La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°59/60, mars-avril 1984
DE LA SURETE ET AUTRES FABLES
Editorial / SOMMAIRE
 


     D'abord des excuses, la Gazette a un peu de retard. Ce ne sont pas les dossiers qui manquent, mais le temps et le courage pour les dépouiller. Que faire dans la situation actuelle? La question se pose avec acuité d'autant plus qu'il est assez évident que nous n'arrivons pas à imposer un dialogue. Bien au contraire, tout se décide, pour notre bien, sans notre participation qui de toute façon ne nous est pas demandée (c'est d'ailleurs là que le bât blesse: on voudrait bien avoir la maîtrise de notre avenir). Le sentiment général est une lassitude grandissante, car tout reste axé sur le nucléaire aussi bien civil que militaire.
     Pourtant les luttes continuent: St Jean de la Blaquière près de Lodève, Guern en Bretagne, St Félix Lauragais, Auriat près de Limoges, Marcoule avec l'analyse de la CFDT. J'arrête la liste, mais que faire pour que les droits des personnes soient respectés?
     Comment est-il possible que cela se passe ainsi en France actuellement? La chappe du secret est redescendue, les commissions d'information n'arrivent pas à fonctionner. Enfin, rien ne va plus.
     Et pourtant même si on ne refait pas l'histoire, il est à peu près sûr que tout a été possible jusqu'en octobre 1981. Dommage que les politiques aient loupé le coche. Ils ont finalement laissé les rênes aux technocrates car il leur a manqué le courage de les affronter. C'est tellement plus facile.
     Qui ne se souvient de la préparation du débat parlementaire? Hugon, pour l'établissement du dossier, a reçu tout le monde, consulté tout le monde. Et puis... rien.
     Dans les ministères, dans les entreprises, on s'était imaginé le pire. Le résultat a dépassé les plus folles espérances technocratiques d'avant 1981. C'était mieux, plus de crainte à avoir: dès octobre, le président du Conseil Supérieur de Sûreté Nucléaire était reconduit. C'était pourtant le même qu'à la création en 1973: Louis Neel.

