Préambule.
Le
cancer de la thyroïde est un cancer habituellement rare (de l'ordre
de quelques pour 100.000 par an chez les adultes et de quelques pour 10
millions chez les enfants). De ce fait, une augmentation des cancers thyroïdiens,
si elle n'est pas recherchée passe en général inaperçue.
L'importance des populations touchées par la catastrophe de Tchernobyl
a conduit en la matière à un phénomène de type
épidemique dont la réalité n'a pu que s'imposer aux
communautés nationales et internationale. Quant aux essais nucléaires
réalisés par les américains dans le désert
du Nevada et aux Iles Marshall ou par les soviétiques au Kazakhstan,
les quelques études réalisées à ce jour (certaines
d'ailleurs antérieures à la catastrophe de Tchernobyl) témoignent
elles-aussi de la réalité des cancers thyroïdiens radio-induits
(par irradiation externe et contamination interne) et de la faisabilité
des études épidémiologiques.
Cette remarque n'est pas sans intérêt eu égard à la situation sanitaire française, qu'il s'agisse du territoire métropolitain ou des territoires d'outre-mer. En ce qui concerne le territoire métropolitain, exposé de manière variable aux retombées de la catastrophe de Tchernobyl, l'ensemble du corps médical s'accorde à reconnaître une augmentation de l'incidence des cancers thyroïdiens depuis la fin des années 1980. Une reconstruction des doses reçues par la population française du fait de la catastrophe de Tchernobyl est réalisable à partir des mesures réalisées depuis lors. Une vaste étude épidémiologique s'impose d'une part pour valider ces observations, d'autre part pour en rechercher les causes et notamment faire apparaître d'éventuelles corrélations avec les retombées de l'accident de Tchernobyl. Pour ce qui est des territoires d'outre-mer, la situation en Nouvelle-Calédonie est particulièrement préoccupante depuis le début des années 1980 : augmentation des cancers thyroïdiens d'un facteur 20 en 15 ans, incidence élevée notamment chez les populations Mélanésiennes (35 pour 100.000). Là encore, une étude épidémiologique s'impose, afin d'évaluer l'incidence réelle des cancers thyroïdiens aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, d'identifier les populations affectées, d'en déterminer les causes et de mettre en oeuvre auprès des populations à risque une campagne de prévention et de dépistage. La synthèse présentée ci-dessous concerne les données relatives aux cancers thyroïdiens apparus dans les territoires de Bélarus, Ukraine et Russie suite à la catastrophe de Tchernobyl, dans plusieurs territoires exposés aux essais nucléaires atmosphériques, à Hiroshima et Nagasaki ainsi que chez les populations exposées pour des raisons médicales à de fortes doses d'irradiation externe. Une étude relative à la situation en Nouvelle-Calédonie est également présentée. L'augmentation spectaculaire de
l'incidence des cancers de la thyroïde observée dans les zones
exposées aux retombées de l'accident de Tchernobyl, notamment
chez les enfants et les adolescents, a mis en lumière le manque
de connaissances relatives à l'effet des rayonnements ionisants
(notamment des isotopes de l'iode radioactif) sur ce type de cancer.
(suite)
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début:
Co-organisée par la Commission Européenne, le Département américain de l'Énergie, l'Institut National pour le Cancer de Bethesda (USA) et l'Université de Cambridge, la première conférence internationale consacrée aux relations rayonnements ionisants - cancer de la thyroïde s'est tenue à Cambridge du 20 au 23 Juillet 1998 (20). Les travaux présentés dans le cadre de cette conférence concernent l'incidence et les aspects bio-moléculaire, histo-morphologique et fonctionnel des cancers thyroïdiens radio-induits, les facteurs de risque (dose reçue, âge au moment de l'exposition, sexe, ethnie, déficit en iode stable), ainsi que certains autres aspects (âge et temps écoulé depuis l'irradiation au moment du diagnostic). Les traitements et leur évaluation ainsi que la gestion des situations accidentelles ont également été abordés. Ces travaux portent essentiellement sur les populations biélorusses, ukrainiennes et russes les plus exposées aux retombées de la catastrophe de Tchernobyl, les survivants des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki et les populations exposées aux essais nucléaires atmosphériques réalisés par les américains dans le Nevada et aux Iles Marshall et par les soviétiques au Kazakstan. Plusieurs questions retiennent particulièrement l'attention. 1. Incidence des cancers thyroïdiens, risque
relatif, risque absolu.
