A l'aube de notre cinquième année de parution, nous allons nous livrer à l'analyse de la politique gouvernementale en matière d'énergie. Notre but est d'examiner la situation: elle semble n'avoir guère changé depuis 1974, et pourtant c'est faux. En effet, pour la première fois, les questions «Combien d'énergie faut-il à la France?», «de quel genre?», «comment?» » ne sont plus tout à fait tabous. Des fonctionnaires, dans un rapport officiel du Commissariat général au plan ont posé des questions, ont émis quelques interrogations (Voir encart 1). Malheureusement ce document qui devait être rendu public dès septembre 80, n'est toujours pas disponible à la Documentation Française. Aussi, avons-nous voulu ouvrir le débat avec nos lecteurs en leur fournissant un certain nombre de commentaires et d'analyses. Dans la bagarre qui va s'intensifier au moment des élections présidentielles, il nous semble essentiel que certaines questions ne soient pas laissées de côté: la politique énergétique est certainement une des pierres de l'édifice politique. Résumons brièvement la situation. Le gouvernement a présenté un plan énergétique le 2 avril 1980. Ce plan a été décidé et annoncé alors que les travaux de la Commission de l'Énergie au plan n'étaient pas encore terminés. Depuis, deux documents ont été annoncés: - un, publié avec une brève mention: «ne représente pas le gouvernement» - un, non publié qui émane du Commissariat au plan (voir encart 1). Le plan gouvernemental pour 1990 est caractérisé par la baisse considérable pétrolière et l'augmentation non moins considérable de l'énergie nucléaire. On y fait mention d'économie d'énergie, mais avec un aspect très global, sans entrer dans le détail, alors que, semble-t-il[1], les experts du plan avaient proposé une démarche plus concrète. Il apparaît ainsi que «la rentabilité des investissements d'économie d'énergie est égale ou supérieure dans la majorité des cas». Et on peut ainsi très légitimement aller plus loin en constatant que le «bon choix» n'est sûrement pas le nucléaire. Nos experts du plan s'interrogent également sur la percée de l'électricité et constatent qu'en 1990 la France risque d'avoir plus d'électricité qu'elle ne pourra rentablement absorber alors qu'a contrario, il restera encore à réaliser d'importantes et rentables économies d'énergie. Cette position est confirmée par un document anglais (voir encart 2) qui aboutit à la même conclusion. Dans le domaine des économies d'énergie, le rapport du plan évoque: - en matière de transports: - consommation abaissée - régulation de l'allumage, de l'injection - amélioration des transports en commun. (suite)
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- chauffage: - système de régulation (actuellement importé de l'étranger), - isolation: on peut aller jusqu'à une réduction de 21 millions de tep par rapport aux prévisions gouvernementales (81 millions de tep en 1990), - en matière d'industrie: on n'a pas incité les industriels à investir dans des procédés moins dévoreurs d'énergie. On leur a simplement garanti que les tarifs d'électricité resteraient (en francs constants) au taux de 1973. (On ouvre des officines pour les convaincre - voir encart 3). Par contre, ce document qui s'en tient au choix politique du gouvernement, ne s'interroge pas sur les possibilités des énergies renouvelables. Nous vous donnons, dans ce numéro, le plan gouvernemental, l'analyse qu'on peut en faire, puis, secteur par secteur, les possibilités. Cette analyse a été réalisée par la CFDT, avec l'aide des syndicats intéressés. Elle a le grand mérite d'avoir été faite. On peut sûrement l'améliorer; nous attendons vos suggestions. Il nous semble qu'un plan ne peut être raisonnablement établi que si l'on se pose d'abord les questions: - de l'énergie, pour quoi faire? - sous quelle forme? Ce qui frappe, c'est la manipulation qui est faite avec les chiffres. Avec les documents officiels on pourrait croire le nucléaire gratuit et le reste terriblement cher. Or, ce qui est évident, c'est que l'on pare le nucléaire de vertus qu'il ne peut, de toute façon, pas avoir. L'énergie est chère et rare. On doit l'économiser. Inutile d'imputer aux fuel et charbon seuls, les pollutions. Certes, on ne doit pas oublier qu'une centrale thermique au charbon de 500 MWe produit 30 tonnes de cendres par heure; mais, d'une part il faut savoir que 50% de cette production annexe est recyclée dans la production du ciment. 1. Citons M. Bosquet, Nouvel Observateur n°682: «Selon les auteurs du rapport, ce ne sont pas moins de 60 millions de tonnes d'équivalent pétrole (tep) par an que la France pourrait apprendre, d'ici 1990, à ne pas gaspiller. Au prix actuel moyen de l'énergie, c'est une dépense de 80 milliards par an qu'elle pourrait s'éviter de la sorte au début de la prochaine décennie.» Seconde vérité: ces 60 millions de tep annuels que la France pourrait éviter de gaspiller, c'est précisément la quantité d'énergie que doit fournir, en 1990, le programme nucléaire. Autre coïncidence troublante: l'élimination en dix ans de 60 millions de tep de «gaspi» coûterait précisément la même somme que le programme électronucléaire en dix ans, soit 450 à 500 milliards actuels. p.2
