Étonnant à plus
d'un titre le rapport du comité de six membres de l'Académie
des Sciences publié à la demande du Ministre de l'Industrie.
On en jugera à la lecture des larges extraits que nous publions
ici.
Le comité était composé de Messieurs P. Auger, J. Bernard, R. Gautheret (Président de l'Académie), A. Kastler (prix Nobel), R. Latarjet et L. Neel (prix Nobel). Or, on verra plus loin que le renom scientifique n'interdit pas de signer des documents très contestables du point de vue de la rigueur scientifique. Nous ferons parvenir à chacun des rédacteurs ce numéro de la Gazette pour, nous l'espérons, leur ouvrir les yeux sur la manipulation dont ils ont été l'objet. Il faut préciser que, compte tenu des experts avec lesquels ils se sont entretenus, il ne pouvait sans doute en être autrement: MM. Cayol et Roche (voir Gazette 26/27), Bigeard et Bertron (Production Thermique EDF(l)) et M. Kosciusko-Morizet (Ministère de l'Industrie). Voyons donc ce rapport: La première partie est consacrée aux aspects techniques. Après une rapide chronologie des événements, les différents points sont repris: «Non fonctionnement de l'alimentation
de secours:
Alons, Messieurs, n'écoutez pas tout ce que l'on vous raconte sans le vérifier. Non seulement il n'y a pas ouverture automatique des vannes, mais de plus, il n'y a pas de rappel en salle de commande indiquant la position de ces vannes, comme l'a d'ailleurs rappelé M. Tanguy(2) lors de son audition par le Comité d'Information Nucléaire présidé par Simone Veil. «C'est seulement au bout de 8 mn que l'opérateur, s'étant aperçu du défaut, a ouvert les vannes, mais les générateurs de vapeur s'étaient déjà vidés partiellement et n'avaient pu assurer un refroidissement normal de l'eau primaire. La rapidité de cet effet néfaste provient de la faible réserve d'eau des générateurs de vapeur du type Babcock et Wilcox. Les générateurs de vapeur qui équipent les centrales françaises, du type Westinghouse, possèdent une réserve d'eau cinq à dix fois plus grande et donnent davantage de temps à l'opérateur pour réparer une erreur initiale d'appréciation.» Deuxième erreur: l'étude des évolutions des paramètres de pression et température dans le réacteur et dans l'enceinte montre que l'incident d'origine se transforme en un défaut sur le circuit primaire si au bout de 12s la vanne de décharge du pressuriseur reste ouverte, car alors il y a rupture de la membrane de sécurité du ballon de décharge du pressuriseur. (suite)
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suite:
Or, à ce moment, il restait encore environ 2/3 d'eau dans les générateurs de vapeur. La différence de capacité en eau des générateurs de vapeur n'a donc pas un rôle primordial. «Notons en passant que le défaut d'alimentation en eau du circuit secondaire a entraîné, par suite de l'insuffisance de refroidissement, une élévation de pression dans le circuit primaire, suivie de l'ouverture de la vanne de décharge du pressuriseur et, 10s environ après l'incident initial, de l'arrêt d'urgence du réacteur. Dans les centrales françaises, cet arrêt aurait été immédiatement déclenché par la défaillance du circuit secondaire.» Notons qu'après la tranche 5 de Bugey, donc pour tout le palier 900 MWe CPl, la chute des barres n'est plus commandée par l'arrêt turbine. «Non fermeture de la vanne de décharge
du pressuriseur:
Vous a-t-on parlé, Messieurs, des modifications
intervenues sur le circuit de refroidissement du réacteur à
l'arrêt où une telle mesure a été prise et a
conduit à des résultats désastreux (voir encart)?
p.10
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«Cette non-fermeture
de la vanne de décharge pose d'ailleurs le problème général
et difficile de la localisation d'une brèche dans le circuit primaire
et de l'évaluation de la quantité d'eau contenue à
chaque instant dans celui-ci.
