Lors des «Assises Internationales
du Retraitement» (Equeurdreville, 21 octobre 1978), Alice STEWART,
invitée par le GSIEN, a animé le Forum «Santé»,
l'un des forums les plus remarquables (et remarqué) de cette rencontre
(se reporter à la brochure GSIEN sur les expériences d'Alice
STEWART). Le docteur Ségolène AYME, généticienne,
a ensuite donné des informations très intéressantes
sur les problèmes des faibles doses.
Dr. Alice STEWART (Université de Birmingham) Je vous prie de m'excuser d'être obligée de parler en anglais car mon français n'est pas assez bon, et certaines idées que je dois exprimer sont difficiles. On m'a demandé de vous exposer les résultats que nous avons trouvés en étudiant les travailleurs de Hanford. L'usine de Hanford est une grosse installation nucléaire dans la partie Ouest des USA, elle est entrée en fonctionnement en 1944, c'est-à-dire bien plus tôt que ses homologues européens. Ainsi les résultats de cette étude sont particulièrement importants pour l'Europe car nous ne pensons pas qu'il soit possible d'obtenir des résultats équivalents en Europe avant dix et même vingt ans. Du point de vue de la santé, le rayonnement a essentiellement deux effets qui ne sont pas immédiats mais différés à long terme. Le premier effet est le développement de cancers chez les personnes qui sont directement exposées au rayonnement, et le deuxième effet est le développement de défauts génétiques dans les générations futures, pouvant commencer à se manifester à la troisième génération. Ainsi, du point de vue des dommages qui peuvent être créés par des irradiations à des doses faibles et répétées, l'industrie nucléaire en est encore au stade de l'enfance. Elle est si jeune que, si on vous assure qu'il ne peut pas y avoir de dommages causés par le rayonnement, je peux vous garantir qu'il est trop tôt pour le savoir pour toutes les installations européennes. En fait, les travailleurs de Hanford [1] forment une population tout juste assez large pour qu'on puisse répondre scientifiquement à la question «Peut-on avoir des cancers produits par des doses de rayonnement qui sont considérées actuellement comme étant sans danger?». |
Ceci parce que, non seulement on a besoin d'étudier un grand
nombre de personnes, mais il faut de plus les étudier pendant un
temps très long car les cancers sont des maladies à développement
très lent.
Revenons à Hanford: le nombre de personnes travaillant en permanence à Hanford est d'environ 5.000 par an. Le nombre de personnes qui ont travaillé à Hanford pendant une certaine période de 1944 à 1977 est d'environ 35.000. On a ainsi une population d'environ 35.000 personnes qui a été surveillée pendant trente ans. Il est encore trop tôt pour répondre avec certitude par une approche directe du problème à la question: le nombre de morts par cancers est-il supérieur à celui qu'on attendait? mais il est possible d'avoir ure approche indirecte en regardant si les travailleurs qui sont morts de cancers ont reçu la même dose de rayonnement que ceux qui sont morts d'autres maladies. Les doses de rayonnement reçues par chaque travailleur pendant sa vie professionnelle, ont été enregistrées régulièrement, et ceci longtemps avant sa mort. S'il n'y avait pas de risques de cancers induits par le rayonnement et, à condition de faire ce que les statisticiens appellent une normalisation (pour l'âge et d'autres facteurs), la dose devrait être la même pour les morts par cancers et les morts pour d'autres causes. Ceci à condition que le nombre de personnes soit suffisamment grand. Le premier résultat troublant fut de découvrir que les travailleurs qui étaient morts de cancers avaient reçu des doses plus élevées que ceux morts pour d'autres causes, et la différence était significative. Comparées avec ce qu'on a le «droit» de recevoir, 5 rem par an, dose qui est supposée être sans danger, les doses reçues par les deux populations (morts par cancers et morts par non-cancers) étaient faibles, mais celles reçues par les morts par cancers étaient appréciablement plus élevées. Par conséquent, nous avons été amenés à examiner cette différence très en détail. p.10
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Nous l'avons fait de la façon
suivante:
