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N°279, mars 2016

40 ANS DU GSIEN ET DE LA GAZETTE NUCLEAIRE

1) LA VIE HOULEUSE DES PÊCHEURS DE FUKUSHIMA
AFP -2016

 
    Satoshi Nakano est pêcheur, mais les poissons qu'il remonte dans ses filets ces dernières années n'ont plus la même saveur. Sa vie était tout autre sur son bateau avant le 11 mars 2011, avant la catastrophe de Fukushima.
    En cinq ans, il a vécu des périodes de doutes, de rancœur, de désolation, de patience.
    Depuis fin 2013, la pêche a repris, mais au ralenti.
«La réglementation établie par l'État ne nous interdit pas techniquement de pêcher (sauf à moins de 20 km de la centrale), elle limite la distribution. La question est de savoir dans quel état est le poisson de la préfecture de Fukushima», explique à l'AFP ce responsable du syndicat de pêche de Onahama, à une cinquantaine de kilomètres des installations nucléaires ravagées.
    Lui et ses collègues sortent deux fois par semaine en mer, pour effectuer des analyses sur environ 70 espèces de poissons. Seuls les spécimens dont le taux de radioactivité est 4 fois inférieur à la norme sévère établie par les autorités japonaises (100 becquerels/kilogramme) sont mis sur le marché.
    Mais quoi que les pêcheurs et les autorités fassent pour rassurer, dans l'imaginaire collectif, la provenance «Fukushima» est immédiatement associée à «radioactivité».
    - Où se niche la radioactivité?
    Au moment de la catastrophe atomique provoquée par un violent séisme et un gigantesque tsunami en mars 2011, environ 80% de l'ensemble des éléments radioactifs échappés des réacteurs en fusion ont fini en mer, «le plus important rejet de l'histoire», selon Shaun Burnie, expert de l'organisation écologiste Greenpeace. Des campagnes de mesures marines effectuées par Tepco et l'Autorité de régulation nucléaire, selon un protocole approuvé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), font dire à l'Etat que tout est «sous contrôle».
    Mais la situation est loin d'être uniforme, prévient M. Burnie. «La principale inquiétude concerne l'impact dans un rayon de 20 kilomètres de la côte car c'est là que se trouve la plus importante concentration de césium radioactif dans les sédiments», explique ce spécialiste à bord du navire Rainbow Warrior III, au large de Fukushima, sur une mer légèrement agitée et un ciel clément en cette mi-février.
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    L'organisation écologiste prélève des échantillons du fond marin en une dizaine de points le long de la côte nord-est, non loin de la centrale. Ils sont ensuite analysés par deux laboratoires indépendants, au Japon et en France.
    «Nous tentons de comprendre ce qu'il se passe ici, dans ce milieu côtier très proche. Certes, les pêcheurs ne viennent plus ici pour le moment, mais leur environnement a été affecté, leurs vies ont été touchées», souligne M. Burnie.
    - Poisson le plus contrôlé du marché
    Greeenpeace emploie pour ce faire un sous-marin télécommandé muni d'instruments qui vont permettre d'établir des cartes en trois dimensions de la répartition de la radioactivité au large de Fukushima Daiichi.
    «Certaines des zones fortement contaminées sont très petites, peut-être un mètre carré, mais d'autres font des centaines de mètres de long, et l'un des effets de ces niveaux plus élevés est que certaines espèces marines sont plus exposées à des radiations», détaille-t-il.
    «Ce sont des informations très importantes pour les pêcheurs, car il y a des zones sûres ou le poisson peut être pêché et vendu en toute sécurité, d'autres où ce n'est pas le cas. Nos recherches permettent donc de localiser le problème», complète son collègue Jan Vande Putte, à bord du bateau de pêche qui effectue les prélèvements.
    L'autre grande inquiétude concerne la suite: car la crise de l'eau n'est pas terminée, tant s'en faut.
«L'accident est toujours en cours aujourd'hui, il y a encore des déchets nucléaires générés, de l'eau fortement contaminée s'écoule tous les jours. Cela va constituer une menace à long terme pour l'environnement», affirme M. Burnie qui regrette la perte de temps.
    «Dès le début du processus, il y avait des solutions suggérées pour endiguer le problème, mais il n'y a pas eu de discussion ouverte sur les meilleures options pour faire face», insiste M. Burnie.
    Il reconnaît cependant comme «l'un des plus avancés du monde» le programme de contrôle de la pêche.
    «J'aimerais que les gens aient une meilleure image des poissons de Fukushima, qu'ils se disent un jour que nos analyses rigoureuses font de nos produits les plus sûrs du marché», conclut modestement en tentant un sourire M. Nakano.
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2) Accident nucléaire: les évacuations de populations doivent être courtes
Déclare l’IRSN
AFP, 11/02/2016



