La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°59/60
DE LA SURETE ET AUTRES FABLES
 

GROUPE ÉNERGIE ET DÉVELOPPEMENT

MEMORANDUM
SUR L'ACCROISSEMENT
DE L'ARSENAL NUCLÉAIRE FRANÇAIS
ET SUR LES MOYENS DE SA MISE EN OEUVRE



     L'objet de ce mémorandum n'est pas de critiquer les conceptions stratégiques retenues pour assurer la sécurité de notre pays et contribuer à un développement pacifique du monde. Il n'est pas non plus, contrairement à ce que les thèmes abordés pourraient de prime abord suggérer, de remettre en cause la confiance placée par les dirigeants civils et militaires dans l'efficacité d'une défense basée sur un dispositif nucléaire de plus en plus complexe et étendu.
     En effet, son propos est strictement informatif: dans les limites du secret qui est imposé en cette matière, il vise à éclairer l'opinion sur les mutations en cours dans l'arsenal nucléaire français, afin, autant que faire se peut et à toutes fins utiles, de combler le fossé qui se creuse entre la réalité d'une prolifération verticale rapide et la perception qu'on peut en avoir au travers d'un discours immuable sur la «dissuasion minimale».
     Il s'agit en l'occurence de dépeindre l'état réel du complexe nucléaire militaire, ses concepts d'emploi et ses moyens industriels et expérimentaux ainsi que leurs développements futurs. On évoquera aussi l'ensemble des traités et accords qui touchent à cette matière du fait des actions de coopération internationale dans lesquelles est engagée l'industrie nucléaire française, notamment dans le domaine très «sensible» de la production de matériaux fissiles.

Les forces stratégiques

     Leur accroissement découle du changement en cours des missiles MSBS embarqué dans les submersibles nucléaires. Les 80 anciens missiles M1 à une tête nucléaire (1 MT) seraient progressivement remplacés par les nouveaux M4 à 6 têtes nucléaires (de 150 KT environ). Le nombre de charges passera ainsi de 16 à 96 par submersible. Un nouveau missile, dit M5, est en préparation pour le 7ème sous-marin nucléaire dont l'entrée en service interviendrait en 1995.
     Le nombre de charges nucléaires équipant les missiles enterrés sous le plateau d'Albion [1] (soit 18) et les bombardiers Mirage IV (soit 36) n'est pas modifié.
     Au total, entre 1980 et l995, l'effectif des charges nucléaires stratégiques aura été multiplié par 4 à 5, passant de 134 à plus de 600.

Les forces tactiques:
problématique de leur croissance

     Le dispositif tactique est en pleine mutation, tant pour ce qui concerne le nombre des charges que leur qualité, ainsi que les performances des «vecteurs» missiles et aéronefs. Son état actuel est le suivant:
     - 42 missiles sol-sol Pluton portant à 120 km une tête nucléaire de l'ordre de 15 KT,
     - quelques dizaines de bombes AN 52 d'une puissance de l'ordre de 20 KT pour les avions Mirage III, Jaguar et Super-Etendard.[2]
     Les programmes en cours prévoient d'ores et déjà:
     - la construction de 30 à 50 avions d'attaque nucléaires Mirage 2000 N, dont les premiers escadrons doivent entrer en service à partir de 1988,
     - ces avions seront dotés de nouveaux missiles (ASMP), capables de porter à une distance de 60 à 300 km une charge de 150 KT. Il est prévu de construire de 60 à 100 de ces missiles pour lesquels un programme de modification des Mirage IV et Super-Etendard a été mis sur pied,
     - la production de 120 à 180 missiles HADES destinés à porter à 350 km une charge tactique de forte puissanoe. Il serait tiré à moindre distance (sans doute pour des raisons de précisions, ou parce qu'il viserait alors des objectifs ennemis sur territoire français ou allié) avec une tête à radiations renforcées (bombes à neutrons). Les premières livraisons doivent intervenir au début des années 90,
     - par ailleurs, l'ensemble des avions d'assaut Mirage, Jaguar et Super-Etendard reste susceptible de délivrer des charges nucléaires tactiques, soit du modèle ancien, soit de types plus récents, y compris des charges de faible puissance (1 KT), à radiations renforcées ou non.

