La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°37
PUISQU'ON VOUS LE DIT
5. QUELLE BONTE!
 
     Vous avez sans doute appris la décision relative à la réduction tarifaire d'électricité au voisinage des centrales nucléaires. Cette décision conjointe des ministres de l'Industrie et de l'Économie a fait l'objet d'une présentation par le Ministre de l'Industrie. Sa lecture est pleine de saveur:
     «Le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire est sensiblement inférieur à celui de l'électricité produite par les centrales thermiques classiques utilisant des combustibles fossiles.
     La croissance de la part de l'énergie électronucléaire dans la production d'électricité permettra d'atténuer de plus en plus les conséquences sur l'évolution des prix de l'électricité, des hausses des prix des produits pétroliers, et d'une façon générale de bénéficier d'une énergie nationale à faible coût de revient. Cet avantage sera progressivement ressenti par l'ensemble des consommateurs d'électricité.
     Il a toutefois paru équitable d'en faire bénéficier, en priorité, les consommateurs de celles des communes situées à proximité immédiate des centrales nucléaires de grande puissance qui supportent les sujétions des chantiers de construction[12]. Les conditions d'application de cette réduction des tarifs d'électricité seront en conséquence les suivantes:
     1. Les centrales nucléaires concernées
     Les centrales nucléaires concernées seront celles des grandes puissances, c'est-à-dire de puissances supérieures à 600 mégawatts.
 
2. Le montant de la réduction
     Ce montant forfaitaire et non révisable[l3] est fixé, hors taxes, à:
     - 5 centimes par KWh en basse tension, 3 centimes par KWh en moyenne tension[l4], soit environ 15% du prix moyen du KWh en basse et moyenne tension;
3. La durée d'application
     L'avantage tarifaire sera consenti:
     - dès la mise en vigueur de ce régime pour les centrales en fonctionnement et pour celles dont les chantiers sont ouverts à cette date après délivrance du permis de construire;
     - pour les autres centrales, après que la délivrance du permis de construire ait permis l'ouverture[16] du chantier de construction;
     - cette réduction des tarifs ne sera plus appliquée au-delà de 1990, compte tenu du fait qu'avec le développement de l'énergie électronucléaire, l'avantage deviendra progressivement général[17].
4. La zone géographique d'application
     La liste des communes actuellement concernées par la mesure figure en annexe. Ces communes sont choisies en fonction de leur proximité des centrales, et des sujetions qu'elles supportent ou supporteront de la part des chantiers des dites centrales, dans la mesure où ces sujetions ne sont pas, par ailleurs, largement compensées par les avantages induits par les centrales18. Pour les centrales qui seront engagées ultérieurement, les listes correspondantes seront publiées au Bulletin officiel des services des prix et la réduction prévue sera applicable à compter de cette publication.
p.9b
12. Oui, vous avez bien lu; il s'agit des chantiers désagréables et donc, soyons généraux, d'avance «en priorité» pour les pauvres riverains.
13. Ah! voilà qui n'est pas très généreux... l'inf1ation.
14. Tiens, tiens, les industriels aussi?
15. Tiens, on croyait que c'était pour les nuisances dues à la construction.
16. Soyons clairs: il faut accepter les travaux.
17. Sic.
18. Attention, pas de règles fixes... il faudra marchander!

6. OMBRES ET LUMIÈRES[19]
 
     Pour finir ce numéro consacré à quelques morceaux d'anthologie, nous allons survoler la conférence prononcée par Monsieur André Giraud le 6 mai 1977, conférence sur l'énergie nucléaire organisée par l'A.I.E.A.  A l'époque, M. Giraud était administrateur délégué du Commissariat à l'Energie Atomique et il avait rédigé cet article avec l'aide de MM. Pecqueur et Ferrari.
     Tout le début est dans la logique habituelle, maintenant bien connue, qui veut montrer l'obligation du recours à l'énergie électronucléaire. Les titres du paragraphe suffiront pour connaître le contenu de la démonstration:
     - La consommation d'énergie va croître,
     - Le pétrole ne durera pas indéfiniment,
     - L'énergie nucléaire: une contribution[20] indispensable,
     - L'énergie nucléaire est économique.
