Pendant des années, les physiciens,
les médecins concernés, les environnementalistes et les politiques,
se sont livrés une bataille rangée sur les "faibles doses"
de rayonnements ionisants. Car en fait les enjeux premiers ont toujours
été, dans un autre domaine, celui des effets des faibles
doses sur les êtres vivants en général et sur les humains
en particulier, compte tenu des retombées sociales économiques
et politiques.
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Puis, une nouvelle race de scientifiques, les dénommés "radiobiologistes", a proliféré. Ces gens avaient un message étrange: ils allaient jusqu'à dire que les humains avaient des organes, première surprise, que ceux-ci ne réagissaient pas de la même manière aux rayonnements, deuxième surprise, et que le facteur de qualité était excellent en termes administratifs mais sans signification en biologie. Alors, enfin le facteur de qualité a disparu, remplacé par un facteur de pondération mesuré pour chaque tissu concerné: Le nouveau SIEVERT est né ainsi. Il était à peine revenu des fonts baptismaux que de nouveau les deux camps se sont reformés pour ou contre des effets mesurés en SIEVERT aux faibles doses. Mais aucun des deux camps ne remettait en cause la règle: c'est à partir de mesures physiques sur la matière inerte que l'on détermine in fine le SIEVERT. Ce qui entraîne comme conséquence immédiate: LE DOGME N°2: LA DISTRIBUTION DE DOSE, autrement dit la manière dont l'être vivant reçoit les rayons et les particules, EST TOUJOURS HOMOGENE. Ce dogme concerne aussi bien les cellules, les tissus ou les sujets, quels que soient leurs sexes, âges, santé etc. Seuls les effets sont différents selon les tissus pris en bloc le foie, le poumon, la thyroïde... puis ils sont réhomogénéisés grâce aux facteurs de pondération. Exemple: On peut juger des effets des rayonnements sur une population (après Hiroshima ou Chernobyl) en multipliant les effets supposés sur un individu par un million de ses semblables: C'est ce que l'on appelle "l'homme/SIEVERT" ce qui permet de prévoir, que dis-je, d'affirmer, que telle ou telle dose moyenne de rayons va tuer par cancer tant d'individus, quels que soient leurs sexes, leurs âges, leurs répartitions dans la zone etc... la querelle entre les deux camps étant dans l'estimation: quelques-uns ou quelques centaines. Ce sont ces deux dogmes que la radiobiologie moderne a fortement remis en cause, même si certains "radio protectionnistes" font semblant de ne pas le voir. PREMIÈRE ÉTAPE: LA DOSIMETRIE
INTERNE
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LA DEUXIÈME ETAPE est liée
à la démonstration qu'à chaque dimension biologique
LA
DISTRIBUTION DE DOSE N'EST JAMAIS HOMOGÈNE, et qu'en conséquence,
exprimer les effets par une moyenne est une absurdité a priori.
La démonstration en a été faite dans un tissu au niveau
cellulaire.
Exemple: la distribution de dose d'IODE 131, radionucléide émetteur de rayons gamma et de particules bêta (des électrons), dans une thyroïde cancéreuse avide d'iode. Si on injecte par voie veineuse une dose unique et connue d'iode radioactif 131 et que l'on mesure son incorporation cellule par cellule à l'aide de la microscopie électronique et une sonde de Castaing, on trouve des différences d'incorporation de cellule à cellule de 0 à 100 fois la dose moyenne prévue. Cette constatation est corrélée avec la répartition de la mort programmée des cellules avides d'iode. Le résultat peut s'exprimer ainsi : De deux cellules voisines, irriguées de façon identique, l'une peut ne rien recevoir comme dose, et l'autre être détruite par 100 fois la dose létale théorique! Peu à peu la notion d'inhomogénéité s'est étendue de la cellule aux tissus, et des tissus au corps humain, puis à toute l'espèce humaine: Deux individus recevant la même dose moyenne au même moment n'auront pas la même distribution de dose et donc pas les mêmes effets. En conséquence: il y avait déjà des cellules "à risque" et des tissus "à risque", il y a maintenant des humains "à risque" comme les enfants, les adolescents pour certains radionucléides, les femmes enceintes etc... La deuxième colonne du temple s'est ainsi trouvée sérieusement endommagée! Mais, après un instant de désarroi, les fronts se sont reconstitués: Même si tous les effets sont inégaux et probabilistes, il n'en reste pas moins qu'en général au-dessous du seuil, le fameux mSv par an pour toutes les