Dans la chaîne du nucléaire,
on oublie bien des maillons. L'un d'entre eux, pourtant, devrait faire
l'objet d'un suivi sérieux, il s'agit des résidus des mines
d'uranium.
Nous vous offrons donc un point sur la question: - une étude publiée dans Info Uranium sur la fermeture d'une mine - une étude sur les risques de cancer chez les mineurs - un dossier sur Bessines. En effet, au moment où se multiplient les réunions pour tenter de définir ce qu'est un déchet radioactif, on donne allègrement des autorisations d'utilisation des stériles de mines. Une fois de plus, on peut constater que le législateur étudie, polit sa loi et que les entreprises de travaux publics passent par les mailles d'un système soit disant contraignant mais toujours dérogatoire! |
Nos lois sont faites pour être contournées
ou plus exactement il est prévu, dès leur rédaction
que l'on pourra obtenir des dérogations. Je veux bien croire à
la nécessité de souplesse mais si c'est pour la mettre dans
la loi, alors à quoi sert la loi?
Je n'épiloguerai pas trop sur ces aspects désagréables, mais il est grand temps de les étudier et d'y remédier. En ce qui concerne les mines, elles relèvent du code minier qui est fort permissif pour l'Etat et les firmes qui ont sa faveur. Par contre, pour le "vulgum pecus", il est sous la loi. En effet, pour résumer, il a la jouissance de la surface mais le sous-sol c'est pour l'Etat. Pire, il ne doit rien faire en surface qui pourrait nuire au sous-sol. C'est louable, ça semble juste mais c'est pervers. C'est pour cela que c'est Cogema qui accorde les permis de construire dans le Limousin. Formellement, bien sûr, ce n'est écrit nulle part mais dans les faits, comme on lui demande son avis (!), le résultat est le même. p.2a
|
Nous traitons, dans cet exposé,
des problèmes que provoque la fermeture d'une mine d'uranium dépourvue
de concentration du minerai.
Tout ce qui concerne les règlementations s'applique aussi aux mines d'autres substances. I. Le cadre réglementaire
Le délaissement
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Elle peut aussi demander au préfet
de prendre un arrêté portant sursis au délaissement.
Le préfet consulte les conseils municipaux concernés, les
administrations (DDAF, DRAE, ODE...), puis prend un ARRÊTÉ
fixant les travaux à exécuter avant le délaissement;
cet arrêté doit intervenir dans un délai de 3 mois
à compter de l'arrêté portant sursis au délaissement.
- Après la fermeture de la mine, l'exploitant doit maintenir une surveillance sur le site minier. Les conditions de cette surveillance peuvent être fixées par un ARRÊTÉ préfectoral. La surveillance dure jusqu'à l'expiration du PEX ou de la concession, à moins que l'exploitant, n'envisageant pas une éventuelle reprise de l'exploitation, transforme le délaissement en ABANDON en se soumettant à la procédure décrite ci-après. L'abandon
p.2b
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La DRIR fait la synthèse
des avis recueillis et propose au préfet les dispositions à
imposer à l'exploitant. Le préfet prend alors un ARRÊTÉ
fixant les travaux à exécuter avant l'abandon el le délai
dans lequel ils doivent être achevés. Cet arrêté
est notifié à l'exploitant dans un délai de 4 mois
à compter du dépôt de la déclaration d'abandon.
Si le préfet ne prend pas d'arrêté dans ce délai,
l'exploitant est libre d'abandonner la mine selon les modalités
définies dans sa déclaration.
- Si l'exploitant ne réalise pas tout ou partie des travaux préalables à l'abandon, ils peuvent être exécutés par l'administration aux frais de l'exploitant. Lorsqu'une mine ferme, il faut donc s'adresser à la préfecture: - pour savoir s'il s'agit d'un délaissement ou d'un abandon: - pour demander communication du ou des arrêté(s) fixant les travaux à exécuter avant la fermeture et fixant, éventuellement, les modalités de la surveillance du site. II. Les problèmes d'ordre économique
1. Effet sur les recettes du budget communal
2. Effets sur l'activité économique
(suite)
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suite:
- La fermeture de la mine a également un impact négatif sur les entreprises sous-traitantes (travaux publics, bâtiment, transport...). Des suppressions d'emplois sont possibles. III. Les problèmes d'environnement
p.3
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2. Le cas de l'abandon
a) La remise en état du site: aspect réglementaire - Mines ouvertes avant 1977: ces mines ont été créées sans qu'une étude d'impact sur l'environnement ait été réalisée. Le plus souvent, la remise en état n'a pas été prévue et elle n'a pas été imposée par l'arrêté portant ouverture des travaux miniers (si arrêté il y a eu). - Mines ouvertes après 1977: le décret du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature (J.O. du 13.10.1977) a rendu obligatoire la production d'une étude d'impact pour l'ouverture d'une mine; elle fait partie du dossier de déclaration d'ouverture de travaux miniers. L'art. 2 du décret indique quel doit être le contenu de l'étude d'impact. La quatrième partie de l'étude doit présenter "les mesures envisagées (par l'exploitant) pour supprimer, réduire et si possible compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement". La remise en état du site en fin d'exploitation s'inscrit évidemment dans ces mesures, mais sans être explicitement désignée ni exigée. Dans la pratique, les études d'impact relatives aux mines présentent effectivement, dans la quatrième partie, des informations sur la remise en état du site. Mais elles sont souvent sommaires. Voir par exemple "Etude d'impact sur l'environnement - Mine (uranium)" - brochure du Ministère de l'Environnement et du Ministère de l'lndustrie, 1982, p. 22 (une quarantaine de lignes) ou "Etude d'impact pour la mine d'or de Cros Gallet Sud - Haute-Vienne", 1988, p. 37 (13 lignes), DOC.44/004. L'arrêté préfectoral portant ouverture de travaux miniers impose généralement, parfois de façon imprécise, la remise en état du site en fin d'exploitation. - Pour toutes les mines: l'art. 83 du code minier impose, lors de l'abandon des travaux, des mesures visant à protéger l'environnement. "La remise en état, notamment à des fins agricoles, des sites et lieux affectés par les travaux et par les installations de toute nature réalisés en vue de l'exploitation et de la recherche, PEUT être prescrite." Dans la pratique, l'arrêté préfectoral fixant les travaux à réaliser avant l'abandon (voir ci-dessus 1-2) impose la remise en état. b ) Quelle remise en état?
