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N°137/138

Communiqué de presse des ministères
de l'industrie, de l'environnement et de la recherche
SUPERPHENIX
12 juillet 1994


     I) Le décret d'autorisation de création du réacteur prototype Superphénix a été publié le 12 juillet 1994 au journal officiel de la République Française.
     Il reprend les dispositions rendues publiques par le gouvernement le 22 février 1994:
     - Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire, mais deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration. Son fonctionnement ne pourra pas être soumis à des consignes de niveau de puissance par Electricité de France, afin de laisser toutes latitudes au déroulement du programme d'acquisition de connaissances.
     - Les expériences menées conformément au programme d'acquisition des connaissances devront avoir préalablement l'autorisation de l'autorité de sûreté nucléaire (direction de la sûreté des installations nucléaires).
     II) Le programme d'acquisition de connaissances présenté par Nersa EDF et le CEA a été évalué par MM. Dautray et Detraz qui ont remis leurs conclusions le 31 mai 1994; il a été approuvé sur ces bases par le Ministre de la Recherche.
     Le calendrier, le déroulement, les résultats et les difficultés éventuelles de ce programme seront portés à la connaissance du Gouvernement chaque semestre. En outre, les résultats scientifiques seront adressés chaque année à la commission Nationale d'Evaluation instituée par la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs et installée le 29 mars 1994.
     III) Le redémarrage effectif du réacteur dépend désormais, comme pour toute installation nucléaire de base, d'une décision du Ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce Extérieur, et du Ministère de l'environnement, prise sur rapport du Directeur de la sûreté des installations Nucléaires.
     Cette décision reste notamment subordonnée à la vérification par l'autorité de sûreté nucléaire du bon achèvement des travaux de lutte contre les feux de sodium, et à l'approbation du programme de redémarrage progressif par paliers de l'installation.
p.3a
Nota: La page "LEMI Schistes" de Revin est en encart dans le dossier "La réglementation en radioprotection" en cours de numérisation
EDF-NERSA-CEA
Superphénix:
programme d'acquisition de connaissances
1. Contexte
     Dans la décision annoncée le 22 février 1994, le gouvernement fixe les orientations pour superphénix. Conformément à cette décision, un Comité Directeur réunissant NERSA, EDF et le CEA a établi le programme d'acquisition de connaissances, décrit ci-après, qui est soumis à l'évaluation de MM Dautray et Detraz.
     Superphénix est un prototype industriel des réacteurs à neutrons rapides. Réalisé dans un cadre européen, avec l'objectif de démontrer la faisabilité des surgénérateurs, ce réacteur peut être mis à profit pour acquérir des connaissances essentielles dans deux voies de développement qui sont aujourd'hui prioritaires, la consommation du plutonium produit par les réacteurs à eau et la destruction de déchets radioactifs de longue vie, comme cela a été mis en évidence dans le rapport établi à la fin de 1992 sous l'autorité du Ministre de la recherche.
     En effet, la filière des réacteurs à neutrons rapides, qui permettrait d'utiliser plus complètement les ressources en uranium, consomme le plutonium. Elle présente une capacité et une souplesse plus grandes que celles des réacteurs classiques (REP) pour gérer les stocks de cette matière, tout en produisant un minimum de déchets radioactifs; elle est également susceptible de contribuer à la réduction de certains de ces déchets par transmutation.
     Le développement technologique de cette filière repose sur les résultats d'importants programmes de recherche menés depuis plusieurs décennies dans divers pays et particulièrement en Europe, sur l'expérience de fonctionnement de plusieurs prototypes de puissance intermédiaire, et notamment celle acquise depuis vingt ans avec Phénix, et plus récemment sur la réalisation industrielle de Superphénix et sur les études liées au projet européen EFR. Les démonstrations attendues du fonctionnement de Superphénix, prototype en vraie grandeur, sont indispensables pour valider les solutions retenues ou orienter les travaux de recherche complémentaires.
     Les recherches sur l'utilisation du plutonium et sur la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie comportent plusieurs volets, acquisition de données nucléaire, mise au point de méthodes de calcul, développement de combustibles ou de cibles adaptés à l'objectif, optimisation des coeurs vis à vis des performances et de la sûreté, procédés de fabrication et de retraitement..De par sa conception, le réacteur Phénix est bien adapté pour l'expérimentation sur les combustibles, choix des matériaux, comportement en réacteur, recherche de performances.
p.3b

     Superphénix offre une possibilité unique de qualifier sur un coeur complet de taille industrielle les calculs de différents modes de fonctionnement avec le passage progressif de la surgénération à la sous-génération. Par ailleurs, il permet de tester, en vraie grandeur et dans des conditions neutroniques représentative d'un réacteur de production, des assemblages combustibles réalisés à partir de technologies expérimentées dans Phénix et caractéristiques de choix possibles pour des réalisations industrielles ultérieures de réacteurs consommateurs de plutonium ou incinérateurs de déchets.
     Dans le cadre de ces recherches, les irradiations d'éléments combustibles expérimentaux nécessitent des fabrications spéciales et des examens post-irradiatoires. La mise au point des procédés de fabrication adaptés à de nouveaux combustibles fait partie du programme de recherche et met à profit des laboratoires spécialisés du CEA et la chaîne pilote de fabrication de Cadarache. Les moyens nécessaires à la réalisation d'examens post-irradiatoires sont exploités depuis de nombreuses années sur Phénix et ont été développés pour les assemblages de Superphénix en prévision des examens du combustible standard du coeur. Le démantèlement des assemblages et certains examens non-destructifs sont effectués au Laboratoire de Surveillance des Assemblages Irradiés à Marcoule et les autres travaux sont assurés par le Laboratoire d'Examens et de Caractérisation des Assemblages à Cadarache.

2. Objectifs
     Le programme d'acquisition de connaissances, nécessitant le fonctionnement de la Centrale de Creys-Malville, comporte trois grands objectifs complémentaires:
     - démontrer la capacité d'un réacteur à neutrons rapides à produire de l'électricité à un niveau industriel, tout en contribuant à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie;
     - étudier la flexibilité des réacteurs à neutrons rapides, utilisant le combustible plutonium et qualifier les solutions techniques développées dans le cadre des programmes de recherche visant à permettre de faire fonctionner ce type de réacteurs en consommateurs nets de plutonium, en particulier du projet CAPRA;
     - étudier les possibilités de destruction de déchets radioactifs de longue vie, en particulier les actinides mineurs, américium et neptunium, dans le cadre du programme de recherche SPIN répondant aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991.

3. Propositions de programme
     Ces propositions sont articulées suivant les trois grands axes d'objectifs définis précédemment.
     3.1. Démonstration du fonctionnement d'un prototype de RNR
     Le réacteur doit être exploité comme un prototype, en mettant à profit toutes les observations, qu'elles concernent le fonctionnement normal ou les anomalies, pour en faire l'analyse, en tirer tous les enseignements et permettre le retour d'expérience.
     Le suivi de l'état et des performances des différents systèmes et composants de la chaudière nucléaire comportera in situ, des inspections périodiques, des examens particuliers pendant les périodes de maintenance et des tests spécifiques.
     Cette acquisition de connaissances technologiques concernera les principaux ensembles de la chaudière:
     - Le combustible avec notamment la tenue des gaines pour des temps de séjour très longs;
     - les circuits sodium dont l'expérience de fonctionnement à la taille des composants de Superphénix sera une source fondamentale d'informations sur les choix de matériaux, le comportement thermomécanique, le maintien des caractéristiques chimiques, les détections de pollution, de fuites, la maintenance, etc.,