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Les déchets de faible et moyenne activité (500 m3 pour 1.000 MWe/an en provenance du retraitement) ne pourront pas être, eux, incorporés dans le ciment. On peut bien sûr les ignorer royalement pour le moment puisque Fessenheim n'a démarré qu'en 77 et que nous n'avons que de l'ordre de 10 réacteurs PWR en fonctionnement depuis un à deux ans. Par contre, nous ne pouvons ignorer les problèmes des Etats-Unis qui ont, eux, 73 réacteurs. Déclarer avec superbe que les ingénieurs de ce pays sont des «ânes» ne nous aidera pas beaucoup. L'analyse économique de nos besoins est sous-tendue par la rentabilité de la construction de réacteurs. Framatome n'a pas réussi à ouvrir son marché, nous sommes donc condamnés au nombre de réacteurs que cette firme estime nécessaire; le reste n'est que littérature. De même, le surgénérateur, qui permet théoriquement d'utiliser l'uranium 238, est un mythe. Nul ne peut prédire son véritable fonctionnement. Ce qui est certain, c'est que son coût actuel, 12 milliards, en fait un instrument invraisemblablement cher. Ce coût est largement inconnu car on ne sait rien sur le retraitement, donc la révision ne peut être qu'en hausse, pas en baisse. L'indépendance nationale, théorie sur laquelle se fonde le programme nucléaire est un leurre. Nous sommes dépendants, et mieux vaut le reconnaître. Mais si nous diversifions au maximum les sources d'énergie possibles, alors nous serons moins dépendants: car si une source vient à se tarir, les autres nous permettront de rééquilibrer. L'essentiel est un développement harmonieux. Cela peut, peut-être, paraître plus cher à très court terme, mais, comme une politique énergétique ne peut se faire à court terme en fonction d'échéances électorales, à long terme ce sera beaucoup plus équilibré, et finalement moins dispendieux. Quelle pourrait être une politique équilibrée en matière d'énergie? On peut tracer quelques grandes lignes. |
1. Cette politique doit reposer sur une stabilisation de la consommation, dans un avenir le plus proche possible, non seulement pour la France mais pour tous les pays développés. Cela seul peut permettre un développement énergétique du Tiers-Monde. 2. Cette politique doit reposer sur une meilleure utilisation de l'énergie et viser à réduire au maximum tous les gaspillages. Et en particulier il est nécessaire de repenser l'adéquation entre l'usage énergétique et la source utilisée. 3. Cette politique doit agir en priorité sur les consommations. Une fois définis les besoins, on pourra étudier les sources nécessaires et passer aux problèmes de la production d'énergie. Les économies d'énergie sont actuellement présentées comme un palliatif aux déficiences du système de production et d'approvisionnement, alors qu'elles doivent être tout naturellement prises en compte pour réduire la quantité d'énergie consommée. 4. Cette politique, en France tout au moins, doit reposer sur un effort librement consenti par la population. Il s'agit donc de lui redonner les possibilités de choix. Il ne suffit pas de parler de non-gaspillage, encore faut-il que l'on puisse isoler les maisons, choisir son chauffage, sinon il ne s'agit que d'un discours reposant sur du vent. Il faut donner aux régions la possibilité d'infléchir la politique de l'énergie. En résumé, on peut jongler avec les chiffres comme on veut, ce qui compte pour l'an 2000, c'est qu'il faut se débarrasser de la contrainte de l'énergie. Pour cela, il faut développer au maximum les sources d'énergie. Il faut que la décennie 80 soit la décennie de l'amélioration de l'utilisation de l'énergie, 90 celle des énergies renouvelables. Pour parvenir à ce type de développement qui permettra une situation énergétique diversifiée, il faut une action collective et volontariste pendant les vingt années qui nous séparent de l'an 2000. Inutile de se chipoter sur la part des énergies nouvelles, elles sont indispensables, mais l'impulsion qui va leur être donnée dès les années 80 est déterminante pour le rôle qu'elles joueront au XXIe siècle et ce rôle ne peut être que prépondérant si l'on ne veut pas épuiser les ressources de notre vaisseau «Terre». p.3
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· Le bilan énergétique en 1990[2] Les points essentiels de la politique énergétique
du gouvernement apparaissent à l'examen du tableau 1 des
prévisions de consommation en énergies primaires. Ces prévisions
ont été établies en prenant comme hypothèse
une croissance économique de 3,5% par an (taux de croissance annuel
moyen du PIB, produit intérieur brut).