Tableau 1 -Nombre de cancers thyroïdiens
opérés entre 1986 et Juillet 1998 sur nombre de cancers thyroïdiens
opérés entre 1974 et 1985 en Bélarus, en fonction
de l'âge (28).
Jusqu'à 4 enfants sur 100.000 et 7,9 adultes sur 100.000 y ont été opérés d'un cancer thyroïdien au cours d'une des dernières années (28). Chez les enfants et les adolescents de la région de Gomel et des villes de Gomel et de Minsk âgés de 0 à 18 ans au moment de la catastrophe, l'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens entre 1991 et 1995 serait respectivement de 32.2, 12.6, et 2.2 pour 100.000, soit environ 650 à 50 fois plus élevée qu'avant la catastrophe(28,30). Entre 1990 et 1997, on trouve en Bélarus 237 fois plus de cancers thyroïdiens chez les enfants âgés de moins de an au moment de l'accident que dans une population comparable d'Angleterre et du Pays de Galles, 159 fois plus chez les 1-2 ans, 79 fois plus chez les 3-4 ans (a). C'est dans la région de Gomel que ce risque relatif est le plus élevé : 576, 481 et 194 selon la tranche d'âge. Il n'est "que" de 51, 78 et 28 dans la région de Mogilev (26) (Tableau 2) (b). p.22
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(IC à 95 %) |
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(IC à 95 %) |
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(IC à 95 %) |
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(IC à 95 %) |
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1-2 ans 3-4 ans |
203 47 |
(164-343) 159 (126-201) 70 (55-86) |
103 23 |
(365-908) 481 (364-636) 194 (142-265) |
11 3 |
(13-213) 78 (40-153) 28 (11-68) |
10 9 |
(1,5-78) 25 (12-55) 9 (3-24) |
Chez les enfants Bélarus exposés avant l'âge de 1 an aux retombées de la catastrophe de Tchernobyl, on trouverait au bout de 5 ans 2.7 cancers de la thyroïde radio-induits pour 100.000 enfants, 21.7 pour 100.000 au bout de 15 ans. | Ces chiffres seraient respectivement de 2.47 et 14.8 pour les enfants âgés de 1 à 2 ans au moment de l'accident, et de 0.8 et 8.61 pour les enfants alors âgés de 3-4 ans (population de contrôle : Angleterre, Pays de Galles)(26) (tableau 3) |
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1-2 ans 3-4 ans |
203 47 |
7,42 5,29 |
6,23-8,62 4,24-6,34 |
2,47 0,81 |
14,80 8,61 |
Pour ce qui est de l'Ukraine, l'incidence des cancers thyroïdiens chez les 0-14 ans a doublé au cours de la période 1986-1990 par rapport à la période de 1981-1985. Il a été multiplié par 7.8 en 1991-1995 et par 8.8 en 1996-1997. Cette augmentation est moins importante pour les 15-18 ans : | 1.5, 3.2 et 3.9. Pour les cinq régions les plus touchées (Kyiv -région et agglomération, Chernihiv, Zhytomir, Cherkasy, Rivne), elle est pour les 0-14 ans de 20, 142 et 178. Quant aux enfants de 0-14 ans évacués de Prypiat et Tchernobyl (plusieurs heures à plusieurs jours) après la catastrophe, l'incidence est de 27 pour 100.000 enfants (multipliée par 3000 ?) (Tableau 4). |
et |
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(358 cas) |
(219 cas) |
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1986-1990 1991-1995 1996-1997 |
0,11 0,39 0,44 |
2,2 7,8 8,8 |
0,35 0,77 0,94 |
1,5 3,2 4,0 |
0,18 1,28 1,16 |
20 142 178 |
?
] |
/
] |
Pour les 15-18
ans, l'augmentation des cancers est moins importante(45). Enfin, l'incidence
annuelle moyenne des cancers thyroïdiens observée entre 1991
et 1995 dans les régions de Kyiv (agglomération comprise),
Chernikov et Zhytomir chez les sujets âgés de moins de 19
ans au moment de l'accident est de 1.6 à 12 pour 100.000(30).