Tout d'abord, nous avons classé les doses en différents niveaux par dose de croissance, et nous avons comparé les différents niveaux de doses. Y avait-il plus de cancers aux doses les plus élevées? Ce à quoi on peut s'attendre si le rayonnement a un effet sur l'apparition des cancers. Nous avons trouvé un accroissement pas à pas du nombre de morts par cancers, avec la dose, au fur et à mesure que la dose augmente, niveau par niveau. Normalement, ceci est suffisant pour prouver qu'il y a une relation de cause à effet entre l'exposition au rayonnement et les morts par cancers, mais ce résultat était tellement inattendu (puisque les doses reçues étaient supposées sans danger) que nous avons appliqué de nombreux tests pour étre sûrs que nous avions raison. Par exemple, bien avant notre étude, des chercheurs avaient classé les différents tissus du corps selon ce qu'on appelle leur radiosensibilité (sensibilité aux effets de rayonnement). Ainsi, nous avons classé les cancers correspondant aux différents tissus selon l'échelle de graduation de radiosensibilité déjà établie et nous avons trouvé que les morts par cancers les plus radiosensibles avaient reçu les doses les plus élevées et également qu'il y a des différences de doses, pas à pas, entre les morts par cancers des tissus à forte sensibilité et à faible sensibilité. Nous savons tous que les cancers sont des maladies affectant les personnes d'un certain âge et ceci parce que la résistance à ce qui cause les cancers diminue au fur et à mesure que l'on vieillit. Nous avons alors testé si c'est le fait d'avoir exposé au rayonnement des travailleurs jeunes ou des personnes plus agées, qui était responsable des cancers, et nous avons trouvé que le plus grand danger de cancer était lié aux personnes de plus de 40 ans. Je vous ai dit que les cancers mettent très longtemps à se développer. Il y a un intervalle de plus de dix ans entre le moment où le cancer est causé et le moment où l'on meurt de cancer, Nous avons alors introduit dans notre étude un test pour voir si les hommes morts par certains cancers, et qui ont reçu plus de rayonnement que ceux morts pour d'autres causes, ont pris ces doses excédentaires à un certain moment avant la mort. Nous avons trouvé d'une façon assez sûre que la cause des ennuis remonte à au moins 14 ans avant la mort. Je suis entrée dans tous ces détails parce qu'il y a beaucoup de gens qui essaient de nous dire, et de dire au monde entier que nous n'avons rien trouvé dans cette étude. Mais l'évidence est qu'il y a quelque chose là-dessous, qu'il y a un effet de cancer dû aux faibles doses de rayonnement et il est très difficile d'échapper à cette idée sur des bases scientifiques. Cette idée est encore renforcée par le fait que deux groupes de chercheurs qui avaient été chargés d'examiner les données relatives aux travailleurs de Hanford pour montrer que nos résultats étaient faux, ont eux aussi trouvé des preuves d'apparition de cancers. Ils sont très occupés à essayer de démontrer que ces cancers seraient dus à des produits chimiques et non au rayonnement, mais ce n'est pas la réponse correcte. Je pense que je suis là aujourd'hui pour dire qu'il n'existe pas de niveau de rayonnement qui soit sans danger en ce qui concerne le cancer, que le risque est directement proportionnel à la dose, et s'il y a des cancers radio-induits, il doit y avoir certainement création de défauts généliques parce que la lésion des cellules est essentiellement du même genre; c'est une lésion qui réagit sur les mécanismes de leur reproduction. Si les cellules de reproduction sont atteintes, cela affectera les générations futures, mais si l'atteinte a lieu dans d'autres cellules, c'est vous-même que cela affectera. Je pense que tout citoyen responsable doit réfléchir soigneusement quand on préconise quelque accroissement que ce soit de l'industrie nucléaire. Il doit être vigilant pour que les régulations les plus strictes soient imposées de façon à maintenir des doses sans danger, et pour les travailleurs et pour la population des environs. (suite)
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suite:
Encore un mot: comment nos estimations du risque se comparent-elles avec les estimations officielles? Les estimations officielles admettent qu'il pourrait - pourrait est le mot - y avoir quelque danger aux faibles doses mais que le risque serait très, très faible. Ceci est dit dans des articles dont la plus grande partie est consacrée à dire qu'en réalité il n'y aurait même pas ce risque; mais si on les prend au mot, nos résultats montrent que le risque est dix fois plus grand que leurs estimations. Quand ils disent cinq cancers, nous disons cinquante. Question: Est-ce que le docteur Alice Stewart pourrait nous parler
d'une étude analogue qui aurait été faite sur des
ouvriers du chantier naval nucléaire de Portsmouth?
Dr. Aymé*: Sur les survivants de la bombe A, a-t-on
pu constater des effets génétiques?
- Comment avez-vous trouvé tous ces travailleurs qui ont opéré
sur Hanford et qui se sont disséminés après dans la
population?
p.11
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(NDLT: Les travailleurs quand ils quittent l'usine
de Windscale ont deux possibilités: soit toucher immédiatement
un capital, soit opter pour un régime de pension pendant leur retraite.
