Bandajevsky, le relégué de Tcbernobyl Pour la première fois depuis sa condamnation
à huit ans de prison, le scientifique biélorusse Youri Bandajevsky
s'exprime dans la presse internationale. Le Figaro l'a rencontré
à Minsk. Accusé de corruption, il a été en
réalité réduit au silence parce que ses prises de
position et ses travaux iconoclastes sur les conséquences sanitaires
de la catastrophe de Tchemobyl dans son pays dérangeaient le pouvoir.
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Outre ses recherches iconoclastes sur la contamination des populations (lire ci-dessous), ses prises de position sur la mauvaise utilisation des fonds publics consacrés à la gestion de la catastrophe de Tchernobyl sont assurément la cause de ses ennuis. La transformation de la peine de prison en relégation, une disposition prévue par le Code pénal biélorusse, a été accueillie comme un immense soulagement par Youri, sa femme et leurs deux filles Olga et Natalia âgées de 25 et 16 ans. "A ma sortie de prison, j'étais plein d'énergie, je me sentais fort." "Son teint a changé", confirme Galina. Cependant, "depuis un mois, j'ai des douleurs aux jambes, des vertiges". Le chef de la colonie lui a dit d' aller se soigner à Minsk. Mais, exemple de ces situations kafkaïennes que le régime du président Loukachenko s'ingénie à créer: trois médecins ont refusé de prendre en charge Bandajevksy, privé de passeport. L'un d'eux ne lui a pas caché qu'il craignait pour sa carrière. En relégation, Youri Bandajevsky occupe une isba dans un kolkhoze (la collectivisation des terres est encore d'actualité en Biélorussie) où il est le seul condamné. La colonie proprement dite est à plusieurs kilomètres, sur une ancienne base de missiles soviétiques. Il reçoit du courrier, de façon irrégulière. "En trois ans de prison, j 'ai reçu 50.000 lettres, raconte Youri, dont 15.000 des Etats-Unis. En les lisant, souvent, je pleurais. Aujourd'hui, on m'envoie des travaux scientifiques. Mais le courrier est filtré. Ce n'est pas par hasard. Ils savent qu'à mes yeux, les livres et les informations ont plus de valeur que la nourriture.". Il n'empêche que le condamné doit tout de même penser aux nourritures terrestres. Or le relégué travaille gratuitement: "on lui a attribué un poste de gardien de nuit pas trop contraignant", mais il doit payer nourriture et logement. Il n'a pas d'eau. Il doit aller s'approvisionner au puits. Et les toilettes sont à cinquante mètres de la maison. Les conditions spartiates sont encore acceptables en ce début octobre "sur les rives du Niemen, l'endroit est magnifique, concède le condamné,je suis né dans cette région" "mais l'hiver continental approche. Galina lui a acheté des bouteilles de gaz et un réchaud. Les visites de la famille ne sont pas limitées. Mais Galina doit travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Elle a été embauchée par l'Institut Belrad, le seul laboratoire indépendant consacré aux retombées de Tchernobyl. Le Pr. Bandajevsky n'a qu'une envie. Reprendre ses travaux. Il a toujours vécu pour la science, depuis ses années de thèse, où, jeune marié au début des années 1980, il élevait dans l'appartement familial un millier de rats pour des travaux de toxicologie. En prison, s'amuse-t-il, "j'ai inventé un test pour distinguer différentes variétés de thé. J'ai observé la croissance et la reproduction des vers de terre qui vivaient dans des pots de fleur, que je nourrissais avec du thé. Des collègues académiciens m'ont dit que je devrais publier. Disons que ça a de la valeur pour montrer qu'on peut faire de la recherche en condition d'isolement. Ça m'a aidé à survivre." Le Dr Bandajevsky a aussi rédigé un manuel de survie à destination de ses codétenus, où il mêle conseils nutritionnels et notions de méditation apprises dans des livres lus en prison. Si Youri Bandajevsky était libéré, aujourd'hui, il quitterait vraisemblablement la Biélorussie. "Ce pays est une cage. Je ne m'intéresse pas à la politique, mais je ne peux pas travailler ici ni exprimer mes pensées scientifiques. Et puis toute ma famille a souffert." Le regard mêlé de force et d'amertume, il lâche: "On m'a exclu du monde civilisé." (1) Une équipe d'Arte l'a également rencontré à Minsk. "Arte reportage", 13 octobre 2004, 21 h 45. p.6
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