En ce qui concerne la Russie, les travaux présentés concernent les seules régions les plus touchées par les retombées. Ainsi dans les régions de Bryansk, Kaluga, Tula et Orel (4 à 5 millions d'habitants de 0 à 60 ans, 1.217 millions d'enfants et d'adolescents), l'incidence des cancers thyroïdiens dans la population des 0-60 ans, qui avant l'accident était moins élevée que dans la Fédération de Russie, serait en 1996 trois fois plus élevée. Entre 1991 et 1996, l'incidence y est en moyenne 2.3 fois plus élevée chez les sujets de sexe féminin âgés de moins de 18 ans au moment de l'accident que chez les adultes (14 fois pour les moins de 14 ans)(29). A Bryansk (région pour partie et agglomération), l'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens pendant la période 1991-1995 chez les sujets âgés de 0 à 18 ans au moment de l'accident serait de 3.6 pour 100.000(30). Dans les régions de Kaluga, Orel et Tula, cette incidence est 11 fois plus élevée chez les sujets âgés de moins de 1 an à l'époque de l'accident que dans les populations du même âge d'Angleterre et du Pays de Galles, 25 fois chez les 1-2 ans et 9 fois chez les 3-4 ans(26) (Tableau 2). D'une manière générale, sur une population de 19 millions de personnes issues des régions les plus exposées de Bélarus, Ukraine et Russie, l'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens dans la population générale oscillerait selon les territoires entre 1.03 et 4.62 pour 100.000 habitants de 1986 à 1992 (maximum 3.4 fois plus élevé qu'avant l'accident) et entre 1.91 et 9.36 de 1993 à 1996 (maximum 6.9 fois plus élevé qu'avant l'accident). En 1996, l'incidence moyenne chez les enfants âgés de 0 à 4 ans au moment de l'accident serait 11 fois plus élevée qu'avant celui-ci, 14 fois plus chez les 5-9 ans et 3 à 5 fois plus entre 9 et 75 ans(35). Le tribut payé par les jeunes âgés de moins de 19 ans et particulièrement les enfants de moins de 5 ans au moment de la catastrophe de Tchernobyl est donc considérable. Il est intéressant de le mettre en perspective avec les données relatives à d'autres modes d'exposition aux rayonnements ionisants également présentés au cours de cette conférence : les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki et les essais nucléaires atmosphériques. Le taux de cancers thyroïdiens observé sur 50 ans auprès d'une population de 79.972 survivants des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki (c) est de 5.6 pour 100.000 personnes en moyenne annuelle (33). Pour ce qui est des essais nucléaires, deux études relatives à l'incidence des essais soviétiques réalisés dans le Kazakstan (site de Semipalatinsk) et une étude relative aux populations des Iles Marshall ont été présentées. De 1949 à 1989, trente six essais ont été réalisés au sol, quatre vingt six dans l'atmosphère (certains d'ailleurs explosés au sol) et trois cent quarante sous terre sur le site de Semipalatinsk (Kazakhstan). Les tests atmosphériques ont eu lieu entre 1949 et 1962 (jusqu'en 1963 pour les tests au sol), la contribution essentielle étant le fait de l'explosion du 29 Août 1949 (doses jusqu'à >1Sv), et les conséquences ont concerné en majorité le sud-ouest de l'Altaï. Entre 1989 et 1994 (soit 27 à 32 ans après la cessation des essais atmosphériques et 40 à 45 ans après l'essai du 29 Août 1949), l'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens dans la population générale de l'Altaï était de 3 pour 100.000 (1.5 fois plus qu'en Russie pendant la même période) et d'environ 6 pour 100.000 dans le secteur de Rubtovski adjacent au site. (suite)
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suite:
