A. UNE NOUVELLE ÉVALUATION DES EFFETS CANCÉRIGÈNES DU RAYONNEMENT
Nous publions ci-dessous la traduction d'un texte d'Edward Radford sur les résultats de l'étude sur les survivants japonais des bombardements atomiques de 1945. Edward Radford a été en 1979 le président du 3e Comité BEIR (Biological Effects of Ionizing Radiation) de l'Académie des Sciences des Etats-Unis (ce comité sert généralement de conseiller technique pour les organismes officiels internationaux chargés des problèmes de radioprotection). Le texte présenté ici est le résultat d'un travail effectué par Edward Radford pendant plusieurs années à la Fondation de Hiroshima (RERF: Radiation Effects Research Foundation) qui a en charge le suivi des survivants japonais. Pendant son séjour à Hiroshima, il a eu accès aux données de base de l'étude sur les survivants et c'est à partir de ces données qu'il a établi cette nouvelle évaluation du facteur de risque cancérigène des rayonnements ionisants. Elle tient compte du nouveau système de dosimétrie (celui ayant servi jusqu'à maintenant ayant été officiellement reconnu en 1981 comme totalement faux, voir la Gazette Nucléaire N°56/57 de décembre 1983 (numérisation intégrale annoncée fin 2008...), une analyse de cet événement sous le titre «Le système international de radioprotection est fondé sur des données fausses»). | La nouvelle évaluation tient compte
de bilans de mortalité les plus récents. Les bilans qui servaient
à établir le facteur cancérigène supposaient
il y a quelques années que les excès de cancers dus au rayonnements
seraient négligeables, ceci n'a pas été le cas même
actuellement ces excès de cancers continuent de croître.
Edward Radford a présenté son texte à la conférence de Londres (novembre 1986) sur les Effets Biologiques des Rayonnements Ionisants (voir un compte rendu de cette conférence dans la Gazette Nucléaire N°78/79 de juin 1987). Il est publié avec les textes des autres participants à cette conférence dans le livre: «Radiation and Health, The Biological Effects of Low Level Exposure to Ionizing Radiation», édité par Robin Russell Jones (président des Amis de la Terre anglais) et Richard Southwood (président de la National Radiological Protection Board), aux éditions John Wiley and sons, Londres. fin p.3
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(Traduction) Les données les plus récentes de l'étude appuient les conclusions suivantes: (a) La relation dose-réponse est compatible avec une ligne droite passant par l'origine, même pour le groupe des doses les plus faibles (environ 3 rad); (b) La sensibilité à l'induction de cancers varie considérablement suivant les tissus irradiés; (c) La plupart des cancers montrent un effet du rayonnement encore croissant 40 ans après l'irradiation; (d) A Hiroshima on constate encore un petit excès de leucémie parmi ceux qui ont été irradiés; (e) L'excès de cancers de la thyroide est actuellement en régression; (f) L'effet du tabac s'ajoute à celui du rayonnement pour l'incidence des cancers du poumon; (g) Certaines tumeurs bénignes sont corrélées au rayonnement; (h) Les enfants qui avaient moins de 10 ans au moment des bombardements présentent actuellement pour les cancers le risque relatif le plus fort, comparés aux autres survivants pour des âges identiques. Si ce dernier effet persistait, il serait nécessaire d'introduire des coefficients spécifiques de l'âge pour le risque cancérigène. Pour les jeunes enfants irradiés, il pourrait être assez élevé. L'étude sur les survivants des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki se poursuit depuis 40 ans, c'est l'étude la plus vaste jamais entreprise en épidémiologie humaine. Pour définir les effets des faibles doses de rayonnement, l'étude des survivants des bombes A est particulièrement importante, car elle concerne un groupe de personnes de tous âges et des deux sexes qui étaient raisonnablement en bonne santé avant l'irradiation. Parmi les survivants identifiés en 1950 et qui ont été inclus dans la population étudiée, la dose moyenne aux tissus pour ceux qui ont été exposés à 1 rad ou plus, est environ 20 rad. Ainsi beaucoup de résultats sont spécialement utilisables pour les effets des faibles doses de rayonnement, contrairement à l'opinion habituelle que les résultats issus de l'étude sur les survivants des bombes A concernent essentiellement les fortes doses. Jusqu'à récemment, on pensait que le type d'irradiation était significativement différent pour les deux villes. A Hiroshima, la bombe à uranium 235 était supposée avoir produit une plus forte proportion de neutrons rapides au point d'impact que la bombe de Nagasaki au plutonium 239. Les réestimations les plus récentes de la dosimétrie[1, 2] ont cependant indiqué que la répartition des neutrons rapides en fonction de la distance au point d'impact était sensiblement la même pour les deux villes. Les doses de rayonnement g dans l'air continuent à être sensiblement plus fortes à Nagasaki qu'à Hiroshima pour des distances équivalentes. Les neutrons sont maintenant en trop faibles quantités dans les deux villes pour fournir des bases sûres pour attribuer les différences observées pour les deux villes à la qualité des irradiations. (suite)
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suite:
