1. Résumé des événements
En août 2000, l'exploitant du réacteur numéro 2 de la centrale de Nogent-sur-Seine, à 120 km du centre de Paris, détecte une rupture de gaine de combustible (radioactivité anormale dans le circuit primaire de refroidissement). L'enquête menée par le fabricant du combustible Framatome à la demande de l'exploitant EDF conduit à la découverte de ce qui est une véritable affaire. Particulièrement troublant: 18 mois après son déclenchement, le problème a été découvert en usine- et dissimulé, c'est-à-dire non communiqué aux acteurs concernés - à un moment où un concurrent, la société britannique BNFL se trouvait au centre d'un scandale sur le contrôle qualité de combustible au plutonium MOX qui a conduit l'entreprise au bord de la faillite. La compagnie CEZUS (Compagnie Européenne de Zirconium), alors filiale commune de COGEMA et de Framatome, a connu à partir d'août 1998 un problème de contrôle qualité dans son usine de Paimbœuf (France) qui fabrique des tubes en zircalloy pour les assemblages combustibles nucléaires à uranium et au plutonium (MOX). Décelé dés février 2000 par les exploitants de cette usine, le problème n'a, malgré une visite d'inspection par l'autorité de sûreté nucléaire, la DSIN, en septembre 2000 pas été signalé par la direction de CEZUS. C'est officiellement Framatome, comme client et maison mère (qui détient aujourd'hui 100 % du capital), qui a été informé et a signalé l'incident le 6 novembre 2000 à la DSIN et à ses propres clients, les utilisateurs du combustible fabriqué à partir des 900.000 tubes environ produits pendant la période: EDF (qui a d'ailleurs à son tour informé la DSIN) et des exploitants nucléaires répartis dans au moins neuf pays en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne, Suède, Suisse), Amérique du Nord (États-Unis), Afrique (Afrique du Sud) et Asie (lapon, Corée du Sud, Chine)* La DSIN déclare avoir informé les autorités de sûreté des pays concernés dans les jours suivant le 6 novembre 2000. Cependant, la DSIN retirera plus tard de la liste la Suisse, le Japon et la Corée du Sud (voir 6ème paragraphe). La DSIN a classé au niveau 1 sur l'échelle INES (International Nuclear Event Scale, qui en compte 7) cet " incident générique ". Celui-ci est attribué à EDF, pour « défaut de contrôle " de l'exploitant sur le système de contrôle qualité de son fournisseur. L'autorité de sûreté française, dont un directeur adjoint considère que l'événement " ne pose pas de problème de sûreté " aurait même classé celui-ci au niveau 0 sans le " délai important entre la découverte et la déclaration de cet incident ", estimant toutefois « qu'il n'y a pas eu dissimulation ». L'autre directeur adjoint du même organisme considère pour sa part que « ce comportement est tout à fait anormal » pour conclure " on n'a pas le droit si on travaille dans le secteur nucléaire" à ce genre de comportement. Le délai d'information a une conséquence irréversible: les tubes concernés par le défaut de contrôle, identifiables au sein des lots tant que ceux-ci ne sont pas utilisés, ont entre temps tous quitté l'usine de Paimbœuf et ont été livrés, puis assemblés, et pour l'essentiel chargés en réacteurs. Ainsi, pour EDF, les gaines concernées sont, selon une information fournie par la DSIN à WISE- Paris, réparties dans 1.263 assemblages dont 1.140, soit plus de 90 %, auraient déjà été chargés dans 49 des 58 réacteurs à eau pressurisée d'EDF. Pour les dizaines de clients étrangers de CEZUS/Framatome c'est moins clair. La DSIN estime que c'est désormais aux autorités de sûreté des pays concernés- et informés- de prendre les mesures qui s'imposent. 2. Présentation de l'usine CEZUS de Paimbœuf
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Zircotube a été absorbé en 2000 par CEZUS, dont Framatome était auparavant devenu le seul actionnaire en 1999 (2). Production L'entreprise CEZUS est spécialisée dans la fabrication, la transformation et la commercialisation des métaux tels que le zirconium et le hafnium, et d'alliages métalliques de zirconium (Zircalloy notamment). La société est seule en Europe, et première dans le monde pour la production de zirconium. CEZUS est en particulier leader mondial pour la production de tubes en alliage de zirconium, et détient 45 % du marché des alliages de zirconium pour les applications nucléaires civiles, notamment les gaines combustibles pour les réacteurs à eau sous pression (REP) et à eau bouillante (REB). Localisé en Loire-Atlantique, pas loin de la ville de Nantes, le site de Paimbœuf produit des crayons de combustible en alliage de zirconium, utilisé pour sa résistance à la corrosion et sa perméabilité aux neutrons. Ces crayons, qui contiennent les pastilles de poudre de UOX (uranium) ou de MOX (mélange d'uranium et de plutonium), constituent la première enceinte de confinement (sur trois) des matières radioactives Contrôle qualité
3. Source et ampleur du défaut de