suite:
     Les cadences de production ne sont évidemment pas connues. Il semble qu'elles aient récemment subies une accélération sensible, puisque le budget des armes tactiques a cru de 60% en 1984.
     Si l'on s'en tient au seul programme des missiles tactiques, le nombre de têtes nucléaires passera de 42 aujourd'hui à plus de 200 vers 1995.
     La fabrication en série d'armes de faible puissance, dites mininukes, et de bombes à radiations renforcées, dites bombes à neutrons, supposerait l'adoption d'un schéma de conflit comprenant l'éventualité du «first use» pour contrer une attaque conventionnelle. Les implications politiques et stratégiques d'une telle évolution sont complexes et capitales. Et les pressions en ce sens se font connaître très publiquement dès que nécessaire.
     Il est néanmoins clair que l'on a récemment choisi de se donner un niveau de plus dans la graduation de la riposte: si la FAR (Force d'Action Rapide), dont la constitution a été décidée courant 83, reçoit les moyens aéromobiles suffisants pour le genre de mission qui lui a été assignée en Europe, la bataille de l'avant sans recours aux armes nucléaires, on peut supposer que les tirs nucléaires n'interviendraient qu'après qu'elle ait fléchi sous la poussée adverse. Deux options subsistent alors: soit un tir assez massif de charges tactiques de forte puissance sur les arrières de l'assaillant, ultime coup de semonce avant le déchaînement des armes anti-citées de la FNS - théorie officielle actuelle du concours des armes tactiques à la dissuasion du faible au fort, l'objectif étant la sanctuarisation du territoire (d'aucun pensera sa finlandisation) -; soit une réponse de type grande puissance nucléaire déterminée à gagner la bataille en infligeant directement le feu nucléaire tactique, par des frappes chirurgicales, aux dispositifs avancés de l'ennemi sur le théâtre européen.
     Il s'agirait en l'occurence des armes nucléaires de faible puissance évoquées ci-dessus. On notera que les quantités envisagées s'énoncent en centaines, voire en milliers. L'effort industriel et financier déjà singulièrement intensifié ces derniers temps devrait être encore redoublé, au détriment de l'adaptation des forces conventionnelles et, dans une moindre mesure, au prix de l'étalement des nouveaux projets.
     La demande des constructeurs de matériel aérospatial et électronique est manifeste. Elle n'est certainement pas à l'origine du tournant tactique pour au moins une raison: l'un des arguments de base pour la priorité à l'arme nucléaire, c'est qu'à puissance de feu comparable elle revient moins cher que les armes conventionnelles. Quelle que soit la justesse de l'argument, il entraîne nécessairement un moindre niveau d'activité dans les secteurs des vecteurs mixtes, indifféremment conventionnels ou nucléaires, que sont les avions, les missiles à courte portée, les hélicoptères, etc., au profit du CEA et de l'industrie du combustible nucléaire. Car il faut bien admettre la capacité intrinsèque d'arbitrage de l'inévitable pénurie financière... et sans doute y a-t-il une certaine contradiction entre la spectaculaire décision de créer la FAR et la priorité maintenue au développement des forces nucléaires.
     Il reste ainsi très délicat de se faire une idée précise sur les options profondes de l'actuel gouvernement. L'arme à radiations renforcées a été testée à de nombreuses reprises ces dernières années et, aux dires mêmes de François Mitterrand, rien ne s'oppose techniquement à sa production en série. Mais aucune décision spécifique n'a été officiellement annoncée, ni aucune indication donnée quant aux autres armes tactiques de faibles puissances. Or les vecteurs requis ne se distinguent des vecteurs conventionnels qu'au niveau d'aménagements mineurs: on a affaire à des armes de bataille quasi-classiques.
     Bref on ne peut guère inférer sur l'avenir du nucléaire tactique à partir des programmes concernant leurs vecteurs autres que les missiles à moyenne portée.
     C'est donc à l'examen du développement de l'industrie nucléaire qu'on est tenté de demander des éléments d'information complémentaires. Car en ce domaine plus qu'en tout autre, rien n'est donné; tout se paye de temps et d'argent et plus qu'ailleurs sans doute y règne la rareté; et plus qu'ailleurs également on y souffre des retards provoqués par les aléas technologiques.
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1. Voir dossier "Armement"
2. 45 Jaguar, 30 Mirage III E, 36 Super-Etendard.
     On constate que l'analyse ne permet pas, là non plus, de conclure clairement, d'une part en raison du secret attaché aux disponibilités en matières fissiles de qualité militaire, et de l'autre à cause du mélange intime entre les finalités civiles et militaires de l'industrie du cycle des combustibles nucléaires sur le territoire français.