De plus, le blindage pour les rayons g que constituaient les maisons et les autres bâtiments où la plupart des survivants se trouvaient au moment de l'irradiation avait été initialement sous-estimé. Le nouveau système de dosimétrie conduit à une réduction des doses (d'environ un facteur 2) par suite de la réduction de la dose neutron et l'augmentation du blindage pour les rayons g. Avec cette nouvelle dosimétrie, la relation dose/réponse pour les cancers induits par le rayonnement est très voisine pour les deux villes (à environ 3% près). Ainsi les résultats des deux villes peuvent être combinés, ce qui conduit à une amélioration statistique de l'estimation du risque cancérigène. La population étudiée par la Radiation Effects Research Foundation (RERF, Fondation pour la recherche sur les effets du rayonnement) pour évaluer les effets à long terme des rayonnements ionisants, est l'échantillon de la «Life Span Study», dite LSS (étude qui s'étend sur toute la durée de vie de tous les individus de la cohorte). Le suivi de cet échantillon commença en octobre 1950. L'échantillon LSS comprend des personnes qui vivaient à Hiroshima ou Nagasaki au moment du recensement des survivants des bombes A effectué par le gouvernement japonais en 1950. Tel qu'il a été défini à l'origine, l'échantillon comprenait: (1) La plupart des personnes vivant à ce moment et qui, à l'instant du bombardement de l'une ou l'autre ville, étaient à moins de 2.500 mètres de l'impact; (2) Un échantillon de personnes qui étaient entre 2.500 et 10.000 mètres de l'impact à l'instant du bombardement; (3) Et un échantillon de personnes qui n'étaient pas en ville ou qui étaient au-delà de 10.000 mètres. Les deux derniers échantillons furent obtenus en les appariant par sexe et âge avec un groupe de survivants qui étaient à moins de 2.000 mètre d'impact dans chaque ville. L'échantillon d'origine a été étendu récemment en 1982 en y adjoignant environ 11.400 résidents de Nagasaki faiblement irradiés (2.500 à 10.000 mètres) pour lesquels les données complètes du suivi étaient disponibles. Telle qu'elle est habituellement définie et en excluant ceux qui n'étaient pas dans les villes au moment des bombardements, la population totale étudiée comprend actuellement 93.614 personnes (61.911 pour Hiroshima et 31.703 pour Nagasaki). Environ un tiers de ces personnes sont mortes entre 1950 et 1982. L'analyse des données utilise ceux qui étaient à 3.000 mètres au-delà des points d'impact (donc ceux dont les doses étaient inférieures à 0,5 rad) comme groupe de contrôle (population non exposée). Un sous-ensemble important de l'étude LSS est constitué par la population de l'étude sur la santé des adultes (cette étude est dite AHS: Adult Health Study) pour laquelle il a été effectué d'une façon extensive et continue depuis 1958 des évaluations cliniques. Ce groupe a été sélectionné pour y inclure une grande proportion d'individus fortement irradiés et un échantillon aléatoire de survivants ayant reçu des doses plus faibles. En 1958 un total de 19.962 personnes furent sélectionnées parmi l'ensemble complet tel qu'il était alors défini. Parmi elles, 16.738 ont été examinées au moins une fois avant la fin de 1978. En 1977 un groupe de 2.436 personnes a été ajouté au sous-groupe AHS initial et plus de 60% d'entre elles ont été examinées une fois dans les quatre ans qui suivirent. Toutes les personnes du sous-groupe AHS qui vivaient dans les deux villes ou dans leur voisinage ont été incitées à venir tous les deux ans faire évaluer d'une façon détaillée l'état de leur santé, ce qui incluait une histoire médicale, un examen, des mesures en laboratoire et des études cliniques spéciales si cela était nécessaire. Cette population a été utile pour détecter les effets du rayonnement sur la fréquence des tumeurs bénignes en fonction des doses reçues. p.4
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Les données de mortalité pour le groupe
LSS ont été obtenues par des vérifications périodiques
du système japonais des bureaux locaux d'enregistrement familial
(Honseki). Ces bureaux archivent des événements de la vie
familiale tels que naissances, mariages, morts, etc. et chaque dossier
des membres vivants du groupe étudié (Koseki) est examiné
périodiquement pour déterminer sa situation. Chaque fois
qu'on trouve le dossier d'une personne décédée, on
obtient la date et la cause de la mort à partir des statistiques
de mortalité au Centre Sanitaire du lieu du décès:
la cause de la mort signalée par ces centres est obtenue à
partir des certificats de décès. Par suite de la nature complète
du système Koseki, la vérification des décès
est considérée comme pratiquement totale pour tous les sujets
résidant au Japon. Les risques liés à l'utilisation
des certificats de décès pour l'établissements des
causes primaires de mort sont bien connus. Une comparaison entre les causes
de mort rapportées par les certificats de décès et
les diagnostics obtenus par autopsie[3] a révélé
que les taux de confirmation et de détection varient considérablement
suivant le type de cancer. La précision des certificats de décès
de la population LSS s'est avérée bonne pour les néoplasmes
de certains organes tels que les seins et l'estomac et pour la leucémie.
Mais pour les autres, tels que les poumons, les voies urinaires, le foie
et le système biliaire, le pancréas et la prostate, les données
issues de certificats de décès sous-estiment considérablement
la présence de cancers[4]. Cette sous-estimation conduit
à une sous-estimation équivalente des risques associés
à l'irradiation.
