La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°105/106, janvier 1991
SAINT-AUBIN ET ITTEVILLE

(SUITE, voir Gazette Nucléaire N°107)
numérisée par Alain Vérignon
Editorial / SOMMAIRE


     Quoi de neuf sur le front du nucléaire?
     Tout semble calme, et pourtant, on y regardant de près, on constate qu'une intense pagaille règne dans tous les secteurs.

     Le CEA s'enlise dans ses mensonges et autres démentis à propos de ses tas de m..., pardon de ses déposantes (Itteville, la décharge de l'ancienne usine du Bouchet, Saint-Aubin, celle du centre de recherche de Saclay et «autres lieux découverts à marée basse»!!!). Comme on parle longuement de ces sujets dans cette Gazette, je n'en dirai pas plus. Mais par contre, à ceux d'entre vous qui ne lisent rien d'autre que la Gazette Nucléaire, il faut raconter les derniers avatars du CEA. Cette fois, c'est sa filiale ORIS qui défraie la chronique. Cette filiale située sur le site de Saclay fabrique, conditionne et commercialise des sources radioactives pour l'industrie et la médecine. Elle avait l'intention de faire venir des USA du Chlorure de Césium (Cs 137). Le SCSIN lui avait demandé de prendre un certain nombre de dispositions indispensables pour stocker ce produit très soluble dans l'eau et, ce préalablement à l'importation, bien sûr! Et que trouvent les inspecteurs venus visiter l'installation? rien de ce qui était annoncé dans les dossiers mais par contre deux châteaux de plomb contenant le début de la livraison; toujours le même jeu, pas vu pas pris. Et alors, tenez-vous bien: le Service Central a demandé et obtenu de ses ministres de tutelle la suspension de l'autorisation de fonctionnement de l'ORIS à partir du 13 décembre 90. Comme disent les jeunes, ça craint, non ça... clay!

     Passons aux autres acteurs, ce n'est pas vraiment mieux.