Les moyens expérimentaux

     Commençons en rappelant qu'aucun déploiement de quelque arme que ce soit ne peut se passer d'un nombre suffisant d'expérimentations. Il faut en effet s'assurer des conditions d'emploi du matériel et avoir éprouvé sa fiabilité opérationnelle. Il s'agit là d'un chapitre particulièrement coûteux, sensible et révélateur des activités nucléaires militaires.
     Coûteux puisque les essais sont essentiellement destructifs et demandent la mise en oeuvre de moyens lourds et complexes sur des sites isolés.
     Révélateurs des choix puisque, selon les observations sismiques effectuées par les centres australiens et néo-zélandais, les dernières campagnes de tir du CEP (Centre d'Essais du Pacifique) à Moruroa ont, par exemple, porté sur des charges de faible puissance.
     Sensible, comme le prouvent les condamnations réitérées et unanimes depuis 1964 de la part des peuples du Pacifique Sud et de leurs gouvernements de la poursuite des essais nucléaires en Polynésie française, ainsi que l'opposition de la population de cette dernière à héberger le CEP. Ces faits politiques ne peuvent être ni ignorés, ni négligés.

Les moyens industriels

     Dans la chaîne de fabrication des armes nucléaires, qui part de la mine d'uranium pour s'achever dans les ateliers de montage des bombes, seul le dernier maillon constitue une activité spécifiquement militaire. Les autres sont communs aux cycles du combustible des différentes filières de réacteurs électronucléaires. C'est pour cette raison, et en vue de lutter contre la prolifération des armes nucléaires, que, sous l'impulsion des USA, la communauté internationale s'est dotée d'un ensemble de traités visant à empêcher le détournement de la coopération industrielle et scientifique nucléaire à des fins militaires. Il s'agit du Traité de Non-Prolifération (TNP), dont le contrôle est assuré sous l'égide de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) à Vienne et du Traité d'EURATOME dans le cadre duquel s'effectuent les relations nucléaires en Europe et entre l'Europe et les pays tiers.
     La France n'a pas signé le TNP et, en tant que puissance nucléaire militaire, jouit d'une position particulière parmi les adhérents au Traité d'EURATOME elle peut à tout moment soustraire les installations qu'elle veut au contrôle d'EURATOME.
     Pour bien comprendre la démarche française dans ces affaires nucléaires, il est indispensable de considérer l'enchaînement historico-technique qui a produit la situation actuelle.
     Dès le départ, le CEA a protégé son autonomie en recherchant un lien aussi étroit que possible entre les activités civiles et militaires. La filière graphite-gaz, filière «civilitaire» de première génération, fut donc choisie et développée conjointement avec le retraitement du combustible pour en extraire le plutonium. Les six premiers réacteurs graphite-gaz de puissance G1, 2 et 3 à Marcoule et EDF1, 2 et 3 à Chinon furent équipés de machines de chargement et déchargement du coeur adaptées à la production de plutonium de qualité militaire.

