La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°111/112

LES MINES D'URANIUM


     Dans la chaîne du nucléaire, on oublie bien des maillons. L'un d'entre eux, pourtant, devrait faire l'objet d'un suivi sérieux, il s'agit des résidus des mines d'uranium.
     Nous vous offrons donc un point sur la question:
     - une étude publiée dans Info Uranium sur la fermeture d'une mine
     - une étude sur les risques de cancer chez les mineurs
     - un dossier sur Bessines.
     En effet, au moment où se multiplient les réunions pour tenter de définir ce qu'est un déchet radioactif, on donne allègrement des autorisations d'utilisation des stériles de mines.
     Une fois de plus, on peut constater que le législateur étudie, polit sa loi et que les entreprises de travaux publics passent par les mailles d'un système soit disant contraignant mais toujours dérogatoire!
     Nos lois sont faites pour être contournées ou plus exactement il est prévu, dès leur rédaction que l'on pourra obtenir des dérogations. Je veux bien croire à la nécessité de souplesse mais si c'est pour la mettre dans la loi, alors à quoi sert la loi?
     Je n'épiloguerai pas trop sur ces aspects désagréables, mais il est grand temps de les étudier et d'y remédier.
     En ce qui concerne les mines, elles relèvent du code minier qui est fort permissif pour l'Etat et les firmes qui ont sa faveur. Par contre, pour le "vulgum pecus", il est sous la loi. En effet, pour résumer, il a la jouissance de la surface mais le sous-sol c'est pour l'Etat. Pire, il ne doit rien faire en surface qui pourrait nuire au sous-sol.
     C'est louable, ça semble juste mais c'est pervers. C'est pour cela que c'est Cogema qui accorde les permis de construire dans le Limousin. Formellement, bien sûr, ce n'est écrit nulle part mais dans les faits, comme on lui demande son avis (!), le résultat est le même.
p.2a

LES PROBLEMES POSES PAR
LA FERMETURE D'UNE MINE D'URANIUM
(Extrait de Info Uranium)
     Nous traitons, dans cet exposé, des problèmes que provoque la fermeture d'une mine d'uranium dépourvue de concentration du minerai.
     Tout ce qui concerne les règlementations s'applique aussi aux mines d'autres substances.

I. Le cadre réglementaire
     Textes: Code minier art. 83
     Décret modifié du 7 mai 1980 relatif à la police des mines et des carrières - Titre IV (document R5 du catalogue d'Info-Uranium).
     Dans le langage administratif, on ne parle pas de "fermeture" de mine mais soit de DÉLAISSEMENT soit d'ABANDON (voir le numéro spécial du bulletin "Info-Uranium" n°45: Règlementation minière p.12).

Le délaissement
     - Il s'agit de la fermeture d'une mine AVANT la date normale d'expiration du PEX (permis d'exploitation) ou de la concession. Cette fermeture peut être provisoire.
     - L'exploitant fait, 2 mois à l'avance au moins, une déclaration de délaissement à la Direction Régionale de l'Industrie et de la Recherche (DRIR). Ce dossier comprend des plans et l'indication des mesures prises pour la protection de l'environnement.
     La DRIR (maintenant DRIRE: Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement) peut estimer que les conditions du délaissement sont satisfaisantes et donner acte à l'exploitant de sa déclaration.

     Elle peut aussi demander au préfet de prendre un arrêté portant sursis au délaissement. Le préfet consulte les conseils municipaux concernés, les administrations (DDAF, DRAE, ODE...), puis prend un ARRÊTÉ fixant les travaux à exécuter avant le délaissement; cet arrêté doit intervenir dans un délai de 3 mois à compter de l'arrêté portant sursis au délaissement.
     - Après la fermeture de la mine, l'exploitant doit maintenir une surveillance sur le site minier. Les conditions de cette surveillance peuvent être fixées par un ARRÊTÉ préfectoral.
     La surveillance dure jusqu'à l'expiration du PEX ou de la concession, à moins que l'exploitant, n'envisageant pas une éventuelle reprise de l'exploitation, transforme le délaissement en ABANDON en se soumettant à la procédure décrite ci-après.

L'abandon
     - Il s'agit de la fermeture d'une mine soit en raison de l'expiration de la validité du PEX ou de la concession (ou de renonciation au titre minier ou de retrait du titre minier par l'administration) soit en raison de la volonté de l'exploitant d'arrêter l'exploitation et de se dégager de toute contrainte de surveillance (voir ci-dessus "le délaissement").
     - Cette fermeture n'est pas forcément définitive s'il reste des réserves de minerai. En effet, ultérieurement, l'exploitant ou un concurrent peut demander un nouveau titre minier d'exploitation et, s'il l'obtient, rouvrir la mine.
     - L'exploitant fait, 6 mois avant l'expiration du titre minier au moins, une déclaration d'abandon au préfet. Celui-ci consulte la DRIR, les autres administrations, les conseils municipaux et les maires des communes concernées.

p.2b

     La DRIR fait la synthèse des avis recueillis et propose au préfet les dispositions à imposer à l'exploitant. Le préfet prend alors un ARRÊTÉ fixant les travaux à exécuter avant l'abandon el le délai dans lequel ils doivent être achevés. Cet arrêté est notifié à l'exploitant dans un délai de 4 mois à compter du dépôt de la déclaration d'abandon. Si le préfet ne prend pas d'arrêté dans ce délai, l'exploitant est libre d'abandonner la mine selon les modalités définies dans sa déclaration.
     - Si l'exploitant ne réalise pas tout ou partie des travaux préalables à l'abandon, ils peuvent être exécutés par l'administration aux frais de l'exploitant.
Lorsqu'une mine ferme, il faut donc s'adresser à la préfecture:
     - pour savoir s'il s'agit d'un délaissement ou d'un abandon:
     - pour demander communication du ou des arrêté(s) fixant les travaux à exécuter avant la fermeture et fixant, éventuellement, les modalités de la surveillance du site.

II. Les problèmes d'ordre économique
     Le problème social de l'éventuelle suppression d'emplois par la société exploitante n'est pas abordé ici.
     Il s'agit donc essentiellement des difficultés pour la commune et pour les activités économiques de la zone d'influence économique de la mine. Ces difficultés et ces problèmes sont très variables d'un cas à l'autre. On peut dire qu'ils sont d'autant plus graves que la mine est importante et qu'elle est ancienne.
     Un exemple assez bien connu est celui dela commune de St Priest-la-Prugne (Loire). Une mine d'uranium y a été exploitée de 1950 à 1980; il existait aussi une usine de concentration de minerai (voir document A 25 du catalogue d'Info-Uranium: "Trente ans d'expérience à St Priest-la-Prugne", par J. Rathier, maire de la commune).

1. Effet sur les recettes du budget communal
     Les recettes de la commune diminuent en raison de:
     - l'arrêt du versement de la redevance communale des mines par l'exploitant
     - l'arrêt du versement des taxes foncières (en cas d"'abandon") par l'exploitant
     - la disparition des impôts locaux qui étaient payés par le personnel de la mine résidant dans la commune
     - indirectement, la baisse des impôts locaux payés par les entreprises de la commune affectées par la fermeture de la mine (voir ci-dessous).

2. Effets sur l'activité économique
     - Le départ du personnel de la mine provoque une diminution de la population de la commune. Exemple de St Priest-laPrugne:
     1946: 646 habitants
     1963: 915 habitants
     1982: 514 habitants
     - Cette baisse brutale de la population peut créer de nombreux problèmes tels que la diminution des effectifs dans les écoles, la sous-utilisation d'équipements culturels, sociaux, sportifs ... qui avaient été créés et qu'il faut continuer à entretenir, la mise en vente ou en location de nombreux appartements (avec répercussions sur la valeur du parc immobilier de tout le secteur)...
     - Le départ d'un certain nombre de familles a des conséquences négatives sur les entreprises de commerce et d'artisanat de la commune avec, dans le cas extrême, risque de fermeture pour certaines d'entre elles.

suite:
     - La fermeture de la mine a également un impact négatif sur les entreprises sous-traitantes (travaux publics, bâtiment, transport...). Des suppressions d'emplois sont possibles.

