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Gazette N°219/220

Le bilan français en énergie primaire
 GLOBAL CHANCE


     L'observatoire de l'énergie donne le bilan primaire suivant pour l'année 2001: 
Bilan en énergie primaire de la France en 2001 (Mtep)
Charbon
Pétrole
Gaz naturel
Électricité nucléaire
Électricité hydraulique
Énergies renouvelables
Total
11,8
95,8
36,5
104,1
6,8
11,9
266,9
4,5%
35,8%
13,7%
39,0%
2,5%
4,5%
100%
Source: Observatoire de l'énergie. Valeurs corrigées du climat.

     La comparaison de ce tableau avec celui des énergies finales  met en relief les points suivants:
     - Une différence importante entre les valeurs du bilan d'énergie primaire  et la consommation d'énergie finale (267 contre 158 Mtep), soit 109 Mtep: cet écart provient principalement des rejets de chaleur des centrales électriques (70 Mtep), de la consommation énergétique des raffineries et du système électrique (9 Mtep) et des consommations non énergétiques de produits fossiles (industrie chimique, goudrons, etc.) pour 17 Mtep (dont 14 de pétrole).
     - L'importance de l'électricité d'origine nucléaire qui passe de la troisième place dans le bilan en énergie finale à la première avec près de 40%, devant le pétrole et loin devant les autres sources. 
     Ce paradoxe apparent mérite une explication. 
     Nous avons déjà eu l'occasion de signaler que les énergéticiens utilisent la “tonne équivalent pétrole” (tep) comme unité de mesure commune qu'il s'agisse d'énergie finale ou primaire. 
     L'affaire est particulièrement complexe pour l'électricité comme le montre le tableau ci-dessous:

Équivalences énergétiques de l'électricité primaire
selon son mode de production
Énergie électrique Unité physique Tonne équivalent pétrole (tep) 
Production nucléaire MWh (1000 kWh) 0,260
Production géothermique MWh 0,86
Production renouvelables MWh 0,086
Production fossile MWh 0,086
Source: Observatoire de l'énergie.

     Pour les fossiles, on comptabilise la quantité d'énergie qui a été nécessaire pour produire un MWh d'électricité. Pour l'électricité nucléaire ou géothermique, la chaleur nucléaire ou la chaleur du sous-sol qu'on utilise. Pour les renouvelables comme l'hydraulique ou l'éolien, où l'on ne passe pas par la production de chaleur pour produire l'électricité, on compte directement l'énergie électrique.
     Le tableau se lit de la façon suivante: pour produire 1000 kWh (1 MWh) d'électricité nucléaire il faut l'équivalent de 0,26 tep de pétrole, 0,86 pour l'électricité géothermique et 0,086 pour l'électricité d'origine renouvelable (par ex. l‘hydraulique). Selon son origine, une même quantité d'électricité peut donc avoir des équivalents qui varient de 1 à 10.

suite:
     Pourquoi? Parce que la méthode de calcul adoptée au niveau international consiste à évaluer la quantité de combustibles fossiles (en tep) qui aurait été nécessaire pour obtenir la même quantité d'électricité si on avait utilisé ce combustible, mais avec le rendement de la filière considérée. Donnons en un exemple: le rendement du nucléaire actuel est de ~33%. On fait le calcul comme si on remplaçait dans la chaudière nucléaire l'uranium par du pétrole, sans changer de chaudière ni de turbine. Dans ces conditions il faudrait produire 3 MWh de chaleur à partir du pétrole pour produire 1 MWh d'électricité, soit 3 x 0,086 = 0,26 tep. Pour l'électricité géothermique, avec un rendement retenu de 10%, il faudrait 10 MWh de chaleur soit 0,86 tep. On voit immédiatement que cette règle peut être la source d'incompréhensions ou de manipulations majeures. En particulier, elle gonfle artificiellement la part des filières aux plus mauvais rendements dans les bilans d'approvisionnement globaux. C'est ce qui explique la place majeure que prend le nucléaire dans le bilan énergétique primaire français et justifie à tort les discours optimistes sur notre "indépendance énergétique".