     Ce n'était plus la peine, pour ceux qui avaient enfin pensé voir s'instaurer un dialogue, de l'envisager. Pourquoi en reparler, direz-vous? Eh bien pour réaffirmer une fois de plus que nous devons encore et toujours demander qu'on ne décide pas pour nous.
     Tant de choses ont été dites et faites: le 9e plan, dont le commissaire a été remercié sans élégance, a tenu compte des analyses économiques montrant le poids du nucléaire. Tout cela n'a servi à rien non plus. La machine est emballée, le fiasco économique l'arrêtera peut-être.
     Le nucléaire, en 81 on l'avait, bien évidemment on ne pouvait pas tout changer en un jour car on paie tdujours les erreurs. Mais enfin on pouvait en limiter le poids et on pouvait au moins faire les choses correctement.
     Un: rien n'a été limité, ce sont seulement les 180 milliards de dette qui ont pesé sur le frein.
     Deux: on n'a pas fait les choses correctement.
     Un seul aspect a été traité et c'est vraiment parce que, en 81, la promesse était incontournable. Un groupe unique, le groupe Castaing, a travaillé sur le retraitement et le stockage des déchets. Un groupe peu indépendant pensions-nous en 81, très indépendant reconnaissons-nous en 84. Seulement que croyez-vous qu'il va être fait des conclusions de ce groupe? Rien, comme d'habitude. Nous n'en voulons pour preuve que le fait que le CEA, la COGEMA, l'ANDRA, pour répondre aux recommandations formulées dans le rapport, établissent un dossier qui n'est pas soumis au groupe Castaing, mais seulement analysé entre technocrates. Alors, c'est facile, ça évite de nouvelles questions et ça permet de ressortir des dossiers déjà réfutés par le groupe.
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     De toute façon, le groupe Castaing est resté unique. Car aucune autre commission du même type n'a été créée. Et pourtant ce groupe a montré qu'il était possible d'analyser les dossiers, possible de poser les questions. Il a même été probablement trop efficace. Pensez donc, des «non appartenant» au lobby ont su mettre le doigt sur les points faibles, ils ont su réfuter des affirmations erronées. Pas question de recommencer: la sûreté des PWR, celle des surgénérateurs,le bilan économique, ce seront les «vrais spécialistes» qui les traiteront: comme cela on ne risque pas de surprises. Il faut rester en famille, il existe le CEA, EDF, l'IPSN, le SCSIN (de toute façon ils font partie d'un groupe où les gens s'échangent par permutation circulaire) et eux fourniront leurs dossiers. C'est pratique, c'est net et sans bavures: ils ne vont pas se faire hara-kiri, ils ne sont pas masochistes.
     Quand comprendra-t-on en France que faire faire l'analyse critique d'un dossier par ceux qui sont chargés de le défendre n'est pas possible? Même si les groupes de travail, tel celui du Pr Castaing ne sont pas la panacée, c'est notre seule chance actuellement. Alors réclamons-les, faisons les travailler. Mais n'oublions pas que les commissions ce n'est pas assez, mobilisons-nous, interrogeons les ministères, les instances. Il ne faut pas croire que la naissance d'une commission arrête nos interrogations. On n'a rien gagné avec une commission, si on ne reste pas vigilant.
     En 81, on ne pouvait pas faire l'impasse du nucléaire parce que les décisions prises 10 ans avant nous ficelaient, mais on pouvait décider un programme à notre mesure qui, lui, n'obérerait plus l'avenir.
     Certains prétendent que les dossiers n'étaient plus dans les ministères. Quelle foutaise! Il suffisait d'en faire une nouvelle lecture, sous un autre jour, et surtout par d'autres gens. A part cela, qu'on ne nous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes, la volonté de changement n'existait pas et en voici le résultat.
     L'acier, le charbon sont là pour nous rappeler pourtant combien de temps nous payons nos erreurs. (Le début des restructurations remonte à près de 20 ans). Nous avions une chance de ne pas recommencer avec le nucléaire. Nous l'avons perdue.
     Mais, même si c'est tard, même si on ne sait pas comment y arriver, il nous faut continuer. Ne serait-ce que parce que nous ne sommes pas seuls, nous appartenons après tout à l'Europe et nous servons beaucoup trop d'alibi aux gouvernements européens. Nos amis européens ont du mal à comprendre comment en France, berceau de la démocratie, on peut être arrivé à un tel manque de débat.
suite:
Mais ne nous illusionnons pas, nous servirons l'Europe en nous battant en France. C'est là que nous devons arriver à nous faire entendre car on ne pourra pas éternellement prendre des décisions en faisant l'impasse d'un véritable débat avec les populations.
     Deux petites informations pour finir: d'abord une remarque sur le conseil économique et social qui s'est autosaisi du dossier du nucléaire et qui, sur la base d'une étude rédigée par un homme seul, conseille de continuer, d'intensifier le programme nucléaire pour préserver l'acquis technologique (mais alors, et l'acier et le charbon?...) pour pouvoir exporter (à qui, s'il vous plaît? on aimerait des précisions!), pour renouveler le parc dès 1996.
     La politique énergétique française n'a plus besoin de ce genre de credo, mais d'analyses réalistes. Il est vrai que un technocrate ça va, 2 technocrates, bonjour les dégâts. Mais trop, c'est trop!
     Ensuite, une petite analyse d'un autre dossier: les STEP (station de transfert d'énergie par pompage). C'est le renouveau de l'hydroélectricité. Ce serait drôle si la raison n'en était le trop d'électricité dû au nucléaire. Alors, dans un premier temps, on pense à ce gadget (enfin c'est un gadget coûteux, car il noie des vallées de hautes montagnes) qui permet d'utiliser l'électricité aux heures creuses en remontant l'eau par pompage dans les vallées noyées et on peut ensuite turbiner aux heures de pointe. EDF s'était donc mis à prospecter et on sait ce que prospecter veut dire: on commence les travaux d'approche, on sollicite les autorisations après. Et puis, oh miracle il semble que les défenseurs de la nature aient gagné, qu'ils aient fait reculer la machine.
     En fait, c'est plus compliqué. D'une part, ça risquait de faire ombrage au nucléaire alors qu'on désire maintenir un volume minimum de construction et que, pour y arriver, on met au point le téléréglage des réacteurs. Tant pis si cela fait chuter le facteur de charge et croître le coût du kWh. D'autre part, les barrages coûtent cher et on ne peut à la fois les financer et financer du nucléaire.
     Donc il y a eu et il y a encore conflit au sein du lobby. Alors, affaire à suivre dans la vallée de la Haute Romanche et le parc de la Vanoise.
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SOMMAIRE
EDITO
Marcoule et son avenir
Dossier sur la sûreté des PWP: le point sur les cadres moulés; du vieillissement des installations; Cattenom; Plogoff; de la sûreté du palier P4; Saint-Priest; forages des monts d'Auriat
Le coin des luttes
L'arsenal nucléaire français
Annexe: région Bretagne, sites de la baie d'Audierne

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