Or, ce sont seulement ces derniers et ceux morts pendant leur activité
professionnelle qui servent à établir le risque. Il est évident
que la population étudiée n'est pas représentative
de tous les travailleurs de l'usine, car il est fort probable qu'un ouvrier
à salaire faible quittant l'usine pour des raisons médicales,
adoptera plus facilement pour un capital qu'il peut toucher immédiatement
plutôt que d'attendre la retraite pour toucher une pension).
- Au bout de combien de temps a-t-on un cancer?
1 - Vous avez parlé hier au Collège de France, je voudrais
savoir quel était l'auditoire?
Pr. Scheer: Pouvez-vous m'indiquer s'il y a des relations
entre la contamination interne et la dosimétrie liée à
l'irradiation externe?
(suite)
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suite:
Un facteur évident dans l'industrie nucléaire est une deuxième source de rayonnement provenant de la contamination interne par déposition interne de substances radioactives, comme le plutonium. Dans notre étude, nous avons classé les risques liés à la contamination interne en trois niveaux de risques: 1 - les gens qui n'ont jamais été contrôlés pour déceler une contamination interne, 2. ceux qui ont été contrôlés mais ont eu des résultats négatifs, 3. ceux qui ont été contrôlés et ont eu des résultats positifs (vrais ou faux). Pour chaque niveau de risque, nous avons trouvé le même effet de l'irradiation externe relativement à la dose, mais la dose reçue est plus faible pour des deux premières catégories que pour la troisième. Bien sûr, nous ne pouvons pas savoir si les travailleurs portaient ou non leurs films dosimètres, car ce n'est pas inscrit dans les dossiers! Ce dont nous avons tenu compte, ce sont les doses d'irradiation externe reçue pendant que les travailleurs travaillaient à Hanford, sans tenir compte de l'irradiation naturelle et en excluant toutes les irradiations médicales par rayons X que ces travailleurs ont pu recevoir, ou toute autre irradiation que ces travailleurs auraient pu recevoir dans une autre industrie utilisant des rayonnements ionisants, avant ou après leur séjour à Hanford. Toutes ces doses sont considérées dans notre étude comme étant réparties au hasard. Ceci pourrait nous conduire à une sous-restimation du risque, lié à l'irradiation externe, plutôt qu'à une surestimation du risque. - Le rayonnement peut-il causer autre chose que des cancers?
- Lors du rapport de l'enquête de Windscale par le juge Parker,
il est rapporté des contradictions entre Mme Alice Stewart et l'institut
Battelle de New-York. Pouvez-vous nous en parler?
p.12
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Je dois avouer, qu'à mon
âge, je ne suis pas entraînée à ce genre d'exercice.
Il fut alors tout à fait facile au juge Parker de donner l'impression
qu'il n'était pas nécessaire de croire en ce que le Dr. Stewart
avait dit parce qu'elle n'était pas capable de faire des additions.
C'est effectivement ce qu'il a mis dans le rapport. Il conclut que le sujet
était évidemment important; mais qu'il était traité
par quelqu'un qui ne connaissait pas les tables de multiplication.
- Je pense que le me suis fait mal comprendre tout à l'heure.
C'est pourquoi je voudrais insister sur une étude publiée
dans le Lancet, rapportée par Quotidien du Médecin.
Cette étude a été faite sur tous les décès
survenus entre 1959 et 1977 par tous les ouvriers du chantier naval de
Portsmouth qui ont réparé les sous-marins nucléaires.
L'enquête conclut à une augmentation de 75% de la fréquence
des cancers par rapport à une population non exposée, avec
six fois plus de leucémie. Je voudrais avoir l'avis du docteur Stewart
sur cette étude?
Notes du traducteur L'étude sur les ouvriers du chantier
de Portsmouth (USA) a porté sur 1.722 personnes mortes entre 1959
et 1977. Les causes de mort furent identifiées à partir des
certificats de décès.
Pr. Scheer: Pouvez-vous expliquer la différence entre
les résultats et les données officielles. Est-ce parce que
vos résultats sont plus complets ou bien considérez-vous
qu'il y a des effets synergiques entre rayonnement et disons, des produits
chimiques, ce qui serait très important à connaître
pour les populations des régions industrialisées?