Le niveau du pressuriseur:
Au fait qu'en est-il en France? «Isolement de l'enceinte de confinement:
Arrêt prématuré
de l'injection de sécurité:
Notons à propos de l'injection de sécurité, que dans le cas des centrales françaises de Bugey et Fessenheim, celle-ci ne se serait pas déclenchée automatiquement, l'opérateur aurait eu 25 mn pour comprendre ce processus et démarrer l'injection manuellement. «Arrêt des pompes primaires:
(suite)
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suite:
Il résulte en effet des enregistrements que 6 mn après l'incident initial et pendant plus de 2 h ensuite, les conditions de température et de pression ont correspondu à un équilibre liquide-vapeur. Le réacteur a ainsi fonctionné en régime diphasique dans lequel la circulation forcée créée par les pompes primaires provoquait un brassage intime des deux phases suffisant pour refroidir le cœur. Mais l'arrêt de cette circulation a dû entraîner, à l'intérieur de la cuve du réacteur, une séparation statique beaucoup plus complète des deux phases, accompagnée de la découverte de la partie supérieure du cœur et de la disparition du refroidissement de cette partie. Cette séparation des deux phases est peut-être plus à craindre dans les centrales B.W. que dans les centrales françaises. En effet, dans ces dernières, les points hauts du circuit primaire, où la vapeur tend à s'accumuler, sont les générateurs de vapeur, situés nettement au-dessus de la cuve du réacteur. Dans les centrales B.W. au contraire, les générateurs de vapeur sont situés plus bas. L'opérateur aurait arrêté les pompes primaires dans la crainte, après avoir observé les vibrations, de créer des fuites aux joints des pompes. Une conduite plus judicieuse aurait été de laisser fonctionner une des pompes, quitte à l'isoler si des dégâts se produisaient aux joints. Cette procédure aurait été justifiée par ailleurs du fait que la puissance dissipée par les quatre pompes n'est pas négligeable vis-à-vis de la puissance résiduelle du cœur.» Nous espérons que les Académiciens savent qu'il n'existe pas de vannes d'isolement des pompes primaires, il doit donc s'agir d'arrêter une boucle, ce qui ne règle rien en ce qui concerne les fuites aux joints de pompes primaires. «Les opérations ultérieures:
Il faudrait peut être signaler qu'il y a eu une explosion d'hydrogène à l'intérieur de l'enceinte de confinement conduisant à une suppression de l'ordre de 2 bar (voir Gazette 26/27). A ce niveau, il faut également dire qu'il n'existe qu'un recombineur d'hydrogène actuellement disponible pour toutes les centrales. Il semble bien que l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire s'efforce vainement d'obtenir d'EDF la présence d'un tel appareil sur tous les sites. p.11
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«Quelques remarques
mineures et finales:
Des points mineurs restent à signaler relatifs à la conduite de la centrale T.M.I., à son mode d'exploitation, à son règlement intérieur, à ses équipements et à leur maintenance. Citons par exemple la présence d'une étiquette, fixée à un autre quelconque organe de contrôle, venant masquer le voyant signalant la fermeture des vannes de l'alimentation de secours des générateurs de vapeur, la panne de plusieurs heures de l'alimentation en papier de divers enregistreurs, les pannes répétées de l'alimentation électrique des éléments chauffants du pressuriseur, l'indisponibilité d'un réservoir de décharge dans le bâtiment des auxiliaires. Une surveillance plus attentive aurait permis de remédier à ces défauts. Quelques autres faits donnent aussi à réfléchir, comme l'arrivée tardive de l'ingénieur d'astreinte. Il n'aurait pas disposé, comme ce serait le cas en France, d'une liaison radiotéléphonique lui permettant avant son arrivée d'entrer en relation avec le chef de quart. Une telle liaison paraît importante. Nous avons remarqué que les membres du personnel de l'équipe de quart ont éprouvé des difficultés de communication, après s'être équipés de leurs masques respiratoires. Est-ce exact et peut-on y remédier? Enfin est-il normal qu'à un certain moment 50 à 60 personnes, faisant beaucoup de bruit, se soient trouvées réunies dans la salle de contrôle?» Le raport Kemeny, lui, signale beaucoup d'autres
choses, en particulier le fait que la salle de commandes est prévue
pour la marche normale et est inadaptée au fonctionnement accidentel.