III. Les problèmes d'environnement
Le cas du délaissement
     Nous avons vu, dans la première partie de notre exposé, que des dispositions doivent être prises et des travaux exécutés pour que l'environnement (et la sécurité) soit respecté.
     Quelles dispositions l'exploitant devrait-il prendre?
a) Sécurité du site
     Un site minier est dangereux en raison des puits, galeries, excavations, bassins de décantation qui s'y trouvent. Il faut donc empêcher que n'importe qui s'y promène, en le clôturant et en le signalant de façon efficace.
     Les participants à la 11ème Réunion du Réseau Uranium ont pu constater, le 12 novembre 1988, qu'il n'en était rien pour ce qui concerne la mine d'uranium "délaissée" de St Pardoux, commune de Theneuille (Allier). Ils ont pu, en effet, pénétrer librement sur le site minier et le visiter à leur gré (voir bulletin "Info-Uranium" n°35, p. 7).
     Dans le cas des mines d'uranium, la clôture et les panneaux devraient empêcher les gens de circuler dans une zone fortement radioactive, et les entreprises ou les particuliers de s'y approvisionner en déblais, cailloux, graviers...
b) Poussière et radon
     Il ne devrait rester sur le site aucun stock de minerai. Malgré cela, des émanations importantes de radon continuent à se produire à partir des carrières et des tas de stériles. De même, des poussières peuvent être emportées par le vent et se déposer sur les champs, les jardins ou les maisons du voisinage.
     Les tas de stériles devraient donc être recouverts de terre ou de déblais non radioactifs. Des mesures de radon régulières devraient être faites aux alentours du site, dans les hameaux et les villages.
c) Eau
     Les eaux d'exhaure doivent continuer à être traitées avant rejet dans l'environnement pour que les normes soient respectées (matières en suspension, métaux, uranium, radium, pH ... ). C'est un des points principaux de la surveillance du site par l'exploitant.
     Les eaux de pluie lessivent les tas de déblais et de stériles. Par conséquent, les eaux de ruissellement devraient elles aussi être recueillies et traitées (comme pendant l'exploitation).
     - Ces mesures sont loin d'être toujours prises. D'autre part, des incidents sont possibles, tel celui qui s'est produit à la mine "délaissée" de St Pardoux dont nous avons déjà parlé ci-dessus (voir aussi bulletin "Info-Uranium" n°42, p. 17).
     La Cogéma avait mis en place un dispositif de pompage et de traitement de l'eau contenue dans la mine à ciel ouvert. En effet, au contact de l'eau et de l'air, les sulfures de fer contenus dans la roche se transforment en acide sulfurique et rendent cette eau extrêmement acide. Le traitement consiste à neutraliser l'acide par adjonction de lessive de soude et d'aluminate de sodium.
     A partir du 23 octobre 1989, et pendant plusieurs jours, la station de pompage et de traitement de l'eau a mal fonctionné et l'eau acide s'est déversée, non traitée, dans le ruisseau récepteur, par l'intermédiaire duquel elle a ensuite gagné un étang. Résultat de cette pollution: des centaines de kilos de poissons morts.

p.3

2. Le cas de l'abandon
a) La remise en état du site: aspect réglementaire
     - Mines ouvertes avant 1977: ces mines ont été créées sans qu'une étude d'impact sur l'environnement ait été réalisée. Le plus souvent, la remise en état n'a pas été prévue et elle n'a pas été imposée par l'arrêté portant ouverture des travaux miniers (si arrêté il y a eu).
     - Mines ouvertes après 1977: le décret du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature (J.O. du 13.10.1977) a rendu obligatoire la production d'une étude d'impact pour l'ouverture d'une mine; elle fait partie du dossier de déclaration d'ouverture de travaux miniers.
     L'art. 2 du décret indique quel doit être le contenu de l'étude d'impact. La quatrième partie de l'étude doit présenter "les mesures envisagées (par l'exploitant) pour supprimer, réduire et si possible compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement". La remise en état du site en fin d'exploitation s'inscrit évidemment dans ces mesures, mais sans être explicitement désignée ni exigée.
     Dans la pratique, les études d'impact relatives aux mines présentent effectivement, dans la quatrième partie, des informations sur la remise en état du site. Mais elles sont souvent sommaires. Voir par exemple "Etude d'impact sur l'environnement - Mine (uranium)" - brochure du Ministère de l'Environnement et du Ministère de l'lndustrie, 1982, p. 22 (une quarantaine de lignes) ou "Etude d'impact pour la mine d'or de Cros Gallet Sud - Haute-Vienne", 1988, p. 37 (13 lignes), DOC.44/004.
     L'arrêté préfectoral portant ouverture de travaux miniers impose généralement, parfois de façon imprécise, la remise en état du site en fin d'exploitation.
     - Pour toutes les mines: l'art. 83 du code minier impose, lors de l'abandon des travaux, des mesures visant à protéger l'environnement. "La remise en état, notamment à des fins agricoles, des sites et lieux affectés par les travaux et par les installations de toute nature réalisés en vue de l'exploitation et de la recherche, PEUT être prescrite."
     Dans la pratique, l'arrêté préfectoral fixant les travaux à réaliser avant l'abandon (voir ci-dessus 1-2) impose la remise en état.

b ) Quelle remise en état?
     - La remise en état du site coûte cher à l'exploitant et ne lui rapporte rien. Il a donc tendance à procéder à des travaux de remise en état sommaires et rapides.
     Il s'agit le plus souvent d'un remodelage approximatif du paysage, par le comblement partiel de la carrière, l'atténuation des fronts d'exploitation et des tas de déblais (matériaux non radioactifs) ou de stériles (roches contenant de faibles quantités d'uranium). L'apport de terre végétale et la plantation d'arbres sont déjà moins fréquents.
     Lorsque la mine à ciel ouvert a la forme d'une cuvette, elle est parfois tout simplement transformée en lac. Celui-ci constitue une réserve d'eau qui peut être utilisée par les agriculteurs (il est évidemment nécessaire de faire régulièrement des analyses de cette eau: métaux lourds, uranium et radium notamment).
     - Une remise en état sérieuse du site devrait non seulement réparer du mieux possible les dégâts faits au paysage mais aussi solutionner les problèmes du radon et des poussières, des bassins de décantation et de l'eau.

suite:
Poussière et radon
     Pour réduire au maximum les émanations de radon et l'envol de poussière radioactive, il faut combler la carrière avec les stériles et les recouvrir d'une bonne épaisseur de déblais et de terre (même chose pour les stériles qui ne pourraient pas être mis dans la carrière ou dans les galeries). La chose est assez facilement réalisable lorsqu'il y a des quantités suffisantes de déblais (non radioactifs) et de terre sur le site. L'ouverture d'une autre mine dans le voisinage offre aussi parfois une opportunité: les déblais et stériles extraits de cette nouvelle mine servent à combler celle qui ferme. Mais, quand l'exploitant dispose de faibles quantités de déblais et de terre, la carrière et les stériles risquent d'être insuffisamment recouverts et on peut donc craindre des taux de radon élevés dans l'air du site et de ses environs.

Bassins de décantation
     Les bassins qui ont servi, pendant l'exploitation, à décanter et à traiter les caux d'exhaure contiennent de fortes quantités d'uranium et de radium (sous forme de particules fines) et aussi, en général, les résidus des produits chimiques, comme le chlorure de baryum, utilisés pour faire précipiter le radium.
     A défaut de curer ces bassins (dont le contenu devrait être stocké dans un dépôt de déchets radioactifs de faible et moyenne activité), il faut les vider de leur eau et les recouvrir d'une épaisse couche (plusieurs mètres) de déblais et de terre. Il est également nécessaire de les isoler des circulations d'eau du site par un système de drains.

Eau
     Le problème des circulations d'eau d'origine pluviale ou tellurique est le plus difficile à résoudre. Ces eaux, par ruissellement ou percolation à travers les tas de stériles, se chargent de matières en suspension, de métaux lourds, de substances radioactives ... Elles risquent donc de polluer les cours d'eau qu'elles rejoignent.
     - La remise en état du site devrait être suivie, pendant de nombreuses années, d'une surveillance de l'environnement comprenant au moins des prélèvements et des analyses de l'air et des eaux. Chose qui n'est pas prévue et qui n'est pas faite (sauf cas exceptionnel?) mais que les associations pourraient essayer d'obtenir.

c ) L'utilisation ultérieure du site minier abandonné
     - Utilisation de matériaux:
     Le site n'étant plus surveillé et étant souvent mal (ou pas du tout) clôturé, des personnes ou des entreprises peuvent être tentées de s'y approvisionner en matériaux de remblai ou de construction. Elles peuvent, sans le savoir, prendre et utiliser des matériaux contenant de l'uranium, et qui sont donc légèrement radioactifs et qui peuvent être responsables, surtout, de dégagements de radon.
     - Utilisation du site pour d'autres activités:
· Elevage: un apport de terre végétale peut permettre la création de prairies pour l'élevage. Des analyses régulières de terre et d'herbe sont nécessaires pour contrôler les transferts de radionucléides.
· Cultures: la mise en culture nécessite un apport de terre végétale plus important et les résultats sont souvent aléatoires. Des analyses sont nécessaires dans ce cas également.