     L'indépendance énergétique française: réalité ou fiction?
     En réaction à la première crise pétrolière de 1973, la France s'engage dans un programme nucléaire très ambitieux dans le but affiché de desserrer la contrainte pétrolière. Et pour mesurer les progrès accomplis, la Direction de l'Énergie et des Matières Premières (DGEMP) définit un nouvel indicateur “l'indépendance énergétique” sensé représenter le degré de liberté dont dispose notre pays. 
     Cet indicateur mesure, chaque année, la part de production énergétique nationale dans la production totale d'énergie nécessaire au fonctionnement de notre économie. Et tous nos ministres successifs de se féliciter du redressement de cet indicateur depuis les années 70 et le lancement du programme nucléaire français. De 32% en 1970, elle passe à près de 46% en 1985, atteint la valeur symbolique de 50% dès 1991 pour osciller de plus ou moins quelques points autour de cette valeur ces dix dernières années. Bravo. 
     À y regarder de plus près on est cependant saisi d'un doute. 
     D'abord, nos importations d'énergies fossiles n'ont pas diminué depuis 30 ans, mais augmenté de 30% (de 100 Mtep en 1970 à 133 Mtep en 2001), ce qui semble indiquer un accroissement de notre dépendance plutôt que l'inverse. Et puis notre consommation de pétrole à usage énergétique (1,40 tonne/hab/an.) n'est guère différente de celle de nos voisins européens (1,60) qui pourtant font beaucoup moins appel au nucléaire. 
     Et puis on ne comprend plus rien du tout quand on confronte les affirmations officielles suivantes : 
     - la France a atteint un taux d'indépendance de près de 50% en 2002, 
     - sa facture énergétique était de 22 milliards € et
     - le parc nucléaire français a permis une économie de devises de 7 à 10 milliards €.

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     Comment concilier ces affirmations contradictoires? Si notre taux d'indépendance est vraiment de 50%, comment se fait-il que nous n'économisions pas 22 milliards, le montant actuel d'importation, mais seulement 7 à 10 milliards d'€, presque trois fois moins?
     Serait-ce qu'un biais s'est glissé dans l'interprétation du calcul de notre indépendance? Eh bien oui. Il tient aux règles d'équivalences énergétiques internationales que nous venons d'expliquer. Dans ce système, chaque kWh de nucléaire contribue trois fois plus à l'indépendance nationale que son équivalent éolien ou hydraulique... Par contre, si l'on améliore le rendement des centrales nucléaires, notre indépendance diminue puisqu'il aura fallu moins d'énergie primaire pour produire un kWh…
     On comprend alors mieux la vigueur avec laquelle le lobby nucléaire met en avant cet indicateur qui lui est bien utile. Il y réussit d'ailleurs bien puisque tout le monde ou presque est persuadé en France que la moitié de l'énergie utilisée est produite sur notre sol et très majoritairement par le nucléaire. 
     Dernier point: saviez-vous que pas un gramme d'uranium brûlé dans nos centrales ne vient de mines d'uranium françaises? Tout est importé, ce qui convenons-en, constitue une certaine dépendance. On nous dit bien que les sources d'approvisionnement sont diversifiées, que le coût du combustible importé dans le coût total du KWh nucléaire est négligeable (de l'ordre de 5% du coût total) et qu'enfin on peut constituer des stocks de réserve de plusieurs mois sans occuper beaucoup de volume (il faut 8.000 tonnes de minerai pour faire fonctionner le parc actuel pendant 1 an). 
     Tout cela est vrai. Mais la situation n'est pas si différente pour le pétrole de nos voitures comme le montre le calcul suivant. Seule la constitution de réserves de plusieurs mois pose des problèmes d'une autre ampleur que pour l'uranium (la consommation de pétrole des transports représente de l'ordre de 50 millions de tonnes de pétrole par an).