(suite)
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suite:
Maintenant je vais vous expliquer pourquoi ceci entraîne une différence importante entre les estimations officielles et les nôtres. Il faut vous dire que j'ai étudié pendant des années l'effet sur les foetus des faibles doses de rayonnement dû au radiodiagnostic des femmes enceintes, ce qui m'a conduite à une étude des cancers et des maladies précancéreuses des enfants. Un des résultats de cette étude est que deux ans avant qu'on se rende compte que quelque chose ne va pas chez ces enfants, le risque pour eux de mourir d'une infection quelconque est terriblement augmenté. Ce risque est beaucoup plus grand pour les préleucémiques parce que la leucémie est un cancer du système immunologique. Ce que nous avons trouvé est que, juste avant qu'une leucémie ne se déclare chez un enfant, si cet enfant est atteint de pneumonie - et le risque d'avoir une pneumonie est augmenté pour un préleucémique - alors le risque de mourir de pneumonie est multiplié par 300. Revenons maintenant aux survivants de la bombe A. Non seulement de nombreuses causes de mort entrent en compétition avec le cancer et les personnes ayant reçu des doses élevées de rayonnement ont eu plus de morts par non cancers que les personnes ayant reçu des doses faibles ou nulles, mais l'étude officielle a été menée de telle sorte que ce sont ces dernières qui ont servi de «contrôle». Ils ont ainsi permis que le risque de mourir par non cancers soit plus grand pour le groupe exposé au rayonnement que pour le groupe témoin, et on voit ici que ceci conduit évidemment à une sous-estimation du nombre de cancers radio-induits pour les faibles doses de rayonnement. Je pense que c'est la raison pour laquelle - jusqu'à ce que nous fassions l'étude des travailleurs de Hanford - on pensait qu'il n'y avait pas de risque en-dessous de 5-10 rads parce que tous les extra-cancers radio-induits liés à ces faibles doses n'étaient pas pris en compte, puisque les résultats étaient biaisés du fait de l'extrapolation effectuée à partir des doses très élevées où les gens meurent de beaucoup de choses mais autres que de cancers. Cependant, je voudrais ajouter que les facteurs de risques qui sont donnés officiellement sont corrects pour les survivants de la bombe A, mais ils ne sont pas corrects pour les travailleurs de l'industrie nucléaire. Note du traducteur Voici quelques chiffres relatifs à l'étude
des travailleurs de Hanford:
p.13
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Dr. S. Aymé: Je suis généticienne
et je travaille sur l'épidémiologie des malformations congénitales
Je peux donc vous parler de ces aspects qui n'ont pas été
évoqués par les autres orateurs.
Madame Stewart vous a dit qu'il était très difficile de se faire une opinion sur les effets génétiques, car ils n'apparaissent qu'à partir de la troisième génération. Ceci n'est vrai que pour ce que l'on appelle les mutations dont tout le monde a entendu parler. Ces mutations ont lieu au niveau biochimique dans la cellule, c'est-à-dire au niveau du matériel héréditaire. Elles ne sont pas visibles au microscope et ne sont observables que par leurs effets qui, bien entendu, ne se produisent que chez des enfants qui sont nés de cellules de parents qui ont dans leurs gènes les mêmes lésions. Donc, au mieux cela n'apparaît qu'à la première génération chez des enfants dont le père et la mère ont été irradiés. On estime que normalement chaque individu est porteur de 5 ou 6 mutations graves, létales, c'est-à-dire mortelles si elles sont transmises. Ces mutations graves ne s'exprimeront la plupart du temps que si le père et la mère sont porteurs de la même mutation. La probabilité de rencontre étant assez faible, cela ne se verra pas ou peu. Si le rayonnement accroît ces mutations, elles diffuseront dans les générations suivantes et la probabilité de leur expression augmentera au cours des générations. Cependant, il n'y a pas que cet effet direct. On appelle fardeau génétique, c'est une notion assez récente, la quantité de gènes défavorables qu'on peut avoir dans le matériel héréditaire. Ce fardeau génétique a toujours existé, et c'est de cette façon que l'évolution des espèces s'est faite. C'est un phénomène naturel, mais actuellement cette quantité de gènes défavorables augmente énormément et on peut commencer à parler d'un véritable fardeau génétique. Ce fardeau génétique s'exprime probablement par une moindre résistance de l'organisme en général à toute adaptation à l'environnement. Par exemple, il est mesurable par le raccourcissement de la durée de vie, quelle que soit la cause de la mort, il est mesurable aussi par ce qu'on appelle la morbidité, c'est-à-dire la probabilité qu'on a d'avoir des maladies. Une enquête américaine récemment publiée, a été faite