p.4

     · Activités impliquant une présence humaine permanente (création de lotissement, de centre de loisir, de zone artisanale ou industrielle...): les personnes présentes sur le site risquent de subir une irradiation élevée du fait de la radioactivité du site (rayonnement gamma de l'uranium) et de la présence de radon dans l'air. On ne doit donc développer ce type d'activités qu'après une étude radiologique approfondie du site.
     - Utilisation du site pour le stockage de déchets:
     On sait que tous ceux qui ont des déchets à éliminer ont une prédilection marquée pour les carrières et les mines abandonnées.
     Le site minier, surtout s'il comprend des galeries et des excavations non remblayées, risque donc de devenir un dépôt d'ordures ménagères, de déchets industriels, de déchets nucléaires, de résidus de traitement de minerai d'uranium.
     Quelques exemples:
     · Mines à ciel ouvert MCO 105, MCO 122 et MCO 201 de Bellezane (Haute-Vienne). Début 1988, la Cogéma a demandé l'autorisation de stocker des résidus de l'usine de traitement de minerai d'uranium de Bessines dans ces trois anciennes mines d'uranium. Ces résidus se présentent sous l'aspect de sable fin et humide (minerai broyé et désuranié); ils contiennent de l'uranium et surtout du radium. Une des trois mines a effectivement été utilisée pour le stockage de ces résidus (voir bulletin "Info-Uranium" n°30, p. 12 et n°31, p. 13).
     · Mine de St Priest-la-Prugne (Loire). Avant même la fermeture, en 1980, de la mine et de l'usine de concentration de minerai d'uranium, le CEA avait annoncé un projet de stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité sur le site minier. Ce projet était présenté comme une solution de remplacement, permettant de sauvegarder une partie du personnel de la mine. Dès l'annonce du projet, la population et les élus ont réagi et l'opposition s'est rapidement organisée, avec la création d'associations telles le "Comité de sauvegarde et de promotion de la montagne bourbonnaise", le "Comité contre les déchets nucléaires de St Priest" et le "Collectif Bois Noirs".
suite:
     Une enquête publique s'est déroulée du 19 mai au 13 juin 1980. La lutte s'est avérée payante puisque le projet a été d'abord "gelé" en 1982 puis définitivement abandonné en 1984.

     · Mine du Brugeaud (Haute-Vienne). Des boues grises très fortement radioactives ont été découvertes, en 1978, dans l'ancienne mine d'uranium à ciel ouvert du Brugeaud, près de Bessines. Une expertise faite en octobre-novembre 1978 a montré qu'elles contenaient plus de 3 tonnes d'uranium, de fortes quantités d'arsenic et de plomb et que l'activité totale du radium était voisine de 50 curies. La quantité de radon dégagée quotidiennement a été évaluée à 6,5 curies. Il semblerait que ces boues proviennent de l'usine d'uranium du Bouchet (Essonne). Elles ont été déposées au fond de la carrière sans étude et sans autorisation.
     Or, justement, tous les dépôts d'ordures, de résidus ou de déchets industriels ou radioactifs relèvent des législations des installations classées ou des installations nucléaires de base, et doivent recevoir une autorisation (préfectorale ou ministérielle, selon les cas), après enquête publique et production d'une étude d'impact sur l'environnement.
     Les problèmes posés par la fermeture d'une mine d'uranium sont donc nombreux et parfois difficiles à résoudre. En fait, il y a autant de cas particuliers que de mines; certaines fermetures de mines peu importantes et souterraines peuvent se faire dans de bonnes conditions; il en va autrement pour les grandes exploitations à ciel ouvert. Les éléments principaux sont, d'une part, la volonté (y compris financière) plus ou moins grande de l'exploitant de traiter la question de la remise en état du site avec sérieux et, d'autre part, le niveau d'exigence de l'administration (DRIRE, préfet) vis-à-vis de l'exploitant.
     C'est bien pourquoi les associations ont un rôle important à jouer: mettre en évidence les problèmes et les risques, faire pression sur l'administration pour qu'ils soient pris en compte et que l'exploitant n'abandonne pas les lieux tant qu'ils n'auront pas été correctement et entièrement résolus.

p.5

LES RISQUES  DE  CANCER  CHEZ  LES MINEURS D'URANIUM
Roger Belbeoch
     La création d'emplois est toujours mise en avant comme avantage important pour une région lorsqu'il est envisagé d'ouvrir de nouvelles mines d'uranium. La perte d'emplois est déplorée lorsque des mines d'uranium sont fermées et il est souhaité que d'autres mines soient ouvertes pour maintenir les emplois. Mais de quels emplois s'agit-il? Quels sont les risques des mineurs d'uranium? En plus des risques habituels du travail en mines (accidents, silicose, etc...), l'extraction du minerai d'uranium, élément radioactif, conduit à une irradiation externe de l'ensemble du corps chez les mineurs et à une contamination interne des poumons par les gaz et poussières radioactifs présents dans les galeries des mines.
     Parmi l'ensemble des travailleurs de l'industrie nucléaire, ce sont les mineurs qui, en situation de routine, sont exposés d'une façon permanente aux niveaux les plus élevés de rayonnement. Il en résulte un risque supplémentaire de mortalité par cancers et surtout par cancer du poumon.
     Depuis le début des années 80, le CEA, conjointement à la Cogéma, effectue un suivi de mortalité sur plus de 2.000 mineurs. Les résultats ont été présentés dans diverses publications.[1, 2, 3]. Les derniers textes dont nous avons eu connaissance datent de 1988. Aucune présentation du bilan de mortalité chez les mineurs n'a été faite au Comité Central d'Hygiène et Sécurité du Groupe CEA depuis le 22 juin 1988, alors que bien évidemment cette étude épidémiologique se soit poursuivie jusqu'à maintenant.

Mortalité par cancers chez les mineurs d'uranium en France. Bilan établi par le CEA et la Cogéma
     1. Le bilan au 31 décembre 1983[2]. Le groupe suivi comporte 1.957 mineurs de fond ayant travaillé au moins 3 mois entre 1947 et 1972. Seule la mortalité par cancer du poumon est présentée. (Ceci est assez réduit pour une étude dite épidémiologique).
     Le "Standard Mortality Ratio" (SMR = rapport de mortalité normalisé x 100) permet de comparer la mortalité observée dans un groupe donné à celle que l'on observerait dans un groupe analogue (âge et sexe) qui aurait une mortalité identique à la mortalité moyenne nationale.
     Ainsi en 1984 le groupe de mineurs étudié présentait une mortalité par cancer du poumon égale à 1,91 fois celle qu'on aurait pu attendre d'après la mortalité moyenne en France (SMR = 191).

     2. Le bilan au 31 décembre 1985 (publié en 1988)[3]. Le groupe suivi comporte 1.652 mineurs ayant travaillé au moins 2 ans entre 1947 et 1985 au fond des mines. Le groupe est divisé en deux sous-groupes:
     1) 767 mineurs ayant commencé avant 1956 (nombre moyen d'années du suivi: 28,6 ans).
     2) 885 mineurs ayant commencé à travailler entre 1956 et 1972 (nombre moyen d'années du suivi: 23,7 ans).
     Le suivi de mortalité du groupe a été effectué jusqu'au 31 décembre 1985.

suite:
     Les résultats sont présentés dans le tableau suivant qui donne les SMR pour l'ensemble du groupe et les deux sous-groupes pour différentes causes de mort.
tableau en cours d'installation
Causes de mort
Groupe entier
Sous-groupe(1)
Sous-groupe(2)
Toutes causes
120
132
103
Tous cancers
129
141
114
Cancer du poumon
241
277
193

     Les résultats présentés au Comité Central d'Hygiène et Sécurité par le Dr Chameaud (Cogéma-La Crouzille) en principe pour le même suivi pendant la même période sont légèrement différents sans qu'il y ait d'explication pour les changements de résultats. Par contre, on y trouve la mortalité par cancer du larynx. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant.

tableau en cours d'installation
Causes de mort
Groupe entier
Sous-groupe(1)
Sous-groupe(2)
Toutes causes
114
123
102
Tous cancers
130
144
12
Cancer du poumon
226
271
183
Cancer du larynx 200 245 183

     L'excès de mortalité par cancer (toutes localisations confondues) apparaît clairement, il est très important pour les cancers du poumon et du larynx. 

La conclusion de l'étude[3] était:
     "Dans l'état actuel de l'étude, nous confirmons l'excès de mortalité par cancer du poumon pour ces mineurs de fond français qui est significatif pour les deux cohortes, mais la vérification du facteur tabac dans les deux cohortes est nécessaire avant d'effectuer l'analyse dose/réponse en relation avec l'exposition au rayonnement ou d'estimer un facteur de risque".
     La conclusion du Dr Chameaud dans la présentation du bilan au CCHS du groupe CEA4  était: "Les données sont plutôt réconfortantes".