Un suivi réalisé en 1996-1997 auprès de 1171 personnes âgées de 0 à 14 ans au moment de l'essai du 29 Août 1949 (dose reçue: 0.3 à 77 Gy)(d) a fait apparaître une incidence annuelle moyenne d'au moins 1410 cancers thyroïdiens pour 100.000 (1,41%)(40). Une autre étude a été réalisée sur des tissus provenant de 100 sujets opérés pour goitre nodulaire entre 1980 et 1993 (population de 175.000 personnes provenant de 374 localités exposées à des degrés variables)(22). Chez les personnes les plus exposées (0.35 à 4.48 Sv), l'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens est de 7.4 pour 100.000, contre 2.15 (4.2 fois moins) pour les personnes les moins exposées (0.01 à 0.069 Sv). Dans le premier groupe, les sujets âgés de 35 à 45 ans au moment de l'opération (tous nés pendant la période des essais nucléaires) sont les plus touchés : 42 pour 100.000, soit 55 fois plus que les sujets nés après 1955 et 7 fois plus que ceux nés avant le début des tests. 76.3% au moins des cancers thyroïdiens opérés dans le premier groupe sont imputables à l'exposition aux rayonnements ionisants (6,7 cancers pour 100.000 personnes). Dans les deux groupes, la contribution des moins de 25 ans (nés après 1955) est (relativement) mineure : 0.77 et 0.6 pour 100.000. Le peu d'indications méthodologiques (origine des sujets, distribution des âges, dosimètre biologique,...) ne permet pas d'expliquer les écarts observés entre ces différents résultats. Les États-Unis quant à eux ont mené 119 tests atmosphériques entre 1951 et 1961 dans le désert du Nevada (bombe A) et 66 entre 1946 et 1958 au-dessus des atolls de Bikini et d'Eniwetak dans les Iles Marshall (bombe H), la contribution majeure provenant dans ce cas du test Castle-Bravo réalisé le 1er Mars I954 (exposition de 50 à 200 Gy pour les enfants résidant sur l'atoll de Rongelap, 10 fois moins sur l'atoll d'Utrik). Dans le cadre de l'étude Radioécologique du Territoire des Iles Marshall réalisée par la République des Iles Marshall, 4.766 habitants potentiellement exposés parmi les 7.221 habitants que compte l'ensemble des 23 atolls ont été suivis entre 1993 et 1997 (sujets repartis en deux cohortes : sujets nés avant le test de Castle-Bravo / entre 1954 et 1958, population de contrôle : 1.059 sujets nés après 1958)(46). L'incidence annuelle moyenne des cancers thyroïdiens observée dans la première cohorte est de 460 pour 100.000 ( 0.46%). Elle est plus élevée que pour la plupart des populations exposées étudiées à ce jour (e), supérieure d'un facteur 10 à la valeur calculée pour les populations de Semipalatinsk exposées dans l'enfance (42 pour 100.000, ci-dessus) et d'un facteur 20 à celle fournie pour les enfants évacués de Prypiat et Chernobyl (27 pour 100.000, ci-dessus). Curieusement, elle est particulièrement élevée dans les populations nées après la fin des essais nucléaires : 100 pour 100.000 (0,12%). 1.2. D'une manière plus générale, la question se pose de savoir quelle est l'importance du risque associé à une exposition aux rayonnements ionisants (relation dose-effet). On observe une relative constance dans les évaluations du risque (absolu et relatif) de cancer thyroïdien induit par unité de dose, qu'il s'agisse de l'exposition externe ou des contaminations internes discutées ci-dessus. Ainsi pour l'ensemble des régions les plus exposées de Bélarus, Ukraine et Russie (population de contrôle : sud de l'Ukraine), une contamination interne de 1 Gy reçue entre l'âge de 5 mois et 18 ans entraînerait 2 à 4 cancers thyroïdiens sur une durée cumulée de 10.000 ans (ou personnes-années) (f), et 1,3 cancers thyroïdiens pour les sujets ayant été exposés entre 0 et 5 mois(30). Ce risque (dit excès de risque absolu) a été évalue à 2.21 (IC : 0.74-3.68) à partir de l'observation de 48 sujets de sexe féminin de la région de Bryansk âgés de 0 à 17 ans au moment de l'accident de Tchernobyl(29). Ces valeurs diffèrent d'un facteur 2 avec les estimations réalisées sur les populations enfantines exposées à des doses élevées d'irradiation externe(37,42). p.24
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En ce qui concerne
l'excès de risque relatif (incidence de cancers thyroïdiens
pour 1 Gy ou pour 1 Sv, sur incidence à exposition nulle), il serait
de 7.3 pour 48 sujets de sexe féminin exposés avant 18 ans(29),
et de 9.5 et 3.02 pour les survivants des bombardements d'Hiroshima et
Nagasaki âgés alors respectivement de moins de 10 ans et de
10 à 19 ans(33). Ces données sont cohérentes
avec les évaluations réalisées sur deux séries
de cohortes distinctes exposées à de fortes doses d'irradiation
externe(37,42).