2. Analyse CFDT |
Tableau 1: Bilans en énergies primaires 1973-1979-1990
3. Les deux hypothèses sont fonction des pourcentages des énergies «fossiles p.3
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Le gouvernement admet qu'il n'y a pas forcément croissance au même taux du PIB et de la consommation d'énergie; ceci veut dire qu'il prévoit un effort très important d'économie d'énergie. Mais, nous le verrons, cette politique implique que l'on fasse des économies sur tout, sauf sur l'électricité, qui doit connaître un développement très rapide, basé sur le nucléaire. On va donc examiner plus en détail la question des produits pétroliers et celle de l'électricité. LES UTILISATIONS DE L’ENERGIE* 1. Les actions d'économie d'énergie
A) L'industrie
B) Les logements et les bureaux
C) Les transports
* On trouvera dans le document «Eléments pour une politique de l'énergie» lie» l'évolution de la consommation d'énergie en France de 1950 à 1978 par secteur consommateur et par énergie primaire. (suite)
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- Dans les transports, on sait que les véritables économies d'énergie sont liées à des modifications structurelles: transport par voies fluviales et surtout par train de préférence à la route pour les marchandises; transport des personnes par train et par transports collectifs. Or, aucune action n'est préconisée dans ce domaine. La route, le camion et la voiture individuelle continuent à dominer les transports. Les économies d'énergie n'iront pas très loin. 2. Bilan approximatif
Le gouvernement n'a pas publié ce tableau. Il est possible que les tableaux 1 et 2 ne soient pas compatibles et que les prévisions sur les énergies primaires ne permettent pas d'assurer correctement les consommations prévues, en particulier à cause de la baisse du pétrole et de l'augmentation de l'électricité. L'ELECTRICITÉ: NIVEAU DE CONSOMMATION L'augmentation considérable de la consommation
d'électricité est l'orientation la plus claire de la politique
gouvernementale. Cette orientation est choisie parce que l'électricité,
c'est le nucléaire, et que le nucléaire constitue aux yeux
des dirigeants français la carte numéro 1 à jouer
au niveau international: le nucléaire est sûr techniquement,
non dangereux, non polluant, pas cher. Donc il faut en faire beaucoup,
donc il faut consommer beaucoup d'électricité.