Discussion des résultats
     Les données de base des diverses études publiées sont incomplètes et de nombreux renseignements manquent.
     1. Environ 5% du groupe étudié a été perdu de vue et pour eux il n'a pas pu être établi s'ils étaient vivants ou morts. Il n'est pas indiqué si ces personnes étaient en moyenne plus âgées que la moyenne du groupe, par exemple des retraités. Si c'était le cas, la mortalité générale indiquée est biaisée et sous-estimée.

p.6

     2. Parmi les mineurs décédés, il n'a pas été possible d'établir la cause exacte de la mort pour 7,9% d'entre eux. Là encore, s'il s'agissait essentiellement de retraités, il pourrait y avoir un biais. Le risque de cancer suite à une exposition au rayonnement augmente avec l'âge, il est donc certainement plus élevé parmi les retraités que dans le reste du groupe. Négliger un certain nombre d'entre eux revient à sous-estimer le risque.
     3. Le dernier bilan publié[3,4] en 1988 correspond en réalité à l'état du groupe des mineurs suivis jusqu'en 1985. L'âge moyen des personnes vivantes est de 57,8 ans pour celles entrées en mine avant 1956 et 53,4 ans pour celles entrées entre 1956- 1972. Le bilan publié doit donc être considéré comme très provisoire.
     On voit, en comparant le bilan de 19832 avec celui de 1985[3,4] qu'en suivant le groupe deux ans de plus, l'estimation du risque pour le cancer pulmonaire a augmenté d'une façon notable: le SMR est passé de 191 à 277. L'excès de cancers du poumon que l'on peut attribuer à l'activité professionnelle, rapporté à la moyenne nationale est passé de 91 à 177% soit un quasi doublement. L'âge moyen du groupe suivi est encore faible (inférieur à 60 ans), les résultats déjà publiés ne peuvent donc que sous-estimer le risque. Quel est l'état du suivi de mortalité en 1991 six ans après le premier bilan? Comment doit-on interpréter l'absence de publication depuis si longtemps? Est-ce parce que la situation est encore plus catastrophique?
     4. Le problème de la mortalité de référence. Le choix d'un groupe de référence pour établir l'estimation d'un risque dans un groupe de travailleurs est très important. Il est maintenant acquis un peu partout (sauf en France...) que la mortalité moyenne nationale n'est pas un bon choix comme référence. En effet, les travailleurs à risque en situations pénibles sont d'une façon générale des personnes ayant une bien meilleure santé que la moyenne nationale (the "Healthy worker effect" en anglais). Ils sont triés à l'embauche sur des critères de bonne santé et ceux qui seraient passés au travers de ce tri sont rapidement éliminés s'ils n'ont pas une santé suffisante pour supporter des travaux pénibles. Dans ces conditions, prendre comme référence la moyenne nationale revient à sous-estimer considérablement le risque réel subi par les travailleurs suivis.
     Ceci est parfaitement reconnu par le Dr Chameaud. En effet, dans le compte rendu du CCHS[4], on trouve cette remarque du représentant de la CFDT: "il faut aussi prendre en compte le paramètre de l'effet de santé, c'est-à-dire le tri médical des agents à l'embauche, qui fait que l'on admet dans les mines une population sélectionnée". En réponse, le Dr Chameaud répond "qu'effectivement lors de la visite d'embauche des mineurs, on a toujours porté une attention particulière au poumon, surtout dans le cadre de la prévention de la silicose, mais l'incidence de cette sélection sur l'apparition des cancers doit certainement être très faible". Ce dernier point de la déclaration du Dr Chameaud ne s'appuie sur aucune étude (il ne donne d'ailleurs aucune référence). En réalité, tout tri à l'embauche sur des critères de santé se répercute par une baisse très importante des taux de mortalité pour les diverses causes de mort. De nombreux exemples ont été publiés dans les revues spécialisées. Il est courant de trouver parmi des groupes de travailleurs d'industries à risques des taux de mortalité réduits d'un facteur supérieur à 2 par rapport à la moyenne nationale[5]
suite:
     Lors d'une conférence en 1980, le Dr Chameaud a donné quelques précisions sur les conditions d'embauche: "Cette prévention médicale est importante à l'embauche. Il vaut mieux en effet ne pas exposer à une irradiation externe ceux qui dans leurs antécédents personnels ont présenté certaines maladies hématologiques ou lymphatiques" ... "A l'embauche, il paraît sage d'éliminer ceux qui présentent des anomalies de l'appareil respiratoire susceptibles de favoriser l'inhalation et la rétention des particules radioactives. L'insuffisance de perméabilité nasale, les allergies respiratoires, les bronchites et les séquelles importantes de maladies respiratoires sont des contre-indications. La fonction rénale doit être normale. La radiographie pulmonaire de face et profil et au besoin une épreuve fonctionnelle respiratoire sont les examens à pratiquer".[2]
     On voit l'importance de l'examen de santé pratiqué à l'embauche des mineurs. Il est donc évident dans ces conditions que les comparer à la moyenne de la population nationale biaise totalement l'estimation du risque professionnel.
     Est-il possible de trouver un groupe de référence représentatif? Dans le bilan présenté par CEA-Cogéma à Toronto en novembre 19842, on trouve: "Un second groupe de travailleurs sur uranium en surface incluant les mineurs qui n'ont travaillé que dans les mines à ciel ouvert et qui ont commencé à travailler pendant les mêmes périodes de temps que les mineurs de fond, sera lui aussi suivi. Ils peuvent constituer, s'ils sont assez nombreux, un groupe de référence adéquat pour les mineurs de fond. De plus, la plupart de ces travailleurs de surface sont de la même classe sociale que les mineurs de fond et ont les mêmes habitudes qu'eux en ce qui concerne la nourriture et les boissons. Ainsi, il serait possible de comparer les causes de mortalité de ces deux groupes de mineurs qui ne diffèrent essentiellement que par leur exposition professionnelle au radon et à ses produits de filiation".
     Ces remarques montrent bien que les responsables de l'étude épidémiologique sur le facteur de risque cancérigène chez les mineurs d'uranium ont dès le départ reconnu l'importance du tri médical à l'embauche et la nécessité d'avoir un groupe de référence représentatif si l'on désire effectuer une estimation non biaisée du risque professionnel des mineurs d'uranium.
     Cette deuxième cohorte signalée en 1984 disparaît totalement des publications ultérieures sans aucune explication. Il n'est pas vraisemblable qu'il s'agisse chez ces scientifiques d'un oubli ou de l'effet du hasard
     5. En général, dans les publications scientifiques concernant les études épidémiologiques de mortalité, les auteurs donnent l'ensemble de leurs données*, en particulier celles concernant l'ensemble des causes de mortalité pour les diverses maladies. Ceci permet généralement de se rendre compte de l'état de santé du groupe étudié en prenant compte repère la mortalité par une maladie qui a priori est peu sensible au risque professionnel que l'on désire étudier. Dans les publications du CEA, cette procédure habituelle n'est pas respectée. Il faut faire confiance aveuglément à des déclarations a priori non fondées scientifiquement de certains responsables hiérarchiques dont les intérêts ne sont pas totalement étrangers aux résultats des études. Il y a là des conditions idéales pour réaliser des études biaisées!
p.7

     6. En l'absence d'informations précises fondées sur des données fiables, on est en droit de penser que le groupe de mineurs d'uranium est composé de travailleurs en bien meilleure santé que la moyenne de la population nationale. La sélection peut avoir conduit à des travailleurs dont les taux de mortalité sont plus faibles d'un facteur environ 2 par rapport aux statistiques nationales. On peut en déduire des facteurs de risque professionnel pour la mortalité chez les mineurs d'uranium suivis:
tableau en cours
   
Risque corrigé
Cause de mort
SMR
(1)
(2)
Toutes causes
132
2,6
1,6
Tous cancers
141
2,8
1,8
Cancer du poumon
277
5,5
4,5
     (1) fréquence observée pour la cause de mortalité considérée, rapportée à celle que l'on observerait dans un groupe sélectionné de la même façon et non soumis au risque professionnel.
     (2) excès de la mortalité pour cause professionnelle rapportée à la mortalité naturelle d'un groupe identique non soumis au risque professionnel.
     7. A ces risques spécifiques dus au rayonnement, il faut bien sûr ajouter les risques habituels du travail dans les mines. Aucune tentative ne semble avoir été faite par les chercheurs CEA-Cogéma pour évaluer ces risques.
     8. Le tabac est souvent avancé comme explication possible de l'excès de cancer du poumon et du larynx chez les mineurs d'uranium (voir à ce sujet la conclusion de la référence 3 citée précédemment).
     On peut faire quelques remarques générales à ce sujet. Tout d'abord, il ne faut pas oublier que la population nationale que l'on utilise comme population de référence comporte elle aussi des fumeurs. L'importance des cancers des voies respiratoires chez les hommes est généralement expliquée par le tabac. La population servant de référence pour les études de mortalité CEA-Cogéma ne peut donc pas être considérée comme constituée de non-fumeurs. Il n'est jamais fait état dans ces études d'observations même qualitatives concernant le tabac, ce qui enlève beaucoup de poids aux réserves faites sur l'importance du risque de cancer pulmonaire. Que le tabac soit un facteur cancérigène ne fait aucun doute. Il aurait été particulièrement judicieux d'avertir les mineurs que compte tenu du risque important que le radon allait leur faire courir, il serait souhaitable qu'ils s'abstiennent de fumer. Mais pour cela, les responsables des mines auraient dû expliquer les dangers cancérigènes du radon.
     Remarque: on indique dans l'étude publiée en 1988 que la collecte des données sur la consommation du tabac est en cours[3]. Dans une étude épidémiologique, il n'est généralement pas recommandé de rechercher de nouveaux paramètres lorsque des résultats sont déjà publiés car le désir de modifier ces résultats dans un sens particulier pourrait biaiser la collecte de ces nouveaux paramètres.