1.3.Par delà l'incidence observée des cancers thyroïdiens et l'évaluation de l'excès de risque absolu (ERA) et relatif (ERR), deux estimations prévisionnelles de l'impact de l'exposition sur toute la vie des personnes exposées, d'une part aux retombées de la catastrophe de Tchernobyl, d'autre part aux essais nucléaires atmosphériques réalisés par les américains dans le désert du Nevada, ont été présentées. A partir des observations et estimations du risque réalisées en Bélarus et en Russie (26, supra), trois types de prédictions ont été réalisées pour les enfants âgés de 0 à 4 ans au moment de la catastrophe de Tchernobyl à partir des trois hypothèses les plus vraisemblables : le risque relatif est constant durant toute la vie, il est constant pendant 40 ans seulement, le risque absolu varie avec le temps écoulé depuis l'exposition (maximum entre 5 et 11 ans après l'exposition). Les résultats : 2 à 8% des 815.146 enfants biélorusses, 11 à 36% des 141.068 enfants de la région de Gomel et 2 à 5% des 100.946 enfants de la région de Mogilev concernés développeront au cours de leur vie un cancer radio-induit(26). Ces valeurs sont très supérieures (d'un facteur 10 à 40) aux prédictions obtenues à partir des coefficients de risque faisant intervenir le niveau d'exposition calculés par (37, supra). Extrêmement intéressantes également sont les prédictions réalisées par le National Cancer Institute de Bethesda (USA) à la demande du congrès américain et publiées en 1997(25). Plus de 119 explosions atmosphériques ont été réalisées dans le Nevada essentiellement entre 1951 et 1961 (bombes à fission), 90 desquelles ont contribué pour 99% à l'activité totale rejetée en iode 131 (1952 : Tumpler-Snapper test series, 1953 : Upshot Knothole test séries, 1997 : Plumbbod test séries). Cette estimation, qui concerne les 160 millions d'habitants des États-Unis encore vivants nés avant la fin de ces tests, a été réalisée à partir d'un travail complexe d'évaluation des doses reçues par les populations de chaque comté, pour chacun des 90 tests majeurs réalisés, pour quatorze tranches d'âge et par sexe, en fonction de l'efficacité biologique relative de la dose reçue (0.1 à 1) et d'un risque ´†à exposition nulle" de 0.25% pour les hommes et 0.64% pour les femmes. Les résultats : entre 7.500 et 75.000 (IC : 1700-324.000) cancers thyroïdiens radio-induits. Valeur moyenne : 49.000 (IC : 11.300-212.000), soit 0.03% de la population concernée et une augmentation de 7% de l'incidence de base. Cette estimation repose sur les valeurs de l'excès de risque relatif (37) qui se sont avérées sous-estimer d'un facteur 10 les cancers thyroïdiens aujourd'hui observés en Bélarus et Russie(26). Une contre-évaluation demandée par le NCI à l'Académie des Sciences - Institut de Médecine a été réalisée en 1997 selon une méthodologie différente mais avec les mêmes valeurs d'excès de risque relatif. L'excès de risque ainsi calculé se situe entre 800 et 208.000 (valeur centrale 46.000, similaire à la précédente). Cet excès y est 5 fois plus important chez les sujets de sexe féminin que chez ceux de sexe masculin. Enfin, une prédiction concernant l'exposition (fictive) des populations blanche et noire américaines exposées avant l'âge de 5 ans à une irradiation de 1 Gy conduirait, selon le modèle utilisé, à 3.1 à 5.5% de cancers thyroïdiens chez les femmes blanches (0.5% actuellement), contre 0.8 à 2% pour les hommes, et à 0.9 à 5.2% chez les femmes noires contre 0.8 à 2% pour les hommes. (suite)
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suite:
(soit 2.1 à 3.7 fois plus chez les blancs que chez les noirs, et 2.5 à 3.8 fois plus chez les femmes que chez les hommes)(42). 2. Les caractéristiques morpho-histologiques et bio-moléculaires des cancers thyroïdiens radio-induits. 