Cette question peut et même
doit s'envisager sous des angles différents.
L'un d'eux est la place du nucléaire
dans un plan énergétique diversifié, respectueux de
l'environnement et soucieux de la santé des humains. Il est alors
évident que les réacteurs actuels ne sont pas du tout optimisés
dans cette optique. Si la filière des REP a donné des engins
satisfaisant les cahiers de charge militaires, elle conduit à des
impasses dans le cadre d'une utilisation à des fins électrogènes
civiles. Leur production de déchets (en particulier les actinides
dont le plutonium) est trop importante et leur rendement pas spécialement
glorieux (33% d'où un rejet thermique très important). Considérer
que l'EPR est l'aboutissement de recherches sur la fission est une aberration.
Ce réacteur est exactement de la même veine que les 58 déjà
construits. Certes sur les 1300 MW on a amélioré l'épaisseur
des enceintes devenues doubles, mais leur mise au point peine à
se finaliser: le revêtement de la paroi interne par une couche de
résine, effectué après coup, va tenter de remplacer
la peau métallique des 900 MW L'EPR, cette énième
déclinaison des REP, aura donc une peau interne métallique
et sera dotée de systèmes de refroidissements plus performants,
de recombineurs hydrogène. Mais ce ne sont que des gadgets: le rendement
et la problématique des déchets sont toujours à revoir.
Si le choix est fait de continuer à
utiliser cette source d'énergie, des recherches sont indispensables,
mais dans d' autres directions. Il est donc indispensable, sinon inéluctable,
de pousser les recherches sur les réacteurs de la quatrième
génération. Sinon la situation des années soixante
va se reproduire c'est-à-dire qu'après avoir peaufiné
les graphites gaz, mis en place des combustibles nouveaux, etc., il a fallu
acheter la licence Westinghouse. Si la logique industrielle à courte
vue d'une firme
est de rentabiliser au maximum les études (achetées)
consacrés à un modèle, il est du devoir des pouvoirs
publics, grâce à leurs services de recherches (CEA, CNRS,
universités), de préparer le futur (qui est malheureusement
bien proche) et de lancer l'étude et la réalisation d'un
démonstrateur d'une nouvelle génération de réacteurs
dont l'EPR vieillot et ringard ne fait pas partie.
Les outils existent encore, mais les équipes
des années soixante ont disparu et avec elles tous les savoirs accumulés.
Au point que le CEA a écrit récemment dans un numéro
des "Défis du CEA" qu'il fallait faire de la "réacquisition"
des connaissances pour retrouver les données des années 60.
Heureux temps où le CEA "cherchait" ! Mais à cette époque
des pans entiers de recherche ont été démantelés,
de la même façon que sont pratiquées les destructions
actuelles de secteurs entiers de recherche.
De nombreux travaux, ainsi que les études
menées sur Phébus, sont indispensables au maintien des REP
actuels, car, avec un tel parc, il ne faut pas baisser la garde au point
de vue sûreté. Mais il n'est pas raisonnable d'avoir un champ
aussi étroit. Pourquoi ne pas lancer dès maintenant les projets
de 4ème génération?
Quant aux réacteurs dédiés
destinés au traitement de déchets ou aux réacteurs
sous critiques couplés avec un accélérateur, ils représentent
des séances de "brain storming", mais il vaut mieux se lancer d'abord
dans la réalisation de réacteurs où l'on pourra travailler
à plus haute température, mieux extraire la chaleur et in
fine, pour la même production d'électricité, avoir
moins de déchets. Selon les résultats, il serait alors possible
d'orienter les recherches pour garantir la sûreté, et la protection
des humains et de leur environnement.
Le champ de recherche est totalement ouvert.
Il est encore temps de mettre en oeuvre des réalisations car le
programme des 58 réacteurs est largement suffisant pour les besoins
français (et même européens) jusqu'en 2020 au moins.
Dans les années 60 il y avait une "prolifération" de projets
mettant en oeuvre des idées (plus ou moins) géniales. L'esprit
inventif était au pouvoir. Les esprits brillants qui bouillonnaient
à cette époque sont aujourd'hui à la retraite, s'ils
sont encore vivants. Ils ont manifestement été remplacés
par des gestionnaires ou des communicants. Si l'on souhaite repartir de
l'avant, il faut le vouloir et le décider. Et prôner l'EPR
est une "non-décision", pire, c'est une erreur car les moyens financiers
et humains sont "finis" et les choix sont binaires: c'est OU et non pas
ET. Certes c'est l'erreur de notre système industriel, mais le niveau
politique en porte aussi la responsabilité car il ne sait pas mener
un débat pour le long terme. L'EPR pèsera aussi lourd sur
notre futur que les graphites gaz ont pesé sur les décisions
qui ont conditionné les 30 ans qui viennent de s'écouler.
Dans les années 80 la dette d'EDF a atteint le cinquième
du budget de la France en partie à cause du paiement de la licence
achetée aux Etats-Unis. L'histoire bégaie...
La nouvelle génération de réacteurs
et le programme énergétique diversifié ne verront
pas le jour si l'EPR est l'option retenue. En effet, répétons-le
les moyens humains et financiers sont finis: l'EPR et ses besoins financiers
couperont toutes les voies de recherches aussi bien pour le nucléaire
nouveau que pour les renouvelables. Dommage...
Un autre angle est celui de l'arrêt
du nucléaire. N'en déplaise aux ardents partisans du
nucléaire, une telle option est la seule approche obligeant à
réfléchir. En effet, dépendre d'une seule source pour
la production d'électricité fragilise tout le système
et ne permet pas de construire un plan énergétique respectueux
de l'homme et de son environnement. C'est ce qu'est en train de réussir
l'Allemagne. Par contre l'exemple de la Suède, qui en 1980 a voté
un tel arrêt sans mettre en place de plan alternatif, incite à
la prudence. Pour aboutir à une situation viable un tel arrêt
devrait s'accompagner: |
- d'un solide plan de recherches pour réaliser
une reprise des déchets, un suivi des installations en démantèlement.