p.4
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Dans ce paragraphe, nous examinons la consommation et dans le paragraphe suivant la production. Le tableau 3 ci-dessous donne l'évolution des consommations telles qu'elles sont prévues par.EDF. On voit que la progression de la consommation d'électricité est très forte: en 1990 elle serait plus du double de celle de 1978, et elle continue à augmenter fortement encore au-delà. Le taux de croissance serait de 5,8% par an entre 1980 et 1990 (il est de 7% par an de 1960 à 1970 et de 6% par an de 1970 à 1980). Les transports La consommation d'électricité des transports reste faible: elle passe de 7 milliards de kWh en 1980 à 10 milliards en 1990, alors que les transports sont justement le secteur où l'électricité est la plus intéressante. L'industrie L'industrie proprement dite, hors enrichissement de l'uranium, passe de 110 milliards de kWh en 1980 à 156 milliards en 1990: sa consommation est multipliée par 1,4 en dix ans, soit un taux de croissance annuel de 3,5%. Ce taux est élevé car l'augmentation de l'utilisation de l'électricité dans l'industrie, où elle doit se substituer au fuel ou au gaz, représente des changements de procédés, donc des investissements importants. Dans certains cas la substitution est intéressante, lorsqu'il s'agit du fuel par exemple, elle l'est moins lorsqu'il s'agit du gaz (pour les fours). Il ne faut pas oublier non plus que 10% de la consommation d'énergie dans l'industrie relèvent du chauffage des locaux qui peut, dans bien des cas, être assuré par la récupération de la chaleur et que de nombreux usages nécessitent de la chaleur à basse température qui peut être fournie par les éner-gies renouvelables. La prévision EDF apparaît donc avant tout comme un objectif commercial. Une véritable politique d'économie d'énergie, y compris sur.la consommation d'électricité, doit permettre de ne pas dépasser une consommation de 140 milliards de kWh en 1990 pour l'ensemble industrie + agriculture + transports, tout en assurant un développement de l'électricité plus important que celui qui est prévu. Le secteur résidentiel
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Cette consommation comprend trois composantes: le chauffage, l'eau chaude, les usages spécifiques (essentiellement l'électroménager). Dans ces trois secteurs, EDF prévoit une augmentation considérable de la consommation:
La consommation de chauffage correspond à
l'offensive du «tout électrique», le chauffage électrique
est très cher (comparé au gaz, même si celui-ci augmente
énormément à l'importation) et surtout très
gaspilleur: passer par la complexité et les dangers du nucléaire
pour obtenir finalement de l'air ambiant à 19°, c'est une aberration.
D'autant plus que la production de chaleur à basse température,
pour le chauffage et l'eau chaude, peut être faite par des moyens
très nombreux et très intéressants: énergies
renouvelables (solaire direct, biomasse, géothermie), réseaux
de chaleur ali¬mentés par des résidus urbains ou par
le charbon.
p.5
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Le secteur tertiaire Dans la prévision EDF, la consommation du secteur tertiaire passe de 41 è 88 milliards de kWh de 1978 à 1990, ce qui représente un taux de croissance annuel moyen de 6,6%. En 1990, ces 88 milliards de kWh se divisent entre 13 milliards de kWh de chauffage et climatisation et 75 milliards de kWh d'électricité à usages spécifiques. Personne - même pas EDF - ne peut dire à quoi correspond un chiffre aussi élevé. On peut estimer, à partir d'évaluations de la consommation par secteurs (hôpitaux, enseignement, bureaux, commerces, etc.) que la consommation du secteur tertiaire ne devrait pas dépasser, au total, 65 milliards de kWh en 1990. Récapitulation
Tableau 4: deux prévision de la consommation
L'ELECTRICITE:
La prévision officielle
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Sans parler des dangers du nucléaire pour les travailleurs et les populations, cette politique représente un risque économique considérable: la première grande centrale PWR, Fessenheim 1, a démarré en France en 1977; on ne sait pas comment ces centrales vont marcher - on doit en démarrer 6 par an à partir de 1980. De nombreux indices - comme les fissures - montrent qu'il y aura des problèmes: on se place dans une situation inconnue jusqu'ici de dépendance technologique totale vis-à-vis de machines complexes, dangereuses, mal connues et toutes construites sur le même modèle. Une panne généralisée n'est pas à écarter et cela signifierait une véritable catastrophe économique parce que le gouvernement aura choisi de ne pas diversifier les sources de production d'électricité. D'autre part, le fonctionnement de 66 centrales de 1.000 MWe signifie une consommation annuelle de 10.000 tonnes d'uranium naturel dont 80% seront importés: la France se place dans une nouvelle dépendance énergétique. L'alternative CFDT
L'augmentation de 100 milliards de kWh de la production d'électricité entre 1980 et 1990 préconisée par la CFDT est du même ordre que celle qui a eu lieu entre 1970 et 1980 et 1,5 fois celle qui a eu lieu entre 1960 et 1970 c'est loin d'être 'austérité. p.6
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