L'information sur l'incidence des cancers peut être obtenue à partir des registres des tumeurs établis dans les deux villes par les sociétés médicales locales depuis la fin des années 50. Jusqu'à présent, l'enregistrement des cas sur les registres des tumeurs est considéré comme bon pour les deux villes. Les registres ne tiennent compte que des cas relatifs aux personnes qui résident dans les villes au moment des diagnostics. Il y a donc un enregistrement incomplet des cas relatifs à la population de l'étude LSS des survivants à cause des migrations hors des villes, ce qui pose un problème, en particulier pour ceux qui étaient jeunes au moment des bombardements. Les données provenant de la population échantillonnée pour l'étude de la santé des adultes (AHS) indiquent que, depuis 1958, le nombre des départs a été faible (quelques pour cent seulement). Cependant, avant cette date, environ 10% de tous ceux qui vivaient en ville étaient partis, 20% du groupe des jeunes pourraient avoir quitté les villes avant 1958. Tokunaga et al.[5] ont mis en évidence que parmi les femmes AHS, les taux de migration étaient indépendants des doses. Comme la plupart de ceux qui sont partis se sont installés dans les grandes villes de Honshu et Kyushu. Il serait possible de les retrouver sur les registres de ces villes afin de porter l'identification des incidences de cancers à près de 100%. (suite)
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suite:
Les données relatives à l'incidence des cancers ont l'avantage d'être introduites dans l'étude au moment des diagnostics, souvent plusieurs années avant que l'issue fatale soit trouvée dans les archives des certificats de décès. Non seulement il peut y avoir un retard substantiel entre le diagnostic et la mort, mais parfois il peut s'écouler jusqu'à deux ans entre le moment de l'enregistrement du certificat de décès et celui où il est détecté dans le système Koseki. Le délai de l'identification des certificats de décès est particulièrement important car les cas de cancers dans l'étude LSS s'accumulent rapidement et les preuves d'un effet du rayonnement lié aux doses augmentent. Un autre facteur important de l'utilisation des registres des tumeurs est le fait que les cas sont enregistrés indépendamment de l'issue. Ainsi l'information concernant les cancers non fatals et certains types de tumeurs bénignes peut être obtenue à partir des registres. Ceci est particulièrement important pour les cancers de la thyroïde et des seins qui sont radiosensibles, mais peu fréquemment fatals. La radiosensibilité des cancers de la prostate est incertaine, car l'identification des cancers de la prostate à partir des certificats de décès est mauvaise au Japon. Les données provenant des registres des tumeurs fournissent une meilleure identification, elles indiquent un effet lié à la dose[6]. Finalement, on doit souligner que l'utilisation des incidences de cancer comme base pour définir les risques cancérigènes donne une indication sur les effets du rayonnement qui est généralement plus significative en terme de coût social que simplement la mortalité par cancers seule. Les cas d'incidence ne sont pas encore complètement analysés pour la période qui s'étend jusqu'en 1982. C'est pourquoi la préoccupation principale de ce rapport portera sur l'évaluation de la mortalité. De nombreux paramètres domestiques ou environnementaux, tels que l'usage du tabac, le régime alimentaire, la situation socio-économique, l'histoire des maternités, la profession et bien d'autres détails, ont été collectés par une série d'entretiens et par correspondance pour des sous-groupes importants de la population LSS à divers moments entre 1963 et 1981. Ces données ont été utiles pour tenir compte des facteurs autres que l'irradiation par les bombes A, qui pourraient affecter les risques cancérigènes. Un important facteur potentiel de confusion est l'irradiation médicale par rayons X. L'évaluation de cette source additionnelle de rayonnement pourrait être importante pour les analyses futures des données, en particulier pour les sujets qui ont été soumis à une radiothérapie pour des traitements relatifs à des maladies non malignes. Une étude faite dans les hôpitaux dans la région d'Hiroshima et sur la population AHS indique que l'irradiation cumulée moyenne de la moelle osseuse et des gonades depuis 1945 a été inférieure à 2 rad pour les diagnostics par rayons X[7]. En ce qui concerne la radiothérapie, des doses locales supérieures à 1.000 rad ont été reçues par environ 2.000 personnes de la cohorte LSS des survivants[8]. Environ 65% de cette radiothérapie a été effectuée pour des cancers, ainsi pour ce groupe l'intérêt principal est la possibilité de nouvelles tumeurs malignes primaires liées à la radiothérapie. p.5
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Résultats récents
Une analyse préliminaire des données de mortalité jusqu'en 1982 a été faite en utilisant les estimations les plus récentes de la dosimétrie révisée valable en 1986. La figure 1 montre la courbe de la dépendance avec la dose pour tous les néoplasmes malins autres que la leucémie, pour la période 1955-1982, pour les deux villes combinées. Le risque relatif par rapport au groupe à dose nulle est portée sur le graphique en fonction de la dose moyenne des tissus. Pour calculer les doses, un facteur de qualité de 10 a été pris pour les neutrons et les doses tissus ont été calculées en supposant une valeur constante 0,7 pour la transmission des tissus[9]. Le groupement des cas par catégories suivant les niveaux de dose fait sur la base de l'ancienne dosimétrie a été corrigé à chaque niveau pour tenir compte des nouveaux changements, mais il y aura quelques modifications individuelles à faire par suite de la nouvelle dosimétrie. Les résultats pourraient donc être modifiés par une analyse ultérieure. La période 1950-1954 a été exclue, car pour les cancers autres que la leucémie, les personnes, pendant les 5 à 10 ans qui suivent l'irradiation, ont des risques faibles de radio-induction de cancers par suite de la période de latence minimum nécessaire pour le développement des tumeurs solides. Un certain nombre de points peuvent être tirés de la figure 1. Tout d'abord pour les 4 groupes de doses les plus faibles, la relation est très proche d'une ligne droite passant par le point à 3 rem. Pour les doses plus fortes, il y a des indications montrant que certaines personnes peuvent avoir été mal classées en ce qui concerne les doses; il y a des gens pour lesquels le blindage constitué par les bâtiments ou les matériaux peut avoir été déterminant pour leur survie, et pour qui l'estimation de l'effet du blindage est moins précise. Si on utilise une équation de la forme E = aD + bD2 pour représenter les résultats, où E est l'excès relatif des cancers, D la dose et a et b deux constantes, on trouve que le coefficient b est négatif. En d'autres termes, la meilleure représentation de