suite:
     - la manutention dont le rôle est primordial pour avoir un taux de disponibilité suffisant tout en assurant une souplesse dans les modifications du coeur,
     - l'inspection en service qui a fait l'objet de développemcnt de moyens spécifiques de contrôle dont la mise en oeuvre est doublement intéressante, par les résultats qu'elle procure sur l'état des structures inspectées et par l'expérience du fonctionnement de ces moyens spécifiques de contrôle.
     En cas d'anomalie de fonctionnement, dont l'occurrence ne peut être exclue dans un réacteur prototype, la priorité sera donnée à une analyse approfondie des phénomènes mis en cause et à l'acquisition des informations complémentaires permettant d'en expliciter les causes, de garantir l'absence de risques et de tester les remèdes nécessaires.
     3.2 Recherche sur la consommation de plutonium
     Les réacteurs à neutrons rapides peuvent consommer leplutonium qu'elle qu'en soit l'origine, par exemple le retraitement de combustibles à l'uranium des réacteurs à eau, ou de combustibles MOX ayant permis un premier recyclage du plutonium dans ces mêmes réacteurs. Suivant la conception du coeur, ils sont susceptibles de régénérer plus ou moins de plutonium par transmutation de l'uranium Jusqu'à présent les travaux de recherche ont porté principalement sur la version sur-générateurs qui permet d'extraire un maximum d'énergie de l'uranium naturel.
     A l'autre extrême, le projet CAPRA vise à développer une version de ces réacteurs dont la consommation nette de plutonium (bilan consommation-production) serait importante, de 80 à 110 kg~Whe. Ce projet implique une conception nouvel-le du coeur et des éléments combustibles, tout en s'appuyant sur les développements technologiques antérieurs (en particulier Superphénix et le projet européen EFR) pour les autres parties de la chaudière nucléaire.
     Dans ce domaine de la recherche sur l'utilisation du plutonium, les résultats attendus du fonctionnement de Superphénix sont à deux niveaux:
     - une conversion progressive du coeur du mode surgénérateur au mode sous-générateur, montrant la flexibilité du concept et apportant une première expérience au niveau industriel du fonctionnement d'un RNR en consommateur net de plutonium;
     - la qualification sur des assemblages combustibles entiers de solutions techniques, développés notamment dans le cadre du projet CAPRA, apportant des éléments décisifs pour la mi-se au point ultérieure de réacteurs de ce type.
Conversion en sous-générateur
     Le coeur actuel de Superphénix est surgénérateur, essentiellement du fait des couvertures fertiles en uranium qui sont disposées radialement avec 220 assemblages et axialement avec des sections en uranium placées aux deux extrémités de la partie fissile dans chaque élément combustible du coeur. Le programme proposé pour la conversion en sous-générateur comporte trois phases:
     - La suppression de la première rangée de couvertures radiales, dans le délai le plus court compatible avec la réalisation des assemblages en acier de substitution (mi-95);
     -la suppression complète de la couverture radiale avec le chargement du coeur 2;
     - la suppression des couvertures axiales dans le chargement du coeur 3, dont la composition des éléments combustibles sera en outre adaptée pour assurer une consommation nette de plutonium d'au moins 20 kg[1'WJie.
Partant d'un coeur qui produit 25kg/TWhe, en plutonium fissile, même ordre de grandeur qu'un REP, la première étape permettra de réduire cette production à une valeur proche de 12kg dès mi-95; le bilan net sera nul pour le coeur 2, à partir de fin 96-début 97, et négatif de plus de 20kg dans le coeur 3 dont le démarrage interviendra vers la fin de la décennie.
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     Un bilan plus négatif pour le coeur 3, ou une éventuelle quatrième phase avec une consommation accrue, pourront être envisagés en tenant compte des résultats des études et en particulier de celles liées au projet CAPRA, dans la limite des adaptations compatibles avec le maintien du niveau de sûreté de la Centrale.
     La progressivité de cette conversion en sous-générateur, tout en respectant les contraintes industrielles (délais d'études et de réalisations de divers éléments) et économiques (valeur des assemblages combustibles des coeurs 1 et 2), permettra de redémarrer la centrale après ce arrêt long avec un coeur bien connu et d'acquérir des données sans équivalent pour la qualification des calculs de coeurs avec différents niveaux de régénération.
Le programme expérimental comportera des mesures en réacteur et des examens après irradiation pour chacune des configurations de coeur définies précédemment.

Essais sur assemblages

     Les études menées dans le cadre du projet CAPRA conduisent à définir de nouveaux éléments combustibles qui seront, soit à base d'oxyde mixte, mais avec des teneurs en plutonium beaucoup plus élevées que dans la version surgénérateur, soit à base de nitrure mixte ou de composites, céramique-métal ou céramique-céramique, si l'on cherche à éliminer totalement l'uranium. Ces combustibles devront pouvoir être utilisés avec différentes qualités isotopiques de plutonium et d'éventuelles additions d'américium ou de neptunium.
     Le réacteur Phénix sera utilisé pour tester, au niveau de quelques aiguilles, les diverses solutions techniques envisageables, trier parmi ces solutions pour mettre en évidence les voies les plus intéressantes et les limites de fonctionnement qui les caractérisent.
     Le programme de démonstration dans Superphénix vise une véritable préqualification industrielle des solutions qui pourraient être retenues dans des réacteurs de type CAPRA. Cette étape est indispensable pour disposer dans le domaine du coeur et des éléments combustibles, celui qui est profondément modifié, d'un niveau de connaissances comparable à celui que nous avons pour les autres composantes de la chaudière nucléaire.
     Ce programme qui sera soumis à l'accord de l'Autorité de Sûreté et qui devra évidemment être adapté au fur et à mesure de l'avancement des études CAPRA pourrait comprendre:
     - dès la fin de 1995, le chargement en réacteur de deux ou trois assemblages spéciaux, caractéristiques de la solution oxyde mixte avec teneur élevée en plutonium et dilution correspondante du combustible, chacun de ces assemblages étant réalisé avec un plutonium de composition isotopique particulière;
     - après un an d'irradiation, au chargement du coeur 2, le remplacement de ces assemblages par des éléments de composition identique ou voisine et destinés à une irradiation de longue durée;
     - l'introduction progressive, à partir du coeur 2 et suivant les conclusions des essais dans Phénix, d'assemblages prototypes d'autres variétés de combustibles, nitrures ou composites mais également oxyde mixte avec empoisonnement partiel si cette alternative à la dilution apparaît suffisamment prometteuse;
     - la réalisation, si possible dès le coeur 3, d'une zone test de volume limité mais suffisant pour avoir un environnement représentatif d'un coeur à très forte consommation de plutonium (une vingtaine d'assemblages?),dans laquelle seront placés l'essentiel des assemblages en cours de qualification.
suite:
     3.3 Recherche sur la destruction de déchets à longue durée de vie
     Les travaux de recherches développés, notamment dans le cadre du programme SPIN, comportent un volet d'études sur la séparation des éléments radioactifs de longue vie, actinides mineurs ou produits de fission, et un volet concernant la transmutation ou destruction de ces éléments. Ces travaux ont mis en évidence l'intérêt particulier des réacteurs à neutrons rapides pour la destruction des actinides mineurs, en particulier les plus abondants, américium et neptunium, par le processus de fission qui conduit à les transformer, pour l'essentiel, en déchets de courte vie.
     Comme pour la consommation du plutonium, les expérimentations sont conduites au départ dans le réacteur Phénix, à une petite échelle, quelques pastilles comme dans l'expérience SUPERFACT ou quelques aiguilles pour les solutions les plus prometteuses.
     Les démonstrations attendues dans Superphénix ont un triple but, confirmer la capacité des RNR à satisfaire le besoin, préciser les performances de cette solution, apporter des éléments indispensables sur la compatibilité des deux démarches, consommation de plutonium et destruction d'actinides, menées simultanément dans le même réacteur.
     Pour le neptunium, dont la destruction par recyclage homogène dans le combustible paraît la solution la mieux adaptée, sans créer de pénalités importantes, le calendrier des démonstrations doit être adapté à la possibilité de disposer des quantités correspondantes de cet élément et de fabriquer les éléments expérimentaux. Le programme proposé comprend successivement:
     - un assemblage contenant un à deux kilos de neptunium, en dilution homogène, qui serait chargé dans le coeur aussi vite que le permet le délai de fabrication (fin 95);
     - quatre assemblages, contenant au total environ 10 kg de neptunium, dans des configurations représentatives du recyclage homogène et du recyclage hétérogène (quelques aiguilles à forte teneur, le reste du combustible étant inchangé), qui seraient chargées en 1997 ou 1998 suivant les délais d'approvisionnement et de fabrication.
     - des quantités beaucoup plus importantes, jusqu'à 100 kg ou plus, à la fin de la décennie, dans des conditions défmies en fonction des résultats obtenus à partir de l'expérimentation dans Phénix et des deux étapes précédentes.
     Ce programme doit permettre, de préciser les performances de la destruction de neptunium dans les RNR, mais également de faire une démonstration avec des quantités représentatives d'une utilisation de ce type de réacteurs pour consommer le neptunium produit dans un parc électro-nucléaire, afin de confirmer l'absence de conséquences pénalisantes pour le réacteur même dans le cas d'introduction de quantités importantes.
     La réalisation de ce programme nécessitera des investissements spécifiques pour la séparation du neptunium, pourla fabrication des éléments expérimentaux et pour leur retraitement.
     Le cas de l'américium est plus complexe, par suite des deux voies de formation différentes de ces isotopes principaux, des difficultés à l'extraire au retraitement, et de son activité gamma qui complique les opérations de fabrication. Pour sa destruction, le choix entre les solutions de recyclage homogène ou hétérogène dépendra en partie des résultats de l'expérimentation à poursuivre dans Phénix mais aussi des conditions de fabrication qui comporteront inévitablement une pénalité assez importante.
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     Le programme proposé pour Superphénix comprend deux volets:
     - la mise à profit du vieillissement des éléments combustibles, et donc de la formation d'américiurn 241 par décroissance radioactive du plutonium, pour acquérir des données sur la destruction de cet isotope dans des conditions représentatives d'un recyclage homogène. A cet égard, la reprise du fonctionnement avec le coeur actuel, dont le combustible contient déjà près de 1% d'américium, apportera des informations précieuses, à condition de procéder à un certain nombre d'examens après déchargement des éléments combustibles. Une seconde étape, avec des teneurs plus élevées, pourrait être décidée en conservant quelques éléments du coeur 2 pour ne les charger qu'au démarrage du coeur 3.
     - la réalisation de quelques éléments expérimentaux représentatifs des deux modes de recyclage. Quelques aiguilles pourraient être introduites dans les assemblages de démonstration pour le neptunium en 1997-1998 et l'objectif serait de pouvoir charger un assemblage complet à la fin de la décennie.
     Comme pour le neptunium, le programme concernant l'américium nécessitera un effort particulier aux différentes étapes du cycle, séparation, fabrication et retraitement, ainsi qu'un support d'examens et d'analyses.