(suite)
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suite:
Poussière et radon Pour réduire au maximum les émanations de radon et l'envol de poussière radioactive, il faut combler la carrière avec les stériles et les recouvrir d'une bonne épaisseur de déblais et de terre (même chose pour les stériles qui ne pourraient pas être mis dans la carrière ou dans les galeries). La chose est assez facilement réalisable lorsqu'il y a des quantités suffisantes de déblais (non radioactifs) et de terre sur le site. L'ouverture d'une autre mine dans le voisinage offre aussi parfois une opportunité: les déblais et stériles extraits de cette nouvelle mine servent à combler celle qui ferme. Mais, quand l'exploitant dispose de faibles quantités de déblais et de terre, la carrière et les stériles risquent d'être insuffisamment recouverts et on peut donc craindre des taux de radon élevés dans l'air du site et de ses environs. Bassins de décantation
Eau
c ) L'utilisation ultérieure du site minier abandonné
p.4
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· Activités
impliquant une présence humaine permanente (création
de lotissement, de centre de loisir, de zone artisanale ou industrielle...):
les personnes présentes sur le site risquent de subir une irradiation
élevée du fait de la radioactivité du site (rayonnement
gamma de l'uranium) et de la présence de radon dans l'air. On ne
doit donc développer ce type d'activités qu'après
une étude radiologique approfondie du site.
- Utilisation du site pour le stockage de déchets: On sait que tous ceux qui ont des déchets à éliminer ont une prédilection marquée pour les carrières et les mines abandonnées. Le site minier, surtout s'il comprend des galeries et des excavations non remblayées, risque donc de devenir un dépôt d'ordures ménagères, de déchets industriels, de déchets nucléaires, de résidus de traitement de minerai d'uranium. Quelques exemples: · Mines à ciel ouvert MCO 105, MCO 122 et MCO 201 de Bellezane (Haute-Vienne). Début 1988, la Cogéma a demandé l'autorisation de stocker des résidus de l'usine de traitement de minerai d'uranium de Bessines dans ces trois anciennes mines d'uranium. Ces résidus se présentent sous l'aspect de sable fin et humide (minerai broyé et désuranié); ils contiennent de l'uranium et surtout du radium. Une des trois mines a effectivement été utilisée pour le stockage de ces résidus (voir bulletin "Info-Uranium" n°30, p. 12 et n°31, p. 13). · Mine de St Priest-la-Prugne (Loire). Avant même la fermeture, en 1980, de la mine et de l'usine de concentration de minerai d'uranium, le CEA avait annoncé un projet de stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité sur le site minier. Ce projet était présenté comme une solution de remplacement, permettant de sauvegarder une partie du personnel de la mine. Dès l'annonce du projet, la population et les élus ont réagi et l'opposition s'est rapidement organisée, avec la création d'associations telles le "Comité de sauvegarde et de promotion de la montagne bourbonnaise", le "Comité contre les déchets nucléaires de St Priest" et le "Collectif Bois Noirs". (suite)
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suite:
Une enquête publique s'est déroulée du 19 mai au 13 juin 1980. La lutte s'est avérée payante puisque le projet a été d'abord "gelé" en 1982 puis définitivement abandonné en 1984. · Mine
du Brugeaud (Haute-Vienne). Des boues grises très fortement
radioactives ont été découvertes, en 1978, dans l'ancienne
mine d'uranium à ciel ouvert du Brugeaud, près de Bessines.
Une expertise faite en octobre-novembre 1978 a montré qu'elles contenaient
plus de 3 tonnes d'uranium, de fortes quantités d'arsenic et de
plomb et que l'activité totale du radium était voisine de
50 curies. La quantité de radon dégagée quotidiennement
a été évaluée à 6,5 curies. Il semblerait
que ces boues proviennent de l'usine d'uranium du Bouchet (Essonne). Elles
ont été déposées au fond de la carrière
sans étude et sans autorisation.
p.5
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La création d'emplois est
toujours mise en avant comme avantage important pour une région
lorsqu'il est envisagé d'ouvrir de nouvelles mines d'uranium. La
perte d'emplois est déplorée lorsque des mines d'uranium
sont fermées et il est souhaité que d'autres mines soient
ouvertes pour maintenir les emplois. Mais de quels emplois s'agit-il? Quels
sont les risques des mineurs d'uranium? En plus des risques habituels du
travail en mines (accidents, silicose, etc...), l'extraction du minerai
d'uranium, élément radioactif, conduit à une irradiation
externe de l'ensemble du corps chez les mineurs et à une contamination
interne des poumons par les gaz et poussières radioactifs présents
dans les galeries des mines.
Parmi l'ensemble des travailleurs de l'industrie nucléaire, ce sont les mineurs qui, en situation de routine, sont exposés d'une façon permanente aux niveaux les plus élevés de rayonnement. Il en résulte un risque supplémentaire de mortalité par cancers et surtout par cancer du poumon. Depuis le début des années 80, le CEA, conjointement à la Cogéma, effectue un suivi de mortalité sur plus de 2.000 mineurs. Les résultats ont été présentés dans diverses publications.[1, 2, 3]. Les derniers textes dont nous avons eu connaissance datent de 1988. Aucune présentation du bilan de mortalité chez les mineurs n'a été faite au Comité Central d'Hygiène et Sécurité du Groupe CEA depuis le 22 juin 1988, alors que bien évidemment cette étude épidémiologique se soit poursuivie jusqu'à maintenant. Mortalité par cancers chez les mineurs d'uranium
en France. Bilan établi par le CEA et la Cogéma
2. Le bilan au 31 décembre 1985 (publié
en 1988)[3]. Le groupe suivi comporte 1.652 mineurs ayant travaillé
au moins 2 ans entre 1947 et 1985 au fond des mines. Le groupe est divisé
en deux sous-groupes:
(suite)
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suite:
Les résultats sont présentés dans le tableau suivant qui donne les SMR pour l'ensemble du groupe et les deux sous-groupes pour différentes causes de mort.
