Le 19 juin 1984, lors de la réunion
du Conseil Supérieur de Sûreté Nucléaire, le
ministre délégué à l'Énergie, Monsieur
Auroux, nous fit le grand honneur de venir nous annoncer, dans un discours,
une grande première. Nous étions tous suspendus a ses lèvres:
allait-il nous annoncer la présélection des sites de stockage,
l'abandon du projet de Creys-Malville? Eh bien non: la montagne a accouché
d'une souris.
Après s'être gargarisé sur l'aspect profondément novateur de la démarche adoptée; faire recueillir sur le thèmes des déchets radioactifs l'avis d'un groupe indépendant (n.d.l.r.: le Groupe Castaing - Commission Castaing => 1983: N°52, 1984: N°62/63, 1987: N°76/77 (p.03), 1996: N°153/154, il articula son discours sur cinq points: 1. Les travaux ayant abouti à
une nouvelle règle fondamentale de sûreté.
Après nous avoir expliqué que
tous les autres pays nucléarisés du monde rencontrent le
même problème de déchets, il nous rassura en nous assurant
que nous sommes les meilleurs parcs, qu'on va se doter de quoi... de quoi...
de textes règlementaires, les plus beaux, les plus élaborés;
enfin, rassurez-vous, ces textes sous la forme, en particulier, de la Règle
Fondamentale de Sûreté n° 1-2 de juin 1984, ne s'appliqueront
pas au centre de stockage de la Manche situé à La Hague!
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A ce stade, il a omis un critère pourtant
important: la farouche opposition des habitants, mais il est bien évident
que ce n'est pas un critère de sciences exactes, mais de sciences
humaines, sciences que d'aucuns auraient intérêt à
cultiver avec plus d'assiduité. Pour ce qui est du programme de
gestion des déchets, les auteurs du précédent programme
présenté par l'ANDRA avaient pris une claque magistrale du
Groupe Castaing (voir Gazette N°52, page 25 (...): «sous
la forme où il est présenté, le programme de gestion
proposé manque de la rigueur qui eut été nécessaire
pour une véritable évaluation scientifique (...)»).
La nouvelle mouture, pour plus de sûreté, fut relue entre petits copains et surtout pas soumise au Groupe Castaing. Cela permet d'affirmer sans risque que cette nouvelle version a été revue à la lumière des recommandations du Groupe de travail (ce qui est vrai et faux, car les parties changées concernent les aires de stockage. On a effectivement abandonné le site du centre de la France dans la version août 83. Pour le reste, la comparaison mot à mot montre peu de changement, à part la machine de traitement de texte!). Quant aux structures, c'est sublime: - le CEA fait les études, - le SCSIN (ministère de l'industrie) fait les textes, - l'ANDRA (service public au sein du CEA) gère, - les producteurs produisent. Nous voici rassurés: les trois premières étapes vont se passer en famille, entre copains de promotion. Donc ils ne vont pas se faire de misères. Tout est donc pour le mieux... dans le meilleur des mondes. Et, direz-vous, comment cela va-t-il se passer sur le terrain? p.1
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Voyons les sites de surface.