     Conclusion: Les études présentées par CEA-Cogéma montrent d'une façon indiscutable que les mineurs d'uranium français sont soumis à des risques cancérigènes professionnels particulièrement importants.

suite:
     Lorsqu'un mineur d'uranium meurt d'un cancer, on peut, en s'appuyant sur ces études, évaluer quelle est la probabilité pour que ce cancer soit professionnel (voir Annexe). Le tableau suivant résume les résultats ( voir Annexe):
tableau en cours
Cause de mortalité
(1)
(2)
Tous cancers
29%
64%
Cancerdu poumon
64%
82%
     (1) sans tenir compte de l'effet de sélection sur l'état de santé des travailleurs.
     (2) en tenant compte d'un effet de sélection qui réduit la mortalité d'un facteur pris égal à 2.
     Au vu des résultats alarmants déduits de ces études**, nous voulons en parallèle citer encore une fois le Dr Chameaud, Chef du Service Médical des Divisions Minières de la Cogéma[6]: "Il semble possible, si on le veut, de faire travailler des mineurs d'uranium dans des conditions de risque acceptable". Il est dommage que le Dr Chameaud n'ait pas défini ce qu'il entendait par "risque acceptable". Acceptable par qui? Par les travailleurs des mines qu'on a laissés dans l'ignorance des risques? Acceptable par les exploitants des mines?
     Avant de clore ce chapitre sur les risques cancérigènes dans les mines d'uranium, nous voudrions mentionner que ces risques ont été identifiés il y a très longtemps. C'est certainement l'effet cancérigène du rayonnement qui a été reconnu le plus rapidement[7]. Dès 1879, deux médecins allemands identifièrent comme cancer du poumon ce qu'on nommait chez les mineurs d'uranium de Bohême la "maladie de la montagne". Une étude de 1913 montrait que 40% des mineurs d'un village de Bohême étaient morts de cancer du poumon entre 1875 et 1912. De nombreuses études suivirent, essentiellement en Tchécoslovaquie et aux USA.
     En 1973, des responsables américains de la santé ayant étudié la mortalité d'un groupe de mineurs d'uranium aux USA concluaient ainsi[8]: "Les cancers du système respiratoire continuent à apparaître à des taux élevés parmi le groupe étudié bien que les niveaux pour les descendants du radon aient été notablement réduits et que la plupart des personnes du groupe suivi aient cessé leur activité dans les mines".
     Les experts français en radioprotection connaissent bien le risque cancérigène chez les mineurs d'uranium: "De longue date, on a observé une augmentation significative des carcinomes pulmonaires parmi les mineurs d'uranium, principalement dans les mines de pechblende du Schneeberg et de Joachimsthal, dans les mines du Colorado aux Etats-Unis, ainsi que dans les mines de Tchécoslovaquie". Ceci a été écrit en 1980 par H. Jammet (CEA) et M. Dousset[9] (ces auteurs donnaient en référence 18 publications datées entre 1826 et 1879).
     Par contre, le Dr Chameaud déclarait à la même époque à propos de l'irradiation des mineurs d'uranium[6]: "Une irradiation de 1 Rem ou même de quelques Rem par an ne peut avoir de conséquences chimiques ou biologiques perceptibles. Dans les enquêtes épidémiologiques sur les mineurs d'uranium il n'apparaît pas d'augmentation du nombre des leucoses ou des cancers. Néanmoins. ces enquêtes avaient essentiellement pour but la recherche de la mortalité par cancer du poumon".
p.8

     Des déclarations de ce type, de la part du responsable médical pour les mines d'uranium, ne conduisaient guère les responsables du CEA à prendre au sérieux les nombreuses études qui mettaient en évidence les risques cancérigènes dans les mines d'uranium. Les responsables ne firent guère d'effort pour avertir les travailleurs des risques qu'ils allaient courir. Ce manque d'information pouvait conduire les mineurs à certaines pratiques particulièrement dangereuses pour leur santé, par exemple se réfugier dans des galeries abandonnées, non ventilées où l'atmosphère était très chargée en radon, ou travailler en milieu très poussiéreux, etc... Ainsi J. Pradel mentionne[10]: "Il ne faut pas oublier que les mineurs d'uranium aux USA comme tous les mineurs du monde peuvent séjourner, de façon plus ou moins autorisée (souligné par nous) dans des endroits généralement non prévus pour l'utilisation qui en est faite. Il s'agit souvent de lieux non ventilés où les concentrations en radon peuvent être excessivement élevées, délivrant des équivalents de doses efficaces pouvant atteindre plusieurs centaines de mSv/h (souligné par Pradel), plusieurs dizaines de Rem par heure. Ces irradiations exceptionnelles peuvent concerner par exemple des mineurs qui mangent ou dorment sur un tas de minerai riche ou dans une berline de préférence dans un endroit discret à l'abri des regards".
     Le Monde du 22 janvier 1976 consacrait un article à une grève des mineurs d'uranium. L'envoyé spécial de ce journal à La Crouzille titre son article "Des travailleurs d'élite" et mentionne: "Depuis un mois ils se relaient par équipes de sept à l'étage 120 pour une occupation symbolique du chantier. Dans une galerie en cul de sac servant de magasin, ils avaient installé une table et quelques lits de camp, deux lampes, une cafetière sur un calorifère, et quelques victuailles envoyées par les commerçants du coin". Le journaliste rapporte les propos d'un mineur sur les conditions de travail: "Et puis il y a la radioactivité: mais ça, on n'en parle jamais". Le journaliste lui non plus n'en parle guère et les mots "cancers du poumon" n'apparaissent pas dans son article.
     Les études sur les mineurs français montrent que ces travailleurs n'ont pas échappé aux effets cancérigènes du radon comme on a tenté de leur faire croire.
Références
1. M. Tirmarche*. J. Chameaud**, J. Piechowski**, 1. Pradel*, "Enquête épidémiologique française sur les mineurs d'uranium: difficultés et progrès". Texte présenté en mai 1984 au Congrès international sur la protection du risque du rayonnement (Berlin).
2. M. Tirmarche*, J. Brenot*, J. Piechowski*, J. Chameaud**, 1. Pradel*, "The present state of an epidemiological study of uranium miners in France" (Etat présent d'une étude épidémiologique sur les mineurs d'uranium). Texte présenté à la conférence de Toronto en novembre 1984.
3. M. Tirmarche*, A. Raphalen*, F. Allin*, J. Chameaud**, "Lung cancer mortality of uranium miners in France" (Monalité par cancer du poumon chez les mineurs d'uranium en France). Texte présenté au 7ème Congrès International de l'Association Internationale de Protection contre les Rayonnements, Sydney, 10-17 avril 1988.
Pour ces trois textes, les références des auteurs sont:
* Commissariat à l'Energie Atomique, IPSN (Fontenay aux Roses)
** Cogéma, Division de la Crouzille (Razés).
4. Procès-verbal de la 30ème réunion du Comité Central d'Hygiène et de Sécurité de Groupe, tenue le 22 juin 1988 au Siège du CEA. Le bilan des études épidémiologiques concernant les mineurs d'uranium a été présenté par le Dr Chameaud (Cogéma-La Crouzille).
5. A.J. Fox and P.F. Collier, "Low monality rates in industrial cohort studies due to selection for work and survival in the industry" (Faibles taux de mortalité dans les études de cohortes industrielles, dus à la sélection effectuée à l'embauche et par la survie dans l'industrie). British Journal of Preventive and Social Medicine, Vol. 30, n°4, Déc. 1976.
suite:
6. Dr Jean Chameaud (Chef du Service Médical des Divisions Minières de la Cogéma), "Prévention Médicale dans les mines d'uranium". Texte présenté au cours de la "Session d'étude sur la protection contre les rayonnements lors de l'exploitation et du traitement des minerais d'uranium" organisée par le CEA (IPSN) à Vassivière (Haute Vienne) en Sept. 1980.
7. Catherine Caufield, "Multiple exposures, chronicles of the Radiation Age" (Irradiations multiples, chroniques de l'ère du rayonnement). Penguin Books (1989).
8. Victor E. Archer, Joseph K. Wagoner et Franck E. Lundin, "Lung cancer among uranium miners in the United States" (Cancer du poumon parmi les mineurs d'uranium aux Etats-Unis", Health Physics Vol. 25, Oct. 1973.
9. H. Jammet et M. Dousset, "Les recommandations de la CIPR - Applications au cas particulier des mines d'uranium". Radioprotection, Vol. 16, n° 1 (1981).
10. J. Pradel, "Commentaires à propos des recommandations de la CIPR de 1990",12 mars 1990 (Rapport interne CEA).
* Ceci fait partie ou devrait faire partie de la pratique scientifique. La crédibilité scientifique est fondée sur la possibilité pour tout membre de la communauté scientifique d'accéder à l'ensemble des données de base. Dans le domaine nucléaire, cette pratique n'est guère respectée et ces études se situent ainsi hors du champ scientifique.
** Les résultats des études CEA-Cogéma doivent être considérés provisoires car la durée du suivi est insuffisante, ce qui conduit à une sous-estimation du risque.