Les résultats présentés au Comité Central d'Hygiène et Sécurité par le Dr Chameaud (Cogéma-La Crouzille) en principe pour le même suivi pendant la même période sont légèrement différents sans qu'il y ait d'explication pour les changements de résultats. Par contre, on y trouve la mortalité par cancer du larynx. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant.
L'excès de mortalité par cancer (toutes localisations confondues) apparaît clairement, il est très important pour les cancers du poumon et du larynx. La conclusion de l'étude[3] était:
Discussion des résultats
p.6
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2. Parmi les mineurs décédés,
il n'a pas été possible d'établir la cause exacte
de la mort pour 7,9% d'entre eux. Là encore, s'il s'agissait essentiellement
de retraités, il pourrait y avoir un biais. Le risque de cancer
suite à une exposition au rayonnement augmente avec l'âge,
il est donc certainement plus élevé parmi les retraités
que dans le reste du groupe. Négliger un certain nombre d'entre
eux revient à sous-estimer le risque.
3. Le dernier bilan publié[3,4] en 1988 correspond en réalité à l'état du groupe des mineurs suivis jusqu'en 1985. L'âge moyen des personnes vivantes est de 57,8 ans pour celles entrées en mine avant 1956 et 53,4 ans pour celles entrées entre 1956- 1972. Le bilan publié doit donc être considéré comme très provisoire. On voit, en comparant le bilan de 19832 avec celui de 1985[3,4] qu'en suivant le groupe deux ans de plus, l'estimation du risque pour le cancer pulmonaire a augmenté d'une façon notable: le SMR est passé de 191 à 277. L'excès de cancers du poumon que l'on peut attribuer à l'activité professionnelle, rapporté à la moyenne nationale est passé de 91 à 177% soit un quasi doublement. L'âge moyen du groupe suivi est encore faible (inférieur à 60 ans), les résultats déjà publiés ne peuvent donc que sous-estimer le risque. Quel est l'état du suivi de mortalité en 1991 six ans après le premier bilan? Comment doit-on interpréter l'absence de publication depuis si longtemps? Est-ce parce que la situation est encore plus catastrophique? 4. Le problème de la mortalité de référence. Le choix d'un groupe de référence pour établir l'estimation d'un risque dans un groupe de travailleurs est très important. Il est maintenant acquis un peu partout (sauf en France...) que la mortalité moyenne nationale n'est pas un bon choix comme référence. En effet, les travailleurs à risque en situations pénibles sont d'une façon générale des personnes ayant une bien meilleure santé que la moyenne nationale (the "Healthy worker effect" en anglais). Ils sont triés à l'embauche sur des critères de bonne santé et ceux qui seraient passés au travers de ce tri sont rapidement éliminés s'ils n'ont pas une santé suffisante pour supporter des travaux pénibles. Dans ces conditions, prendre comme référence la moyenne nationale revient à sous-estimer considérablement le risque réel subi par les travailleurs suivis. Ceci est parfaitement reconnu par le Dr Chameaud. En effet, dans le compte rendu du CCHS[4], on trouve cette remarque du représentant de la CFDT: "il faut aussi prendre en compte le paramètre de l'effet de santé, c'est-à-dire le tri médical des agents à l'embauche, qui fait que l'on admet dans les mines une population sélectionnée". En réponse, le Dr Chameaud répond "qu'effectivement lors de la visite d'embauche des mineurs, on a toujours porté une attention particulière au poumon, surtout dans le cadre de la prévention de la silicose, mais l'incidence de cette sélection sur l'apparition des cancers doit certainement être très faible". Ce dernier point de la déclaration du Dr Chameaud ne s'appuie sur aucune étude (il ne donne d'ailleurs aucune référence). En réalité, tout tri à l'embauche sur des critères de santé se répercute par une baisse très importante des taux de mortalité pour les diverses causes de mort. De nombreux exemples ont été publiés dans les revues spécialisées. Il est courant de trouver parmi des groupes de travailleurs d'industries à risques des taux de mortalité réduits d'un facteur supérieur à 2 par rapport à la moyenne nationale[5]. (suite)
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suite:
Lors d'une conférence en 1980, le Dr Chameaud a donné quelques précisions sur les conditions d'embauche: "Cette prévention médicale est importante à l'embauche. Il vaut mieux en effet ne pas exposer à une irradiation externe ceux qui dans leurs antécédents personnels ont présenté certaines maladies hématologiques ou lymphatiques" ... "A l'embauche, il paraît sage d'éliminer ceux qui présentent des anomalies de l'appareil respiratoire susceptibles de favoriser l'inhalation et la rétention des particules radioactives. L'insuffisance de perméabilité nasale, les allergies respiratoires, les bronchites et les séquelles importantes de maladies respiratoires sont des contre-indications. La fonction rénale doit être normale. La radiographie pulmonaire de face et profil et au besoin une épreuve fonctionnelle respiratoire sont les examens à pratiquer".[2] On voit l'importance de l'examen de santé pratiqué à l'embauche des mineurs. Il est donc évident dans ces conditions que les comparer à la moyenne de la population nationale biaise totalement l'estimation du risque professionnel. Est-il possible de trouver un groupe de référence représentatif? Dans le bilan présenté par CEA-Cogéma à Toronto en novembre 19842, on trouve: "Un second groupe de travailleurs sur uranium en surface incluant les mineurs qui n'ont travaillé que dans les mines à ciel ouvert et qui ont commencé à travailler pendant les mêmes périodes de temps que les mineurs de fond, sera lui aussi suivi. Ils peuvent constituer, s'ils sont assez nombreux, un groupe de référence adéquat pour les mineurs de fond. De plus, la plupart de ces travailleurs de surface sont de la même classe sociale que les mineurs de fond et ont les mêmes habitudes qu'eux en ce qui concerne la nourriture et les boissons. Ainsi, il serait possible de comparer les causes de mortalité de ces deux groupes de mineurs qui ne diffèrent essentiellement que par leur exposition professionnelle au radon et à ses produits de filiation". Ces remarques montrent bien que les responsables de l'étude épidémiologique sur le facteur de risque cancérigène chez les mineurs d'uranium ont dès le départ reconnu l'importance du tri médical à l'embauche et la nécessité d'avoir un groupe de référence représentatif si l'on désire effectuer une estimation non biaisée du risque professionnel des mineurs d'uranium. Cette deuxième cohorte signalée en 1984 disparaît totalement des publications ultérieures sans aucune explication. Il n'est pas vraisemblable qu'il s'agisse chez ces scientifiques d'un oubli ou de l'effet du hasard. 