contrôle qualité des gaines de combustible
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L'impact national et international
L'usine de Paimbœuf n'aurait pas informé la direction des combustibles de Framatome lorsque le défaut de contrôle a été identifié: « le service qualité de l'usine, sur la base d'une évaluation statistique, avait alors considéré le risque de non-conformité des gaines suffisamment faible ». Framatome aurait été informé seulement le 6 novembre 2000. L'analyse statistique évoquée est basée sur le taux de détection de défaut de la technique des ultrasons: ce taux serait de 3 % selon Blanche Penaud, responsable du service presse de Framatome (10). Et le taux de rebut ne serait que de 1,5 %. Jérôme Goellner, Directeur adjoint de la DSIN, précise par ailleurs que le défaut de procédure de contrôle qualité « ne concerne au maximum que 11 crayons », d'après des calculs menés par Framatome et EDF. Ces crayons non-conformes sont aléatoirement répartis dans les assemblages combustible fabriqués et commercialisés par Framatome. La production de gaines de combustible de CEZUS est adressée autant à EDF qu'à d'autres clients étrangers. CEZUS consacre en effet la moitié de sa production à l'exportation. Framatome, qui s'affiche en numéro 1 mondial sur le plan du combustible nucléaire, a de son côté fabriqué (sinon fournit des composants) des réacteurs pour des exploitants aussi divers que Electrabel (Belgique), Kepco (Corée), Eskom (Afrique du Sud), Vattenfall (Suède).... qu'il alimente avec des assemblages combustibles de sa conception. Et CEZUS contribue à ce programme au niveau de la fabrication des gaines de combustible utilisées dans ces assemblages. Il s'agit donc bien d'un problème d'envergure mondiale puisqu'il est clair que « certains [tubes] peuvent également avoir été utilisés dans des fabrications destinées à des réacteurs étrangers " (11). Selon la DSIN, les tubes sont essentiellement allés aux usines de fabrication de Romans-sur- Isère (FBFC), de Dessel en Belgique (FBFC/FCF/BN) et à l'usine de fabrication de MOX Mélox à Marcoule (COGEMA). La production des assemblages de combustible se fait à partir de plusieurs lots de tubes et il ne serait donc plus possible de savoir exactement quels réacteurs ont été chargés avec du combustible comportant des tubes douteux. La DSIN a établit en novembre (12), une première liste de 9 pays destinataires (outre la France): ces pays destinataires des combustibles douteux incluent l'Afrique du Sud, l'Allemagne, la Belgique, la Chine, l'Espagne, le Japon, la Suède, la Suisse, les USA. Les autorités de sûreté respectives ont été informées, d'après la DSIN, et Framatome déclare dans son communiqué de presse du 9 novembre avoir de même informé « sans délai les clients internes ou externes du groupe Framatome ». Dans un courrier électronique du 6 décembre 2000 à WISE-Paris, Philippe Saint Raymond, Directeur adjoint de la DSIN, explique que « des gaines provenant de ces lots ont servi notamment à la fabrication d'assemblages pour des compagnies Allemande, Belge, Suédoise, Espagnole, d'Afrique du Sud et des USA » et mentionne également « une usine dE fabrication de combustible en Chine ». Le Japon a disparu de la liste, et selon Philippe Saint Raymond, interrogé par téléphone (13), la relecture des relevés des enregistrements montrerait que les lots destinés et/ou livrés au Japon ne feraient pas partie de ceux non-contrôlés entièrement. Le directeur adjoint de l'autorité de sûreté française n'a pourtant pas pu exclure que du combustible MOX destiné au Japon a été fabriqué dans les usines de MELOX à Marcoule ou Belgonucléaire à Dessel sur la base de tubes incriminés. Quant à la Corée du Sud, les tubes auraient été envoyés avec les enregistrements de contrôle, dont aucun double n'aurait été conservé. Des pratiques étonnantes... L'incidence sur la filière plutonium
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En effet, à ce jour, les seules productions réalisées pour les japonais l'ont été pour le client NFI. Les gaines utilisées par Mélox pour ces premières fabrications n'ont pas été fabriquées par CEZUS ». Et: « à ce jour, un reliquat de quelques dizaines de gaines, réceptionnées sur la période concernée, n'a pas été engagé sur les lignes de fabrication de Mélox » (15). Nous ne disposons pas d'informations sur d'éventuelles livraisons à l'usine de Belgonucléaire en Belgique (Dessel), ou sur d'autres exportations. La DSIN n'a pas, selon Philippe Saint-Raymond (16), vérifié la situation à Mélox, et notamment l'affectation sur les deux lignes (combustible REP, eau sous pression, ou REB, eau bouillante) de fabrication de l'installation. Selon Mélox S.A., chaque gaine est référencée avec « un code à barres individuel et unique » avant la mise en fabrication. Cet " étiquetage " garantirait la traçabilité de chaque tube. 4. Les enjeux de sûreté
L'impact au niveau de la sûreté