Nouvelle bibliographie:
- M. Timarche, A. Raphalen, F. Allin, J. Chameaud, P. Bredon : "Etude épidémiologique de la monalité d'un groupe de mineurs d'uranium en France" (non daté, vraisemblablement récent sur données, 1985), "Etude épidémiologique de la monalité d'un groupe de mineurs en France", Etat d'avancement en octobre 1991.
- Catherine Hill (23 octobre 1991), Rapport au Comité Scientifique de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire sur les études épidémiologiques sur les mineurs d'Uranium.


Annexe
Probabilité pour qu'une mort observée soit due au risque professionnel

     Soit un groupe donné chez qui on a observé un nombre de cas n. Si pour le groupe de référence (même structure en âge, même sexe, même état de santé) on s'attend à un nombre a de cas, le SMR pour la cause de mortalité considérée est:

N = n/a
L'excès de cas pouvant être attribués au risque professionnel est:
Excès = n - a
et en rapportant cet excès au nombre de cas attendus dans le groupe de référence, on a:
(n - a) / a = N - 1
Si dans le groupe étudié on observe un cas, la probabilité pour que ce cas soit dû au risque professionnel est égale à:
p = (nombre de cas dû au risque professionnel dans le groupe) / (nombre total de cas dans le groupe)
= (n - a) / n = (N - 1) / N
p.9

LA RADIOPROTECTION DANS LES MINES D'URANIUM
LA LÉGISLATION
     Pendant très longtemps la limite de dose maximale admissible des 5 rem par an qui était à la base de la radioprotection des travaiIleurs sous rayonnement ne s'appliquait pas aux mineurs d'uranium et cela dans tous les pays qui exploitèrent des mines d'uranium. Les mineurs d'uranium avaient "droit" aux 5 rem par an, plus une certaine quantité de contamination interne par le radon.
     Cette contamination interne se mesurait à partir d'une unité: le "Working Level" (niveau de travail: WL). Le WL correspondait à une contamination de l'atmosphère de travail par une concentration en radon de 100 picocuries par litre (3.700 Becquerels par m3).
     Un mois de 170 heures de travail dans une atmosphère de 1 WL correspondait à une dose de 1 WLM (Working Level Month). Les mineurs avaient ainsi droit aux 5 rem/an des autres travailleurs sous rayonnement, additionnés d'un certain nombre de WLM. Le problème majeur résidait dans le passage des WLM aux rem qui habituellement mesurent les doses de rayonnement. La polémique était très vive mais quelle qu'en pouvait être l'issue, les exploitants des mines d'uranium avaient le droit de soumettre les mineurs à des doses bien supérieures à celles autorisées pour les autres activités nucléaires. L'absence d'une dosimétrie individuelle du radon inhalé permettait une grande souplesse dans l'application des règles de radioprotection. Des prélèvements d'air étaient faits par-ci, par-là en certains points de galeries et analysés. Les extrapolations faites permettaient de calculer les WL. On peut imaginer les facilités de ce système. Que l'on fasse les prélèvements en des points particulièrement bien ventilés et les WL diminuaient, ne représentant pas du tout la contamination de l'atmosphère respirée par les mineurs dans des fonds de galerie en cul de sac.
     La situation semble s'être améliorée avec les possibilités de dosimétrie individueIle mais les biais dans les mesures sont toujours possibles et il faudrait effectuer une enquête plus poussée pour se prononcer sur la fiabilité du système.

La filiation du radon
     La composante majeure du rayonnement provient du Radon 222, descendant du Radium 226 lui-même issu de l'Uranium 238*. 
     Dans la filiation du Radon 222 pour aboutir à l'élément stable, le Plomb 206, on trouve plusieurs radioéléments que l'on peut classer en deux familles: les descendants à vie courte et les descendants à vie longue.
     Le problème qui se pose quand on connaît la concentration en radon est de savoir queIle quantité de ses descendants est aussi présente, sous quelle forme et comment ils seront abordés par les poumons. Or ce sont ces descendants qui contribuent le plus à la radiotoxicité du radon. Selon les hypothèses qui seront faites, une dose de contamination de 1 WLM (Working Level Month) correspondra à un nombre de rem plus ou moins grand. Comme la protection contre le radon (la ventilation) contribue d'une façon non négligeable au coût d'exploitation du minerai d'uranium, on voit qu'il ne s'agit pas là d'une simple discussion de type académique. 

suite:
     La majeure partie de la radiotoxicité du radon est due au rayonnement a de ses descendants. La législation américaine limitait la contamination interne annuelle chez les mineurs à 4 WLM. En France, la règlementation jusqu'au décret récemment publié limitait la contamination interne à l'énergie des particules a des descendants du radon. Ainsi Pierre Zetwoog, chef de service à l'IPSN, résumait les règlementations française et américaine: "La règlementation américaine est basée sur une limite de 4 WLM soit 14,4 mJ.m-3.h par an [milliJoule par mètre cube heure par an]. La règlementation française limite implicitement l'exposition à l'énergie a à une valeur de 132 mJ .m-3.h par an[1]**. Ainsi le supplément de dose autorisé pour les mineurs d'uranium au-delà des 5 rem par an était 9 fois supérieur à ce qu'il était aux USA.
     Cette règlementation particulière aux mineurs d'uranium apparaissait comme une tare dans la construction "rationnelle" que tentait d'édifier la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) depuis 1977. Il faIlait donc mettre un peu d'ordre et fournir aux mineurs d'uranium le même système de radioprotection qu'aux autres travailleurs sous rayonnement. La limite des 5 rem par an devait tenir compte de l'irradiation externe et des diverses contaminations internes auxquelles les mineurs étaient soumis. C'était bien sûr une amélioration dans le système de radioprotection des mineurs d'uranium mais les problèmes étaient loin d'être résolus. En effet, comment devait-on passer d'une contamination par le radon à une dose efficace mesurée en rem? On demeure encore sous la dépendance de modèles dont la validité n'a rien d'évidente.
     Les responsables français de la santé publique ont dû adapter la radioprotection des mineurs à ces nouveaux concepts. Elles ne l'ont pas fait par un désir profond d'améliorer la protection des mineurs mais parce que les Directives de 1980 de la Commission des Communautés Européennes les mettaient en demeure de le faire.
     C'est ainsi que le décret n°90-222 du 13 juillet 1989 (JO du 20 juillet 1989) signé par le Premier Ministre Michel Rocard et par le Ministre de l'Industrie Roger Fauroux, a modifié l'ancien règlement qui régissait la règlementation spéeiale relative aux "industries extractives". Le décret du 9 mars 1990 (JO du 13 mars 1990) complétait la règlementation pour la "protection de l'environnement", c'est-à-dire des populations susceptibles d'être touchées par les activités minières. 
     Nota: La CIPR, depuis 1990, recommande pour la protection des travailleurs soumis aux rayonnements ionisants, une limite de 20 mSv/an (2 rem/an) en moyenne sur toute période de 5 ans[5]. La législation française n'est donc pas conforme aux recommandations de la CIPR. Nous désirons faire quelques commentaires sur cette nouvelle règlementation.
 