     A partir de ce moment, le discours devient plus intéressant. Tout d'abord on annonce que, temporairement, le temps de la transition, il va falloir faire un effort financier particulier. Mais rassurez vous: après, tout ira bien:
Le poids de la transition 
     ...De plus, la récession économique que nous venons de vivre incite au pessimisme et aux réactions psychologiques instinctives viennent s'ajouter quelques difficultés effectives. Nous sommes en train de vivre une époque de transition: de l'électricité d'origine fossile, nous passons à l'électricité d'origine nucléaire. Or, tout changement est générateur d'anxiété, anxiété que viennent renforcer les inévitables bavures et retards qui accompagnent les premières réalisations, et il est rare qu'un prophète se hasarde à annoncer la fin des difficultés. De plus, si l'électricité nucléaire est au total moins chère, elle demande des investissements plus élevés et des temps de réalisation plus longs: il faut donc consentir au départ, au moment même où la hausse des coûts de l'électricité classique n'a pas toujours pu être répercutée dans les tarifs, un double effort financier supplémentaire qui apparaît sévère dans une période de perturbations économiques. Notons que ceci sera temporaire puisque les cashflows devraient s'accroître dans quelques années à la mesure de cet effort initial.
     Au financement des centrales vient s'ajouter celui des installations nécessaires à assurer le cycle du combustible. Dans ce domaine, après une période de relatif suréquipement, l'industrie a pris un retard.
suite:
     Les perspectives de rentabilité dans le cycle du combustible nucléaire sont certes excellentes, mais les investissements à effectuer sont coûteux et l'horizon des recettes est éloigné (de l'ordre de dix ans entre décision et mise en service). Or dans ces conditions, le taux exact de rentabilité importe moins que l'ampleur du risque encouru sur les sommes avancées.
     Voyons la suite...
Des incertitudes... mais mineures
     Les techniques mises en œuvre sont nouvelles, ce qui implique un élément d'incertitude croissant à mesure qu'on avance dans le cycle. Pour l'industrie minière, c'est le rendement de la prospection qui est en cause. 11 a diminué dans les pays producteurs, mais reste acceptable. Et si l'on se souvient que seule une faible part du globe a été soumise à la prospection, il n y a aucune raison de verser dans le pessimisme. L'enrichissement ne donne pas lieu à véritable interrogation technique. La diffusion gazeuse est employée depuis plus de trente ans et constitue une technique éprouvée. C'est la possible émergence de techniques nouvelles révolutionnant les prix qui suscitait l'inquiétude, mais L'expérience de la centrifugation devrait apaiser les appréhensions. N'avait-on pas affirmé qu'elle allait réduire les coûts d'un ordre de grandeur? Certes, le progrès est possible, et j'y reviendrai, mais il serait étonnant qu'il se répercute de manière soudaine sur le marché.
     Reste le retraitement, technique qui arrive tout juste au stade industriel (seule l'usine de La Hague traite du combustible oxyde), mais on dispose d'une expérience et d'une connaissance suffisantes pour exclure toute surprise accablante[21], à condition d'apporter à la réalisation des usines tout le soin voulu et d'y mettre le prix[21]. Le retraitement restera tout de même une activité délicate, plus chère qu'on ne l'avait cru.
p.10
19. Titre de l'article de MM. Giraud, Pecqueur et Ferrari
20. Il est loin le temps du «tout électrique, tout nucléaire»... dans le discours du moins!
21. Souligné par la Gazette. Notez le ton lorsque l'on s'adresse à un public de connaisseurs!

     Monsieur l'actuel Ministre de l'Industrie aborde ensuite la nécessité de la planification... et de l'exportation.