     L'Andra se demande quels faits nouveaux (???) apparus pendant le moratoire d'un an qui va se terminer en février lui permettraient de reprendre la prospection des sites sans que ses agents se retrouvent couverts de goudron et de plumes. A part les incidents d'Auriat, lieu où se poursuivaient des recherches - en catimini disent les habitants - normalement permises disent les agents CEA, il n'y a rien de probant. A notre avis, il est grand temps de traiter le problème avec clarté, ça aidera tout le monde.
     La Cogema qui se croyait très forte et très futée d'annoncer qu'elle était capable de traiter en ligne les boues issues du retraitement des combustibles et même de reprendre et de conditionner tout le stock des vieilles boues accumulées depuis des années, s'aperçoit avec horreur que les autorités de sûreté l'ont prise au mot. D'accord, elle a son autorisation de démarrer UP3, mais seulement jusqu'en 1993 et sous condition de faire effectivement ce qu'elle disait être capable de faire. Si maintenant on ne peut même plus mentir dans des rapports officiels, il n'y a plus de morale industrielle.
     La Nersa passe au chinois le sodium du circuit primaire de Superphénix pour en extraire les particules d'oxyde produites par l'arrivée intempestive d'air dans le circuit d'argon, fuite idiote à laquelle ses spécialistes ne pensèrent qu'au bout de 15 jours. De toute façon, Superphénix est coincé par la bulle de Phénix. Vous savez bien, cet incident de l'été 89 pour lequel on avait tout compris et pris toutes les mesures pour qu'il ne se reproduise pas! Eh bien, c'est raté, cela a recommencé en 90 et du coup Creys-Malville ne redémarrera, s'il redémarre, qu'une fois le problème réglé et bien réglé. On peut, en plus, se poser des questions sur le sérieux de la construction. La toiture du bâtiment où est situé le groupe turbo-alternateur vient de s'écrouler sous le poids de la neige. Le chef de projet qui a étudié le truc devait passer tous ses hivers au club Med au Maroc et personne n'avait pensé à lui dire qu'il arrivait souvent qu'il tombe de la neige en hiver, dans la région Rhône-Alpes. A moins qu'il ait fait ses classes à la division transport d'EDF... (voir plus loin).
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     EDF se débat face à son incapacité d'assurer le contrôle qualité pendant les opérations de maintenance. Les grands chefs et même ceux qui croient on faire partie nous bassinent avec les grandes idées géniales de culture de sûreté. Il est vrai que l'opérateur qui travaille sur une tranche est sensible à l'idée qu'il est aux premières loges et que si ça pète c'est d'abord pour lui, puis pour sa famille. Mais par contre pour les opérations de maintenance où EDF fait travailler le constructeur qui refile le bébé à un sous-traitant, puis de sous-traitant en sous-sous-traitant on finit par la boîte qui se renforce avec des intérimaires. Ça devient du cauchemar.
     Comme de toute façon les cadres répugnent à descendre au charbon et gèrent de leur bureau l'assurance qualité, adressant leurs rapports aux rares inspecteurs des services centraux, on arrive à la situation actuelle: il y a incident sur incident au moment des redémarrages. Le SCSIN est furieux et le dit, mais ce n'est pas cela la nouveauté. Cela fait maintenant plusieurs années qu'on sent bien que la moutarde leur monte au nez. Mais voilà que Pellerin s'en mêle. On aura tout vu. Est-ce l'approche d'une retraite bien méritée dans le calme douillet d'une résidence située à l'ombre d'une centrale qu'il voudrait bien ne pas voir divaguer? Toujours est-il qu'il met en demeure EDF de respecter la réglementation sur les ISR. Vous savez bien, cet ingénieur de sûreté et radioprotoction mal payé qui est censé pouvoir s'opposer à l'autorité du chef de centrale. Le règlement dit qu'il doit y en avoir un 24 heures sur 24 sur le site et 7 jours sur 7. Débrouillez-vous dit Pellerin, embauchez, nommez, mais pas question d'un malheureux gus avec une astreinte par téléphone qui a quand même le droit de partir en week-end.
     Si  EDF  n'avait  que  cette préoccupation-là! Mais il y a aussi ces saletés de générateurs de vapeur qui ont leurs vapeurs. Ça y est, on a remplacé les 3 GV de Dampierre 1. Cher, très cher, moins de 10 ans de fonctionnement alors qu'à l'origine c'était prévu pour 30. En plus, il faudrait compter la perte de production pendant l'arrêt, celles correspondant à tous les arrêts auparavant pour boucher les nombreux tubes défaillants et la perte de puissance disponible qui s'en suivrait. Et il y a encore des gens qui arrivent à parler du prix du kWh... Autant disserter sur le sexe des anges. On prévoit seulement de changer tous les générateurs de vapeurs sur 10 tranches pour commencer, puis sur 17 autres... Mais on nous rassure, les nouveaux GV vont être terribles, avec des tubes en Inconel 690. Fini la nuance du type 600, à la poubelle. Mais au fait, pourquoi sur Fessenhoim, les deux premières 900 MWe françaises, les tubes des GV se portent relativement bien alors que sur les suivantes c'est le délire? Aurait-on mal fait les choses par la suite, l'ampleur du programme et la précipitation des constructions y seraient-elles pour quelque chose ou aurait-on changé des caractéristiques techniques? Et puis si on regarde les centrales allemandes (de RFA bien sûr, pas les épaves de RDA), on se pose à nouveau cette amusante question: pourquoi leurs GV n'ont-ils pas les mêmes états d'âme que les nôtres?
