail effectif. Quant aux effets génétiques, ils seraient probablement accrus du fait de leur répartition sur un plus grand nombre d'individus. La réduction des doses devrait être obtenue non pas en augmentant le personnel mais en augmentant les blindages et les automatismes, ce qui accroît évidemment les coûts de construction et peut rendre quasi impossible l'exploitation de certaines installations nucléaires comme les usines de retraitement. Les résultats de Mancuso, Stewart et Kneale devraient aussi être pris en compte pour l'évaluation des concentrations maximales admissibles des éléments radioactifs rejetés dans l'environnement et l'évaluation des risques que la population subit du fait des rejets radioactifs des installations nucléaires****. Enfin ces résultats concernent aussi les dangers des examens radiologiques médicaux. Signalons à ce sujet que, depuis 1975, l'EPA (Agence pour la Protection de l"Environnement, équivalent américain de notre SCPRI) recommande à tous les hôpitaux et cliniques américains de ne procéder à des examens par rayons X que lorsque le clinicien cherche quelque chose (pas de radiodiagnostic systématique). Cela ne serait pas nécessaire si les risques courus étaient aussi négligeables que le prétend la CIPR. 7. OU EN EST ACTUELLEMENT L'ETUDE SUR LES TRAVAILLEURS DE HANFORD?
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Il est vrai que les résultats, lorsqu'ils ont été publiés en 1977, ont créé beaucoup de remous à la fois dans la presse américaine, dans les comités officiels de spécialistes de la santé et de l'environnement et même jusqu'au Congrès. La réduction d'un facteur 10 des doses maximales admissibles augmenterait considérablement le coût de l'énergie nucléaire. Il ne faut donc pas s'étonner que Mancuso ait eu quelques ennuis professionnels. ****Kan Z. Morgan [13] suggère une réduction d'un facteur au moins 200 de la dose maximale admissible du plutonium dans le corps. ***** Oak Ridge est un centre d'études nucléaires donc très impliqué dans le développement de l'industrie nucléaire. ANNEXE I Evolution des doses maximales admissibles (d'après K.Z. Morgan) (12) Voir également ce dossier SEBES: Radioprotection et droit nucléaire Pour les travailleurs
p.8
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La législation française concernant les normes Quelle est la législation française
en ce qui concerne la protection des travailleurs? Les doses maximales
admissibles sont régies par le décret du 20 juin 1966 (Journal
0Officiel du 30 juin 1966). Ce décret ne suit pas les recommandations
faites par la CIPR en ce qui concerne les 5 rem par an.
ART. 7 - Pour les personnes directement affectées à
des travaux sous rayonnement:
La législation française considère
les 5 rem comme une valeur moyenne à ne pas dépasser avec
un maximum absolu de 12 rem dans une année.
(suite)
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suite:
1. Thomas Mancuso, Alice Stewart et George Kneale: «Radiation
exposure of Hanford workers dying from cancer and other causes» (irradiation
des travailleurs de Hanford qui sont morts de cancers ou d'autres causes):
Health
Physics, vol. 33, n°5, pp. 369-384 (1977).
p.9
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