l'équation est une courbe dont la concavité est tournée vers le bas. Ceci implique que l'effet par unité de dose est plus fort aux faibles doses qu'aux doses élevées. Les deux points aux doses les plus faibles, 3 et 16 rem, correspondent à 2.606 cas parmi les 3.383 observés, c'est-à-dire 77% de tous les décès par cancers observés parmi tous les groupes ayant reçu des doses supérieures ou égales à 1 rem. De plus, ces groupes qui correspondent à des positions, lors des explosions, plus éloignées de l'impact des bombes, ont une dosimétrie plus fiable, car elle est moins sensible aux erreurs de position ou de blindage que celle des groupes exposés à des doses plus élevées. En 1982, le groupe des doses les plus faibles présente un risque relatif supplémentaire de cancers de 3,26% pour une dose moyenne aux tissus d'environ 3 rem. Ceci correspond à une dose de doublement pour tous les cancers à l'exception de la leucémie (dose nécessaire pour doubler la mortalité par cancer) de 92 rem. Pour le second groupe, le risque relatif supplémentaire est 9,14% pour une dose moyenne d'environ 16 rem, soit une dose de doublement de 175 rem environ. Si nous groupons les données de ces deux points, la dose moyenne (pondérée) est de 7,4 rem et la dose de doublement est de 138 rem. En regroupant les résultats pour les 5 groupes restant aux fortes doses, la dose moyenne pondérée est de 94 rem (777 morts par cancers observées), la dose de doublement est d'environ 315 rem. (suite) |
suite:
Figure 1: Mortalité par cancers dans la population
LSS en fonction de la dose moyenne aux tissus en rem pour tous les cancers,
sauf la leucémie. Les données correspondant à la période
1955-1982, pour les deux villes et les deux sexes combinés et l'ensemble
de tous les âges.
Le fait que la dose de doublement soit
plus faible aux doses les plus petites est l'expression de la courbure
vers le bas de la représentation graphique des données.
p.6
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Figure 2: Morts par leucémie dans la population LSS en fonction de la dose moyenne aux tissus en rem. Les données correspondent à la période 1950-1982 pour les deux villes et les deux sexes combinés et l'ensemble de tous les âges. Les ordonnées et les abscisses sont identiques à celles de la figure 1. La ligne pleine a été tracée à l'œil pour représenter au mieux les données. La figure 2 montre la courbe pour les
morts par leucémie pour la période comprise entre 1950 et
1982. Il y a seulement 158 morts répartis parmi les sept groupes
suivant les doses, ainsi la fiabilité statistique de chaque point
est beaucoup moins bonne que pour les points de la figure 1. Néanmoins
la courbe indique une relation curvilinéaire assez différente
de celle trouvée à la figure 1. Les doses faibles sont moins
efficaces par unité de dose que les fortes doses. Il faut remarquer
cependant que les risques relatifs indiqués pour les ordonnées
de la figure 2 sont très élevés. Si on trace une ligne
droite pour les 4 points correspondant aux doses les plus faibles et l'origine,
on trouve une dose de doublement de 35 rem pour tous les groupes d'âges
combinés.
(suite)
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suite:
L'excès de risque relatif par rem pour tous les cancers, leucémie exceptée, est environ 2 fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Cette différence est largement due au fait que les femmes, en comparaison avec les hommes, présentent naturellement des taux de mortalité par cancers plus faibles pour les diverses classes d'âge. En valeur absolue, il y a peu de différence suivant le sexe pour les excès de mortalité par cancer par rem, bien qu'il y en ait une lorsqu'on fait l'analyse des incidences par suite des cancers du sein et de la thyroïde (cancers qui ont un fort taux de survie) chez les femmes. Pour la leucémie, il n'y a pas de différence suivant le sexe pour le risque relatif par rem, mais en valeur absolue, le risque est environ deux fois plus élevé pour les hommes. Un résultat important du suivi continu de cette population concerne l'effet de l'âge au moment de l'irradiation sur le risque cancérigène. Les survivants qui avaient moins de 10 ans au moment des bombardements atteignent maintenant des âges où les cancers apparaissent plus fréquemment et il est ainsi possible de commencer à déterminer l'excès de risque à un âge donné par rapport à ceux qui étaient plus vieux au moment des bombardements. Quand on procède ainsi, il est évident que l'excès de risque relatif est généralement plus élevé d'une façon significative pour ceux qui ont été irradiés pendant leur jeune âge. Pour 1982, l'excès de risque relatif par rem pour les enfants qui avaient moins de 10 ans au moment des bombardements est environ 8 fois plus élevé pour tous les cancers, leucémie exceptée, que pour ceux qui avaient plus de 35 ans au moment des bombardements. Il est possible que cette différence suivant l'âge pendant l'irradiation diminue quand les taux de cancer augmentent aux âges avancés, mais si l'on trouvait que ce plus fort excès du risque relatif parmi ce groupe persistait durant toute leur vie, il apparaîtrait que les enfant ont un risque spécial de développer des cancers radio-induits. Pour la leucémie, pour laquelle l'excès de risque relatif est maintenant à peu près défini pour tous les groupes d'âges, celui-ci est 4 fois plus élevé pour ceux qui avaient moins de 10 ans pendant les bombardements que pour ceux qui avaient plus de 35 ans. En réunissant tous les sous-groupes par dose en un seul groupe, on trouve que la dose de doublement pour la leucémie est d'environ 4 rem pour les enfants irradiés avant l'âge de 10 ans. Un effet similaire de l'âge lors de l'irradiation a été mis en évidence pour l'incidence des cancers du sein chez les femmes irradiées avant l'âge de 10 ans[5]. p.7
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En ce qui concerne les facteurs
additionnels personnels ou dus à l'environnement, qui pourraient
interagir avec le risque cancérigène du rayonnement (on s'attend
à ce que la contribution des facteurs répartis au hasard
réduise l'effet apparent du rayonnement), il n'a pas été
trouvé, pour la plupart d'entre eux, qu'ils modifient d'une façon
significative les effets du rayonnement. Dans le cas de la consommation
de cigarettes et du cancer des poumons, une évaluation par cas et
contrôles des poumons a montré que les effets du tabac et
du rayonnement s'ajoutaient à peu près. Ainsi, pour les femmes,
dont la plupart ne fument pas, l'excès en valeur absolue des cancers
du poumon lié à l'irradiation était environ le même
que pour les hommes qui, pour la plupart, étaient des fumeurs. Les
femmes non exposées au rayonnement ont un taux de cancer du poumon
faible, ainsi l'excès en valeur relative dû au risque du rayonnement
est beaucoup plus élevé que pour les hommes dont les taux
de cancer du poumon sont élevés à cause de l'usage
du tabac parmi ceux qui ont été irradiés.