- d'une réflexion approfondie et d'un
plan de recherches appropriées pour construire une nouvelle vision
énergétique plus diversifiée, faisant appel aux économies
d'énergie, s'appuyant sur des procédés industriels
économes et sur d'autres approvisionnements possibles ou à
trouver.
- d'un arrêt des rêves, telle
la transmutation, pour se lancer dans une véritable analyse de la
problématique déchets allant de la composition chimique et
radioactive du déchet en passant par son conditionnement, son conteneurage
pour finir à l'entreposage et finalement au stockage si la réversibilité
devient un vrai concept et ne reste pas une utopie.
C'est pourquoi envisager un arrêt
a pour vertu de forcer à la réflexion et d'arrêter
les discours stériles et sans la moindre volonté d'aboutir,
sur la nécessité de recourir aux énergies renouvelables.
Depuis 1974 date du décollage du nucléaire, les rapports
réclamant la prudence dans le recours au nucléaire et la
mise en place d'énergies de substitution se sont régulièrement
succédé (au moins une dizaine) et ont tous été
enterrés. Pourquoi cette constance dans l'erreur?
Et l'arrêt du recours aux centrales
nucléaires ne sonnerait pas l'arrêt du nucléaire. Ce
dernier ne se fera pas oublier d'un claquement des doigts. Les recherches
devront se poursuivre activement pour gérer les déchets et
tout notre passé radioactif. Simplement une telle décision
nous permettrait de mieux cerner nos besoins et les moyens pour y répondre.
Peut-être que la place d'un nucléaire plus propre et plus
respectueux de l'environnement pourrait être envisagé. Peut-être
aussi que d'autres préoccupations, la prolifération des armes
par exemple obligeraient à conclure que le recours au nucléaire
ne peut être envisagé en l'état actuel du monde. De
toute façon remettre un tel dossier à plat serait vraiment
une avancée importante pour la définition d'un plan énergétique
et pour une relance des recherches.
L'angle radioprotection
est quant à lui toujours omniprésent. En effet, réacteurs
ou arrêt des réacteurs n'empêchera pas l'utilisation
de radionucléides en médecine. La radioprotection restera
donc domaine sensible. Ce domaine est largement dominé par une ignorance
qui, pour partie, provient de la complexité du sujet, pour une autre
de l'intime conviction de certains que le nucléaire ne peut être
que bénéfique.
De larges incertitudes persistent sur les
effets des radiations sur la matière vivante. En particulier les
risques pour la santé associés à de faibles niveaux
d'exposition restent un sujet de controverses. Au moins trois thèses
s'affrontent:
- ceux qui estiment qu'il n'y a aucune preuve
de l'effet des faibles doses et qu'en conséquence,
la législation actuelle est correcte.
- ceux qui proposent une relation "linéaire
sans seuil" des effets en fonction de la dose permettant d'estimer une
probabilité de cancer extrapolée à partir des domaines
où l'existence d'effets
est certaine.
- ceux qui contestent cette relation sans
seuil à la lumière d'études récentes et affirment
que les effets aux faibles doses peuvent être
beaucoup plus importants que ceux estimés jusqu'à l'aube
du 2lème siècle.
En l'état de nos connaissances, il
n'est pas possible de départager les trois visions. C'est pourquoi
des programmes de recherches sur les effets des rayonnements doivent être
réalisés de toute urgence. Ces programmes doivent inclure
aussi la forme physicochimique des corps radioactifs. À cette occasion,
il conviendrait de développer une approche radiotoxicologique qui
fait cruellement défaut actuellement.
Associés à ces recherches fondamentales,
il faut ajouter des grands programmes de suivi des travailleurs, de rationalisation
des postes de travail, de mesures correctes de l'exposition aux neutrons,
et dans le domaine médical, d'évaluation des effets des doses
d'exposition des patients en vue de leur réduction.
Il faut aussi systématiser les recherches
sur les transferts dans l'environnement via les végétaux
et les chaînes alimentaires pour pouvoir mieux gérer les effets
potentiels sur les humains.
Et pour conclure
Des pans entiers de recherche se sont perdus
depuis les années soixante. Il convient de les réactiver
pour répondre correctement à l'alternative nucléaire
/ arrêt du nucléaire.
L'EPR n'est pas une réponse mais un
artéfact visant à satisfaire les ambitions à courte
vue d'un industriel. Par contre il faut lancer des recherches pour des
réacteurs plus sûrs, à meilleur rendement et minimisant
les déchets. La mise en oeuvre de l'EPR va obérer tout l'avenir;
il n'est pas possible de mener de front au plan humain et financier la
construction de cette machine et les recherches sur les nouveaux réacteurs.
Il est encore moins envisageable d'y ajouter des recherches sur les énergies
renouvelables. Cette option EPR ferme le futur. Elle brouille aussi le
présent car les recherches en matière de sûreté
sont toujours aussi nécessaires et le construire risque d'amoindrir
des programmes déjà insuffisants.
Une chose est sûre, arrêt ou non
du nucléaire, il faut continuer à analyser les paramètres
de vieillissement des installations et faire des avancées dans le
domaine de la sûreté.
De plus nous avons un besoin impératif
d'une radioprotection de qualité. Des recherches dans ce domaine
sont indispensables et cruciales pour mieux connaître les effets
sur le vivant et son environnement, et par voie de conséquences
les risques encourus.
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