populations, il n'y avait rien de mesurable pour les uns, des effets à coup sûr pour les autres, il suffit simplement d'oublier que le mSv pour un sujet n'est pas le même que pour son voisin, puisqu'il s'agit d'une moyenne, alors... LA TROISIEME ETAPE: LA BIOLOGIE MOLÉCULAIRE ET LES EFFETS RADIO INDUITS. Notre excellent collègue, Eric SOLARI est venu au Congrès de Paris expliquer la chaîne des effets des rayonnements ionisants pour les molécules (molecular mechanisms of radiation induced cell death, MED. CONFLICT AND SURV. 16, 2000, p. 257) Ce qu'il faut en retenir, au-delà des raffinements biochimiques, c'est que les rayonnements ionisants, X, gamma, ou particulaires, agissent dans la cellule en dehors du noyau. En plus des ruptures de brins de chromosomes qui restent indiscutables, quand ils existent, et qui gardent la possibilité de bénéficier, par les enzymes, d'une réparation parfaite ou fautive, il y a apparition possible d'un signal invisible sur la cellule irradiée. Ce signal va apparaître en cas de division cellulaire, c'est "la mort programmée" ou APOPTOSE. Ce signal peut ne pas être suivi d'effet, cela dépend de certaines protéines de la cellule (celle qui porte le signal est souvent la p52) et de petites formations très actives, les mitochondries, véritables usines chimiques de fabrication en particulier des protéines. (suite)
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On connaissait déjà les lésions mesurables du noyau et la production dans le cytoplasme de radiotoxiques appelés radicaux libres, il faut en plus prendre en compte un signal, le plus connu étant celui de l'apoptose. Ces données, en l'état, n'ont pas substantiellement changé les opinions dans les deux camps, jusqu'aux publications de nombreuses équipes de radiobiologistes en Grande-Bretagne, Irlande et aux USA ainsi qu'en France avec les travaux de notre ami CHRISTIAN CHENAL: • A partir de deux séries de faits expérimentaux, ils ont apporté la preuve qu'il y a bien un effet aux très faibles doses, mais pas celui que l'on attendait, c'est ce que nous verrons dans la 2e partie de ce dossier. II - RESPONSABLES MAIS PAS COUPABLES!
A partir de deux publications, celle, en 1997,
de HEI (1) et celle, en 1999, de WU (2), une nouvelle donne se fait jour
Figure 1 p.16
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Ce type d'instabilité a
été confirmé en étudiant la descendance aussi
bien dans un clone d'une cellule porteuse d'une seule particule alpha,
(KADHIM)(5) que la descendance clonale après de très faibles
irradiations de la cellule mère (GROSOVSKY)(6). L'intérêt
de l'irradiation par les particules a résidé dans le faible
parcours de cette particule, quelques microns, distance qui est souvent
inférieure au diamètre de la cellule. La transmission d'une
instabilité génomique aux descendants d'une cellule après
de nombreuses réplications nous pose deux questions:
1 - Comment ce processus se met-il en place? Rappelons d'abord le principe de base: si une cellule irradiée se divise sans descendantes immédiates fautives (de type cancéreux par exemple) on admet qu'il y a eu une réparation parfaite du noyau. Pour répondre à cette question, de nombreuses équipes travaillent sur une hypothèse: le rôle de l'irradiation comme agression ne se limite pas à une destruction "matérielle" comme la rupture de brins d'ADN ou des dommages dans le cytoplasme par des "radicaux libres" chimiquement actifs, mais il y a aussi un "stress oxydatif". Avec F. Cohen-Boulakia, nous travaillons dans notre laboratoire (Biophysique PARIS VI) sur des substances capables de protéger les cellules de la barrière endothéliale des conséquences du stress oxydatif. Mais jusqu'à présent l'action intempestive de l'oxygène sur les cellules ou leurs membranes était analysée comme immédiate et non transmissible. LINOLI (7) a suivi la même voie en utilisant des substances anti-stress et donc en inhibant une fonction: l'induction de l'apoptose liée à la protéine p53. Il a montré aussi qu'il agissait sur un effet mutagène transmis en le diminuant. Il a consolidé ainsi l'hypothèse causale du stress oxydatif. Ceci ne fait en réalité que déplacer la question: Pourquoi ce "signal" se transmet de génération en génération pour finir par s'exprimer? Nous n'avons pas encore de réponses claires à cette question. 2 - A défaut de "pourquoi", comment
se transmet le signal de façon inapparente de génération
en génération?