En particulier, c'est plusieurs dizaines d'alarmes qui fonctionnaient au
même moment dès le début de l'accident, rendant très
difficile l'analyse de ce qui se passait.
«Conclusions:
Décidément nos Académiciens sont bien mal renseignés et auraient dû faire un effort de rigueur scientifique en rencontrant des personnes mieux informées ou plus critiques. (suite)
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suite:
Si nous pouvons nous le permettre, nous leur conseillerons de rencontrer M. Tanguy, Directeur de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (I.P.S.N.) qui vient de publier dans la Revue Générale du Nucléaire (RGN) un article sur Harrisburg (voir encart). Ils auraient pu lire également la Gazette Nucléaire consacrée au sujet, ainsi que rencontrer les syndicalistes CFDT de l'EDF qui ont écrit au Directeur de l'Équipement pour lui demander un certain nombre de modifications. Cela leur aurait sans doute évité d'écrire que les trois enceintes ont joué parfaitement leur rôle, alors que: - les gaines du combustible (première barrière) sont détruites à 70%, - le circuit primaire (deuxième barrière) est resté ouvert pendant une longue période, conduisant à un relâchement important de l'eau primaire radioactive dans le bâtiment réacteur, - l'enceinte de confinement (troisième barrière) n'a pas été «fermée» tout de suite et a été soumise à une explosion d'hydrogène importante qui aurait pu entraîner des dégâts conséquents. Nous aurions souhaité qu'à minima les auteurs appuient les Services de sûreté dans leurs demandes à EDF. Nous ne nous attarderons pas sur les trois parties qui suivent: - conséquences biologiques, - information, - et aspects «psychosociologiques» qui sont dans le même ton rassurant que le reste du rapport. Les deux dernières parties, en particulier, semblent vouloir montrer qu'au total il s'agit plus d'un coup de presse que d'un accident nucléaire. Nous nous attarderons plus sur les «conclusions générales et techniques», que nous citerons d'ailleurs en entier: «CONCLUSIONS GÉNÉRALES
ET TECHNIQUES
Quelle méconnaissance des faits: sembler vouloir dire que le personnel d'exploitation est responsable de la gravité de l'accident, c'est vraiment faire preuve d'insinuations totalement erronées. Non, Messieurs, les opérateurs ont agi correctement au vu des informations qu'ils avaient et au total leur comportement a diminué la gravité de l'accident. «Les déficiences matérielles
et les erreurs humaines n'ont toutefois pas entraîné de conséquences
importantes pour le personnel de la Centrale et pour l'environnement. Les
informations parues dans la presse et parlant de «catastrophe»
étaient donc dangereusement exagérées, et le rétablissement
de la véritable nature de l'accident est important pour l'avenir.
Nous ne reviendrons pas sur ce point déjà commenté plus haut. p.12
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«De l'uranium et d'autres
produits radioactifs se sont répandus dans le cœur du réacteur,
mais pas au-delà, à l'exception d'émanations gazeuses
qui n'ont pu être maîtrisées; mais ces émanations
n'ont pas diffusé de radioactivité importante en dehors de
l'enceinte. Pour les deux millions d'habitants vivant à moins de
50 miles de la Centrale, ces émanations pourraient occasionner un
cancer en supplément des 400.000 qui devraient apparaître
naturellement et une anomalie génétique grave contre 120.000
naturelles.