5. En général, dans les publications scientifiques concernant les études épidémiologiques de mortalité, les auteurs donnent l'ensemble de leurs données*, en particulier celles concernant l'ensemble des causes de mortalité pour les diverses maladies. Ceci permet généralement de se rendre compte de l'état de santé du groupe étudié en prenant compte repère la mortalité par une maladie qui a priori est peu sensible au risque professionnel que l'on désire étudier. Dans les publications du CEA, cette procédure habituelle n'est pas respectée. Il faut faire confiance aveuglément à des déclarations a priori non fondées scientifiquement de certains responsables hiérarchiques dont les intérêts ne sont pas totalement étrangers aux résultats des études. Il y a là des conditions idéales pour réaliser des études biaisées! p.7
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6. En l'absence d'informations
précises fondées sur des données fiables, on est en
droit de penser que le groupe de mineurs d'uranium est composé de
travailleurs en bien meilleure santé que la moyenne de la population
nationale. La sélection peut avoir conduit à des travailleurs
dont les taux de mortalité sont plus faibles d'un facteur environ
2 par rapport aux statistiques nationales. On peut en déduire des
facteurs de risque professionnel pour la mortalité chez les mineurs
d'uranium suivis:
(2) excès de la mortalité pour cause professionnelle rapportée à la mortalité naturelle d'un groupe identique non soumis au risque professionnel. 7. A ces risques spécifiques dus au rayonnement, il faut bien sûr ajouter les risques habituels du travail dans les mines. Aucune tentative ne semble avoir été faite par les chercheurs CEA-Cogéma pour évaluer ces risques. 8. Le tabac est souvent avancé comme explication possible de l'excès de cancer du poumon et du larynx chez les mineurs d'uranium (voir à ce sujet la conclusion de la référence 3 citée précédemment). On peut faire quelques remarques générales à ce sujet. Tout d'abord, il ne faut pas oublier que la population nationale que l'on utilise comme population de référence comporte elle aussi des fumeurs. L'importance des cancers des voies respiratoires chez les hommes est généralement expliquée par le tabac. La population servant de référence pour les études de mortalité CEA-Cogéma ne peut donc pas être considérée comme constituée de non-fumeurs. Il n'est jamais fait état dans ces études d'observations même qualitatives concernant le tabac, ce qui enlève beaucoup de poids aux réserves faites sur l'importance du risque de cancer pulmonaire. Que le tabac soit un facteur cancérigène ne fait aucun doute. Il aurait été particulièrement judicieux d'avertir les mineurs que compte tenu du risque important que le radon allait leur faire courir, il serait souhaitable qu'ils s'abstiennent de fumer. Mais pour cela, les responsables des mines auraient dû expliquer les dangers cancérigènes du radon. Remarque: on indique dans l'étude publiée en 1988 que la collecte des données sur la consommation du tabac est en cours[3]. Dans une étude épidémiologique, il n'est généralement pas recommandé de rechercher de nouveaux paramètres lorsque des résultats sont déjà publiés car le désir de modifier ces résultats dans un sens particulier pourrait biaiser la collecte de ces nouveaux paramètres. Conclusion: Les études présentées par CEA-Cogéma montrent d'une façon indiscutable que les mineurs d'uranium français sont soumis à des risques cancérigènes professionnels particulièrement importants. (suite)
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suite:
Lorsqu'un mineur d'uranium meurt d'un cancer, on peut, en s'appuyant sur ces études, évaluer quelle est la probabilité pour que ce cancer soit professionnel (voir Annexe). Le tableau suivant résume les résultats ( voir Annexe):
(2) en tenant compte d'un effet de sélection qui réduit la mortalité d'un facteur pris égal à 2. Au vu des résultats alarmants déduits de ces études**, nous voulons en parallèle citer encore une fois le Dr Chameaud, Chef du Service Médical des Divisions Minières de la Cogéma[6]: "Il semble possible, si on le veut, de faire travailler des mineurs d'uranium dans des conditions de risque acceptable". Il est dommage que le Dr Chameaud n'ait pas défini ce qu'il entendait par "risque acceptable". Acceptable par qui? Par les travailleurs des mines qu'on a laissés dans l'ignorance des risques? Acceptable par les exploitants des mines? Avant de clore ce chapitre sur les risques cancérigènes dans les mines d'uranium, nous voudrions mentionner que ces risques ont été identifiés il y a très longtemps. C'est certainement l'effet cancérigène du rayonnement qui a été reconnu le plus rapidement[7]. Dès 1879, deux médecins allemands identifièrent comme cancer du poumon ce qu'on nommait chez les mineurs d'uranium de Bohême la "maladie de la montagne". Une étude de 1913 montrait que 40% des mineurs d'un village de Bohême étaient morts de cancer du poumon entre 1875 et 1912. De nombreuses études suivirent, essentiellement en Tchécoslovaquie et aux USA. En 1973, des responsables américains de la santé ayant étudié la mortalité d'un groupe de mineurs d'uranium aux USA concluaient ainsi[8]: "Les cancers du système respiratoire continuent à apparaître à des taux élevés parmi le groupe étudié bien que les niveaux pour les descendants du radon aient été notablement réduits et que la plupart des personnes du groupe suivi aient cessé leur activité dans les mines". Les experts français en radioprotection connaissent bien le risque cancérigène chez les mineurs d'uranium: "De longue date, on a observé une augmentation significative des carcinomes pulmonaires parmi les mineurs d'uranium, principalement dans les mines de pechblende du Schneeberg et de Joachimsthal, dans les mines du Colorado aux Etats-Unis, ainsi que dans les mines de Tchécoslovaquie". Ceci a été écrit en 1980 par H. Jammet (CEA) et M. Dousset[9] (ces auteurs donnaient en référence 18 publications datées entre 1826 et 1879). Par contre, le Dr Chameaud déclarait à la même époque à propos de l'irradiation des mineurs d'uranium[6]: "Une irradiation de 1 Rem ou même de quelques Rem par an ne peut avoir de conséquences chimiques ou biologiques perceptibles. Dans les enquêtes épidémiologiques sur les mineurs d'uranium il n'apparaît pas d'augmentation du nombre des leucoses ou des cancers. Néanmoins. ces enquêtes avaient essentiellement pour but la recherche de la mortalité par cancer du poumon". p.8