    Paris, 11 fév 2016 - Le retour des populations dans des zones décontaminées après un accident nucléaire devrait se faire rapidement pour éviter des décès indirects liés au stress comme ceux observés après la catastrophe de Fukushima, a estimé jeudi l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN).
    Cinq ans après la catastrophe, seulement 6 à 10% des personnes évacuées souhaiteraient retourner dans les zones décontaminées, selon un sondage, alors que les autorités conditionnent les aides aux populations touchées au retour dans les zones contaminées.
    «En ne facilitant pas un retour raisonné dans des délais rapides une fois que celui-ci est possible, on aggrave la résistance» à la réinstallation, note Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, qui préconise une autre approche que celle des autorités japonaises.
    «Il faut accompagner les populations dans leurs choix personnels et les indemniser en raison des préjudices subis et non pas leur imposer des décisions «techniques», estime-t-il.
    Après avoir dans un premier temps fixé à 1 millisievert (mSv) par an la dose d'exposition individuelle maximum au rayonnement (au delà de la radioactivité naturelle), le Japon a changé en 2013, estimant que le risque était acceptable jusqu'à 20 mSv/an, ce qui avait suscité une vive polémique.
    En France, la dose maximum de rayonnement individuel a été fixée à 10 mSv/an par l'établissement public de recherche sur les risques nucléaires et radiologiques, alors que la radioactivité naturelle est de l'ordre de 3 à 6 mVs/an selon les régions, d'après M. Repussard.
    Ce dernier juge également estimé nécessaire de mieux informer les populations vivant à proximité des centrales sur les dangers de la radioactivité.
    «Les accidents de réacteurs nucléaires ne provoquent pas de morts immédiates en quantité», note-t-il, soulignant que les doses de rayonnement «baissent plus vite qu'on ne croit» et peuvent être «divisées par deux ou trois dès lors que l’on évacue les populations résidant dans les 10km autour des 19 sites nucléaires français.

    Commentaire  Gazette
    Il faut savoir que Tchernobyl est toujours entouré de territoires contaminés et qu’à Fukushima les terres sont contaminées, la mer et les forêts aussi.
    Les essais de décontamination ont abouti à des tas un peu partout et des millions de sacs, de cuves.
    Les sédiments sont contaminés et on ne peut pas pêcher partout.
    Difficile de décontaminer le bétail, difficile parce que:
    - Si on les tue et les enterre tout est de nouveau contaminé:
    - Si on leur fait manger du bleu de Prusse, leurs déjections sont contaminantes;
    Et de toute façon il faudra bien stocker quelque part les conteneurs et où?
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    Quant à faire revenir les populations, on voit la difficulté à Fukushima, comme on l’a vu à Tchernobyl.
    Revenir sur un site contaminé n’a rien d'évident, en particulier pour les enfants. C’est plus facile pour de vieilles personnes, mais la vie solitaire n’a rien d’évident.
    Comme on commence tout juste à faire accepter que l’ingestion chronique de faibles doses n’est pas bonne pour la santé, ce n’est pas envisageable sans être capable de décontaminer.
    Mais bien sûr les nouvelles venant du Japon obligent à réfléchir  car que faire: ramener des citoyens ou non? La décision revient aux personnes concernées mais comment trouver une information fiable puisque, depuis 5 ans on ne cesse de découvrir d’avoir de nouvelles révélations sur l’accident, sur les manquements des autorités, sur les problèmes de déchets, sur la décontamination...

Cinq ans après la catastrophe
Le Parisien, Frédéric Mouchon, 12 février 2016

    160.000 personnes déplacées, 1.800km2 de terrains contaminés, mais officiellement pas un seul mort lié à l’accident nucléaire de Fukushima.
    Presque cinq ans après la catastrophe nucléaire au Japon, Reiko Hasegawa, chercheuse à Sciences-po Paris, a pourtant fait un tout autre calcul qui fait froid dans le dos. D’après cette spécialiste des catastrophes naturelles, qui s’est auparavant intéressée à la question des déplacés dans les zones de conflits, le drame de Fukushima a provoqué près de 2.000 morts «invisibles», 1.979 exactement depuis le 11 mars 2011, du fait des suicides et des maladies aggravées par le stress.
    Ce bilan officieux, elle l’a dévoilé hier à Paris où elle participe à un projet sur les conséquences sociales et politiques de la catastrophe, piloté par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). «À cause de l’évacuation et de l’incertitude liée à leur avenir et à la possibilité de retourner chez eux, beaucoup de personnes âgées ont souffert de stress psychologique, d’hypertension, de diabète et sont décédées du fait d’une aggravation de leur maladie, explique la chercheuse. Depuis 2011, 154 personnes se sont par ailleurs suicidées dans les trois préfectures touchées par le tsunami et plus de la moitié de ces personnes habitaient dans la préfecture de Fukushima.» L’an dernier, sur les 22 Japonais qui ont mis fin à leurs jours dans ces trois préfectures, 19 étaient originaires de Fukushima. 90% de ces victimes indirectes de l’accident nucléaire ont plus de 65 ans.
    «Les aînés ont tendance à vouloir revenir mais les enfants ne suivant pas, cela crée des divisions dans les familles qui accroissent le stress des plus anciens» constate Reiko Hasegawa. Depuis la catastrophe, la peur des radiations subsiste et ne favorise pas le retour des populations.
    115.000 habitants en moins.
    En l’espace de cinq ans, le département de Fukushima a perdu 115.000 habitants! Et malgré de nombreuses opérations de décontamination et de curage des sols dans les communes évacuées au lendemain de la catastrophe, plusieurs localités ressemblent encore à des villes fantôme.
    Dans les forêts, on mesure des taux de radioactivité dix fois supérieurs aux normes sur le gibier, les champignons et les plantes sauvages. Pas de quoi rassurer les candidats au retour. Seulement 8 à 10% des évacuées souhaitent aujourd’hui revenir dans leurs maisons.
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