2.1. Les caractéristiques morpho-histologiques. Les différents types de cancers thyroïdiens présentent des différences clinico-pathologiques importantes. Ainsi le type papillaire disséminé majoritairement via le système lymphatique (tant au sein qu'à l'extérieur de la glande thyroïde)(27,48), alors que la dissémination du type vésiculaire se fait exclusivement par voie sanguine(48). La variante solide-vésiculaire (type papillaire) est très invasive, tant par voie lymphatique que sanguine(23,27,45). La forte incidence du type papillaire et de la variante solide-vésiculaire chez les sujets exposés aux rayonnements ionisants, notamment chez les enfants, est particulièrement préoccupante. Pour ce qui est des retombées de l'accident de Tchernobyl, les cancers thyroïdiens de type papillaire constituent l'histotype prédominant chez les sujets de moins de 19 ans opérés en Ukraine entre 1986 et 1997 (93% chez les enfants, 91% chez les adolescents)(45), et chez ceux de 5 à 14 ans opérés en Bélarus entre 1991 et 1997 (96.5% contre 2.6% et 0.6% pour les types vésiculaire et médullaire respectivement)(27). En Russie, sur 28 cancers thyroïdiens diagnostiqués entre 1993-1997 chez des enfants des régions de Kaluga, Bryansk, Oriol et Tula, un examen histo-pathologique a conclu à 86% de cancers papillaires, contre 3,6% de tumeurs vésiculaires (20% non classables) chez les sujets âgés de moins de 15 ans, ces rapports étant de 82% (papillaire), 9% (vésiculaire) et 4.5% (médullaire) chez 22 sujets de 15 ans et plus(21). Chez les 0-14 ans, le taux de cancers papillaires augmenterait avec la dose reçue (45). Des nombreuses variantes morphologiques (sous-types) de l'histotype papillaire (papillaire pur/mixte, vésiculaire pur/mixte, structure solide pure/mixte, sclérosante-diffuse), la variante vésiculaire et particulièrement solide-vésiculaire semble dominante : 77% de variantes solides-vésiculaires sur 116 cas opérés en Ukraine et en Bélarus avant l'âge de 20 ans(44), 79.8% chez 225 enfants et 69.6% chez 50 adolescents opérés en Ukraine entre 1986 et 1997(24), 47.9% de variantes vésiculaires chez 458 sujets biélorusses âgés de 5 à 14 ans opérés entre 1991 et 1997 (32.25% vésiculaires mixtes)(27), 54% chez des enfants russes contre 29% de papillaires classiques et 17% d'autres types)(21) (ces deux dernières distributions étant intermédiaires entre celle observée en Angleterre et au Pays de Galles d'une part, et en (44,24) ci-dessus d'autre part). Le taux de variantes vésiculaires augmenterait avec le temps, au détriment des variantes papillaire et sclérosante diffuse, les structures solides restant constantes(27) (Tableau 5). Tableau 5 - Évolution de la distribution des différentes variantes morphologiques des cancers de type papillaire opérés en Bélarus entre 1991 et 1992 (période de latence théorique: 5-6 ans) et 1996-1997 (période de latence théorique: 10-11 ans)(27).
p.25
|
Parmi les survivants d'Hiroshima et
Nagasaki, l'histotype papillaire est également prédominant.
Mais à la différence des cancers thyroïdiens induits
par la catastrophe de Tchernobyl, la variante solide-vésiculaire
est rare(33). Cette différence pourrait être due à
une différence dans le processus de cancérisation(49).
Qu'en est-il des populations exposées
aux essais nucléaires?
|
type papillaire dominant à +†7-21 ans mais surtout à + 22-31 ans (53.4% / 66.6%) (vésiculaire : 5.2% / 10.7%), développement du type vésiculaire, essentiellement au détriment des cancers peu différenciés, à + 32-41 ans et surtout à + 42-45 ans (39.4% / 43.1%). Globalement, on observe 54.8% de types papillaires et 34.5% de types vésiculaires entre 1956 et 1994(40) (Tableau 6). Par ailleurs, une population de 1171 sujets exposés avant l'âge de 15 ans à des doses allant de 0.3 à 7.7 Gy a développé à +†47-48 ans 66% de cancers papillaires attestés (incertitude 54%-73%) et 33% de cancers vésiculaires attestés (incertitude 46%-27%). |
temps écoulé depuis essai 29-8-1949 | type papillaire
t1 |
type vésiculaire
t2 |
peu
diférencié |
||||||
|
ans | nombre |
|
nombre |
|
nombre |
|
||
1971-80 1981-90 1991-94 total |
22-31 32-41 42-45 |
88 267 145 531 |
66,6 53,2 52,5 54,8 |
14 198 119 334 |
10,5 39,4 43,1 34,5 |
31 37 12 104 |
23,3 7,4 4,3 10,7 |
Enfin, le type
papillaire serait là-aussi fonction de la dose reçue : 80.5%
de cancers papillaires dans le groupe exposé (0.35-4.48 Sv) contre
67.9% dans le groupe moins exposé (0.01-0.069 Sv) (cancers thyroïdiens
opérés entre 1980 et 1994, population de 175.000 personnes
de tous âges). Le taux de cancers vésiculaires serait également
constant quelle que soit la dose(22).