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Des déclarations de ce
type, de la part du responsable médical pour les mines d'uranium,
ne conduisaient guère les responsables du CEA à prendre au
sérieux les nombreuses études qui mettaient en évidence
les risques cancérigènes dans les mines d'uranium. Les responsables
ne firent guère d'effort pour avertir les travailleurs des risques
qu'ils allaient courir. Ce manque d'information pouvait conduire les mineurs
à certaines pratiques particulièrement dangereuses pour leur
santé, par exemple se réfugier dans des galeries abandonnées,
non ventilées où l'atmosphère était très
chargée en radon, ou travailler en milieu très poussiéreux,
etc... Ainsi J. Pradel mentionne[10]: "Il ne faut pas oublier
que les mineurs d'uranium aux USA comme tous les mineurs du monde peuvent
séjourner, de façon plus ou moins autorisée
(souligné par nous) dans des endroits généralement
non prévus pour l'utilisation qui en est faite. Il s'agit souvent
de lieux non ventilés où les concentrations en radon peuvent
être excessivement élevées, délivrant des équivalents
de doses efficaces pouvant atteindre plusieurs centaines de mSv/h
(souligné par Pradel), plusieurs dizaines de Rem par heure. Ces
irradiations exceptionnelles peuvent concerner par exemple des mineurs
qui mangent ou dorment sur un tas de minerai riche ou dans une berline
de préférence dans un endroit discret à l'abri des
regards".
Le Monde du 22 janvier 1976 consacrait un article à une grève des mineurs d'uranium. L'envoyé spécial de ce journal à La Crouzille titre son article "Des travailleurs d'élite" et mentionne: "Depuis un mois ils se relaient par équipes de sept à l'étage 120 pour une occupation symbolique du chantier. Dans une galerie en cul de sac servant de magasin, ils avaient installé une table et quelques lits de camp, deux lampes, une cafetière sur un calorifère, et quelques victuailles envoyées par les commerçants du coin". Le journaliste rapporte les propos d'un mineur sur les conditions de travail: "Et puis il y a la radioactivité: mais ça, on n'en parle jamais". Le journaliste lui non plus n'en parle guère et les mots "cancers du poumon" n'apparaissent pas dans son article. Les études sur les mineurs français montrent que ces travailleurs n'ont pas échappé aux effets cancérigènes du radon comme on a tenté de leur faire croire. Références 1. M. Tirmarche*. J. Chameaud**, J. Piechowski**, 1. Pradel*, "Enquête épidémiologique française sur les mineurs d'uranium: difficultés et progrès". Texte présenté en mai 1984 au Congrès international sur la protection du risque du rayonnement (Berlin). 2. M. Tirmarche*, J. Brenot*, J. Piechowski*, J. Chameaud**, 1. Pradel*, "The present state of an epidemiological study of uranium miners in France" (Etat présent d'une étude épidémiologique sur les mineurs d'uranium). Texte présenté à la conférence de Toronto en novembre 1984. 3. M. Tirmarche*, A. Raphalen*, F. Allin*, J. Chameaud**, "Lung cancer mortality of uranium miners in France" (Monalité par cancer du poumon chez les mineurs d'uranium en France). Texte présenté au 7ème Congrès International de l'Association Internationale de Protection contre les Rayonnements, Sydney, 10-17 avril 1988. Pour ces trois textes, les références des auteurs sont: * Commissariat à l'Energie Atomique, IPSN (Fontenay aux Roses) ** Cogéma, Division de la Crouzille (Razés). 4. Procès-verbal de la 30ème réunion du Comité Central d'Hygiène et de Sécurité de Groupe, tenue le 22 juin 1988 au Siège du CEA. Le bilan des études épidémiologiques concernant les mineurs d'uranium a été présenté par le Dr Chameaud (Cogéma-La Crouzille). 5. A.J. Fox and P.F. Collier, "Low monality rates in industrial cohort studies due to selection for work and survival in the industry" (Faibles taux de mortalité dans les études de cohortes industrielles, dus à la sélection effectuée à l'embauche et par la survie dans l'industrie). British Journal of Preventive and Social Medicine, Vol. 30, n°4, Déc. 1976. (suite)
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suite:
6. Dr Jean Chameaud (Chef du Service Médical des Divisions Minières de la Cogéma), "Prévention Médicale dans les mines d'uranium". Texte présenté au cours de la "Session d'étude sur la protection contre les rayonnements lors de l'exploitation et du traitement des minerais d'uranium" organisée par le CEA (IPSN) à Vassivière (Haute Vienne) en Sept. 1980. 7. Catherine Caufield, "Multiple exposures, chronicles of the Radiation Age" (Irradiations multiples, chroniques de l'ère du rayonnement). Penguin Books (1989). 8. Victor E. Archer, Joseph K. Wagoner et Franck E. Lundin, "Lung cancer among uranium miners in the United States" (Cancer du poumon parmi les mineurs d'uranium aux Etats-Unis", Health Physics Vol. 25, Oct. 1973. 9. H. Jammet et M. Dousset, "Les recommandations de la CIPR - Applications au cas particulier des mines d'uranium". Radioprotection, Vol. 16, n° 1 (1981). 10. J. Pradel, "Commentaires à propos des recommandations de la CIPR de 1990",12 mars 1990 (Rapport interne CEA). * Ceci fait partie ou devrait faire partie de la pratique scientifique. La crédibilité scientifique est fondée sur la possibilité pour tout membre de la communauté scientifique d'accéder à l'ensemble des données de base. Dans le domaine nucléaire, cette pratique n'est guère respectée et ces études se situent ainsi hors du champ scientifique. ** Les résultats des études CEA-Cogéma doivent être considérés provisoires car la durée du suivi est insuffisante, ce qui conduit à une sous-estimation du risque. Nouvelle bibliographie:
Annexe Probabilité pour qu'une mort observée soit due au risque professionnel Soit un groupe donné chez qui on a observé un nombre de cas n. Si pour le groupe de référence (même structure en âge, même sexe, même état de santé) on s'attend à un nombre a de cas, le SMR pour la cause de mortalité considérée est: = (n - a) / n = (N - 1) / N p.9
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Pendant très longtemps
la limite de dose maximale admissible des 5 rem par an qui était
à la base de la radioprotection des travaiIleurs sous rayonnement
ne s'appliquait pas aux mineurs d'uranium et cela dans tous les pays qui
exploitèrent des mines d'uranium. Les mineurs d'uranium avaient
"droit" aux 5 rem par an, plus une certaine quantité de contamination
interne par le radon.