Les analyses de mortalité ne détectent pas correctement les tumeurs bénignes parce qu'elles ne sont généralement pas enregistrées comme cause primaire de décès. Il a été possible de déterminer les tumeurs bénignes dans l'échantillon de population AHS examiné tous les deux ans dans la clinique de la Fondation (RERF). Les tumeurs bénignes qui montrent une corrélation avec les doses de rayonnement reçues par cette population comprennent les polypes gastriques, les fibromes utérins et les maladies non malignes de la thyroïde[10]. La possibilité d'une relation entre ces tumeurs bénignes et le développement ultérieur d'un cancer sur ces sites est intéressante à considérer. En résumé, le suivi des survivants des bombes A continue à apporter d'importants résultats. Les données nouvelles indiquent que le risque par rem pour les cancers induits par le rayonnement est plus élevé que ce que l'on pensait auparavant pour les raisons suivantes: (a) La nouvelle évaluation des irradiations montre que les doses avaient été initialement surestimées, ainsi il est évident maintenant que les cancers en excès ont été produits par des doses de rayonnement plus faibles que celles que l'on pensait; (b) Pour la plupart des cancers, l'excès du risque relatif continue à augmenter avec le temps; (c) Ceux qui ont été irradiés dans leur jeune âge montrent un risque relatif de cancers par rem plus élevé que ceux qui étaient plus âgés au moment de l'irradiation quand on fait la comparaison pour les mêmes âges atteints. La relation linéaire entre la dose et l'excès de cancers se vérifie bien pour tous les cancers, sauf la leucémie. Les résultats suggèrent qu'aux faibles doses le risque relatif pour tous les cancers, y compris la leucémie, s'accroît environ de 0,75% par rem, ce qui est équivalent à une dose de doublement de 133 rem. Il est probable que ce coefficient de risque relatif sera trouvé dépendant de l'âge au moment de l'irradiation avec un excès du risque de cancer de 2% pour ceux qui ont été irradiés avant l'âge de 10 ans. En se fondant sur ces résultats et sur le taux normal des cancers spontanés au Japon (environ 60% du taux trouvé dans les pays occidentaux), le risque absolu pour la durée totale de la vie est au moins égal à un cancer (incident) pour 1.000 personnes exposées à tous âges à 1 rem, et substantiellement plus élevé pour les enfants irradiés. (suite)
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suite:
Remerciements Une partie de la section sur les méthodes a été prise dans «Methods for study of delayed health effects of A-Bomb radiation» (Méthodes pour l'étude des effets retardés sur la santé produits par le rayonnement des bombes A) par E.P. Radford, D. Preston et K.J. Kopecky, GANN Monograph on Cancer Research 32: 75-87, 1986. Je dois aux docteurs Dale Preston et Kenneth J. Kopecky les données non publiées sur lesquelles ce papier est fondé. Les déclarations et les conclusions dans ce texte sont celles de l'auteur seul et ne sont pas représentatives d'une organisation quelconque. Bibliography
p.8
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Commentaires Gazette
L'article d'Edward Radford appelle quelques commentaires. L'évaluation du facteur de risque cancérigène qu'il présente dans cet article ne conduit pas seulement à une augmentation du facteur de risque mais elle contredit certains concepts qui sont à la base du système officiel de radioprotection: 1. Les résultats ne présentent aucun indice de seuil pour les tumeurs solides. Le modèle linéaire n'est plus une hypothèse majorante du risque comme le prétendaient jusqu'à présent les responsables en radioprotection mais une représentation correcte des effets du rayonnement. Un minimum d'honnêteté voudrait donc que ces «responsables» abandonnent dans leurs interventions médiatiques le modèle bien rassurant du seuil. 2. Aux faibles doses, il y a des indications assez nettes que l'effet par unité de dose est renforcé et que le modèle en racine carrée de la dose semble mieux représenter les phénomènes. Dans ces conditions le modèle linéaire sous-estimerait notablement les effets aux faibles doses. 3. Jusqu'à présent les modèles utilisés officiellement étaient fondés sur le concept de risque absolu. Cela signifiait que l'effet cancérigène dépendait essentiellement de la dose reçue et non des groupes de population considérés. Ceci permettait officiellement d'établir un système de radioprotection moyen valable pour tous. Le modèle le plus adéquat semble maintenant être un modèle dit de risque relatif: l'effet cancérigène dépend aussi des groupes de population considérée. En toute rigueur, pour assurer une protection identique à tous, il faudrait diversifier les normes de radioprotection. En particulier, les normes de contamination radioactive maximum pour les aliments devraient être plus faibles pour les enfants car ceux-ci représentent un groupe à fort risque. Certains pays comme l'Angleterre et l'Allemagne ont introduit cette nécessité dans leur système de radioprotection. La France, conseillée par le Professeur Pellerin bien connu de la population depuis avril 1986, refuse de faire le moindre pas dans ce sens. 4. Jusqu'à présent, il n'était pris en compte pour évaluer le détriment dû au rayonnement que des effets de mortalité par cancer. Les effets sur la morbidité (les maladies non mortelles) sont bien plus importants que ce qui était affirmé auparavant. Il est donc nécessaire d'en tenir compte pour établir le facteur de risque de rayonnement. 5. Edward Radford augmente l'estimation de l'incidence des cancers radio-induits d'un facteur 8. Cela représente une augmentation d'environ un facteur 4 par rapport à l'évaluation officielle du risque de cancer mortel par rayonnement. Depuis 1977, le facteur de risque officiellement admis, fondé sur le suivi des survivants japonais, était en contradiction avec les études faites sur les travailleurs de Hanford de l'industrie nucléaire (voir la fiche 34 du GSIEN) qui conduisaient à un facteur 10 fois plus fort. L'écart entre les 2 études se réduit. Le facteur 2,5 qui demeure est plus petit si l'on tient compte d'un renforcement des effets aux faibles doses que les derniers résultats sur les survivants japonais met en évidence. D'autre part, l'évaluation de Radford est provisoire dans la mesure où tous les cancers radio-induits à Hiroshima et Nagasaki ne se sont pas encore exprimés car l'excès de mortalité par cancers continue encore à croître actuellement. En conclusion