4. Organisation
     Le programme d'acquisition de connaissances proposé pour Superphénix nécessitera la mise en place d'une organisation spécifique permettant d'une part de gérer l'ensemble des opérations touchant le réacteur et son combustible, en parallèle avec l'exploitation, et d'autre part de coordonner les actions correspondantes avec celles qui seront nécessaires dans les différentes étapes du cycle de combustible ainsi qu'avec les programmes de recherches sur l'utilisation du plutonium et la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie. Cette organisation comprendra:
     - Le Comité Directeur, réunissant des responsables de NERSA, d'EDF et du CEA, qui est chargé de l'élaboration de la proposition de programme d'acquisition de connaissances et qui assurera le pilotage de la réalisation de ce programme ainsi que de la gestion de l'ensemble des observations faites dans le fonctionnement du réacteur.
     - Le détachement sur le site de la Centrale d'une équipe du CEA ayant pour mission principale l'acquisition des résultats et la coordination des actions techniques en liaison avec l'exploitant.
     - La constitution de groupes spécialisés pour la mise en forme, l'analyse et l'exploitation du retour d'expérience dans les trois domaines d'objectifs définis précédemment.
     - La désignation dans les organismes concernés de correspondants ou d'équipes spécifiques pour assurer de manière coordonnée le support nécessaire en études, réalisations, examens...

suite:
     Les travaux effectués dans le cadre de ce programme feront l'objet de compte-rendus périodiques, la mise en oeuvre du programme sera suivie par une Commission qui remettra chaque année à la Commission Nationale d'Evaluation instituée par la loi du 30 décembre 1991, un rapport sur les expériences menées dans le domaine de la reduction des déchets à longue durée de vie.

Superphénix: Chiffres Clés

1 - Coût direct du programme d'acquisition des connaissances
     100 MF/an (ce montant sera atteint progressivement), dont:
     - 20% pour la sûreté et le fonctionnement du réacteur;
     - 50% pour la qualification de solutions pour consommer du plutonium (CAPRA);
     - 30% pour l'incinération des actinides mineurs (SPIN).

2- Coûts indirects
     a) Remplacement des assemblages fertiles par des assemblages métalliques:
     120MF(40MF mi 1995 et 80MF mi 1997)
     b) Coût du troisième coeur: de l'ordre de 1,3 Milliard de francs (en l'an 2000).

3- Financement
     a) Coût direct: à part égales entre le CEA et EDF;
     b) Coût indirect: par NERSA, qui exploite le réacteur.

4- Autres chiffres clés
     Le programme s'intégrera à des programmes déjà en cours au CEA
     · SPIN (incinération des actinides):
     environ 300 MF/an
     · CAPRA (consommation du plutonium):
     environ 200MF/an
     · Retraitement à moyen et long terme:
     environ 300 MF/an
     · Retraitement et conditionnement des déchets:
     environ 170 MF/an
     · Entreposage - stockage:
     environ 140 MF/an
     D'autre part, quatre sites sont candidats pour un laboratoire d'expérimentation sur le stockage longue durée dans le cadre de la loi du 30 décembre1991 (environ 1,5 Milliard de Francs par laboratoire sur 10 ans).

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Evaluation du programme d'acquisition de connaissances
par Robert Dautray
     Le redémarrage de Superphénix et le programme d'acquisition de connaissances auquel devrait donner lieu son fonctionnement, s'inscrivent-ils dans l'activité électronucléaire nationale? En cohérence avec l'exposé des motifs figurant dans le communiqué du Premier Ministre du 22 février 1994, il me paraît important de rappeler le contexte afin d'apprécier convenablement le poids accordé aux différents éléments du programme proposé par la NERSA, l'EDF et le CEA. Je tiens par ailleurs à souligner que cette mission d'évaluation n'inclut pas ici, l'aspect sûreté de la mise en oeuvre du programme qui incombe à la DSIN.
     1. Superphénix avait été conçu pour représenter l'une des branches du développement à très long terme de l'énergie nucléaire: en effet, si on voulait utiliser pleinement les ressources en uranium naturel de la planète, au-delà du 1% qui est actuellement brûlé dans les réacteurs à eau sous pression (REP), il faudrait transformer le reste de l'uranium naturel, l'uranium 238, en plutonium et pour cela l'option choisie, par tous les acteurs nucléaires concernés avait été d'avoir recours aux réacteurs à neutrons rapides. Dans tous les pays du monde (Etats-Unis, Royaume Uni, Russie, Japon, Allemagne, France..) qui les ont étudiés et construits, ces réacteurs à neutrons rapides (RNR) emploient le sodium comme fluide réfrigérant; le sodium présente en effet des caractéristiques thermiques particulièrement favorables pour assurer un refroidissement plus efficace du combustible nucléaire, (tout en évitant de thermaliser les neutrons) à condition qu'on tienne un compte rigoureux du fait que sa forte réactivité chimique au contact de l'air ou de l'eau exige d'extrêmes précautions lors de sa mise en oeuvre, et une vigilance constante.
     Dans cette perspective, les promoteurs de Superphénix l'avaient conçu comme un prototype industriel pour permettre la transmutation la plus efficace de l'uranium naturel. La nécessité de réaliser cette transformation de l'uranium 238 en plutonium 239, qui s'est révélée jusqu'à présent coûteuse en investissement, apparaît maintenant à une échéance beaucoup plus lointaine, compte tenu de l'abondance actuelle en quantité et à coût modéré des ressources en uranium disponibles sur les marchés internationaux. L'objectif n'en demeure-t-il pas moins pertinent, dans une perspective d'utilisation à très long terme des ressources énergétiques en uranium naturel de la planète?
     Aujourd'hui, la France dispose avec Superphénix d'un réacteur à neutrons rapides, unique au monde à ce niveau de puissance; cette centrale a produit de l'électricité. Le premier but assigné à son redémarrage ne pourrait-il pas être de confirmer la validité des options techniques retenues et cela grâce à une expérience de fonctionnement se chiffrant par un grand nombre d'années, notamment en vue de conforter la maîtrise technologique de l'emploi du sodium en vraie grandeur? La réalisation de cet objectif devrait permettre aux acteurs de se maintenir en tête de la compétition internationale entre le pôle de développement européen et le pôle de développement est-asiatique, en matière nucléaire.
     Le projet de programme fournit bien les éléments les plus sensibles sur lesquels faire porter le suivi du fonctionnement. Ne conviendrait-il pas d'ajouter la nécessité de porter une attention particulière à l'exploitation des circuits en sodium? On a vu qu'il s'agit là d'une des caractéristiques spécifiques les plus marquantes de ce concept de réacteur.
    2. On sait que les 54 réacteurs à eau sous pression du parc EDF produisent chaque année de l'ordre de 12 tonnes de plutonium; celles-ci deviendront disponibles en totalité quand le retraitement à la Hague aura atternt son régime «permanent». La stratégie retenue par la France pour gérer ce plutonium vise à satisfaire trois conditions essentielles:
     La solution mise en oeuvre en France, dont les technologies de base sont aujourd'hui disponibles, consiste dans le processus suivant: le combustible irradié est retraité pour séparer les déchets radioactifs des matières, (uranium et plutonium) conservant une capacité énergétique et réutilisables. Les déchets peuvent alors être triés, réduits en volume, conditionnés pour en assurer une innocuité à long terme ou l'élimination partielle, dans des conditions sûres. L'uranium issu du retraitement est stocké en attente de réutilisation, avec (ou sans) réenrichissement quand les circonstances s'y prêteraient sur le plan technique et économique.
suite:
     Revenons à l'emploi du plutonium: celui-ci est traité, puis est utilisé pour fabriquer des éléments combustibles MOX (mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium) destinés aux réacteurs à eau sous pression du parc électronucléaire national. Sa transformation en MOX dresse une barrière supplémentaire vis à vis du détournement de matière nucléaire; la «combustion», dans les réacteurs à eau sous pression, «dénature» le plutonium le rendant plus impropre encore à la confection d'armes. De plus, l'utilisation du plutonium dans les réacteurs à eau sous pression permet à court terme la réduction de l'accumulation du plutonium et sa valorisation; cette voie est déjà utilisée: six réacteurs sont chargés en combustibles MOX et leur nombre serait accru après le démarrage en 1995 de l'usine de fabrication d'éléments combustibles MOX, dénommée MELOX.
     La valorisation du plutonium serait plus complète et plus efficace dans les réacteurs à neutrons rapides dont le coeur peut être adapté à une transmutation poussée de l'uranium (en cas d'uranium cher, hypothèse qui a présidé au lancement de Superphénix), ou à une consommation nette de plutonium (uranium bon marché et excédent de plutonium, situation présente). Les évolutions possibles des aspects économiques du marché de l'uranium et du contexte international pourraient conduire à garder ouvertes ces deux options d'emploi du plutonium. Il est important de noter que l'intérêt des réacteurs à neutrons rapides comparé à celui des réacteurs à eau sous pression vient de ce qu'il créent moins d'actinides mineurs par unité d'énergie électrique produite, cela est dû à une propriété fondamentale favorable de la physique des réacteurs à neutrons rapides: le rapport des captures de neutrons aux fissions y est plus faible que dans les réacteurs à eau sous pression.
     Le réacteur à neutrons rapides Phénix, situé au Centre de Marcoule, a apporté des éléments de démonstration de viabilité des technologies de base et de tenue satisfaisante sous irradiation des combustibles pour les réacteurs à neutrons rapides. Superphénix offrirait la possibilité de démontrer l'adaptabilité des réacteurs à neutrons rapides à divers taux de régénération (représentatif schématiquement du rapport de la quantité de plutonium sortant enfin de cycle à la quantité introduite au début).
     3. La gestion des déchets de haute activité et celle des déchets à longue durée de vie sont des problèmes difficiles qui n'ont pas reçu actuellement de solution testée sur des expériences en vraie grandeur (des oppositions se sont fait jour, dans les différents pays concernés, contre les divers projets d'enfouissement). Un stockage définitif profond des déchets radioactifs est apparu indispensable, du moins pour plusieurs des pays occidentaux qui ont développé l'énergie nucléaire (souligné par le Webmaistre), stockage précédé d'un entreposage de moyenne durée. L'incinération de déchets par transmutation, qui vise à réduire le volume et la nocivité de certains de ces déchets à stocker est en cours d'étude par de multiples moyens (bilan neutronique, séparation chimique, dynamique des réacteurs, etc..) depuis fort longtemps; dans tous les cas, elle implique préalablement la séparation des déchets, donc le retraitement.
     La transmutation de certains déchets dans un réacteur à neutrons rapides bénéficie de la même caractéristique neutronique favorable que celle mentionnée au point 2. La transmutation a fait l'objet de premiers travaux d'irradiation d'échantillons dans le réacteur Phénix. Des irradiations dans Superphénix permettraient alors d'explorer ces procédés de réduction de source de rayonnement à une échelle plus vaste et pour une durée plus longue.
     Dans cette perspective, l'expérimentation envisagée sur Superphénix pourrait apporter des éléments de réponse intéressants. Le programme proposé paraît articulé de façon raisonnable.
 