Cette contamination interne se mesurait à partir d'une unité: le "Working Level" (niveau de travail: WL). Le WL correspondait à une contamination de l'atmosphère de travail par une concentration en radon de 100 picocuries par litre (3.700 Becquerels par m3). Un mois de 170 heures de travail dans une atmosphère de 1 WL correspondait à une dose de 1 WLM (Working Level Month). Les mineurs avaient ainsi droit aux 5 rem/an des autres travailleurs sous rayonnement, additionnés d'un certain nombre de WLM. Le problème majeur résidait dans le passage des WLM aux rem qui habituellement mesurent les doses de rayonnement. La polémique était très vive mais quelle qu'en pouvait être l'issue, les exploitants des mines d'uranium avaient le droit de soumettre les mineurs à des doses bien supérieures à celles autorisées pour les autres activités nucléaires. L'absence d'une dosimétrie individuelle du radon inhalé permettait une grande souplesse dans l'application des règles de radioprotection. Des prélèvements d'air étaient faits par-ci, par-là en certains points de galeries et analysés. Les extrapolations faites permettaient de calculer les WL. On peut imaginer les facilités de ce système. Que l'on fasse les prélèvements en des points particulièrement bien ventilés et les WL diminuaient, ne représentant pas du tout la contamination de l'atmosphère respirée par les mineurs dans des fonds de galerie en cul de sac. La situation semble s'être améliorée avec les possibilités de dosimétrie individueIle mais les biais dans les mesures sont toujours possibles et il faudrait effectuer une enquête plus poussée pour se prononcer sur la fiabilité du système. La filiation du radon
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La majeure partie de la radiotoxicité du radon est due au rayonnement a de ses descendants. La législation américaine limitait la contamination interne annuelle chez les mineurs à 4 WLM. En France, la règlementation jusqu'au décret récemment publié limitait la contamination interne à l'énergie des particules a des descendants du radon. Ainsi Pierre Zetwoog, chef de service à l'IPSN, résumait les règlementations française et américaine: "La règlementation américaine est basée sur une limite de 4 WLM soit 14,4 mJ.m-3.h par an [milliJoule par mètre cube heure par an]. La règlementation française limite implicitement l'exposition à l'énergie a à une valeur de 132 mJ .m-3.h par an[1]**. Ainsi le supplément de dose autorisé pour les mineurs d'uranium au-delà des 5 rem par an était 9 fois supérieur à ce qu'il était aux USA. Cette règlementation particulière aux mineurs d'uranium apparaissait comme une tare dans la construction "rationnelle" que tentait d'édifier la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) depuis 1977. Il faIlait donc mettre un peu d'ordre et fournir aux mineurs d'uranium le même système de radioprotection qu'aux autres travailleurs sous rayonnement. La limite des 5 rem par an devait tenir compte de l'irradiation externe et des diverses contaminations internes auxquelles les mineurs étaient soumis. C'était bien sûr une amélioration dans le système de radioprotection des mineurs d'uranium mais les problèmes étaient loin d'être résolus. En effet, comment devait-on passer d'une contamination par le radon à une dose efficace mesurée en rem? On demeure encore sous la dépendance de modèles dont la validité n'a rien d'évidente. Les responsables français de la santé publique ont dû adapter la radioprotection des mineurs à ces nouveaux concepts. Elles ne l'ont pas fait par un désir profond d'améliorer la protection des mineurs mais parce que les Directives de 1980 de la Commission des Communautés Européennes les mettaient en demeure de le faire. C'est ainsi que le décret n°90-222 du 13 juillet 1989 (JO du 20 juillet 1989) signé par le Premier Ministre Michel Rocard et par le Ministre de l'Industrie Roger Fauroux, a modifié l'ancien règlement qui régissait la règlementation spéeiale relative aux "industries extractives". Le décret du 9 mars 1990 (JO du 13 mars 1990) complétait la règlementation pour la "protection de l'environnement", c'est-à-dire des populations susceptibles d'être touchées par les activités minières. Nota: La CIPR, depuis 1990, recommande pour la protection des travailleurs soumis aux rayonnements ionisants, une limite de 20 mSv/an (2 rem/an) en moyenne sur toute période de 5 ans[5]. La législation française n'est donc pas conforme aux recommandations de la CIPR. Nous désirons faire quelques commentaires sur cette nouvelle règlementation. p.10
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Comment les concepts de radioprotection
dans les mines d'uranium réagissent sur les coûts de production?