(suite)
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suite:
La dernière session de la Commission
Internationale de Protection Radiologique s'est tenue à Côme
en septembre dernier. La CIPR escompte terminer l'élaboration de
ses nouvelles Recommandations en 1990.
Pour un réexamen du système
de radioprotection
Les critères
p.9
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Le facteur de risque
1. De nombreuses études montrent que l'effet du rayonnement est très variable selon les individus. Il dépend notamment du sexe, de l'état de santé, de l'âge, etc... Nous demandons que la radioprotection soit établie à partir des individus les plus sensibles. 2. Jusqu'à présent, la CIPR n'a tenu compte que de la mortalité pour calculer le détriment. Ceci est inacceptable car l'incidence d'un cancer non fatal fait partie du détriment et en est une composante non négligeable; 3. Le facteur de risque cancérigène (nombre de morts par cancers radioinduits par unité de dose) est essentiellement basé sur l'étude des survivants japonais des bombes A: - cette étude a fait l'objet depuis très longtemps de critiques importantes quant à la «normalité» des survivants par rapport à des populations n'ayant pas subi de catastrophe, critiques dont la CIPR n'a jamais tenu compte. Nous demandons qu'elle les prenne en considération. - au début des années 80, cette étude s'est avérée complètement fausse en ce qui concerne la dosimétrie. Nous nous étonnons de la légèreté avec laquelle la radioprotection mondiale a pu être fondée sur des calculs faux. 4. La relation linéaire effet/dose était présentée jusqu'à présent comme extrêmement prudente, ce qui justifiait certaines pratiques utilisant en fait des modèles à seuil. Les dernières études sur les survivants japonais avec la nouvelle dosimétrie réévaluée récemment montrent que le modèle linéaire est justifié. De plus, le risque aux faibles doses est plus élevé qu'aux fortes doses. Le risque dépend très fortement de l'âge et l'évaluation de ce risque donne déjà des valeurs beaucoup plus élevées que le facteur de risque de la CIPR. Or les effets cancérigènes dûs aux bombes A n'ont pas fini de s'exprimer et leur expression complète augmentera encore le risque. 5. Il est impératif de tenir compte des études effectuées sur les travailleurs de l'énergie nucléaire pour lesquels les biais possibles sont beaucoup moins importants que pour l'étude des survivants japonais. En particulier nous demandons que soient prises en considération les études sur les travailleurs de l'usine de Hanford (USA) dont certaines conduisent à un facteur de risque de cancer mortel radioinduit au moins 10 fois supérieur à celui de la CIPR 26 et indiquent que le modèle linéaire sousestimerait le risque aux faibles doses. (suite)
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6. Des études récentes ont mis en évidence l'effet cancérigène du rayonnement naturel aussi bien pour les adultes que pour les enfants. En particulier la quasi totalité des cancers juvéniles pourrait être due à l'exposition in utero correspondant à un facteur de risque beaucoup plus élevé que celui de la CIPR 26. 7. En ce qui concerne la contamination interne, des études récentes sur le Plutonium ont montré une sousestimation notable du risque, ce qui conduit à une Concentration maximale Admissible beaucoup trop élevée. L'expérience post-Tchernobyl a montré le peu de consistance des informations concernant les effets de la contamination interne. C'est pourquoi il est nécessaire d'être extrêmement prudent pour l'établissement des normes de concentration maximale admissible. Ceci est particulièrement important pour les foetus et les jeunes enfants. 8. Quant aux effets génétiques, il convient d'être très prudent dans l'estimation d'effets qui ne se manifesteront que dans les générations futures compte tenu de la quasi absence de données humaines. Une exigence scientifique
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Conclusion
Nous demandons que le système de radioprotection soit refondu complètement pour tenir compte de toutes les études sur les faibles doses. Le GSIEN s'associe pleinement aux campagnes ayant pour but une réduction importante et immédiate des Doses Maximales Admissibles, tant pour les travailleurs (nous demandons une réduction d'un facteur 10 de 5 rem à 0,5 rem (5 mSv) que pour le public (nous demandons une réduction d'un facteur 25 de 500 mrem à 20 mrem soit 200 µSv par an). GSIEN, Paris le 25 août 1987
Nous demandons aux scientifiques de signer nombreux
ce texte en indiquant nom, adresse, qualité, discipline. Il s'agit
non seulement d'inciter à la réflexion des membres de la
CIPR mais également d'indiquer qu'en France, malgré le silence
ayant tenu lieu de débat sur le problème fondamental dit
«des faibles doses» et qui conditionne l'acceptabilité
du nucléaire, de plus en plus de scientifiques se défient
et se démarquent des positions officielles (à envoyer à
B. Belbéoch, 5, bd Henri IV, 75004 Paris).
Déclaration* à la réunion
de la CIPR
Nous, soussignés, sommes concernés
par l'évaluation actuelle des risques dûs à l'exposition
des êtres humains aux rayonnements ionisants.