Par ailleurs, le déroulement de l'accident a mis en relief certaines anomalies psychologiques et des vices d'information. Un véritable affolement s'est produit à un moment donné, affolement qui s'est exprimé notamment par la présence, dans la salle de contrôle, de plusieurs dizaines de personnes en état d'agitation*. Un manque de centralisation de l'information et du commandement des opérations est évident, et a entraîné de graves conséquences. Ce manque d'organisation de l'autorité a eu aussi comme conséquence que des informations contradictoires ont été livrées au public. Celles concernant les rejets de produits radioactifs dans l'atmosphère ont varié d'un facteur de 1 à 150. La formation de gaz incondensables dans le cœur du réacteur a fait envisager l'éventualité d'une explosion. Certains informateurs ont estimé que cette explosion se produirait inévitablement et d'autres qu'elle serait de nature nucléaire. Ces informations ont provoqué dans la population et chez les autorités un désordre tel que des évacuations massives tout à fait injustifiées se sont produites.» Là encore, on oublie de parler de l'explosion d'hydrogène dans le bâtiment réacteur, explosion qui justifiait les inquiétudes les plus sérieuses. «Enfin, la saturation des lignes téléphoniques
a gêné la concertation de certains responsables de la Centrale.
Si l'affaire n'était si grave, nous aurions envie de sourire de cette naïve affirmation étayée sur quoi?... quant à l'équation EDF + Westinghouse supérieur à Babcock et Wilcox... «Mais, afin d'obtenir la sûreté optimale, on devra utiliser le meilleur matériel possible., notamment en ce qui concerne les vannes et les pompes.» Voilà au moins une demande claire, nous
nous permettons cependant de signaler à ces dignes personnalités:
«Par ailleurs, la marche normale des centrales et les remises en ordre à la suite de tous les incidents de fonctionnement prévisibles devraient être assurées au moyen de dispositifs automatiques parfaitement fiables et dont le fonctionnement devra être constamment visible sur le tableau de bord.» (suite)
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suite:
Savez-vous, Messieurs, que les centrales nucléaires 900 MWe-PWR, actuellement en construction, sont moins automatisées que des centrales thermiques au pétrole?.. et qu'elles sont pour l'essentiel à conduite manuelle! «De toute façon, les personnes
qui ont à surveiller le fonctionnement des installations devraient
être capables de faire face avec sang-froid et efficacité
à toutes les crises susceptibles de survenir.
Quel morceau de bravoure... inquiétant: l'examen du comportement sur des périodes longues!... En tout cas, nous conseillons au personnel d'exploitation des centrales de réclamer les classifications qui leur reviennent. Assez de mesquineries, ces gens-là doivent être au sommet de la hiérarchie. «Le public devrait être largement
informé du fonctionnement des centrales. Il convient d'abolir à
son égard la sensation de mystère qui engendre la peur et
provoque une réaction de rejet.
Voilà, c'est tout. En finissant la lecture
de ce texte, nous avons eu un sentiment de malaise. Que les auteurs soient
ou non convaincus de l'intérêt de l'énergie nucléaire,
là n'est pas la question. Le problème est que ce texte est
du mauvais journalisme, mal informé et tendancieux de ce fait. Si
ce texte avait été écrit pour une quelconque revue
scientifique, par un journaliste pro-nucléaire chargé de
vulgarisation, nous en déplorerions le contenu, mais nous ne nous
attarderions pas. Mais quand nous voyons la composition de la Commission,
alors nous sommes interrogatifs:
A la Gazette, nous essayons de vérifier toutes nos informations et nous nous informons à toutes les sources, en particulier auprès des travailleurs du nucléaire, avec une préférence pour les échelons qui sont au courant et ne font pas d'auto-censure ou de censure tout court. Nous envoyons ce numéro à tous les auteurs du rapport de l'Académie des Sciences en espérant qu'ils prendront conscience et réagiront. Une nouvelle fois, nous nous tenons à leur disposition pour tous renseignements complémentaires. p.13
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