 

     En conclusion, le programme d'acquisition de connaissances présenté par NERSA, EDF et CEA couvre les domaines traités par le communiqué du Premier Ministre et devrait contribuer à apporter des éléments de réponse pertinents.

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Evaluation du programme d'acquisition de connaissances à Superphénix
par Claude Détraz
     Le programme de recherche auprès de Superphénix présenté par le Comité Directeur composé de NERSA, CEA et EDF doit être évalué dans le cadre de la nouvelle orientation définie par le gouvernement pour Superphénix. Le présent rapport est donc strictement limité aux objectifs d'acquisition de connaissances et d'expérimentation, à l'exclusion de toute question de sûreté. Dans ce cadre, il paraît utile d'examiner comment le programme de recherche auprès de Superphénix peut s 'insérer dans les perspectives larges ouvertes par la loi du 30 décembre 1991.

     Le programme comporte trois volets:
     1. démonstration du fonctionnement de Superphénix en tant que prototype industriel de production d'électricité;
     2. recherche sur la consommation de plutonium (programme CAPRA);
     3. recherche sur la destruction d'actinides mineurs, neptunium et américium (programme SPIN).
     L'exposé insiste bien sur le rôle d'outil de validation en vraie grandeur de Superphénix en ce qui concerne les thèmes 2 et 3. Le thème 1 se trouve justifié par le fait qu'il constitue une condition sine qua none pour les thèmes 2 et 3. Il faut noter d'emblée que la faisabilité technique (thème 1) qui suppose la maîtrise de technologies de base, ne saurait suffire, et que la mise en oeuvre des résultats du programme de recherche (thèmes 2 et 3) nécessitera des conditions favorables aux plans social, économique et politique: par exemple, la transmutation de quantités significatives de plutonium nécessiterait un véritable parc de RNR, ce qui implique des investissements considérables.
     L'acceptabilité socio-politique de cette filière et son intérêt économique d'ici 2030-2040 devront faire l'objet de recherches dans le champ des Sciences Humaines et Sociales trop souvent absentes dans ce domaine.
     Hors cette difficulté majeure, le papier présente un programme de développement bien articulé, qui fixe avec précision la contribution respective de Phénix et de Superphénix. Cette cohérence de la recherche reposant sur deux réacteurs, l'un essentiellement d'exploitation des solutions (Phénix), l'autre de validation industrielle de ces solutions (Superphénix), doit être absolument préservée pour assurer l'efficacité du programme. En effet, le rythme de changement des coeurs de Superphénix est trop lent (soulignés par le Webmaistre) pour permettre à ce dernier d'assurer à lui seul une recherche efficace. Il s'agit donc là d'une condition impérative.
     Il semble par ailleurs que le programme de recherche, une fois engagé, pourra être enrichi par un élargissement concernant les points suivants:
     - une comparaison entre la stratégie proposée de séparation du plutonium des combustibles irradiés pour le «consommer» dans des RNR (et non plus pour l'utiliser pour valoriser le contenu énergétique de l'uranium), et d'autres approches stratégiques telles que: entreposage de longue durée des combustibles irradiés, stockage direct, autres solutions de transmutation;

suite:
     - l'évolution du programme envisageable au-delà des expériences utilisant le troisième coeur;
     - le budget prévisionnel et l'origine des contributions attendues au cas où la vente d'électricité ne permettrait pas d'assurer le financement complet du programme;
     - les moyens à mettre en oeuvre, en particulier l'origine des chercheurs participant à cette collaboration;
     - les participations possibles des industriels de l'électronucléaire, Framatome et Cogema notamment;
     - l'avancement des réalisations concemant le cycle du combustible associé, comme par exemple le retraitement des coeurs de Superphénix et des RNR en général;
     - les rôles respectifs du CEA et d'EDF dans les recherches relatives aux thèmes 2 et 3, et plus généralement la nature des collaborations envisagées avec d'autres pays (Angleterre, Allemagne, Japon) à ces trois thèmes.
     Sur le fond, il convient de souligner que ce Programme d'Acquisition de Connaissances mobilisera des moyens de recherche très importants, en particulier en regard de l'échéance très lointaine du développement de nombreux RNR de puissance équivalente à celle de Superphénix. Compte tenu de ce contexte lié à la durée, il importe de veiller à préserver un bon équilibre avec les efforts en faveur d'autres axes de recherche, dans une optique de diversification et de meilleure adaptation à un paysage technologique et énergétique changeant et dont on ne sait pas aujourd'hui ce qu'il sera d'ici 2030-2040. Ces autres axes de recherche (pour s'en tenir à la destruction des actinides) concernent par exemple l'étude de l'évolution technique des réacteurs à eau pressurisée, l'utilisation de réacteurs à neutrons rapides dédiés n'ayant pas nécessairement le niveau de puissance de Superphénix, ou encore l'étude de systèmes hybrides couplant un accélérateur et un ensemble sous-critique, en référence à diverses propositions faites notamment aux Etats-Unis et au Japon.
     Il est tout à fait souhaitable que la définition et la mise en oeuvre de telles actions de recherche soient élargies à l'ensemble de la communauté scientifique nationale et à des collaborations internationales, si l'on veut aboutir, le moment venu, à des propositions d'industrialisation qui reçoivent un soutien des pouvoirs publics et de la société en général.
     Plus généralement, il conviendrait de veiller à ce que cette ligne de recherche (la combustion des actinides dans les réacteurs à neutrons rapides) ne freine pas, par sa taille et ses enjeux, l'effort de recherche que la France doit conduire en vue de disposer, le siècle prochain, des informations nécessaires pour choisie entre diverses filières électronucléaires incluant les procédés optimisés de gestion des déchets à vie longue.
     Le présent Programme d'Acquisition de Connaissances ne prendra donc son sens que s'il est conçu comme une contribution importante certes mais non exclusive aux objectifs de recherche définis par la loi du 30 décembre 1991.
p.8

Journal officiel du 20 juin 1994
Question:
     14 mars 1994 - M. Jean-Pierre Brard attire l'attention de M. le ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur sur les problèmes résultant de la décision de redémarrage de Superphénix, dans un premier temps pour la production d'énergie électrique. La limitation en pourcentage de la puissance de fonctionnement de cette installation traduit les graves incertitudes existantes quant à sa fiabilité résultant des incidents sérieux qui ont conduit à l'arrêt de son exploitation. Aujourd'hui, le niveau d'un fonctionnement à 50% de la puissance totale est avancé comme garantissant la sécurité. Il lui demande donc quels sont les éléments scientifiques qui permettent de considérer que la sécurité est assurée en deçà de ce niveau alors qu'elle ne le serait plus au-delà et comment le dit niveau a été calculé.

Réponse:
     La décision prise le 22 février dernier par le Gouvernement sur le redémarrage de Superphénix s'est appuyée, pour les aspects relatifs à la sûreté, sur le rapport du 18 janvier 1994 de la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN).