 
p.10

Comment les concepts de radioprotection dans les mines d'uranium réagissent sur les coûts de production?
Les contraintes de la nouvelle réglementation
     Si l'on tient compte de la contamination par le radon dans la limite de dose de 5 rem/an, cela revient à diminuer la teneur en radon dans l'atmosphère des galeries des mines. Une amélioration de la ventilation de ces galeries devient nécessaire. Cela est coûteux et parfois impossible pour certaines mines. Certains "responsables" ont bien tenté d'expliquer la limitation des possibilités de ventilation et donc de la radioprotection par leur souci de protéger les mineurs contre les affections pulmonaires comme l'indique le passage suivant: "C'est ainsi que l'expérience a montré que le principal moyen pour diminuer la concentration des produits de filiation du Radon 222 dans l'air des mines souterraines d'uranium, la ventilation, ne pouvait pas être augmentée indéfiniment sous peine d'entraîner des affections pulmonaires chez les mineurs"[2]. Les auteurs (Dr H. Jammet, CEA et M. Dousset, SCPRI) ont l'honnêteté de reconnaître que le problème est ailleurs: "Il est certain, cependant, qu'en règle générale les contraintes techniques et les coûts financiers jouent un rôle important dans l'analyse différentielle qui permet de déterminer le niveau optimal de protection et qu'il n'est pas possible, en particulier, de faire abstraction, comme le voudrait une certaine vision des choses, du rôle que jouent les prix de revient dans la réalité de la concurrence internationale" (souligné par nous)[2].
     Comment ces auteurs du CEA et du SCPRI (Ministère de la Santé) justifient-ils l'optimisation qu'ils pensent devoir faire entre les coûts d'exploitation et la protection des mineurs? Voici leur réponse: "Le bilan total ne peut être fait que dans la perspective d'ensemble du cycle de l'uranium et du développement du nucléaire avec tous les avantages attendus: production d'énergie, mise au point et application de techniques de pointe dans les différents domaines: médicaux, scientifiques, industriels, etc ... La justification est donc inséparable d'un choix politique dont la responsabilité revient aux pouvoirs publics dans chaque pays" (souligné par nous)[2].
     La radioprotection exige des équipements coûteux et les auteurs précisent sans ambiguité leur conception: "Encore faudrait-il que le coût de tels investissements soit compatible avec l'équilibre économique général que conditionnent de nombreux autres paramètres"[2]. Notons que la santé des mineurs ne semble pas être l'un des "paramètres" majeurs de cet équilibre qu'ils recherchent.
     Renvoyer, en dernière analyse, la responsabilité des décisions qui vont déterminer le nombre de cancéreux parmi les mineurs d'uranium aux instances politiques est tout à fait judicieux. Il ne faut pas cependant escamoter l'importance et la responsabilité des experts scientifiques qui vont conseiller ces instances politiques. Il est donc raisonnable d'attribuer la responsabilité des décisions à l'association experts scientifiques-responsables politiques, chacune des deux composantes de cet ensemble s'appuyant sur l'autre pour justifier son comportement.
suite:
Conclusion
     On voit bien à travers les textes publiés dès 1980 par cette paire de responsables CEA/Santé publique, que les concepts de la CIPR concernant les mineurs d'uranium leur posaient quelques problèmes.
     L'application stricte des concepts de la CIPR, bien qu'ils soient très insuffisants pour assurer une protection correcte des mineurs d'uranium, a causé beaucoup de souci aux responsables du CEA. Un article de Pradel et Zettwoog, tous deux appartenant à l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) du CEA, publié en 19843 montre bien la nature des problèmes. Nous en présentons ici quelques extraits significatifs:
     "Le respect des nouvelles limites individuelles d'irradiation de la CIPR qui devrait permettre de maintenir le niveau du risque radiologique au-dessous de celui des risques classiques encore très élevés en mine, et tient compte précisément des résultats des enquêtes épidémiologiques sur les mineurs tchèques et américains*** apparaît dans bien des situations comme un objectif qu'il est difficile d'atteindre pour la totalité des effectifs. L'extraction minière, par rapport à d'autres étapes du cycle du combustible, reste l'une de celles où les irradiations spécifiques sont parmi les plus élevées". Les auteurs auraient pu préciser que c'est pour ces travailleurs que l'information sur les risques du rayonnement a été la plus réduite.
     Pour les auteurs, la situation est claire. "On peut voir que l'augmentation de la sévérité de la future règlementation conduira à mettre certains mineurs en situation de dépassement des doses individuelles dans la plupart des sièges miniers souterrains". Ce passage mérite d'être retenu car il semble bien qu'il n'est pas question pour les auteurs de respecter scrupuleusement la nouvelle règlementation (obligatoire depuis le décret du 13 juillet 1989). La situation existant antérieurement sera maintenue et les mineurs seront déclarés en dépassement de normes. Il n'est pas précisé ce que cela signifiera pour ces mineurs.
     Le CEA manifestement ne tenait pas à ce que les recommandations de la CIPR soient appliquées strictement. Pradel et Zettwoog mentionnaient que la CIPR elle-même présentait des arguments pour que ses propres recommandations ne soient pas suivies. Ainsi font-ils remarquer que la CIPR dans son compte rendu de la réunion de Brighton indique[3]: "Ces recommandations sont destinées aux autorités compétentes pour une application générale et leur application dans certains cas particuliers peut ne pas être pertinente. La Commission est consciente du fait que les conditions de certaines mines sont telles qu'il peut être impossible d'opérer dans les limites combinées recommandées par la Commission en les appliquant sur une base strictement annuelle. Les autorités nationales devront alors décider de la meilleure façon de régler ces situations peu courantes, mais difficiles". 
     Ces considérations sont parfaitement conformes aux principes généraux de la CIPR. Dans ses recommandations de 1977 (publication 26, CIPR 26), il est bien spécifié que chaque Etat est autorisé à adapter au mieux les recommandations générales pour ne pas compromettre sérieusement le développement de son industrie nucléaire. La contrainte imposée par les Directives de 1980 de la CEE ne permet pas d'échapper à ces nouvelles normes particulièrement nocives pour les exploitants mais bénéfiques pour les mineurs.
p.11

Qui est responsable du risque professionnel des mineurs d'uranium? 
     Pradel et Zettwoog sont très clairs à ce sujet[3]: "Le risque radioactif a longtemps été mal compris par les mineurs et traité avec une certaine indifférence". Il est particulièrement scandaleux que des gens dont l'activité est de type bureaucratique se permettent de déclarer à des mineurs qui meurent ou vont mourir d'un cancer du poumon que ce sont eux qui sont responsables et que la direction des exploitations minières n'est aucunement responsable de leur souffrance. Comment les mineurs auraient-ils pu prendre conscience que la mine était un redoutable agent cancérigène quand M. Chameaud, Chef du service Médical des divisions minières de la Cogéma, multipliait les déclarations sur l'absence de danger cancérigène dans les mines d'uranium: "Il est possible, si on le veut, de faire travailler les mineurs dans des conditions de risque acceptable"[4], D'une façon plus catégorique, il déclarait: "Dans les études épidémiologiques sur les mines d'uranium, il n'apparaît pas d'augmentation du nombre de leucoses ou des cancers"[4], M. Le Dr Jammet, haut responsable médical au CEA, soulignait qu'attribuer l'augmentation de la fréquence des cancers pulmonaires à la seule action du radon "est une interprétation très pessimiste"[2], Il est clair que si les mineurs ont été négligents vis-à-vis de leur sécurité, la responsabilité en incombe entièrement à la direction du CEA et aux "scientifiques" qui ont contribué à propager l'idée que les mines d'uranium ne présentaient pas de risques cancérigènes particulièrement graves.
     Pradel et Zettwoog n'adressent pas la moindre critique aux autorités médicales des exploitations minières, Par contre les associations écologistes semblent les énerver: "Cette prise de conscience du risque radioactif était d'ailleurs nécessaire à un moment où certaines assertions d'associations écologistes et antinucléaires provoquaient chez certains une sorte de panique avivée chaque fois qu'un décès par cancer survenait parmi les anciens mineurs"[3]. On peut se demander si ces bureaucrates de la sûreté nucléaire sont allés souvent visiter les familles des mineurs cancéreux pour leur démontrer que CEA et Cogéma n'avaient aucune responsabilité dans leur douleur mais que c'étaient les mineurs eux-mêmes qui par leur insouciance étaient les seuls responsables.

Et l'économique dans ce contexte?
     Le texte de Pradel et Zettwoog donne quelques précisions intéressantes qui indiquent bien où est le problème essentiel: l'argent. Un chapitre de leur article est consacré aux "limites économiques de l'aérage traditionnel", La protection des mineurs, d'après eux, semble être déterminée par la ventilation des galeries: "C'est d'abord par l'aérage que les concentrations en radon et en poussières peuvent être ramenées au niveau des limites opérationnelles recommandées"[3]. Mais les contraintes d'exploitation limitent les possibilités d'aérage: "Les lieux de travail étant situés en général dans des culs de sac non directement balayables par la circulation d'air primaire, on procède à l'assainissement de l'atmosphère de ces culs de sac par un dispositif d'aérage secondaire comportant un ventilateur associé à une canalisation souple amenée à proximité des postes de travail. Ces dispositifs d'aérage secondaire ne sont efficaces que si la géométrie du chantier, la configuration et le débit de la ventilation souple sont adéquates, faute de quoi des zones mal balayées se forment où croissent et s'accumulent les descendants du radon"[3] ainsi que les risques cancérigènes pour les travailleurs!
     Là où la ventilation est facile ("air primaire") tout n'est pas parfait: "En ce qui concerne l'air primaire, il peut se faire qu'un salissage excessif finisse par le rendre impropre à l'alimentation des chantiers"[2]. Cela signifie que si l'air primaire de la ventilation balaie une galerie particulièrement contaminée, il va propager cette contamination tout au long de son parcours.

suite:
Les auteurs finissent par signaler l'essentiel: "Une augmentation de l'air primaire peut être trop coûteuse en exploitation voire impossible techniquement si la résistance des galeries au passage de l'air est déjà forte.***" ... "Le percement de nouveaux puits d'aérage n'est pas toujours une solution applicable et de toute façon est une opération très onéreuse" (souligné par nous). On voit bien qu'en dernière analyse il s'agit d'une question d'argent.  La protection des mineurs est un problème secondaire.
     Les auteurs, Pradel et Zettwoog, terminent leur article sur une conclusion particulièrement cynique et obscène: "Beaucoup de progrès ont été faits, mais beaucoup restent à faire. A tout le moins peut-on dire qu'on ne s'ennuie pas dans ce métier". Le mineur qui finira sa vie par un douloureux cancer du poumon, arrivera-t-il à se consoler en pensant qu'il ne s'est pas ennuyé? 