L'ensemble des observations ci-dessus confirmerait le caractère radio-induit d'une part importante des types papillaires et des variantes solides-vésiculaires, ainsi que l'existence d'une corrélation entre ceux-ci, la dose reçue, l'âge au moment de l'exposition et le temps écoulé depuis l'exposition. 2.2. Les caractéristiques bio-moléculaires.
(suite)
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Une modalité particulière de la fusion RFG-RET donne le cinquième type de réarrangement : RET/CTP4 . Habituellement, les réarrangements sur le gène ret ("RET/CTP") sont présents dans 40% des cancers papillaires. Les études présentées ici concernent quasi-exclusivement le Bélarus et l'Ukraine. Chez les sujets exposés pendant l'enfance, elles font apparaître: - la présence de réarrangements ret dans 50 à 70% des cas de cancers papillaires - la quasi-exclusivité des types RET/CTP1 et RET/CPT3 - la nette prédominance du type 3 sur le type 1 (rapport 3 à 1) - la forte affinité du type 3 (75 à 100%) pour les variantes solides-vésiculaires (28 à 50% des cas) (ces variantes représentant elles-mêmes 64 à 77% des cancers papillaires) - la faible affinité du type 1 (20%) pour les variantes solides-vésiculaires et leur forte affinité (80%) pour les variantes papillaires classiques ou sclérosantes diffuses - l'absence de types 2 et 4, la quasi-absence du type 5(36,38,44) - une corrélation entre type de réarrangement et temps écoulé depuis l'exposition (diminution de l'incidence des types 3 et augmentation de celle des types 1 avec le temps)(43) - une corrélation entre type de réarrangement et âge des sujets (exclusivement type 1 chez les adultes)(43) . Ces observations sont parfaitement cohérentes avec les études histo-morphologiques ci-dessus ( 2.1.). L'étude(43) plaidant quant à elle pour le caractère fortement radio-induit des réarrangements RET/CTP1 observés chez l'adulte exposé. 3. Les déterminants du risque de cancer
thyroïdien radio-induit.
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3.1. Les caractéristiques de l'exposition.
La dose . L'incidence des cancers thyroïdiens semble liée de manière linéaire à la dose, quel que soit l'âge des sujets, le type d'exposition (externe, interne) ou son origine (Tchernobyl, Hiroshima-Nagasaki, essais nucléaires). Une seule réserve concerne les jeunes de 15 à 18 ans au moment de l'exposition(45), qui pourrait s'expliquer par le caractère aléatoire de la reconstruction des doses, ainsi que par la moindre radiosensibilité des adolescents par rapport aux sujets plus jeunes (ci-dessous). Le mode d'administration de la dose. Contrairement à une idée assez répandue en radioprotection, une exposition à des doses fractionnées d'irradiation externe ne serait pas significativement moins dangereuse qu'une exposition unique à une forte dose(37). 3.2. Les caractéristiques des sujets exposés.
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Une dernière question émerge au terme de cette étude : celle du temps de latence entre exposition aux rayonnements ionisants et expression détectable des cancers thyroïdiens. La relation entre temps de latence et dose reçue est controversée : le cancer apparaîtrait d'autant plus vite que la dose serait élevée en Bélarus(31) , et d'autant plus tardivement que la dose est importante en Ukraine(45). Par contre, il semble y avoir consensus sur une relation inverse entre âge au moment de l'exposition et expression clinique . Ainsi en Ukraine, les 0-4 ans au moment de la catastrophe représentent 13% des cancers thyroïdiens en 1981-1990, 40% en 1991-1995 et 66% en 1996-1997, les 5-9 ans respectivement 23%, 43% et 33%, les 10-14 ans 43%, 16%, 0%, et les 15-18 ans 19.6%, 0%, 0%.(45). Une étude conduite en Bélarus sur les 0-14 ans confirme ces observations, notamment pour les 0-4 ans(31). (46) note pour sa part une forte corrélation (direction non précisée) entre âge au moment de l'exposition et âge au moment du diagnostic dans les populations des Iles Marshall. Chez les survivants d'Hiroshima et Nagasaki par contre, l'excès de cancers thyroïdiens ne serait corrélé ni au temps écoulé depuis l'exposition, ni à l'âge atteint par les sujets(33). Enfin, une corrélation entre l'âge au moment de l'exposition et l'âge au moment du diagnostic rend aléatoire une estimation du pic d'incidence des cancers radio-induits pour la population générale (celui-ci étant dès lors fonction de l'âge au moment de l'exposition et de la distribution des âges dans chaque population étudiée). Pour les 0-4 ans au moment de l'exposition, (26) situe ce pic à + 5-11 ans (mais cette étude manque de recul). Deux estimations générales le situent à + 15-19 ans (irradiation externe)(37) et à + 42 ans (essais nucléaires de Semipalatinsk)(40). Plusieurs études permettent de conclure que l'effet reste important plus de 40 ans après l'exposition (exposition externe)(37). L'effet cancérigène des rayonnements ionisants sur la glande thyroïde se manifesterait donc au-delà de la période de 40 ans retenue par certains modelés de calcul. 4. Discussion.