Ce rapport précisait notamment: «...du point de vue de la sûreté, le redémarrage du réacteur de Superphénix peut être autorisé. Les conditions suivantes devraient être imposées à ce redémarrage: le bon achèvement des travaux contre les feux de sodium demandés par ma direction devra avoir été constaté; le réacteur devra fonctionner à puissance limitée pendant quelques mois afin de valider les mesures d'amélioration des conditions d'exploitation proposées par l'exploitant à la suite de l'incident de pollution de sodium de juin et juillet 1990». Cette dernière demande vise à obtenir un démarrage progressif de l'installation permettant de s'assurer, dans les meilleures conditions de sûreté, de son bon fonctionnement matériel et de la bonne organisation des équipes d'exploitation. Une telle procédure de démarrage est en fait appliquée à tous les réacteurs du parc nucléaire lors de leur première mise en service; elle s'impose à l'évidence au réacteur Superphénix qui est arrêté depuis près de quatre ans. En tout état de cause, le programme détaillé de redémarrage qui précisera les essais à réaliser et les paliers de puissance à respecter reste à établir par l'exploitant. Ce programme sera soumis à l'accord de la DSIN préalablement à sa mise en oeuvre.
p.9

Analyse critique des risques de la centrale nucléaire de Creys Malville,
suite aux récentes déclarations gouvernementales
et aux accidents survenus dans d'autres centres
Mai 1994
PREAMBULE
     Le 22 février 1994 le Gouvernement français a décidé que «Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire mais deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration
     Moyennant quoi le Gouvernement a autorisé le redémarrage de Superphénix avec les conditions suivantes:
     «- le bon achèvement des travaux de lutte contre les feux de sodium doit être constaté;
     - le redémarrage doit être progressif par paliers;
     - la production d'électricité ne doit pas être un objectif premier;
     - du fait de son caractère de prototype, le fonctionnement de Superphénix pourrait être suspendu
     Les procédures d'autorisation de ce redémarrage sont en cours d'élaboration. La DSIN examine les dossiers, les fait évaluer. Elle donnera son avis sur les travaux et le décret pourra être promulgué si le point 1 des conditions est respecté.

I. Le fonctionnement de Superphénix en laboratoire de recherches

1a) Est-il possible aujourd'hui?
     A son redémarrage programmé par le Gouvemement en 1994, Superphénix ne sera pas un laboratoire pour plusieurs raisons:
     - son coeur actuel est un coeur surgénérateur;
     - le changement de configuration demande trop de temps (1 an). Il n'est pas prévu de le faire avant ce redémarrage.
     - les assemblages sont dans le réacteur depuis 1986, leur état n'est pas bien connu mais on peut le supposer suffisamment dégradé pour éviter une manipulation qui pourrait obliger à un changement de coeur. Cette opération retarderait la date de redémarrage et n'est, donc, pas envisagée. Plus pénalisant (du point de vue constructeur et exploitant) elle coûterait cher puisque le premier coeur ne servirait pas.
     Or EDF estime (document EDF avril 1992, pièce jointe annexe J1) que ce coeur pourrait fournir 16 TWh représentant 1,7 milliards de francs 1992.pour EDF et 2,4 milliard pour les partenaires étrangers. Cette production est indispensable à l'équilibre financier qu'EDF recherche.
     - le second coeur existant déjà est aussi un coeur surgénérateur et compte tenu du coût (1 milliard 1992, annexe J1) il devra être utilisé dans sa configuration actuelle.
     Par ailleurs dans le rapport Curien de décembre 1992 il était précisé:
     «Superphénix, bien que n'étant pas conçu comme un réacteur de recherche, autorise l'expérimentation sur de grands volumes dans les conditions de fonctionnement interne d'un réacteur industriel et il permet d'étudier le fonctionnement d'un RNR (Réacteur à Neutrons Rapides) en sous-générateur de plutonium. Cependant le chargement à intervalles de trois ans devrait conduire à réserver Superphénix à la validation de technologies enfin de développement.
     De ce fait Superphénix ne peut se substituer à Phénix en tant que réacteur de recherche
suite:
     «Les RNR incinérateurs seraient assez sensiblement différents de Superphénix et d'importantes études de principe doivent être menées pour définir et calculer un réacteur à forte capacité incinératrice...
     Avec Superphénix on peut envisager:
     - pour le prochain chargement de supprimer les couvertures radiales pour éviter d'accroître le stock de plutonium;
     - pour le chargement suivant, de modifier plus profondément la configuration du réacteur....
     Superphénix ne permet pas d'études paramétriques ou d'études fines en évolution, en raison du rythme de renouvellement des assemblages (3 ans)
     Superphénix ne pourra donc pas fonctionner en laboratoire de recherches à son démarrage programmé en 1994 parce que ses 2 coeurs existants sont des coeurs «surgénérateurs» et sont non modifiables pour mettre en place une expérimentation.

2a) Est-il possible dans l'avenir?
     Le Gouvernement a fait approuver par le Parlement la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des combustibles nucléaires. Cette loi édicte un moratoire de 15 ans avant tout stockage souterrain et prévoit un programme de recherches et développement à conduire pendant cette période. Ainsi que le précise le rapport Curien:
     «Dans ce contexte, le CEA, qui avait lancé en 1982 l'expérience SUPERFACT d'incinération d'actinides auprès de Phénix, a entrepris un programme de recherches sur la réduction de volume des déchets d'activité moyenne... et un programme sur la transmutation des actinides... Ce programme envisageait le recours à des réacteurs â neutrons rapides, en particulier des expériences auprès de Phénix
et aussi
     «Une seule expérience importante, SUPERFACT, a été menée auprès de Phénix de 1986 à 1988 avec des cibles contenant du neptunium et de l'américium
     «Phénix est flexible avec ses cycles courts de trois mois qui permettent un suivi fin des évolutions sous irradiation,
     - validation des paramètres des actinides,
     - comportement métallurgique et métallique d'échantillons.
     ... Superphénix ne permet pas d'études... fines en raison du rythme de renouvellement des assemblages (3 ans). Par contre il autorise:
     - la validation globale
     - la destruction de quantités notables
     - l'expérimentation à échelle pré-industrielle.
     Phénix, avec un cycle de rechargement de 3 mois, permet des expériences de courte durée sur les faibles volumes.
     Superphénix ne peut se substituer à Phénix en tant que réacteur de recherche. »
     Les études menées avec Phénix ont montré la possibilité d'introduire des cibles dans un RNR et de le faire fonctionner sans incident. Mais l'analyse des cibles n'a pu être conduite, si bien qu'il n'y a aucun bilan sur les quantités transmutées.

p.10

     Pour mener ce bilan il faut, éventuellement, utiliser Phénix pour compléter les expériences SUPERFACT:
     - faire le bilan des quantités transmutées,
     - faire différentes expériences avec des matrices sans uranium.
     - En effet il faut bien comprendre qu'un combustible de réacteur est composé du produit fissile (uranium 235, plutonium 239) placé au sein d'un excipient, la matrice.
     Actuellement pour ce type de réacteur la seule matrice qui a été bien étudiée et dont les caractéristiques sur les plans physico-chimiques, mécaniques et neutroniques sont bien maîtrisées, est un oxyde d'uranium (naturel ou appauvri, donc contenant principalement de l'uranium 238).
     Les combustibles de production industrielle sont des oxydes mixtes d'uranium 238 et d'uranium 235 ou/et d'uranium 238 et de plutonium.
     Pour les expérimentations on a effectué des mélanges contenant en plus des oxydes des divers actinides.
     Il faut être conscient que l'utilisation d'un combustible uranium génère automatiquement par capture des neutrons par l'uranium 238 du plutonium et une certaine quantité d'actinides, quantité qui dépend du temps de séjour dans le réacteur, de son fonctionnement. Cette quantité est estimée et connue à 5 à 10% prés. En conséquence l'utilisation d'un nouveau combustible uranium enrichi en actinides, suivi d'une irradiation en réacteur exige l'extraction de l'assemblage, puis le traitement isolé de ce seul assemblage. On pourra alors essayer d'estimer si entre la quantité d'actinides produite dans l'uranium et celle transmutée le bilan est une diminution des actinides. Des experts tels le professeur Castaing avaient demandé que l'on étudie la faisabilité de matrice inerte soit sans uranium (oxyde d'aluminium, de magnésium, de silicium, etc...) qui serait une voie plus astucieuse mais les caractéristiques de sûreté représentées par de tels assemblages doivent être estimées avec soin avant toute expérimentation.
     A ce stade des expérimentations l'utilisation de Superphénix est sans objet car:
     «Le chargement à intervalle de trois ans devrait conduire à réserver Superphénix à la validation de technologies en fin de développement.» (rapport Curien)
     Le rapport Curien est donc catégorique: Superphénix ne peut être utilisé que pour valider des études menées sur Phénix. Dans l'état actuel des recherches il n'est pas question de charger Superphénix avec de nouveaux combustibles car ils n'existent pas. De plus on a pu constater que ce sont les assemblages déja existants qui seront utilisés.
     Ces nouveaux combustibles doivent d'abord être étudiés dans Phénix et faire ensuite l'objet d'une étude pré-industrielle. Il est clair que l0 à 15 ans sont nécessaires pour mener cette recherche.