     ... les installations sont en général d'une telle taille que, sauf aux USA, les marchés nationaux sont trop exigus pour leur procurer des débouchés suffisants. La planification nationale débouche donc sur la concertation internationale. L'intervention des pouvoirs publics est indispensable pour instaurer les conditions qui permettent aux industriels de se lancer dans des réalisations coûteuses sans mettre leur existence en danger. Il faut absolument que l'investisseur soit certain qu'une déficience dans un autre secteur ne rendra pas vaine sa propre réussite technique. Ceux qui ont pu croire que les seules lois du marché suffiraient à garantir une telle cohérence, ont éprouvé une amère désillusion22. Mais qui dit planification, dit prévision. Or en période de fluctuation économique, faire croire à des prévisions favorables présente une grande difficulté. Constatons cependant que la stagnation économique des pays industriels a induit une révision des projections, qui constituent désormais des planchers irréductibles. Si l'on admet aussi que le développement du Tiers-Monde est nécessaire pour prévenir une crise politique mondiale de grande ampleur23 et que ce développement entraîne des dépenses énergétiques, nous sommes assurés que les besoins futurs ne seront pas inférieurs aux prévisions actuelles.
     En ce qui concerne la réalisation des équipements nucléaires et le rôle des techniciens, nous retrouvons une des manies de M. Giraud sur ce qu'il a appelé par ailleurs "La société de l'homme savant"[24].
     ... La conception et la réalisation d'installations nucléaires est une affaire d'équipes et même de groupes d'équipes. Et si poussée que soit notre formation scientifique et technique, nos décisions reposent plus sur la complémentarité que nous nous reconnaissons que sur la vérification méthodique du travail des autres, Ainsi, le caractère élitiste du nucléaire semble se doubler d'un aspect de caste[25]. Pendant longtemps, cela n'a posé que peu de problèmes, le scientifique et le technicien étaient préservés des remous sociaux et investis de la confiance populaire. Pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de développer ici, cette confiance a cessé. En outre, de manière générale, les citoyens répugnent à des blancs-seings trop absolus et veulent pouvoir exercer, par eux-mêmes, leur pouvoir de décision, même sur les problèmes technologiques compliqués. Cette légitime aspiration conduit cependant à une impasse apparente: pour pouvoir valablement se décider, le simple citoyen devrait posséder une universalité technique que les plus doués d'entre nous ne rêvent même pas de posséder. Voilà ce qui caractérise, me semble-t-il, la difficulté du débat nucléaire et devrait nous conduire à un certain nombre de conclusions.
suite:
     Mais alors que les experts se sentaient dépassés par l'ampleur de cette contradiction, quelques prophètes ont occupé le terrain, et semblé dautant plus convaincants qu'ils étaient exempts des doutes que donne toujours une vraie connaissance des problèmes. Le public les a écoutés. De ce creuset, qui lui semble magique, il sait que les mêmes sorciers, avec les mêmes ingrédients, savent aussi faire sortir des armes terrifiantes. Et il se méfie - qui lui en tiendrait rigueur? - des apprentis sorciers.
     Certes, la réalité finira toujours par s'imposer, mais elle mettra plus ou moins de temps pour y parvenir. Il ne suffit pas, pour cela, de répandre étourdiment de l'information qualifiée d'intoxication, et ainsi disqualifiée - ni de participer à des débats voulus par la contestation dans son cadre, et dont le fracas fait reculer la cause de la vérité.
     Nous ne sommes pas loin, Monsieur le Ministre, de partager cette idée avec vous; c'est une des raisons d'être de la Gazette. Nous passerons sur tous les conseils pour les débats; nous en avons déjà suffisamment parlé dans ce numéro. Citons simplement la fin du paragraphe:
     On ne peut pas cependant espérer une mise en confiance aveugle. Chacun veut comprendre où on l'emmène. C'est pourquoi, si les discussions publiques incompréhensibles sont certainement nuisibles, le public accordera d'autant plus de confiance à un expert que celui-ci lui expliquera des choses raisonnables et réussira à lui faire partager les termes de son raisonnement. On ne soupçonne guère les experts d'incompétence. On se méfie de leur bon sens.