     Dernière question amusante: les sous-marins de la force de frappe ne semblent pas souffrir de cette même maladie, enfin on l'espère car ils nous coûtent assez cher comme cela. On ne voit que deux réponses possibles qui sont peut-être vraies ensemble: Framatome est incompétent dans ce domaine et la technologie Westinghouse ne vaut pas grand chose. Mais c'est bien fini, avec l'Inconel 690 (qu'on n'a jamais testé qu'en labo...) plus de problème. Les mauvais esprits se demandent pourquoi on n'a pas choisi l'Inconel 800 comme en Allemagne ou sur les sous-marins. A cette question, il a été répondu que c'est parce qu'on avait des centrales en bord de mer et que l'eau de mer... Ah bon, j'ignorais que nos sous-marins ne voguaient que dans l'eau douce du bassin des Tuileries! A moins que tout cela soit dû aux effets corrosifs d'une licence et des contrats post-licence. C'est beau l'indépendance énergétique apportée par l'industrie nucléaire.
suite:
     Remarquez que les choses sont bien organisées. Afin de ramener les têtes pensantes au niveau du quotidien, la météo s'en est mêlée. Et c'est là qu'on a pu voir l'effet «boule de neige» des économies de bouts de chandelles. Comme je vous le disais à propos de Creys Malville, il a neigé en France cet hiver. Cela doit faire quand même quelques siècles que c'est le cas sous notre latitude, mais les statistiques aidant, on a estimé qu'«une neige du type de celle qui vient de tomber» n'avait le droit de se produire qu'une fois tous les 50 ans. Dans ces conditions les lignes, les pylones ne sont pas conçus pour supporter le poids supplémentaire et les jolies guirlandes qui habillent la fée électricité se sont ramassées pendant que les pylones se tordaient de rire. Il y a même eu une des lignes 400.000 V d'alimentation de Superphénix qui a dégagé. Amusant, non, quand on sait que pour maintenir le sodium liquide dans la cuve quand le réacteur est arrêté, il faut le chauffer. Superphénix, la machine faite pour consommer les excédents de production d'électricité...
     Et pendant ce temps-là, d'autres loufoques continuent à rêver surgénération, au point que vient de s'installer à Lyon un groupe de travail sur l'EFR (Eurepean Fast Reactor) qui compte apporter d'ici deux ans la preuve que leur réacteur à neutrons rapides est rentable (sur le papier). Cela c'est le lobby des RNR. Pour gamberger, ils gambergent, profitant de l'espace européen et des accords signés en 1984 entre la France; la RFA et la Grande-Bretagne.
     Pour compléter le tour d'horizon, il reste à parler des inconditionnels de la fusion. Cela va bien pour eux, ils ont toujours autant de fric à dépenser pour rédiger des rapports disant que c'est pour demain, ce qui veut dire que tous les 10 ans on déclare très sérieusement qu'en continuant à leur donner beaucoup d'argent on aura enfin l'énergie à volonté et gratuite dans... 50 ans. C'est ça le «business». Vous avez vu comment le soufflé a gonflé à propos de la fusion froide. C'était la mémoire de l'eau lourde, avec production d'énergie en quantité de plus en plus homéopathique au fur et à mesure que les expériences étaient refaites sérieusement. Même une fois le consensus obtenu que c'était du même acabit que les rayons N(1), il s'est trouvé un état des USA qui a financé la création d'un institut, institut dont la publication des résultats est reportée de mois en mois.
     Mais on ne saurait être complet en passant sous silence nos chers (et oh combien chers) militaires. Ils se couvrent toujours autant de ridicule à Moruroa, heureusement cette fois sans mort d'homme. Ils rejettent les militants de Greenpeace à la mer en leur interdisant de faire des prélèvements d'eau. J'espère qu'ils les ont essorés avant de les relâcher sinon ces damnés écologistes arriveront quand même à faire mesurer l'activité de l'eau à proximité de l'atoll. Si c'est pour faire la preuve qu'il y a quelque chose à cacher, je pense que c'était la meilleure façon de procéder. Si par contre il y a aussi peu de risques que le prétendent nos traineurs de sabres, alors faisons ces essais dans le sous-sol de l'hexagone. Cela coûtera moins cher en frais de mission pour les gens de la DAM (PS: une telle proposition risque de diminuer les vocations des volontaires pour la bronzette dans le pacifique!)
     Tout de même une pointe d'optimisme: une nouveauté, les rapports de l'Office parlementaire sur d'une part la structure de la sûreté et du contrôle en France et d'autre part la politique de stockage des déchets. Ces rapports font des ravages, au point que le Premier Ministre s'est engagé à ce qu'il y ait un débat au Parlement sur ces sujets au printemps, avec enfin une loi réglementant le nucléaire. Affaire à suivre, car quel serait le contenu d'une telle loi? (et accessoirement n'y aura-t-il pas un changement de Premier Ministre avant le printemps?). On verra bien si nos espoirs sont enfin satisfaits ou si c'est seulement une parole... verbale!
     Vous voyez bien que tout est calme sur le front du nucléaire. Que cela ne vous empêche pas de renouveler vite votre abonnement a la Gazette Nucléaire.
     Bonne année.
1. Les rayons N, «découverts» par R. Blondiot en 1903 (N comme Nancy, ville où travaillait le génial inventeur), avaient la caractériatique d'avoir des effets décelables uniquement par leur inventeur et ses disciples.
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REABONNEZ-VOUS VITE SINON PLUS DE GAZETTE.
FAUDRA-T-IL UN TCHERNOBYL FRANÇAIS POUR QUE LA GAZETTE VIVE?
CE SERAIT VRAIMENT LA CATASTROPHE!


SOMMAIRE
EDITO
Le Bouchet et Saint-Aubin
Les recommandations de la CIPR
Rapport du SCSIN
L'OMS et notre santé mentale; Westinghouse poursuivie en justice
Et si on parlait organismes de contrôle; les directives du CCE; la Commission de la Hague

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