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5) Le risque d'induction de cancer des gonades devrait être inclus dans le concept d'équivalent de dose efficace** mais les risques génétiques devraient être considérés à part. Des données contenues dans les rapports de l'UNSCEAR et de BEIR III suggèrent que le risque génétique pour toutes les générations serait de 5 à 10 fois plus grand que celui donné par la CIPR 26. Le facteur de pondération utilisé couramment pour les gonades ignore le risque de cancer et sous-estime le risque génétique. 6) Il y a des raisons particulières d'être préoccupés par le risque des foetus soumis à une exposition aux rayonnements ionisants. Il est maintenant reconnu qu'à l'exposition pendant la grossesse en particulier entre la 8e et la 15e semaine sont associés des retards mentaux chez l'enfant et que cet effet est sans seuil. De plus certaines études sur les effets de radiodiagnostics pendant la grossesse indiquent que la dose de doublement pour induire des cancers chez les enfants serait inférieure à 10 mSv (1 rem). Bien que les études épidémiologiques ne soient pas toutes en accord, il est clair que les Recommandations devraient se placer du côté de la prudence. Nous pensons que les Recommandations relatives aux travailleuses susceptibles d'être exposées au rayonnement et qui sont en âge de procréer ou pour lesquelles une grossesse a été diagnostiquée sont insuffisantes. 7) L'incertitude concernant la sensibilité du foetus au rayonnement justifie une réduction immédiate des limites de doses du public à 200 µSv par an (20 mrem). 8) Des excès de leucémie ont été trouvés chez les enfants autour de 2 centres de retraitement de GrandeBretagne, Sellafield et Dounreay. Les 2 centres rejettent des quantités significatives d'émetteurs a à longue période comme le plutonium et l'américium. Il est très possible que les modèles habituels sous-estiment les effets biologiques de ces actinides dans la genèse des leucémies, particulièrement durant la vie foetale car le tissu-cible de l'induction de la leucémie chez le foetus n'est pas connu. En conséquence, une attention particulière devrait être apportée afin de protéger le public de tels actinides. Les rejets de produits radioactifs, et partant des doses au public devraient être limités par le principe ALATA (as low as technically achievable: aussi bas qu'il est techniquement possible de le réaliser) plutôt que par le principe ALARA (as low as reasonably achievable: aussi faible qu'il est raisonnablement possible de le faire). 9) Le principe ALARA n'a pas été efficace pour réduire les expositions des travailleurs les plus exposés. ALARA devrait être remplacé par un système donnant une priorité plus grande à la radioprotection et protégeant ceux à plus haut risque. 10) La CIPR a fréquemment été critiquée comme non représentative du public et des travailleurs qu'elle est censée protéger. Si des jugements de valeur doivent être faits par la CIPR, celle-ci devrait pour le moins inclure des représentants des travailleurs et du public. p.11
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Le texte publié par la
CIPR à l'issue de sa réunion de Côme ne modifie pas
beaucoup les règles de radioprotection. La Commission reconnaît
que la nouvelle estimation du facteur de risque cancérigène
conduit à doubler l'ancienne valeur adoptée. Cependant, elle
maintient la dose maximale admissible pour les travailleurs à 5
rem annuels. Elle invoque le fait que les résultats trouvés
ne leur seraient pas applicables; jusqu'à maintenant c'est parce
qu'ils leur étaient applicables que la CIPR fixait la dose maximale
admissible à 5 rem/an. La CIPR triche, elle modifie les règles
du jeu lorsque les cartes sont distribuées!