sur les travailleurs des usines de peinture au radium dont on vous a déjà parlé. Ces femmes qui ont été irradiées, non seulement ont eu plus de cancers, mais elles ont également eu plus d'arrêts de travail d'une manière générale. Elles ont été plus souvent malades, même pour les maladies bénignes. Ceci est dû à ce qu'on appelle le fardeau génétique, c'est-à-dire qu'elles avaient plus de gènes défavorables et étaient moins résistantes d'une manière générale. Ces phénomènes concernent le niveau biochimique des cellules. Il y a une autre façon d'apprécier les effets génétiques, c'est au niveau chromosomique. Vous savez que dans nos cellules il y a 46 chomosomes quand tout va bien. Ces chomosomes portent toute l'information génétique pour la reproduction des cellules. Ces chomosomes sont fragiles et sont particulièrement sensibles aux radiations. Ils peuvent se casser. Ces chomosomes ont l'avantage de pouvoir être vus au microscope et avec un faible grossissement on peut observer ce qui se passe dans une cellule. Quand on regarde au microscope les chomosomes de gens qui ont été irradiés, on peut apprécier l'effet du rayonnement. (suite)
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suite:
Personnellement, nous le faisons systématiquement pour les manipulatrices des appareils de radiologie de l'hôpital qui sont, paraît-il, bien protégées par des tabliers de plomb. Quand on observe leurs chromosomes après un an de travail, on commence à voir environ 5% de cassures chromosomiques dans les cellules, au bout de 4 ans, il y en a 10%. Au bout de 15 ans de travail, c'est de la purée de chromosomes qu'on observe. Cet examen est une façon très simple de connaître le comportement des cellules vis-à-vis du rayonnement. Quelles sont les conséquences de ces cassures chromosomiques pour les individus? Les gens vous diront qu'on n'en sait rien. En toute rigueur, cela est vrai, mais il faut quand même être un peu réaliste. Il est sûr que cela ne doit pas être excellent et, en particulier, ce doit être un des mécanismes de cancérisation, car dans la plupart des cancers, quand on cultive les cellules, on voit que les noyaux des cellules tumorales sont modifiés, on y trouve des chromosomes en plus, des chomosomes remaniés, etc. De plus, c'est comme cela que les anomalies chromosomiques se produisent et peuvent être transmises aux enfants. Quand ces anomalies chromosomiques sont transmises aux enfants, la plupart du temps il y a fausse couche. Les enfants ne sont pas viables et avortent précocement. Vous savez que les avortements sont une façon merveilleuse de faire de la sélection naturelle. Il y a environ une naissance féconde sur deux qui avorte, c'est un chiffre absolument énorme. Une façon intéressante de savoir si, actuellement il y a un effet génétique sur les populations, c'est de regarder si les femmes actuellement avortent spontanément plus qu'autrefois. Cette comparaison n'est cependant pas facile à faire car, autrefois, les fausses couches passaient à peu près inaperçues, elles étaient considérées comme un aléa et les femmes les notaient moins bien que maintenant. On est donc obligé de se ramener à des protocoles d'enquête du type de celui qu'Alice Stewart a développé. On regarde si les femmes qui actuellement font des fausses couches ont eu des taux d'irradiation identiques à ceux des autres femmes. Comme ce ne sont pas des travailleurs du nucléaire et qu'elles n'ont pas un dosimètre sur elles en permanence, on est obligé de se cantonner à l'irradiation médicale. En interrogeant les femmes sur les examens radiologiques qu'elles ont subis, on peut calculer la dose de rayonnement qu'elles ont reçue au cours de leur existence. Des enquêtes de ce genre ont été faites en Angleterre, et on a trouvé que les femmes qui faisaient des fausses couches et dont l'embryon évacué se révélait, à l'analyse, comme porteur d'une anomalie chomosomique, avaient eu un taux d'irradiation très largement supérieur aux couples témoins qui avaient exactement le même êge, les mêmes conditions socio-économiques, la même alimentation, etc. Je voudrais vous donner un ordre de grandeur. On peut actuellement estimer qu'une dose de 3 rem double la probabilité d'avoir un enfant trisomique 21, c'est-à-dire mongolien. Cette dose de 3 rem est à peu près ce qui est reçu au cours d'une urographie intraveineuse. c'est-à-dire une radiographie des reins. Ces 3 rem, c'est une dose tout à fait moyenne dans l'industrie nucléaire. Je vous signale ce résultat pour vous donner un ordre de grandeur. Je pense que ces résultats seraient suffisants pour nous rendre inquiets, si nous ne l'étions pas déjà par ce que nous savons des effets sur les animaux, et ce que nous savons sur l'induction des cancers par le rayonnement. p.14
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