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- à l'identification des types histo-morphologiques
(problème de la standardisation des critères et de la reproductibilité
du diagnostic).
Si de nombreuses questions demeurent, on n'en observe pas moins cependant sur de nombreux points de réelles convergences, qui témoignent de manière significative voire dramatique de l'effet des rayonnements ionisants sur le développement des cancers thyroïdiens. En outre, par delà l'incidence des cancers thyroïdiens, il conviendrait de s'interroger sur la morbidité générale des enfants atteints de cette pathologie (effets de l'iode, ainsi que des radioéléments associés, sur les organes autres que la glande thyroïde, sur l'état immunitaire et donc sur l'état général), ainsi que sur la mortalité dans ces populations. C'est dans ce contexte qu'a été présentée une étude en cours de réalisation conduite par une équipe médicale de l'hôpital de Sydney (Australie) concernant les cancers de la thyroïde dans la population de Nouvelle-Calédonie(23). La Nouvelle-Calédonie est composée de plusieurs communautés (Mélanésiens, européens, polynésiens, Asiatiques, populations mixtes) et compte 196.000 habitants. Entre le 1er Janvier 1980 et le 31 Décembre 1993, 161 cas ont été diagnostiqués (k) soit une incidence annuelle moyenne de 5.9 pour 100.000. Cette incidence était déjà de 5.8 pour 100.000 en 1985. Elle était de 10.8 pour 100.000 en 1992 (doublement en sept ans) et de plus de 20 pour 100.000 en 1996 (doublement en quatre ans). Elle est particulièrement élevée dans la population mélanésienne: 35 pour 100.000. Elle a donc atteint en 1996 l'incidence observée chez les populations de Semipalatinsk et de Gomel exposées pendant l'enfance et l'adolescence(22,30) et chez les enfants évacués de Prypiat et Tchernobyl (45). L'hôpital de Sydney, structure spécialisée la plus proche de la Nouvelle-Calédonie (1500 km), reçoit les sujets atteints de cancers thyroïdiens à pronostic non défavorable. Parmi les cas diagnostiqués envoyés à Sydney pour thyroïdectomie, 98 ont été retenus dans le cadre de cette étude essentiellement clinique (l). |
Sur les plans épidémiologique
et histo-morphologique, on note un rapport sexe féminin/ sexe masculin
= 7.17, une distribution entre Mélanésiens, européens,
et populations mixtes = 81%, 16% et 9% respectivement, 76% de tumeurs papillaires
et 24% de tumeurs vésiculaires, l'âge moyen des sujets étant
de 46.2 ans. L'échantillon n'étant pas aléatoire (et
les indications relatives à la population-mère et à
l'échantillon lui-même pratiquement inexistantes), ces observations
ne sont guère exploitables.
En tout état de cause, l'incidence des cancers thyroïdiens en Nouvelle-Calédonie et son évolution depuis le début des années 1980 sont extrêmement préoccupantes. Il est urgent qu'une étude épidémiologique y soit réalisée afin d'évaluer l'incidence réelle des cancers thyroïdiens aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, d'identifier les populations affectées, d'en déterminer les causes et de mettre en oeuvre auprès des populations à risque une campagne de prévention et de dépistage. Pour mémoire,
la Nouvelle-Calédonie est située au centre du quadrilatère
Meralinga (Australie du Sud, 3800 km, sept essais nucléaires britanniques
majeurs, bombe A, 1956-1957), Ile de Monte-Bello (Australie de l'Ouest,
5400 km, trois essais nucléaires britanniques majeurs, bombe H,
1952-1956), Atolls de Bikini et Eniwetak (Iles Marshall, 3500 km, essais
nucléaires américaines, bombe H, 1946-1958), Atolls de Mururoa
et Fongataufa (Polynésie française, 6000 km, essais nucléaires
français, bombe A puis bombe H, 1966-1975).
Mais la Nouvelle-Calédonie est-elle vraiment un territoire français? |