En ce qui concerne les populations, la CIPR ne désire pas modifier ses recommandations avant 1990. Elle fait cependant remarquer qu'en 1985 elle avait modifié la dose maximale admissible pour la population de 5 mSv (500 millirem) à 1 mSv (100 millirem). Il faut signaler que ce changement n'avait donné lieu à aucune publicité de la part des responsables de la Santé publique, et que dans les faits la limite de 5 mSv /an était toujours considérée comme la recommandation de la Commission. Dans les textes de la CIPR de 1985, la modification recommandée est introduite d'une façon tellement alambiquée qu'en fait elle ne change rien. Voici comment elle s'exprimait en 1985 dans sa Déclaration de Paris: «Le point de vue de la Commission est désormais que la principale limite est celle de 1 mSv par an (pour les membres du public). Cependant il est ("permissible") admissible d'utiliser une dose limite subsidiaire de 5 mSv par an pendant quelques années à condition que la dose équivalente annuelle efficace moyennée sur une vie ne dépasse pas la limite principale de 1 mSv par an (les limites d'équivalent de dose s'appliquent à la somme de l'équivalent de dose efficace résultant de l'irradiation externe pendant 1 an et à l'équivalent de dose effectif engagé résultant de l'incorporation de radionucléides durant cette année)». En clair la recommandation se résume à: la limite est fixée à 1 mSv (100 mrem) mais dans la pratique vous pouvez aller jusqu'à 5 mSv (500 mrem) sans aucun inconvénient. Encore une remarque sur la recommandation de 1985: les limites annuelles d'incorporation des radionucléides (d'où découlent les limites dérivées telles que les concentrations maximales admissibles dans l'air ou l'eau) sont fondées sur la dose maximale admissible. Après 1985 il n'y a eu aucune modification des LAI qui continuent donc à admettre une dose maximale admissible de 5 mSv (500 mrem) pour la population. En particulier les Directives du Conseil des Communautés Européennes du 12 juillet 1980 et du 3 septembre 1984 n'ont pas été modifiées pour suivre les recommandations de 1985 de la CIPR. Ce sont ces Directives qui servent de base pour l'établissement des limites de contamination radioactive des aliments. Conséquence logique: quelles que soient les conclusions des experts chargés d'établir ces normes de contamination, les valeurs qui seront proposées ou adoptées doivent être divisées par 5 a priori sans que cela modifie les raisons invoquées par ces experts pour justifier les limites qu'ils proposent. La CIPR à Côme reconnaît comme établi le fait «que les effets de toute dose peuvent causer un accroissement constant et proportionnel du taux normal de cancer à tous âges (après une «latence» initiale de 5 à 10 ans)». Ainsi la CIPR reconnaît la validité du modèle linéaire sans seuil pour représenter les effets cancérigènes du rayonnement, du moins pour certains cancers (seins, poumons, intestins). Elle rejette le modèle linéaire pour la leucémie et le cancer des os. Pour les autres cancers, elle demeure dans l'expectative. Une phrase du texte de la CIPR montre bien avec quelle lenteur prudente cette Commission envisage de modifier ses recommandations afin que la protection des gens soit mieux assurée à partir des nouvelles études scientifiques: «Puisque les données sur le risque sont loin d'être concIuantes, la Commission attendra le résultat des évaluations complètes et détaillées de ses sources d'information épidémiologique, avant de juger les conséquences pour la révision de son système de limitation de dose». (suite)
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En admettant plus loin que les doses maximales reçues seront inférieures aux doses limites grâce à l'application du principe ALARA (as low as reasonably achievable: aussi faible qu'il est raisonnablement possible de réaliser), elle reconnaît implicitement que les doses maximales admissibles qu'elle recommande sont trop élevées. La Commission par ailleurs ne semble pas avoir fait le bilan sur l'application de ce principe ALARA dont tous les exploitants nucléaires se moquent. Pour la première fois en séance plénière, la CIPR introduit une nouveauté dans ses préoccupations. Il s'agit du «Risque de retard mental», provoqué par l'irradiation in utero durant la période comprise entre la 8e et la 15e semaine après la fécondation. La CIPR déclare que cet effet est sans seuil pour les doses. (Remarquons que E. Sternglass insistait sur cet effet depuis très longtemps dans l'indifférence et les sarcasmes des responsables officiels). Un chapitre spécial est consacré à l'effet cancérigène de l'exposition de la population au radon à l'intérieur des habitations. Cependant cette nouvelle inquiétude vis-à-vis du radon n'a pas conduit la Commission à renforcer ses recommandations concernant les limites admissibles de concentration en radon dans les mines d'uranium afin de réduire les excès de cancers du poumon chez les mineurs. Le texte de la CIPR se termine par un chapitre particulièrement hermétique concernant les mammographies par rayons X. y a-t-il là un danger plus grand que celui estimé antérieurement? Faudrait-il appliquer aux mammographies par rayons X les résultats trouvés pour les cancers du sein chez les survivants japonais (absence de seuil et facteur de risque plus élevé) ? Pour en savoir plus, il faudra attendre les prochaines réunions et entre temps on continuera à pratiquer sans souci les mammographies par rayons X!
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Enfin quelques chose bouge dans
l'establishment nucléaire, mais britannique... C'est une nouvelle
qui est passée complètement inaperçue dans les médias
français.
La National Radiological Protection Board (NRPB), l'équivalent de notre SCPRI et de la partie de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN-CEA) chargée des problèmes de radioprotection vient de demander une réduction des limites d'exposition pour les travailleurs et le public: La NRPB, suite à la réunion de la Commission Internationale de Protection Radiologique de septembre dernier à Côme, estime qu'il faut anticiper sur les décisions de la CIPR qui ne seront prises qu'en 1990. «Il faut mettre les gens en garde, ce ne serait pas correct d'attendre 2 à 3 ans» a déclaré Robert Clarke, le Directeur de la NRPB (voir New Scientist du 19 nov. 1987). |
Les limites de dose demandées par la
NRPB sont les suivantes:
- Pour les travailleurs, la dose efficace annuelle moyenne ne doit pas dépasser 15 milliSievert (1.5 rem) au lieu de 50 mSv, - Pour le public la dose efficace annuelle ne doit pas dépasser 0,5 mSv (50 mrem) au lieu de 1 mSv (A propos de l'ambiguïté de la recommandation de Paris de la CIPR en 1985 au sujet des 1 mSv comme limite «principale» et 5 mSv comme limite «subsidiaire», voir l'article sur «les conclusions de la réunion de Côme de la CIPR en septembre 1987»). Bien sûr les doses limites existantes demeurent les seules légales. Dommage, car normalement les Limites Annuelles d'Incorporation des aliments (LAI) devraient être modifiées en conséquence. Le gouvernement britannique ne semble pas prêt à écouter ces scientifiques, responsables au niveau national de la radioprotection, car jusqu'à présent il soutient la France pour imposer à l'Europe les normes de contamination radioactive des aliments les plus élevées au détriment de la santé publique. p.13
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