Commentaire Gazette
     Vous venez d'apprendre comment on abandonne, on délaisse une mine sans frais pour l'exploitant. On vous a parlé des mineurs, on va vous présenter la magnifique loi de protection de l'environnement s'appliquant aux mines et cela va vous permettre de mieux comprendre pourquoi il est possible, en pleine discussion sur la définition d'un déchet, de prendre des arrêtés préfectoraux qui autorisent l'exploitation de stériles de mines par des entreprises du bâtiment! Dérogation, tu es vraiment indispensable à notre monde politique pour qu'il puisse mieux se coucher devant les financiers.


Références
1. P. Zetwoog, "Grandeurs, unités, limites utilisées dans la radioprotection des mines d'uranium", communication présentée à la "Session d'étude sur la protection contre les rayonnements lors de l'exploitation et du traitement des minerais d'uranium", Vassivière (Haute Vienne) du 22 au 24 septembre 1980.
2. Dr H. Jammet et M. Dausset, "Les recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR). Application au cas particulier des mines d'uranium", Communication présentée à la session d'étude sur la protection contre les rayonnements lors de l'exploitation et du traitement des minerais d'uranium tenue à Vassivière (IHaute Vienne), septembre 1980.
3, J. Pradel el P. Zellwoog, "Hier et maintenant: la radioprotection dans les mines d'uranium", Revue Générale Nucléaire n°l, janvier-février 1984.
4. Dr Jean Chameaud, "Prévention médicale dans les mines d'uranium". Texte présenté au cours de la session d'étude sur la protection contre les rayonnements de l'exploitation et du traitement des minerais d'uranium, organisée par le CEA (IPSN) à Vassivière (Haute Vienne), septembre 1980.
5. La Gazette Nucléaire n°105/106, janvier 1991, "Les recommandations de la ClPR de 1977 à 1980" et "Les directives du Conseil des Communautés Européennes ne respectent pas les recommandations de la CIPR. 
* On néglige généralement le Radon 220 (appelé aussi Thoron), un descendant du Thorium 232. Le thoron est beaucoup plus "efficace" que le Radon 222 (il faut 13 fois moins de thoron pour donner 1 WL) et dans les minerais d'uranium le thorium est beaucoup plus abondant que l'uranium. On a certainement tort, lorsqu'on se préoccupe de l'effet du radon de négliger a priori la composante thoron qui est généralement présente avec le radon. 
** Le produit de la concentration en émetteur a (mesurée en milliJoule par mètre cube), par le nombre d'heures de travail par an, devait être inférieur à la valeur réglementaire: 132 pour les mineurs français, 14,4 pour les mineurs américains.
*** Ceci revient à considérer ces études comme valables alors qu'elles sont loin d'être acceptées par les responsables médicaux des exploitations minières CEA-Cogéma.
**** Ceci revient à une augmentation des coûts d'exploitation car il faudrait pour des raisons de sécurité renoncer à l'exploitation de certains filons.

 p.12


LA  REGLEMENTATION  DES  MINES D'URANIUM  POUR
LA  PROTECTION  DE  L'ENVIRONNEMENT
     Le décret n°90-222 du 9 mars 1990 (JO du 13 mars 1990) définit quelques contraintes imposées aux exploitations minières d'uranium pour la protection de l'environnement et de la population. Signalons que ces contraintes ne sont bien sûr pas rétroactives et ne peuvent être appliquées aux installations déjà en exploitation.
     Ce décret n'est signé que par le Premier Ministre et le Ministre de l'Industrie. Le Ministre de la Santé et celui de l'Environnement ne sont pas signataires. D'après l'introduction de ce décret, il ne semble pas que l'avis du Ministre de l'Environnement ait été "vu".
     La radioprotection de la population est calquée sur ceIle établie pour les mineurs. EIle tient compte de l'irradiation externe et des diverses contaminations internes (émetteurs ? à vie longue de la chaine de l'uranium 238, descendants à vie courte du radon 222 et 220, radium, etc ... ).
     La limite est fixée à un équivalent de dose efficace de 5 mSv (500 mrem) par an. Mentionnons que la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a fixé, depuis 1985, la limite de dose pour la population à 1 mSv/an (100 mrem/an)*. La législation française n'est pas conforme aux recommandations des experts de la CIPR.

Quelques remarques
Article 9 "Produits liquides"
     "Les moyens de coIlecte, de stockage et de transport des effluents radioactifs doivent être conçus pour satisfaire les débits maximaux prévus ..."
     "Sauf autorisation du préfet (souligné par nous), les moyens de stockage des effluents radioactifs doivent être placés dans une cuvette de rétention capable de retenir tout le liquide accidenteIlement répandu ou pourvus d'un dispositif permettant de retenir ou capter toute fuite éventueIle".
     Ainsi, par une simple autorisation préfectorale, les exploitants pourraient ne pas être obligés de respecter cet article 9. Le décret ne mentionne pas les critères que les préfets devront respecter pour délivrer leurs autorisations de non respect du décret.
Article 10" Produits gazeux et poussières"
     "Sauf autorisation du préfet (souligné par nous), les lieux d'émission dans l'atmosphère de l'air d'aérage des travaux souterrains, ainsi que les bassins de réception des effluents liquides, doivent être éloignés de plus de 100 m de toute habitation".
     - une simple autorisation préfectorale permet aux exploitants de ne pas respecter cet article.
     - cette contrainte ne s'applique évidemment pas aux exploitations déjà existantes qui pourront avoir des bouches d'aérage très proches des habitations (le décret n'est pas rétroactif).
     - il n'est pas indiqué si la construction d'habitations à moins de 100 m des bouches d'aérage déjà existantes sera autorisée ou si le terrain à moins de 100 m d'une bouche devra être considéré comme non constructible.
Article 12 "Rejets gazeux"
     "Le flux de radon et de poussières radioactives en provenance des travaux souterrains doit être mesuré une fois par an". Cette unique mesure annuelle imposée sera-t-eIle représentative de la situation récIle ? La quantité de radon et de poussières expulsés des galeries dépend du niveau de la ventilation et des travaux effectués en galeries (des tirs en particulier).

suite:
Article 16 "Voies de transfert des substances radioactives vers les populations"
     "Dans le cas visé au premier tiret du premier alinéa de l'article 15 lorsque l'exploitation minière doit durer plus de cinq ans, l'exploitant doit établir au plus tard deux ans après l'ouverture des travaux, la liste des principales voies de transfert vers les populations des substances radioactives provenant de l'exploitation et de ses installations. Tous les deux ans (souligné par nous), la teneur en radium 226 et en uranium doit être déterminée aux principaux maiIlons des chaines de transfert. En fonction des résultats ainsi obtenus, l'exploitant détermine les quantités de radium 226 et d'uranium susceptibles d'être ingérées par les personnes du public les plus exposées et calcule les taux d'exposition correspondants".
     - il n'est pas spécifié si ce règlement est applicable aux installations déjà existantes.
     - pour les législateurs (M. Rocard et R. Fauroux), une mesure unique pour une période de 2 ans est suffisamment représentative de la réalité!
     - à partir de cette mesure unique, c'est l'exploitant lui-même (le pollueur) que les législateurs chargent d'établir l'impact sanitaire sur la population. En somme, ce sont les exploitants eux-mêmes qui détermineront si leurs pratiques respectent les normes de protection de la population. A quoi bon rédiger des décrets de règlementation pour aboutir à une telle conclusion?
     - la chaîne de désintégration du thorium 232 est totalement ignorée alors que dans les minerais d'uranium la concentration en thorium peut être 3 fois plus importante que la concentration de l'uranium. D'autre part, le radon 220 (thoron) et ses descendants, qui proviennent par filiation du thorium 232, sont beaucoup plus radiotoxiques que les descendants de l'uranium.

     Une annexe au décret apporte quelques précisions:
Chapitre III  Article 8 "Gestion des produits radioactifs.
Produits solides"
     "Dans le plan de gestion des produits solides, l'exploitant est amené à préciser l'emplacement des dépôts, leur conception, l'époque de leur réalisation et de leur déplacement. Au cours de chaque phase, il estime l'importance des transfert .. et radionucléides vers les personnes du public" (souligné par nous). Ainsi encore une fois les législateurs font du pollueur celui qui déterminera l'impact de ses pollutions sur la population.
Article 9 "Produits liquides"
     "Les moyens de stockage des effluents radioactifs peuvent ne pas être placés dans une cuvette de rétention ou un dispositif équivalent s'il apparaît qu'ils présentent un risque nul de poIlution des eaux soutermines ou de surface".
     Ainsi, cet article de l'annexe, annule quasiment l'article 8 du décret et cela d'autant plus facilement que c'est l'exploitant qui est reconnu par les législateurs (MM. Rocart et Fauroux) comme l'organisme qui détermine l'impact des procédures sur la santé de la population.
     Il aurait été plus simple de réduire ce long décret et ses annexes à une seule phrase: "nous (les législateurs) décrétons que ce sont les exploitants des mines d'uranium qui évalueront l'impact de leurs exploitations sur la santé des populations sans que le Ministère de la Santé ait à s'en mêler".
* Voir La Gazette Nucléaire N°105/106, janvier 1991.

p.13

Retour vers la G@zette N°111/112