Les contraintes de la nouvelle réglementation Si l'on tient compte de la contamination par le radon dans la limite de dose de 5 rem/an, cela revient à diminuer la teneur en radon dans l'atmosphère des galeries des mines. Une amélioration de la ventilation de ces galeries devient nécessaire. Cela est coûteux et parfois impossible pour certaines mines. Certains "responsables" ont bien tenté d'expliquer la limitation des possibilités de ventilation et donc de la radioprotection par leur souci de protéger les mineurs contre les affections pulmonaires comme l'indique le passage suivant: "C'est ainsi que l'expérience a montré que le principal moyen pour diminuer la concentration des produits de filiation du Radon 222 dans l'air des mines souterraines d'uranium, la ventilation, ne pouvait pas être augmentée indéfiniment sous peine d'entraîner des affections pulmonaires chez les mineurs"[2]. Les auteurs (Dr H. Jammet, CEA et M. Dousset, SCPRI) ont l'honnêteté de reconnaître que le problème est ailleurs: "Il est certain, cependant, qu'en règle générale les contraintes techniques et les coûts financiers jouent un rôle important dans l'analyse différentielle qui permet de déterminer le niveau optimal de protection et qu'il n'est pas possible, en particulier, de faire abstraction, comme le voudrait une certaine vision des choses, du rôle que jouent les prix de revient dans la réalité de la concurrence internationale" (souligné par nous)[2]. Comment ces auteurs du CEA et du SCPRI (Ministère de la Santé) justifient-ils l'optimisation qu'ils pensent devoir faire entre les coûts d'exploitation et la protection des mineurs? Voici leur réponse: "Le bilan total ne peut être fait que dans la perspective d'ensemble du cycle de l'uranium et du développement du nucléaire avec tous les avantages attendus: production d'énergie, mise au point et application de techniques de pointe dans les différents domaines: médicaux, scientifiques, industriels, etc ... La justification est donc inséparable d'un choix politique dont la responsabilité revient aux pouvoirs publics dans chaque pays" (souligné par nous)[2]. La radioprotection exige des équipements coûteux et les auteurs précisent sans ambiguité leur conception: "Encore faudrait-il que le coût de tels investissements soit compatible avec l'équilibre économique général que conditionnent de nombreux autres paramètres"[2]. Notons que la santé des mineurs ne semble pas être l'un des "paramètres" majeurs de cet équilibre qu'ils recherchent. Renvoyer, en dernière analyse, la responsabilité des décisions qui vont déterminer le nombre de cancéreux parmi les mineurs d'uranium aux instances politiques est tout à fait judicieux. Il ne faut pas cependant escamoter l'importance et la responsabilité des experts scientifiques qui vont conseiller ces instances politiques. Il est donc raisonnable d'attribuer la responsabilité des décisions à l'association experts scientifiques-responsables politiques, chacune des deux composantes de cet ensemble s'appuyant sur l'autre pour justifier son comportement. (suite)
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Conclusion On voit bien à travers les textes publiés dès 1980 par cette paire de responsables CEA/Santé publique, que les concepts de la CIPR concernant les mineurs d'uranium leur posaient quelques problèmes. L'application stricte des concepts de la CIPR, bien qu'ils soient très insuffisants pour assurer une protection correcte des mineurs d'uranium, a causé beaucoup de souci aux responsables du CEA. Un article de Pradel et Zettwoog, tous deux appartenant à l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) du CEA, publié en 19843 montre bien la nature des problèmes. Nous en présentons ici quelques extraits significatifs: "Le respect des nouvelles limites individuelles d'irradiation de la CIPR qui devrait permettre de maintenir le niveau du risque radiologique au-dessous de celui des risques classiques encore très élevés en mine, et tient compte précisément des résultats des enquêtes épidémiologiques sur les mineurs tchèques et américains*** apparaît dans bien des situations comme un objectif qu'il est difficile d'atteindre pour la totalité des effectifs. L'extraction minière, par rapport à d'autres étapes du cycle du combustible, reste l'une de celles où les irradiations spécifiques sont parmi les plus élevées". Les auteurs auraient pu préciser que c'est pour ces travailleurs que l'information sur les risques du rayonnement a été la plus réduite. Pour les auteurs, la situation est claire. "On peut voir que l'augmentation de la sévérité de la future règlementation conduira à mettre certains mineurs en situation de dépassement des doses individuelles dans la plupart des sièges miniers souterrains". Ce passage mérite d'être retenu car il semble bien qu'il n'est pas question pour les auteurs de respecter scrupuleusement la nouvelle règlementation (obligatoire depuis le décret du 13 juillet 1989). La situation existant antérieurement sera maintenue et les mineurs seront déclarés en dépassement de normes. Il n'est pas précisé ce que cela signifiera pour ces mineurs. Le CEA manifestement ne tenait pas à ce que les recommandations de la CIPR soient appliquées strictement. Pradel et Zettwoog mentionnaient que la CIPR elle-même présentait des arguments pour que ses propres recommandations ne soient pas suivies. Ainsi font-ils remarquer que la CIPR dans son compte rendu de la réunion de Brighton indique[3]: "Ces recommandations sont destinées aux autorités compétentes pour une application générale et leur application dans certains cas particuliers peut ne pas être pertinente. La Commission est consciente du fait que les conditions de certaines mines sont telles qu'il peut être impossible d'opérer dans les limites combinées recommandées par la Commission en les appliquant sur une base strictement annuelle. Les autorités nationales devront alors décider de la meilleure façon de régler ces situations peu courantes, mais difficiles". Ces considérations sont parfaitement conformes aux principes généraux de la CIPR. Dans ses recommandations de 1977 (publication 26, CIPR 26), il est bien spécifié que chaque Etat est autorisé à adapter au mieux les recommandations générales pour ne pas compromettre sérieusement le développement de son industrie nucléaire. La contrainte imposée par les Directives de 1980 de la CEE ne permet pas d'échapper à ces nouvelles normes particulièrement nocives pour les exploitants mais bénéfiques pour les mineurs. p.11
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Qui est responsable du risque professionnel
des mineurs d'uranium?