     Si ce processus réussit, si la collectivité réussit à exprimer ses choix elle-même, l'ingénieur pourra se concentrer dans le domaine où il excelle: la recherche de solutions techniques appropriées pour atteindre les objectifs fixés avec clarté et précision. Une autre difficulté subsistera encore car dans le domaine énergétique toute action entreprise aujourd'hui ne porte de fruits que dans dix ou quinze ans. Il faut éviter de sacrifier le long terme à des préoccupations plus immédiates. Or nos systèmes politiques y prédisposent parfois, Il nous appartient donc de rappeler les exigences du futur.
p.11
22. De l'influence de la technocratie.
23. Admirez la raison...
24. Discours devant l'Académie des Sciences.
25. Merveilleux, non?

en cours...
     Nous serions curieux de savoir à qui il appartient de rappeler les exigences du futur.
     Et pour finir sur un bouquet, nous vous livrons intégralement la conclusion de ce monument:
     Quel avenir?
     Le monde a le choix entre deux attitudes: renoncer à l'énergie nucléaire ou bien créer les conditions d'un développement satisfaisant.
     Renoncer à l'énergie nucléaire? Cela conduit inévitablement à la pénurie. (Les énergies non conventionnelles n'apporteront pas assez vite une contribution notable à l'approvisionnement en énergie*). On assistera donc à une course aux ressources énergétiques qui n'exclura pas les solutions de force. Si la compétition se limitait au plan économique, les conséquences n'en seraient pas moins mauvaises. Le potentiel de production et l'organisation financière des pays industriels leur donnent un avantage inéluctable, condamnant ainsi les pays pauvres à la pauvreté, les pays sous-développés au sous-développement et compromettant même les décollages économiques en cours.
     Est-ce là un monde souhaitable? Nous ne le pensons pas. Est-ce un monde stable? Sûrement pas, il porte les germes de conflits armés et même le risque d'une conflagration générale; il serait illusoire de croire que les deux tiers de la planète pourraient se laisser condamner au désespoir sans réagir.
     L'énergie nucléaire continuera donc à se développer, ce qui fait surgir la crainte de la prolifération. Personne ne niera qu'il est souhaitable de limiter au maximum les risques. Mais il faut se garder d'une double illusion. Celle qui consisterait à croire qu'il est possible de rétablir, pour la diffusion des techniques, la situation antérieure à la première Conférence de Genève: celle qui viserait à établir un ordre international qui, par les contraintes exagérées qu'il imposerait, apparaîtrait comme intolérable à certains. L'ingéniosité humaine est féconde pour trouver des échappatoires.
     Pour être valable. une solution doit se limiter aux contraintes indispensables et reposer sur la dynamique normale de l'économie (qu'elle soit régie par le marché ou par une planification centralisée). Ces contraintes étant posées, il convient de laisser aux acteurs leur libre arbitre. Il est naturel que de nombreux pays veuillent employer l'énergie nucléaire, source d'énergie compétitive nécessaire à leur développement. Il est non moins normal qu'ils veuillent garantir au moins leur approvisionnement en combustible. De même s'exprime le vœu des producteurs d'uranium de vendre un produit à valeur ajoutée plus élevée. Notre objectif est de fournir au monde de l'énergie à bon marché (tout en évitant tout risque de prolifération des armes nucléaires), cela implique des installations de taille économique et celles-ci ne sont justifiables que dans un petit nombre de pays. Tous les autres doivent recevoir la garantie de leur approvisionnement et des services qui s'y attachent, dans le cadre normal de la concurrence entre fournisseurs et de la liberté du choix du client.
     C'est par la coopération internationale honnête que sera apporté au monde le meilleur bénéfice de cette énergie nucléaire dont il ressentira un besoin croissant. C'est par elle que sera réellement évitée la prolifération des armes nucléaires et c'est par elle que seront évitées les frustrations et ménagées les voies de la paix; la bonne organisation du cycle du combustible est un élément fondamental de cette coopération.
     Voilà. Bonnes vacances
     - ou bonne rentrée!
 p.12
* Note du webmaistre: alors que le nucléaire contribue à moins de 3% de la consommation mondiale?!
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