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5. Parallèle ente deux
chronologies d'événements: BNFL et CEZUS
La falsification des enregistrements de contrôle-qualité à l'usine BNFL de démonstration de MOX (MDF) située à Sellafield a été révélée en septembre 1999 et a compromis la privatisation du groupe. Ci-après sont listées les dates clés des deux chronologies concernant les affaires BNFL et CEZUS: 18 février 2000: L'Inspection des Installations Nucléaires (NII) du Royaume-Uni publie un rapport accablant mettant en question la direction de BNFL. 24 février 2000: Le personnel de CEZUS détecte le problème de contrôle-qualité. 20 février 2000: Le Directeur Général de BNFL remet sa démission. 29 février 2000: La Suède annule un transport de combustible de recherche destiné à Sellafield, car la livraison était devenue, selon les termes du Ministre de l'Environnement Kjell Larsson, "très difficile, voire impossible", à justifier à la lumière du scandale BNFL. 1er mars 2000: La Compagnie d'Électricité Kansai punit son Vice-Président et cinq cadres pour ne pas avoir rapporté le problème BNFL. 6 mars 2000: Le problème de contrôle-qualité de CEZUS est corrigé et les lignes de production sont redémarrées. Étant donné l'étendue du problème et ses implications commerciales potentielles, le moment n'est sans doute pas apparu opportun à la direction de CEZUS de rendre publique le problème de contrôle-qualité rencontré. 6. Questions ouvertes gênantes
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A1: Communication de la DSIN du 10 novembre
2000
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A3: Communiqué de presse
de Framatome du 9 novembre 2000
Contrôle qualité de la fabrication du combustible sur le site de Paimboeuf www.framatome.fr, le 09111/2000, Paris Une action de surveillance spécifique menée par la branche combustible de Framatome ANP portant sur des étapes de la fabrication a mis en évidence une insuffisance dans le dispositif de contrôle automatique par ultrasons des tubes de gainage fabriqués sur le site de Paimboeuf entre août 1998 et février 2000. Le premier tube de certains lots (un lot standard comporte 600 tubes environ) n'a été contrôlé que sur les deux tiers de sa longueur. Il a été remédié à cette insuffisance
dès qu'elle a été identifiée, et depuis tous
les tubes sont contrôlés sur la totalité de leur longueur.
Le service Qualité de l'usine, sur la base d'une évaluation
statistique, avait alors considéré le risque de non-conformité
des gaines suffisamment faible pour ne pas justifier d'autres actions que
la correction du dispositif de contrôle.
A5 : Note DSIN sur l'affaire CEZUS, "Incident
générique", Décembre 2000
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L'incident en chiffres Environ 850.000 gaines ont été produites pendant la période considérée. Compte tenu du procédé de contrôle mis en œuvre, le fabricant évalue à quelques dizaines le nombre de gaines contrôlées partiellement. Corrélé au taux de rebut des gaines après contrôle par ultrasons utilisé pour caractériser la qualité des fabrications de l'usine Cézus/Zircotube, moins d'une dizaine de gaines potentiellement non conformes aux spécifications techniques de contrôle ont été livrées aux clients de Framatome. Compte tenu de l'absence d'identification individuelle des tubes à ce stade de la fabrication, les tubes non contrôlés peuvent se trouver dans pratiquement n'importe lequel des réacteurs EDF, ainsi que dans certaines fabrications destinées à l'expert. Il y a environ 42 000 tubes dans chaque réacteur. Les incidences de l'anomalie sur la sûreté
des réacteurs. Au plan de la sûreté des réacteurs,
un défaut affectant les gaines peut conduire à une perte
d'étanchéité des crayons combustibles pendant le fonctionnement
normal de ces installations. L'intégrité des crayons combustibles
est surveillée en exploitation notamment par le contrôle du
niveau de radioactivité dans le circuit primaire du réacteur.
L'existence de crayons présentant une fuite en cours d'irradiation
est assez courante en fonctionnement bien que l'occurrence de cet événement
ait fortement diminué depuis l'introduction, il y a une dizaine
d'année, de filtres anti-débris dans le pieds des assemblages.
La présence de quelques crayons présentant une légère
fuite ne pose pas de problème de sûreté: seuls la production
d'effluents par le site et les problèmes de radioprotection liés
sont légèrement accrus. Dans les conditions accidentelles,
la présence de tels crayons ne pose pas de problème quant
à la conduite à suivre sur le réacteur pour amener
l'installation vers un état sûr, elle ne constitue pas non
plus une condition aggravante aux accidents même dans le cas le plus
pessimiste où on considère que tous les tubes probablement
non conformes sont réunis dans les assemblages chargés dans
un même cœur.
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