suite:
     Le premier, G1 (le seul qui ne soit pas électrogène), entra en service en 1956 et le dernier, EDF3, en 1966. Les réacteurs G1 et 2 et EDF1 ont été déclassés en 1968, 73 et 79 respectivement. Le réacteur G3, qui devait être arrêté en 1980 a été «prolongé» jusqu'en 1985 (principalement, semble-t-il, pour pallier les retards et incidents ayant affecté les nouveaux moyens de production de plutonium militaire). EDF2 et 3 devraient, d'après les prévisions d'EDF, être déclassés en 1985 et 1987 respectivement.
     Associé à l'usine de retraitement de Marcoule, cet ensemble de réacteurs a permis de produire 3 à 4 tonnes de plutonium de qualité militaire jusqu'à la fin des années 70. Depuis, les estimations, même approchées, sont devenues quasiment impossibles du fait que l'usine a aussi été consacrée au retraitement des combustibles graphite-gaz des réacteurs civils d'EDF (Saint-Laurent 1 et 2 et Bugey 1).
     Dès le début des années 60, la direction d'EDF manifesta une certaine réticence à poursuivre le développement de la filière graphite-gaz. A côté de raisons techniques et économiques, elle fit valoir le caractère proliférant de cette technologie et le handicap majeur que cela représente à l'exportation, compte tenu des moyens de pression politiques, techniques et économiques dont dis-posent les USA sur d'éventuels clients.
     C'est pourquoi elle confia dès 1960 à Framatome la construction d'un premier PWR à Chooz. Conçue selon la licence Westinghouse (acquise en 1958), l'installation fut mise en service en 1967.
     Aprement négocié, l'abandon de la filière graphite-gaz fut annoncé en octobre 1969. Le CEA, qui perdait là une activité industrielle majeure, dut se replier sur le retraitement et sur ses projets de réacteurs surgénérateurs au plutonium.
     Aucun programme de renouvellement des réacteurs graphite-gaz plutonigènes ne fut jamais envisagé. Pourtant, dès 1973, l'année du démarrage du surgénérateur Phénix à Marcoule, le CEA évoquait la possibilité de s'appuyer sur le programme du cycle du combustible nucléaire civil pour accroître substantiellement la capacité de production de matières fissiles de haute qualité militaire tout en en réduisant les coûts.
     La lumière commença à se faire sur cet aspect obscur des activités du CEA vers 1977-78, lorsque diverses publications d'accès aisé ou de grande diffusion présentèrent les capacités militaires des surgénérateurs.
     La finalité militaire de la filière n'est désormais plus contestée, bien au contraire, et son développement confère à l'ensemble du cycle du combustible (mines-enrichissement - PWR - retraitement - surgénérateur - retraitement) un caractère «civilitaire» indéniable. L'intégration à l'échelle européenne de certains maillons industriels essentiels (Eurodif, La Hague, Superphénix) est parfois présentée comme un moyen de construire, par le bas, une défense européenne comprenant une composante nucléaire tactique.
     L'acceptabilité politique d'un tel projet est loin d'être acquise; aussi la plus grande discrétion reste-t-elle de rigueur. Cependant, suite à un ensemble de publications en France et à l'étranger, à partir d'octobre 1982, et à partir d'interpellations parlementaires et d'enquêtes journalistiques, il est apparu que l'on n'avait aucune garantie sérieuse du non-emploi de Superphénix à des fins militaires.
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     Deux questions se posaient alors:
     1. Superphénix est-il nécessaire pour les militaires?
     2. Les traités qui lient les partenaires de la France dans le projet Superphénix et dans le cycle de son combustible sont-ils un obstacle à l'utilisation militaire du plutonium de qualité militaire produit dans ses couvertures fertiles?
     Répondre à la première question est, on l'a vu, très délicat. Cependant un certain nombre d'indices montrent que Superphénix pourrait être nécessaire, sinon devenir indispensable, à la poursuite du «build up» nucléaire français.
     Tout d'abord, il est clair que les moyens de production du Pu militaire sont moindres que prévu:
     - Phénix a connu des ennuis sérieux qui ont provoqué une baisse de son facteur de charge durant plusieurs années. Sa production de Pu militaire ne doit guère excéder de beaucoup 700 kg[3] sur les 10 premières années de son exploitation (contre 1.150 kg théoriques possibles)
     - G3 a été prolongé de 5 ans, ce qui n'est sûrement pas gratuit
     - les deux réacteurs tritigènes, Célestin 1 et 2 (mis en service en 1967 pour approvisionner en tritium les charges thermonucléaires), ont été adaptés à la production de plutonium militaire à partir de 1980. Leur capacité est assez faible, 40 à 50 kg de Pu/an chacun, et s'exerce au détriment de la production de tritium dont les besoins sont pourtant en croissance très rapide. Il faut en effet satisfaire les besoins des nombreuses charges des nouveaux missiles stratégiques et assurer le rernuvellement fréquent de leur tritium à cause de sa courte période (12 ans).
     Il reste qu'on ne sait pas jusqu'où le recyclage du vieux stock de plutonium militaire est possible, c'est-à-dire si la qualité isotopique du plutonium non encore utilisé (s'il y en a) et de celui composant les charges A et H de la première génération est compatible avec le cahier des charges des nouvelles armes «durcies», miniaturisées et spécifiques.