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DEUXIEME CONSTATATION: il existe un "effet de voisinage" dans les populations de cellules irradiées (BYSTANDER EFFECT - pdf). (Plus fort encore,) Il existe une transmission possible d'un signal lésionnel venant d'une cellule irradiée à une cellule voisine parfaitement indemne car non-irradiée, par simple effet de voisinage! Pour cette démonstration, le choix au départ d'une irradiation par des particules alpha n'est pas anodin. Ces particules lourdes ont un trajet déterminé en fonction de leur énergie, de l'ordre de quelques micromètres, ce qui simplifie grandement la séparation entre les cellules saines et irradiées. L'expérience sur des fibroblastes humains cultivés est éclairante (fig2): Alors que 1 à 2% seulement des noyaux cellulaires sont lésés par les particules alpha, il y a 50% des cellules qui sur expriment la protéine p21, et si on inhibe en partie la communication intercellulaire, on diminue grandement cet effet (11). Ce fait est retrouvé pour un faisceau de protéines porteuses du signal d'apoptose comme la p53, la CDC2, la CYCLINE B, et le RAD 5. Figure 2 D'autres travaux ont montré aussi, qu'au-delà
de l'apoptose, le signal transmis (peut-être par des cytokines?)
peut induire la formation de micro-noyaux (qui sont à la base de
la dosimétrie biologique), de mutations cellulaires et, selon SAWANT(12),
de transformations malignes.
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VERS UNE NOUVELLE RADIOBIOLOGIE?
Nous pouvons dès maintenant tirer quelques conclusions utiles pour tous les non-spécialistes intéressés par la question de la radioactivité et de ses conséquences sur la santé publique: 1- AUX FAIBLES DOSES (de 1 à 10 cGy) LES PHENOMENES MAJEURS SONT BIOLOGIQUES ET NON PHYSIQUES! La lutte des deux camps, pour ou contre la prise en compte des impacts des rayons ionisants aux faibles doses, est en réalité sans objet. Car le dommage majeur de celles-ci ne se situe pas uniquement sur la zone directement affectée mais dans les signaux biologiques transmis à l'extérieur et modulés uniquement par le métabolisme du système vivant concerné. Le nouveau chapitre des faibles doses ne consiste plus à disséquer les actions directes des particules ou des photons sur le vivant (comme il est de règle pour les fortes doses), mais sur la manière dont le vivant réagit à ce traumatisme, et sa manière de le signaler aux autres structures vivantes non concernées. C'est MITCHELL (14) qui a trouvé le terme fondateur : LA RÉPONSE ADAPTATIVE, clef unique de toutes les conséquences de la faible irradiation, y compris les leucémies, les lymphomes, les cancers et l'effet tératogène. Le nouvel objet de la recherche n'est plus le devenir in situ de telle ou telle lésion cellulaire (du DNA ou du CYTOPLASME), c'est pourquoi et comment des signaux pathogènes naissent et diffusent dans le tissu vivant. 2 - LES EFFETS MUTAGENES PRIMENT SUR LES EFFETS CANCERIGENES AUX FAIBLES DOSES. Toute la radioprotection pour ce domaine d'irradiation repose sur la question des leucémies et des cancers radioinduits. La polémique s'est développée sur les effets aléatoires de ce type à long terme. Par contre les effets mutagènes, certes connus, ont toujours été minimisés, voire niés, ainsi que toutes les conséquences non tumorales comme l'induction de pathologies cardiaques, pancréatiques (diabète) etc. En mettant l'instabilité génomique au poste de commande, toute la question des mutations radio-induites resurgit; et si la lésion princeps est l'apparition d'un phénotype mutant? (suite)
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Dans cette hypothèse, l'instabilité du phénotype radio-induit transmissible de génération en génération serait une simple possibilité, complètement modulable par des facteurs biologiques externes, selon LITTLE. Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner le concept d'effet cancérigène radio-induit, mais au contraire le réintégrer dans les lésions mutagènes radio-induites. Autrement dit, les mutations déjà connues dans la réplication fautive des cellules irradiées survivantes sont largement amplifiées aussi bien par l'apparition de cellules fautives dans la descendance des cellules "réparées" que par l'effet de voisinage transmissible, amplifiant ainsi le signal initial (Figure 3). Figure 3 C'est donc la biologie, ou plus simplement la vie qui vient se mettre à la première place. Ce triomphe du vivant est aussi le retour à la modestie dans cette question des faibles doses, modestie qui doit rester la règle chez les biologistes (en s'éloignant du discours cassant et péremptoire qui persiste chez certains radio-protectionnistes). Médecins ou/et chercheurs, nous savons combien le vivant est capricieux, rebelle aux règles rigides et surtout changeant, et hélas, relativement imprévisible. Retour obligé dans le premier cercle de l'enfer des "sciences molles", il va falloir réapprendre à douter, à communiquer avec mesure, à dialoguer avec le public par le partage de nos résultats provisoires mais aussi de nos interrogations. Plus vite la société comprendra ce tournant capital, plus vite les radiobiologistes pourront être entendu et, qui sait, peut-être compris? p.18
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