2. Ce changement d'objectifs modifie-t-il les risques liés au fonctionnement de la centrale?
2a) aujourd'hui
     Ce changement d'objectifs est fictif car Superphénix, s'il consent à repartir, sera toujours en configuration pour fournir des TWh et le but avoué d'EDF (annexe J1) est la production d'électricité.
     De toute façon comme l'affirme le rapport Lacoste:
     «de tels modes de fonctionnement (incinérateurs plutonium ou actinides) ne sont pas envisagés par l'exploitant dans l'immédiat. Leur mise en oeuvre effective ne pourrait intervenir au plus tôt qu'en 1998 lors du chargement du troisième coeur conçu à cet effet
     et le précise l'annexe 7 du même rapport:
     «En cas de redémarrage, c'est ce mode de fonctionnement (surgénérateur) qui sera utilisé dans un premier temps, car c' est celui qui est imposé par le coeur actuellement chargé et le coeur suivant déjà construit
     Le réacteur restera donc dans la même configuration et rien ne sera changé en ce qui concerne ses systèmes de sûreté. Il reste donc les mêmes dangers liés au sodium, aux difficultés d'exploitation, de contrôle. 

suite:
Il s'y ajoute le fait que le combustible actuel séjourne depuis 1986 et que son état est mal connu. Il est probable qu'il est dégradé. Cependant aucune inspection n'a pu être menée, il faut donc redémarrer avec des possibilités de rupture de gaines, de déformation. Ces inconnues ajoutent aux incertitudes. Quant à vouloir en plus travailler comme avec un réacteur de recherches en faisant des modifications de configuration ce réacteur n'est pas adapté, ni adaptable.

2a) à l'avenir
     Le rapport Lacoste précise:
     «L'analyse des dossiers justificatifs de ces nouveaux modes de fonctionnement n'a pas mis en évidence de difficultés particulières au plan de la sûreté. Toutefois, ces dossiers restent préliminaires et ne sauraient constituer une réelle démonstration de sûreté
     L'annexe 7 ajoute cette nuance: «... compte tenu des faibles quantités de matières qu'il est envisagé de détruire, le fonctionnement de Superphénix ne devrait être que peu modifié
     L'expérience prouve qu'un réacteur est un instrument difficile à maîtriser. Superphénix n'a jamais eu un fonctionnement normal. Il est allé de pannes en pannes. Il est, donc prématuré de songer à modifier la composition de son coeur. Ce réacteur a un cycle long, ne peut plus être vidé de son combustible en moins d'un an par suite de l'indisponibilité définitive de son barillet, remplacé par le Poste de Transfert du Combustible, il n'est pas un réacteur de recherche et ne le sera jamais.
     Il n'est pas possible de faire de la recherche avec des tonnes de plutonium car on domine mal les différentes étapes des études. De plus ce réacteur est difficile à piloter. Les différentes pannes ont été détectées avec retard car les opérateurs interprétaient mal les signaux des appareils. Se livrer à des expériences avec un appareil non conçu pour un tel usage peut conduire à la catastrophe.
     Rappelons nous que Tchernobyl fut une expérience, expérience effectuée sur un réacteur de production, non destiné à la recherche.

3. Le fonctionnement de Superphénix en laboratoire de recherches supprime-t-il les risques et l'extrême dangerosité du réacteur?
     Superphénix contient 5 tonnes de plutonium, 5.000 tonnes de sodium. C'est un réacteur qui a des particularités physiques pouvant conduire à une excursion nucléaire locale. Le transformer par décret en réacteur de recherches ne change pas ses caractéristiques. Au contraire un réacteur de recherches est supposé pouvoir être utilisé pour tester des combustibles nouveanx, des arrangements nouveaux de ces combustibles. On doit pouvoir y étudier des taux de combustion différents pour optimiser la transmutation des actinides. Ceci ne peut être prévu sur Superphénix où il faut 1 an pour changer le coeur et des mois pour simplement le réarranger.
     Il n'est pas non plus possible de changer certaines caractéristiques de Superphénix telles que le temps nécessaire:
     - pour intervenir sur la cuve en cas de nécessité d'inspection,
     - pour vidanger le sodium.
     Ce réacteur est dangereux et le reste:
     - d'une part parce que sa conception remonte aux années 70 et qu'il a subi une cascade de modifications très importantes touchant à sa sûreté (échangeurs plongeurs, barillet indisponible remplacé par un Poste de Transfert de Combustible, transformations pour éviter les feux de sodium pulvérisé, etc..)
     - d'autre part parce qu'il est quasiment impossible d'inspecter le réacteur en cas de doute.
     Dans l'annexe 8 du rapport Lacoste il est dit:
     «Une intervention dans la cuve de Superphénix nécessiterait plusieurs années d'arrêt, pour décharger le combustible, vidanger le sodium, etc.. De plus, la mise en air des structures pourrait engendrer des dégâts de corrosion irréversibles

p.11

4. Dans ce nouveau projet, qu'advient-il des points non résolus et qui avaient été mis en exergue tant par le rapport du groupe permanent que par le rapport Lacoste?
     Les réserves émises en 1992 portaient sur:
     - la maîtrise des conséquences d'un feu de sodium type pulvérisé,
     - la compréhension du phénomène ayant entraîné des variations de puissance du réacteur Phénix,
     - l'inspectabilité du réacteur.
     En ce qui concerne les feux de sodium l'annexe 5 (avis du Groupe Permanent de décembre 1993) affirme:
     «les études complémentaires effectuées par l'exploitant concernant les feux de sodium l'ont amené à améliorer très significativement la défense en profondeur».
     Mais page 3 le rapport de la DSIN précise:
     «globalement, et sous réserve du bon achèvement des travaux de lutte contre les feux de sodium actuellement en cours, le niveau de sûreté de l'installation est cohérent avec celui des réacteurs à eau sous pression
     Page 4, les conclusions sont sans ambiguïté:
     «Les conditions suivantes devraient être imposées à ce redémarrage:
     - le bon achèvement des travaux de lutte contre les feux de sodium demandés par ma direction devra avoir été constaté,
     - le réacteur devra fonctionner à puissance limitée pendant quelques mois afin de valider les mesures d'amélioration des conditions d'exploitation
     Dans les recommandations du Groupe Permanent (annexe 2 rapport Lacoste) il est fait mention des réactions sodium - eau (recommandation 25 et 33) et il est demandé:
     «Le groupe permanent recommande que, avant le redémarrage du réacteur, 1'exploitant présente un complément d'étude des conséquences thermiques des différents feux de sodium envisageables dans les bâtiments des générateurs de vapeur et dans les galeries périphériques, tenant compte de l'hydrogène pouvant être dégagé par la réaction de l'eau résorbée par le béton avec le sodium
     Nous versons également au dossier la fiche IPSN-info n° 44 «Essais de feux de sodium pulvérisé à haut débit»- annexe J2.
     D'après cette fiche l'exploitant a proposé deux types d'actions:
     «- limiter le volume d'oxygène offert à la combustion en utilisant des locaux de volume aussi faible que possible et d'évacuer les gaz de combustion par les exutoires.»
     «-.... de cloisonner l'espace offert au feu (parcellisation) dans les galeries secondaires situées à l'intérieur de 1'enceinte, et de majorer la surface des exutoires
     La qualification de ces propositions n'est pas terminée. Divers essais ont été réalisés, d'autres sont en cours. Les conclusions des analyses ne sont pas encore disponibles. De toute façon l'avis de redémarrage a été donné mais ne sera ratifié qu'après avoir vérifié l'exécution des travaux. Il est tout à fait prématuré de conclure car les essais menés ne sont pas terminés et les travaux non plus.
     En ce qui concerne les variations de puissance de Phénix:
     Le rapport Lacoste ne signale ce fait que dans les annexe 5 et 8:
     annexe 5: «l'examen des différents initiateurs possibles de variation de réactivité ne met pas en évidence de possibilité d'insertion de réactivité pouvant mettre en cause l'intégrité du combustible
     annexe 8: «Ces essais n'ont pas permis à ce jour d' identifier avec certitude la cause des incidents de baisse de réactivité
suite:
     Le groupe permanent l'évoque dans la recommandation 19:
     «Le groupe permanent recommande que les risques de passage de gaz dans le coeur du réacteur fassent l'objet d'une présentation dans le chapitre de la révision 3 du rapport de sûreté concernant les incidents affectant le circuit primaire, avec un examen détaillé des conséquences sur la réactivité des différents cas possibles de passage de gaz

     En conclusion le phénomène de variations de puissance n'a pas été élucidé. Il s'est produit à plusieurs reprises sur Phénix. Ce réacteur a été instrumenté pour analyser la séquence de variation. Il y a eu un essai à faible puissance et rien ne s'est produit. Les ingénieurs ont émis un certain nombre d'hypothèses, réalisé un modèle. Ils se sont confortés dans l'idée qu'il ne se passerait rien sur Superphénix mais cela reste une inconnue en cas de redémarrage.
     En ce qui concerne I'inspectabilité du réacteur:
     Comme nous l'avons déjà souligné ce point reste une interrogation ne serait-ce qu'à la lumière de ce qui est dit dans l'annexe 7:
     «la sûreté de tels réacteurs ne peut être raisonnablement assurée s'il n'est pas possible, notamment en cas de doute, d'en contrôler toutes les structures dans des conditions aisément envisageables. »
     Les points non résolus le demeurent et baptiser Superphénix réacteur de recherches ne change en rien la situation.

II. Les enseignements de ce qui s'est passé à Cadarache (réacteur Rapsodie):

     Il n'existe pour le moment qu'un rapport circonstancié de l'accident. Il n'y a encore aucune analyse - voir pièce jointe annexe J3.