Un problème de classe de sixième: 
     Quelle est la part d'importation de pétrole dans le coût total d'une voiture qui fait 15000 km par an pendant 10 ans?
     Sachant que:
     Le coût d'achat de la voiture est de 10.000 €,
     Qu'elle consomme 7 litres aux cent km,
     Que son coût d'entretien, assurance etc. est de 1.200 € par an,
     Que l'essence coûte 1,2 € le litre à la pompe,
     Que le coût du baril de pétrole importé est de 40 dollars (33,3 €) et qu'il y a 159 litres dans un baril de pétrole. 
Solution:
     La consommation totale de pétrole de la voiture sur 10 ans est de 10*15000*7/100 = 10.500 litres ou 10,5 tonnes et 66 barils de pétrole.
     Le coût de l'essence consommée au cours des dix ans est de 10.500*1,2 =  12600 €
     Le coût d'entretien, assurance, etc. au cours des dix ans est de 1.200 *10 ans = 12.000 €
     Le coût total du véhicule pour son usager sera donc de:
     Achat:  10.000 €
     Essence:  12.600 €
     Entretien: 12.000 €
     Coût total: 34.600 €
     Coût du pétrole d'importation: 66*33,3  = 20,260200 €
     La part d'importation dans le coût du km parcouru est donc de 2200/34600, soit 6,4% ce qui n'est guère différent du résultat obtenu pour la part d'uranium importé dans le coût du kWh nucléaire (environ 5%).

suite
     Au terme de ce bilan quantitatif, nous pouvons retenir quelques éléments majeurs : 
     - L'importance du pétrole (47%) et la marginalité relative de l'électricité (22%) dans notre consommation finale d'énergie, 
     - L'importance de l'habitat - tertiaire et des transports (75%) et la marginalité relative de l'industrie (25%),
     - L'influence majeure des infrastructures lourdes et de nos modes de vie..
     Pour l'énergie primaire :
     - Le faible rendement de notre système énergétique qui explique l'écart entre le bilan primaire et le bilan final, puisqu'il faut 250 Mtep d'énergie primaire pour mettre à disposition des français 158 Mtep (un rendement de 63%). 
     - L'importance apparente du nucléaire dans ce bilan qui tient aux règles d'équivalence énergétiques adoptées au niveau international. Employé sans précaution, ce bilan fait apparaître une indépendance énergétique voisine de 50%, malheureusement largement factice.
Vient de paraître
So Watt? L'énergie: une affaire de citoyens
Benjamin Dessus et Hélène Gassin
Éditions de l'Aube
17 €

     Cours du pétrole qui s'envole, réchauffement climatique, risques du nucléaire… Passifs et inquiets nous n'y saisissons plus rien ! L'énergie, domaine traditionnellement réservé aux entreprises spécialisées et à l'administration, serait-elle une question bien trop complexe pour que les citoyens ordinaires puissent comprendre, en débattre et s'impliquer dans l'action?
     Derrière les discours péremptoires de nos gouvernants et les pressions des lobbies pour imposer leurs modes de production d'énergie, les auteurs nous font prendre conscience qu'il n'est pas possible de répondre au défi du changement climatique sans une politique très volontariste de maîtrise de l'énergie.
     C'est donc d'abord dans nos façons d'envisager collectivement notre urbanisme, nos logements, nos modes de transports et de production, que se situent les marges de manoeuvre principales d'une politique énergétique responsable, solidaire et respectueuse de l'environnement, associant maîtrise de la demande d'énergie et diversification des sources d'énergie, en particulier renouvelables .
     Mais alors, les principaux acteurs d'une politique énergétique ainsi renouvelée ne sont plus les producteurs d'énergie, mais bien les citoyens et les consommateurs. Il est donc urgent d'inventer de nouvelles pratiques de démocratie participative au niveau local et territorial pour définir et mettre en oeuvre  cette politique citoyenne.
     Les citoyens et élus qui appellent de leurs voeux de nouvelles pratiques de démocratie participative trouveraient là un terrain d'application concret et exemplaire. C'est sur la base de leurs expériences que pourra en effet se bâtir une politique qui ne soit pas seulement un nouvel arbitrage ministériel entre lobbies producteurs, mais une véritable élaboration collective impliquant et engageant les citoyens.

Les auteurs
Benjamin Dessus
Ingénieur et économiste. Ancien directeur du Programme ECODEV au CNRS, Président de l'Association Global Chance
Hélène Gassin
Maître es Sciences et Techniques en gestion de l'environnement, Chargée de la campagne Énergie de Greenpeace France depuis 1998

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