Je vais vous préciser conunent vont se dérouler les choses à partir de maintenant, tout d'abord pour les sites de surface: il appartient dès aujourd'hui à l'ANDRA d'effectuer une présélection, sur la base des critères cités plus haut* consistant à choisir dans les régions favorables une demi-douzaine de sites au moins sur lesquels seront conduits des travaux de confirmation; des contacts seront pris à cet effet avec les collectivités locales concernées; la concertation devra en effet être recherchée à tous les stades de ces projets. L'ANDRA, opérateur pour les travaux de reconnaissance veillera également à l'information du public, et sera disponible pour répondre à toutes les interogations que pourraient susciter localement les travaux de reconnaissance. Ceci garantira la bonne information du public dès l'origine de ces projets. Personne ne sera mis devant le fait accompli. Lisez bien, on parle d'information, nulle part de participation à la prise de décision. Les travaux de confirmation seront conduits par des équipes légères, environ dix personnes, et dureront environ un an; à cette occasion, des forages peu profonds réalisés à l'aide de matériels légers permettront de recueillir des données sur la géologie et l'hydrogéologie du site. Si le site est retenu à l'issue de cette phase de confirmation, il suivra alors la procédure applicable aux installations nucléaires de base, ce qui nécessitera une connaissance très fine du milieu (géologie, hydrogéologie, géochimie, climatologie...) pour préparer le rapport préliminaire de sûreté; des travaux complémentaires de qualification seront nécessaires, qui dureront environ deux années, durant lesquelles une quinzaine de personnes seront amenées à travailler sur le site - en parallèle l'ANDRA se portera acquéreur des terrains -. On passera ensuite à la construction et à l'exploitation du centre. Les travaux de préparation du site et de construction des infrastructures dureront environ 3 années et représenteront à peu près 120 emplois répartis dans des entreprises locales. A l'issue de cette phase le centre entrera en exploitation, et générera environ 70 emplois pour des entreprises locales et 70 emplois pour l'ANDRA. Et quand on vous parle de la procédure applicable aux installations nucléaires de base, vous pouvez vous faire une idée de la mascarade. Le pouvoir central va imposer la dite INB et le tour sera joué. Faudra-t-il attendre la prochaine venue de la gauche au pouvoir dans 30 ans pour qu'un site comme St Priest soit abandonné?? Voyons les sites souterrains. Les programmes de recherche sur la géologie profonde comprendront des travaux de prospection de plus grande ampleur, et notamment des forages à grande profondeur. Aussi les phases de confirmation seront-elles plus longues: le choix du site ne sera pas effectué avant 3 années; en outre, s'agissant d'un laboratoire, il n'est pas prévu dans un premier temps d'introduire de déchets radioactifs, aussi ce laboratoire ne suivrait pas la procédure d'autorisation propre aux installations nucléaires de base. |
Les délais: l'ANDRA doit
faire des propositions pour le choix de 2 sites de surface dans un délai
de 1 an et pour le site profond dans un délai de 3 ans.
Et terminons en beauté par les grands mots: Quant aux relations avec les collectivités locales, je demande qu'elles soient exemplaires et responsables de part et d'autre, c'est-à-dire fondées au-delà des considérations de sécurité désormais prises en compte par notre nouvelle réglementation - sur l'information, la concertation et la coopération. L'information et la transparence seront de règle sur le terrain comme à tous les niveaux, je n'accepterai donc pas les procès d'intention ou les préventions qui ne sauraient avoir dans ces conditions aucun fondement sérieux. La concertation ensuite associera les uns et les autres dès la première phase de prospection de sorte qu'un climat de confiance crée les meilleures conditions d'aboutir pour les deux parties au cas où finalement le site reconnu serait choisi. Concertation - Information - Coopération - Transparence - cela va être dur de changer 20 ans d'habitudes discrétionnaires du CEA et du ministère de l'industrie, mais on peut rêver. Auroux a d'ailleurs même prévu la carotte: la commune hôte aura du fric: de 1 à 1,5 million de francs par an. Dans ces conditions, ils ont même dû prévoir des demandes issues de la volonté municipale: n'ayez crainte, on les étudiera avec toute la rigueur scientifique qui s'impose! Ce qui n'est pas précisé, c'est avec quel type de rigueur seront étudiées les refus des communes. Après ce joli morceau de bravoure, notre ministre transparent et concertant s'apprêtait à quitter le conseil quand un membre émit l'intention de poser une question. Il se fit rabrouer, car, nous dit le ministre, il n'avait pas l'intention de participer à un débat! Ça c'est un chef! Le Conseil Supérieur de Sûreté Nucléaire est pourtant un conseil de sages, placé auprès du gouvernement pour émettre des avis. Qu'est-ce que ça sera quand ce seront les «bouseux» (comme a dit si joliment Chandernagor) qui l'interpelleront. Monsieur Auroux devrait pourtant se souvenir que les «bouseux» du coin de St Priest ont tenu bon et l'ont obligé à remplir ses engagements électoraux en abandonnant ce site qui était pourtant le seul envisagé et étudié par l'ANDRA jusqu'en 1983. Pour le moment, le ministre essaie d'aller vite et a envoyé une circulaire aux 17 commissaires de la République avec qui il va parler déchets. Malheureusement, on ne sait pas encore trop de qui il s'agit. Affaire à suivre... Terminons en conviant ce cher (200 milliards bientôt, soit la dette d'EDF) ministre à lire l'analyse économique de C. Alvin pour vérifier, comme il nous l'a dit dans son discours: «(...) On commence à découvrir que l'énergie atomique est sans doute une des moins polluantes et des plus compétitives qui soient.» p.2
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