1. Analyse de l'accident survenu à Cadarache.
     Depuis son arrêt en 1982 le réacteur Rapsodie est en phase de démantèlement. L'installation se compose du réacteur et d'un laboratoire de découpage et d'examen des assemblages.
     Le réacteur contenait 37 tonnes de sodium qui était destiné au refroidissement du coeur. Après l'arrêt en 1982, les 37 tonnes ont été décontaminées et stockées dans une cuve de 50 m3 (RENA 302).
     Ce sodium contient des produits d'activation et des produits de corrosion activés. L'essentiel est constitué par du césium 137, du sodium 22, du tritium et des traces d'éléments alpha.
     L'essentiel des 37 tonnes a été transformée en soude (bien sûr radioactive) et transférée à la Hague pour traitement.
     Après cette transformation en soude il restait un résidu d'une centaine de litres de sodium pollué. Il était prévu de le traiter à l'alcool (éthylcarbitol).
     Le jour de l'accident 2 explosions se sont produites dans les galeries périphériques de Rapsodie, celles contenant RENA 302. L'analyse des éléments semble montrer que le réservoir a, dans un premier temps, éclaté à la suite d'une surpression. L'hydrogène présent dans le réservoir se serait alors mélangé à l'oxygène de l'air et aurait induit la deuxième explosion.
     En 1986 les procédures décrites pour transformer le sodium avaient été acceptées par le SCSIN (devenu la DSIN) après une analyse de sûreté. Elles ont été reprises en 1994 sans refaire l'analyse mais avec quelques modifications mineures (est-il spécifié dans le rapport). La mise à plat de l'accident est en cours et s'annonce délicate. Les opérateurs qualifiés avaient pris leur retraite, ceux présents manquaient, semble-t-il d'expérience.

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2. les enseignements que l'on peut tirer à propos des risques de feux de sodium.
     Les 37 tonnes de sodium étaient stockées depuis 1986 dans la cuve RENA 302 probablement pour améliorer la première décontamination effectuée dès l'arrêt du réacteur.
     Après traitement de ces tonnes il restait un résidu d'une centaines de kg. C'est ce résidu que l'on essayé de traiter et qui a été à l'origine de l'explosion.
     Pour éteindre l'incendie consécutif à l'explosion, les pompiers ont travaillé 40 minutes. Il a fallu 1.200 kg de poudre Marcalina pour juguler la centaine de kg de sodium.
     L'explosion a soufflé une dalle de 300 m2. L'onde de choc a dévasté la galerie périphérique situé à proximité du local.
     Superphénix contient 5.000 tonnes de sodium et 30 tonnes d'un mélange uranium - plutonium.
     Compte tenu des dimensions des canalisations, une fuite de quelques tonnes est plausible. Avec seulement 100kg une dalle a été soufflée et il a fallu 1.200kg d'étouffoir pour parvenir à juguler la situation. On peut imaginer les difficultés nouvelles avec une installation contenant de telles quantités de sodium et en plus des assemblages au plutonium.
     Tout ceci prouve, en plus, 2 choses:
     - les feux pulvérisés restent certes un point inconnu
     - mais les feux en nappe ne sont pas non plus suffisamment connus.
     Si l'accident sur le tout petit Rapsodie a eu de telles conséquences, il est certain qu'avec Superphénix la dimension de l'accident pourrait être d'une ampleur telle que ce serait l'accident majeur aussi bien nucléaire que chimique.
     Le risque d'explosion reste très présent sur les sites dès lors que l'on manipule du sodium. Si ce risque est associé à la présence d'éléments radioactifs il se transforme en un risque nucléaire.
     Il est pour le moment prématuré de tirer des conclusions définitives sauf à répéter que le sodium ne se manipule pas facilement et que les règles de sûreté doivent toujours être actualisées en fonction des travaux effectués et des compétences des personnels.

3. le même type d'accident sur Creys Malville aurait-il les mêmes «petites» conséquences (1 mort, 4 blessés)?
     L'accident est par essence imprévisible et ses conséquences également. Potentiellement ce qui peut se produire à Superphénix est beaucoup plus grave qu'à Rapsodie. Les quantités qui pourraient être mises en oeuvre sont si importantes face aux 100 kg qui ont été à l'origine du désastre de Cadarache que tout scénario est non valable.
     Tchernobyl était impensable jusqu'à la dernière minute. Ses conséquences se font toujours sentir 8 ans après et le site émet toujours de la radioactivité. La mise en sarcophage doit être refaite car les produits radioactifs ont attaqués le béton de la première enceinte.
     L'accident de Cadarache était aussi impensable. Le rapprochement de ces deux accidents ne permet en aucun cas de préjuger de ce qui pourrait arriver à Creys Malville et des conséquences. On ne peut que rappeler les quantités de sodium et de plutonium.

4. Comment pourrait-on maîtriser un feu de sodium sur une centrale (Creys Malville) 100 fois plus importante que le réacteur Rapsodie?
     C'est parce que les quelques expériences de feux de sodium ont prouvé que ce type de feu ne s'arrêtait pas ou du moins fort difficilement qu'on essaie de prévoir des mesures pour limiter sa progression et l'apport de comburant. Ceci signifie qu'on fragmente l'espace où peut se produire une fuite, que l'on évacue les gaz et que l'on travaille en atmosphère inerte.

suite:
     A Alméria, centrale espagnole solaire refroidie au sodium, il a été impossible d'arrêter un feu du type pulvérisé. Les 12 tonnes ont brûlé et la centrale solaire a été détruite.
     En ce qui concerne les feux en nappe:
     - d'une part il convient de ne pas dépasser les 500°C sinon «le processus de combustion passe à un régime de phase vapeur, justifiant le modèles des feux mixtes où le feu en nappe évolue rapidement vers un feu dit pulvérisé. Le modèle feu en nappe reste malgré tout valable, essentiellement au dessous de la température d'ébullition du sodium liquide.» (document IPSN 1990). Ceci signifie que, à partir de certaines températures on est confronté aux deux types de feux, pulvérisé et en nappe, ce qui en rend difficile l'extinction.
     - d'autre part il faut se rappeler qu'il a fallu 40 minutes et 1.200kg de poudre pour 100kg de sodium. Comment fera-t-on avec quelques tonnes ou plus?
     La mise en place des différents systèmes - bac étouffoirs et poudre Marcalina -, les nouvelles réalisations de cloisonnement ont pour but d'éviter le développement d'un feu. Les expériences réalisées - annexe J3 - semblent permettre de juguler un petit feu mais s'il y a explosion comme à Rapsodie, les pronostics risquent de ne plus être justes.
     Il faut aussi souligner que les dégâts engendrés par un feu sont très difficiles à évaluer et la conséquence pourrait être un arrêt définitif du réacteur et éventuellement s'il y a rupture du confinement une pollution irréversible de l'environnement.

5. Quels seraient les risques de contamination?
     Si le feu reste limité au sodium secondaire le risque radioactif est faible. Il est, en effet, peu radioactif car non soumis au flux de neutrons mais pollué à cause des fissures qui permettent le passage entre primaire et secondaire.
     A Superphénix qui n'a que très peu fonctionné le sodium primaire lui-même est peu activé. Il reste, cependant, la possibilité de contamination due à la dégradation des gaines des combustibles.
     S'il y a explosion et rupture des barrières, le réacteur contient plutonium et uranium en quantité suffisante pour polluer durablement l'environnement. Par contre il y a peu des autres éléments tels que sodium 22, tritium, césium parce que le réacteur n'a pas fonctionné.
     Il faut cependant être très clair:
     - Si 5.000 tonnes de sodium étaient sur un site sans réacteur, il y aurait un risque de feu non négligeable, un risque d'explosions et un risque d'aérosols corrosifs mais cela resterait un risque chimique majeur.
     - Par contre avec la présence d'un réacteur contenant plutonium, uranium et produits de fission tout feu non maîtrisé ou explosion conduit à un risque nucléaire et chimique majeur.

III. Les enseignements Spécifiques sur les risques liés au démantèlement du surgénérateur Superphénix:

1. Les difficultés liées au démantèlement de Rapsodie (ces opérations durent depuis 11 ans)
     La lecture du dossier établi par la DSIN ne donne aucune indication sur le pourquoi de la longueur du démantèlement. Cependant on peut penser que l'arrêt de manipulation du sodium entre 1986 et 1993 a été programmé pour que la quantité de sodium 22 ait suffisamment décru pour faciliter la manutention. De cette façon l'irradiation du personnel était raisonnablement faible.
     Dans le dossier NERSA il existe un chapitre sur le démantèlement des centrales nucléaires - annexe J4 -. Il est dit que Rapsodie se trouve en phase de démantèlement partiel de niveau 2.
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     Le niveau 2 est le niveau où le réacteur est vidé de son combustible et de son caloporteur. Il y a aussi intervention sur l'installation.
     Ce chapitre est très général mais une partie est consacrée aux
RNR.
     «Le sodium présente une température d'ébullition élevée, permettant son utilisation sous faible pression, donc dans des enceintes (cuves, circuits) de faible épaisseur; cela simplifie les opérations de découpe lors du démantèlement.
     Par contre il ne peut être éliminé aussi facilement que l'eau. Tant que le combustible n'a pas été évacué, le circuit primaire doit être maintenu en service (circulation sodium à une température suffisante); les boucles secondaires doivent également rester en service jusqu'à ce que l'abaissement de la puissance résiduelle permette de s'en passer. Lorsque la présence du sodium dans les circuits n'est plus nécessaire, il peut être entreposé provisoirement sur le site à l'état solide; les installations existantes le permettent.
     Au-delà de cette période transitoire, dont la durée permettra d'éliminer l'activité due au sodium 22 (période 2,6 ans) contenu dans le sodium primaire, la solution de référence est la réutilisation du sodium dans un autre RNR. Cependant la faisabilité de sa destruction par transformation en soude a été vérifiée par le CEA dans le but de traiter le sodium de Rapsodie
     En cas de démantèlement de Superphénix il était envisagé une réutilisation du sodium dans un autre RNR, du moins dans le dossier NERSA de 1993.
     Il est plus réaliste de conclure que rien de spécial n'avait été programmé.
     Cependant Rapsodie servait de banc d'essai pour une transformation du sodium en soude. Il n'est pas impossible que des problèmes se soient faits jour lors des essais mais le dossier actuel n'en fait pas état. Il est sûr que l'expérimentation s'est mal terminée et présente des risques qui avaient été sous évalués.