Pradel et Zettwoog sont très clairs à ce sujet[3]: "Le risque radioactif a longtemps été mal compris par les mineurs et traité avec une certaine indifférence". Il est particulièrement scandaleux que des gens dont l'activité est de type bureaucratique se permettent de déclarer à des mineurs qui meurent ou vont mourir d'un cancer du poumon que ce sont eux qui sont responsables et que la direction des exploitations minières n'est aucunement responsable de leur souffrance. Comment les mineurs auraient-ils pu prendre conscience que la mine était un redoutable agent cancérigène quand M. Chameaud, Chef du service Médical des divisions minières de la Cogéma, multipliait les déclarations sur l'absence de danger cancérigène dans les mines d'uranium: "Il est possible, si on le veut, de faire travailler les mineurs dans des conditions de risque acceptable"[4], D'une façon plus catégorique, il déclarait: "Dans les études épidémiologiques sur les mines d'uranium, il n'apparaît pas d'augmentation du nombre de leucoses ou des cancers"[4], M. Le Dr Jammet, haut responsable médical au CEA, soulignait qu'attribuer l'augmentation de la fréquence des cancers pulmonaires à la seule action du radon "est une interprétation très pessimiste"[2], Il est clair que si les mineurs ont été négligents vis-à-vis de leur sécurité, la responsabilité en incombe entièrement à la direction du CEA et aux "scientifiques" qui ont contribué à propager l'idée que les mines d'uranium ne présentaient pas de risques cancérigènes particulièrement graves. Pradel et Zettwoog n'adressent pas la moindre critique aux autorités médicales des exploitations minières, Par contre les associations écologistes semblent les énerver: "Cette prise de conscience du risque radioactif était d'ailleurs nécessaire à un moment où certaines assertions d'associations écologistes et antinucléaires provoquaient chez certains une sorte de panique avivée chaque fois qu'un décès par cancer survenait parmi les anciens mineurs"[3]. On peut se demander si ces bureaucrates de la sûreté nucléaire sont allés souvent visiter les familles des mineurs cancéreux pour leur démontrer que CEA et Cogéma n'avaient aucune responsabilité dans leur douleur mais que c'étaient les mineurs eux-mêmes qui par leur insouciance étaient les seuls responsables. Et l'économique dans ce contexte?
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Les auteurs finissent par signaler l'essentiel: "Une augmentation de l'air primaire peut être trop coûteuse en exploitation voire impossible techniquement si la résistance des galeries au passage de l'air est déjà forte.***" ... "Le percement de nouveaux puits d'aérage n'est pas toujours une solution applicable et de toute façon est une opération très onéreuse" (souligné par nous). On voit bien qu'en dernière analyse il s'agit d'une question d'argent. La protection des mineurs est un problème secondaire. Les auteurs, Pradel et Zettwoog, terminent leur article sur une conclusion particulièrement cynique et obscène: "Beaucoup de progrès ont été faits, mais beaucoup restent à faire. A tout le moins peut-on dire qu'on ne s'ennuie pas dans ce métier". Le mineur qui finira sa vie par un douloureux cancer du poumon, arrivera-t-il à se consoler en pensant qu'il ne s'est pas ennuyé? Commentaire Gazette
p.12
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Le décret n°90-222
du 9 mars 1990 (JO du 13 mars 1990) définit quelques contraintes
imposées aux exploitations minières d'uranium pour la protection
de l'environnement et de la population. Signalons que ces contraintes ne
sont bien sûr pas rétroactives et ne peuvent être appliquées
aux installations déjà en exploitation.
Ce décret n'est signé que par le Premier Ministre et le Ministre de l'Industrie. Le Ministre de la Santé et celui de l'Environnement ne sont pas signataires. D'après l'introduction de ce décret, il ne semble pas que l'avis du Ministre de l'Environnement ait été "vu". La radioprotection de la population est calquée sur ceIle établie pour les mineurs. EIle tient compte de l'irradiation externe et des diverses contaminations internes (émetteurs ? à vie longue de la chaine de l'uranium 238, descendants à vie courte du radon 222 et 220, radium, etc ... ). La limite est fixée à un équivalent de dose efficace de 5 mSv (500 mrem) par an. Mentionnons que la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a fixé, depuis 1985, la limite de dose pour la population à 1 mSv/an (100 mrem/an)*. La législation française n'est pas conforme aux recommandations des experts de la CIPR. Quelques remarques
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Article 16 "Voies de transfert des substances radioactives vers les populations" "Dans le cas visé au premier tiret du premier alinéa de l'article 15 lorsque l'exploitation minière doit durer plus de cinq ans, l'exploitant doit établir au plus tard deux ans après l'ouverture des travaux, la liste des principales voies de transfert vers les populations des substances radioactives provenant de l'exploitation et de ses installations. Tous les deux ans (souligné par nous), la teneur en radium 226 et en uranium doit être déterminée aux principaux maiIlons des chaines de transfert. En fonction des résultats ainsi obtenus, l'exploitant détermine les quantités de radium 226 et d'uranium susceptibles d'être ingérées par les personnes du public les plus exposées et calcule les taux d'exposition correspondants". - il n'est pas spécifié si ce règlement est applicable aux installations déjà existantes. - pour les législateurs (M. Rocard et R. Fauroux), une mesure unique pour une période de 2 ans est suffisamment représentative de la réalité! - à partir de cette mesure unique, c'est l'exploitant lui-même (le pollueur) que les législateurs chargent d'établir l'impact sanitaire sur la population. En somme, ce sont les exploitants eux-mêmes qui détermineront si leurs pratiques respectent les normes de protection de la population. A quoi bon rédiger des décrets de règlementation pour aboutir à une telle conclusion? - la chaîne de désintégration du thorium 232 est totalement ignorée alors que dans les minerais d'uranium la concentration en thorium peut être 3 fois plus importante que la concentration de l'uranium. D'autre part, le radon 220 (thoron) et ses descendants, qui proviennent par filiation du thorium 232, sont beaucoup plus radiotoxiques que les descendants de l'uranium. Une annexe au décret apporte quelques
précisions:
p.13
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