     Si, enfin, l'on décidait de produire en série la bombe à neutrons et que Phénix[4] subisse une défaillance sérieuse, voire un abrègement de son exploitation, alors il est sûr que le recours à Superphénix s'avérerait indispensable. Ainsi, indépendamment des autres éléments évoqués plus haut, la relativement forte probabilité d'occurence de ces deux événements pose de façon aiguë la question du statut juridique de Superphénix et du cycle de son combustible.
     Car le problème, c'est que, bien que les partenaires de la France dans Superphénix, La Hague et Eurodif aient signé et ratifié le TNP et soient complètement soumis aux restrictions du Traité d'EURATOME, ces Traités, pris à la lettre, n'interdisent aucunement un double usage de Superphénix.
     En effet, en tant qu'Etat nucléaire militaire, même si elle avait signé le TNP, la France pourrait utiliser sa part de la production de plutonium de Superphénix, soit 51%, à des fins militaires.
     Quant au Traité d'EURATOME, il imposerait un usage civil de la part française de la production de Superphénix (avec les procédures de contrôle particulièrement réduites), si la France déclarait son intention de l'utiliser entièrement à des fins civiles, ce que rien ne l'oblige à faire.
suite:
     Un point n'est pas clair à propos de la répartition des différentes variétés de plutonium produits par Superphénix (de qualité militaire, facile à extraire, dans les couvertures, de qualité civile, non récupérable actuellement faute d'une technique opérationnelle; dans le coeur) entre les partenaires. Aux termes des accords de Superphénix en effet, le plutonium produit doit être partagé au prorata de leur participation financière entre les partenaires (France 51%, Allemagne 16%, Italie 33%). Mais il reste à déterminer si le texte entend une répartition par qualité ou bien une répartition en équivalence fissile, auquel cas la France, qui a l'entière responsabilité du devenir des combustibles de ce surgénérateur, pourrait se réserver sans problème l'intégralité du plutonium produit dans les couvertures. L'accès au détail des classes ad hoc des accords de 1974 est indispensable pour établir toute la lumière sur ce sujet.
     Par ailleurs, les accords bilatéraux entre fournisseurs d'uranium, URSS, Australie, Canada, Afrique du Sud, etc., et EURATOME n'imposent des contrôles que sur les proportions de leurs fournitures présentes dans Superphénix.
     La seule façon pour empêcher que des Etats signataires du TNP financent directement et participent à la gestion des moyens de production de matière fissile militaire d'un Etat non signataire du TNP consiste à appliquer le Traité de Coopération entre les USA et EURATOME (il date de 1959).
     Ce traité stipule que la France ne peut utiliser la moindre parcelle de plutonium issue de Superphénix à des fins militaires tant qu'il y aura dans le coeur du réacteur ne serait-ce qu'un gramme de plutonium provenant d'un combustible nucléaire ayant subi un quelconque traitement sur le territoire américain. Il s'agit d'une application de la notion de «contamination» qui a depuis été généralisée par le Nuclear Non Proliferation Act de 1978.
     Or une évaluation récente établit que la proportion de combustible de Superphénix provenant de combustibles initialement enrichis aux USA est d'au moins 17%. Cette proportion devrait augmenter dans l'avenir du fait de l'épuisement du plutonium provenant des réacteurs graphite-gaz et également du fait que l'usine de La Hague tourne essentiellement pour honorer les contrats de retraitement passés entre COGEMA et les électriciens étrangers (sur 730 tonnes de combustible LWR retraités depuis 1976, seules une trentaine sont d'origine française), combustibles étrangers dont la majeure partie a été enrichie aux USA.
     Le Traité liant EURATOME et les USA est toujours en vigueur mais l'administration Reagan a suspendu l'application de ses clauses de sauvegarde ces deux dernières années.
     Ainsi, aussi longtemps que le TNP ne contiendra pas des clauses équivalentes aux clauses dites de «contamination» du NNPA, seule l'application stricte du Traité EURATOME-USA garantira la finalité civile de l'opération Superphénix.
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Conclusion

     Superphénix apparaît indubitablement comme un défi aux règles trop lâches et imprécises des dispositions du TNP et du Traité d'EURATOME.
     Au moment où la France et la Grande-Bretagne relan¬cent la coopération européenne sur les surgénérateurs (ces deux pays jouissent des mêmes «facilités» conférées par le Traité d'EURATOME aux Etats nucléaires militaires), il est essentiel que les enjeux soient précisés publiquement et que chaque citoyen sache à quelles fins sont employés les fonds publics affectés à la poursuite de tels programmes.

Groupe Énergie et Développement
55 rue de Varenne, 75007 Paris
3. Phénix produit 115 kg de Pu militaire/an avec un facteur de charge de 75%; sur 10 ans, son facteur de charge moyen a été de 50% environ.
4. Superphénix produira 330 kg de Pu/an (150 kg dans ses couvertures radiales et 180 kg dans ses couvertures axiales), également avec un facteur de charge de 75%.
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