2. Peut-on mesurer l'ampleur de ces difficultés sur Creys Malville?
     La neutralisation de 37 tonnes de sodium a demandé:
     - 10 ans de «refroidissement» pour atteindre un taux de contamination raisonnable par le sodium 22,
     - 4 mois pour la transformation de ce sodium en soude.
     Pour les 5.000 tonnes de Superphénix, en l'état actuel des installations il faudrait:
     - toujours 10 ans pour le sodium 22, liés à sa période,
     - mais 40 ans avec la seule installation DES ORA pour effectuer la transformation en soude.
     La NERSA affume - annexe J4:
     «l'expérience récente du démantèlement niveau 2 des installations de Rapsodie a confirmé la faisabilité de la découpe et du conditionnement du circuit primaire
     Mais l'expérience récente prouve qu'on ne maîtrise pas parfaitement l'élimination du sodium. De même la prise en charge du circuit primaire et de la dalle en béton ne sont peut-être pas aussi simple que le prétend le document. On a pu le commencer pour Rapsodie, petit réacteur de 40 MWth (100 fois moins puissant que Superphénix) mais aucun réacteur de grande taille n'a été démantelé.
     Dans les expériences de démantèlement la dimension de l'installation est un facteur très important pour estimer les difficultés. En conséquence et compte tenu des déboires encourus sur les prototypes de petite taille il faut s'attendre à une mise au point difficile.
     Pour les installations de grande taille il n'y a aucune expérience. On peut juste citer:
     - Three Mile Island qui a été accidenté en 1979 et dont le démantèlement est toujours à l'étude
     - et Tchernobyl où on essaie désespérément de faire un sarcophage pour l'isoler de l'environnement.
     Mais il n'y a aucun essai réalisé sur d'autres installations et, en ce qui concerne les petits réacteurs on n'a pas mené de démantèlement au delà du niveau 2, confinement de l'installation après retrait des éléments combustible.
     Il est possible que cette façon de procéder ne soit pas bonne, car la connaissance de l'installation devient plus faible. De la même façon il devient difficile d'assurer une maintenance car les matériels deviennent obsolètes.

suite:
Le seul point positif est que l'on limite l'irradiation du personnel mais ce point peut s'avérer faux si l'on doit passer plus de temps pour le démantèlement parce qu'on a oublié son agencement et que ses installations internes se sont dégradées.

3. Les risques du réacteur à l'arrêt
     Le maintien à l'arrêt de Superphénix suppose que la circulation du sodium se continue. Le réacteur a tous ses systèmes de sécurité en éveil. La réaction de fission est stoppée mais la radioactivité résiduelle fournit de la chaleur qu'il faut évacuer.
     Le risque d'incendie est toujours présent sur le site, plus le temps passe et plus les assemblages de combustible se détériorent d'où un risque de pollution du sodium primaire par des éléments à vie longue.
     Il existe également une possibilité de panne sur les pompes qui assurent la circulation du sodium, on pourrait avoir des fusions partielles d'éléments, bouchage des circuits. Ceci pourrait à mener au rassemblement d'une masse critique de plutonium, entraînant une «excursion nucléaire». Le confinement pourrait ne pas y résister et il y aurait dispersion d'une partie du coeur, probablement la partie volatile.
     C'est pourquoi une vigilance doit être maintenue sur le site.
     Une autre source de risque serait le remplacement des équipes compétentes par de équipes mal informées et démotivées.

4. les risques du réacteur en opération de démantèlement
     Une fois l'opération commencée les risques concerneraient:
     - la manipulation des combustibles,
     - leur stockage sur le site,
     - la vidange du sodium,
     - la décontamination du sodium,
     - le stockage du sodium dans un ou des réservoirs,
     - le découpage des structures irradiées métalliques
     - le découpage de la dalle de béton
     et bien sûr l'entreposage de chaque élément, la surveillance des réservoirs de stockage.
     N'oublions pas que ce type d'opération peut se poursuivre pendant 30 à 40 ans.
     Comment se transmettront les savoirs? L'accident de Rapsodie est, pour partie, du à ce manque de transfert: on a «oublié» en 7 ans.

5. Dans quelle mesure la décision de redémarrage du réacteur n'est-elle pas liée aux inquiétudes du Gouvernement de prendre la décision de démanteler en l'état actuel des connaissances?
     Dans l'état des connaissances il peut paraître plus facile de décider le redémarrage du réacteur.
     En effet un démantèlement réel ne pourrait pas être entrepris avant une dizaine d'années, pendant lesquelles il faudra maintenir des équipes et assurer la sûreté du site. Du strict point de vue financier et en supposant l'accident impossible redémarrer semble une solution plus facile à mettre en oeuvre.
     Envisager le démantèlement complet est impossible, on ne peut ni le chiffrer ni le mettre en chantier. L'annexe J4 montre que l'état des réflexions est au point zéro.
     Cependant il vaut mieux mettre le réacteur au niveau 1 du démantèlement plutôt que envisager de le transformer en réacteur de recherches.
     Dans ce cas démanteler signifie retirer les combustibles du réacteur, les stocker sur le site dans l'installation prévue pour cet usage, l'APEC. Le réacteur serait alors vidé de son sodium et muré en l'attente d'une solution de démantèlement. Le principal avantage de cette solution est que les divers éléments dangereux seraient stockés et surveillés chacun dans un entreposage adéquat.
     Un accident arrivant sur le sodium n'impliquerait plus un risque de dissémination des combustibles contenant du plutonium: ce serait un grave accident chimique avec du sodium contaminé par des produits radioactifs à vie courte mais ce ne serait pas un accident nucléaire majeur.
     Au contraire redémarrer le réacteur signifie faire fonctionner une machine dangereuse, qui a accumulé les pannes et qui présente des caractéristiques pouvant amener ce réacteur dans un état incontrôlable.

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Après la dernière autorisation du gouvernement,
Superphénix peut redémarrer à tout moment
     Le ministre de l'industrie, Gérard Longuet, et celui de l'environnement, Michel Barnier, ont autorisé, mercredi 3 août, le redémarrage du réacteur à neutrons rapides Superphénix à Creys-Malville (Isère), annonce la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN). Après l'autorisation de création et l'approbation du programme de recherches qui y sera mené (Le Monde du 13 et du 15juillet), ce dernier feu vert, accordé sur avis de la DSIN, permet à la direction de la centrale de redémarrer à tout moment. «Cela devrait se faire dans les trois jours», affirme André Lacroix, directeur de Superphénix.
     Conformément au plan présenté par la NERSA, l'exploitant de la centrale, ce redémarrage va se faire très progressivement, sur une période de cinq mois. Quatre «points de passage», dont le franchissement nécessitera une autorisation spécifique de la DSIN, ont été prévus, à 3%, 30%, 60% et 90% de la puissance du réacteur. Cette première phase permettra «de valider tous les paramètres, de vérifier que rien n'a changé dans le comportement du réacteur après quatre ans d'arrêt», précise André Lacroix.
     Si tout se passe comme prévu, Superphénix, devrait alors fonctionner à pleine puissance jusqu'à l'été 1995.C'est seulement ensuite que le programme de recherches prévu pourra être lancé progressivement. Les essais d'incinération des «actinides mineurs» (des déchets radioactifs gênants) débuteront avec l'introduction dans le réacteur de quelques éléments de combustible contenant, au total, «quelques kilos» de l'un de ces actinides, du neptunium.
Dans le même temps, le coeur sera modifié afin que le réacteur produise moins de plutonium. Un premier pas vers la «sous-génération» (consommation de plutonium) qui ne sera possible qu'avec un coeur spécialement conçu, dont la mise en place n'est pas prévue avant la fin du siècle. L'engagement de chacune des expériences menées dans le cadre du programme de recherches exigera également une autorisation spéciale de la DSIN.
Le Monde du 04/08/94

     Commentaire de Jean Pignero notre pourvoyeur en articles et commentaires:
     Le seigneur éclairé de la vieille patrie bimillénaire fit venir son ministre des machines de mort et son ministre de la protection contre les machines de mort et leur commanda sa super machine de mort, la seule capable de renaître de ses cendres:
     «Naturellement, vous demanderez les avis du grand maître à la création des machines de mort, du grand maître des jeux de mort qu'on pourra y jouer, de la sûreté de ses catastrophes attendues».
     Les deux ministres s'empressèrent de convoquer ces trois grands maîtres. Le premier répondit: «Il y a des années que mon avis est favorable» Le second: «Mon avis n'est pas défavorable». Et le troisième : «Je ne puis me permettre un avis défavorable».
     Le seigneur se réjouit de sa démocratie qui lui reconnaissait le droit de semer la mort.

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