Août 2023 • Jean-Claude, Michel

ITER : l’illusion de la fusion industrielle

EDITORIAL

L’illusion d’une possible industrialisation de la fusion, à grands renforts de communication tronquée dans la presse, est entretenue avec le projet ITER, le réacteur de recherche sur la fusion en construction à Cadarache. Retards, surcoûts et malfaçons s’accumulent comme pour l’EPR de Flamanville 3 qui présente des défauts de fabrication (acier de cuve, soudures, etc.) mais aussi des défauts de conceptions (hydraulique de cuve et ligne d’expansion du pressuriseur par exemple). Ce réacteur qui devait attester de "l’excellence" du nucléaire français se révèle comme un fiasco technico-financier.

Qu’à cela ne tienne, la décision de construire plusieurs EPR 2 a été annoncée avant le démarrage de Flamanville 3 et avant même la tenue d’un débat public sur le sujet. D’autre part, les autorisations de construction vont être considérablement allégées, les chantiers pouvant débuter avant même la tenue de l’enquête publique. A l’évidence, la signature du Décret d’autorisation de création de la première paire de réacteurs (à Penly) ne sera qu’une formalité.

Plus light en termes de sûreté que l’EPR, le coût de construction d’un programme de six EPR 2 a été estimé à 46 Md€ début 2021, pour être réévalué dans une fourchette de 54 à 63 Md€ à fin 2021. Sans compter l’inflation... Mais qui peut encore croire aux estimations grossièrement sous-évaluées dont l’industrie nucléaire a le secret ? Pas le ministère des finances en tout cas : Bercy chercherait un cabinet d'audit pour refaire un chiffrage du programme.

Tous les chantiers de nouveaux réacteurs connaissent des dérapages conséquents tant en termes de coûts que de délais. Cela aurait pu donner matière à réflexion quant à l’opportunité d’en construire de nouveaux. Pourtant, "on" entend lancer la construction d’EPR 2 à marche forcée bien que son design soit loin d’être finalisé. A cause d’évolutions significatives par rapport à l’EPR, l’EPR 2 va devoir franchir l’étape d’un nouveau licensing qui nécessitera instruction (pendant plusieurs années) et validation par l’ASN.

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) s’appuie sur l’expertise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui publie ses avis et recommandations. L’exécutif a eu la tentation subite de museler cette expertise indépendante de l’autorité décisionnelle en la fusionnant dans l’ASN. La mayonnaise n’a pas pris, députés et sénateurs ayant refusé cette réforme de la sûreté tout en trouvant un accord sur le projet de loi de relance du nucléaire pour accélérer la construction de nouveaux réac-teurs... Statu quo donc sur la fusion ASN/IRSN. Pour l’instant. Car rien n’empêche le gouvernement, lors d’une prochaine session parlementaire, de dégainer l’artillerie lourde (calibre 49.3) pour faire aboutir les orientations martelées par le "Patron".

Ce serait le retour du "Zinzin" ou SCSIN (Service central de sûreté des installations nucléaires) créé en 1973 pour mettre en place « un système souple au cœur du plan Messmer »*...

Le Zinzin, doté de peu de moyens, faisait appel au CEA en tant qu’expert technique sur les questions de sûreté. La création de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) en 1976 ne résoudra pas l’absence d’indépendance entre le SCSIN et l’IPSN qui est rattaché au CEA. "Autorité" et expertise restent liées. De fait, indépendance et transparence ne font pas parties de leurs préoccupations. Les falsifications de défauts sur des pièces fabriquées dans les usines du Creusot, des pièces installées en toute opacité sur le parc actuel, sont le résultat de cette collusion entre autorité, expertise et industriel. Il faudra des décennies pour l’apprendre.

Ce n’est qu’une douzaine d’année après Tchernobyl que le concept de transparence et d’indépendance s’imposeront dans la régulation des risque nucléaires. Il faudra attendre 2002 pour quel l’IPSN, en fusionnant avec l’OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants), devienne l’IRSN qui s’ouvrira alors à la société civile sous l’impulsion d’Annie Sugier. L’IRSN est un Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) indépendant financièrement de l’autorité de sûreté nucléaire ; il remplit une mission de service public sous tutelle ministérielle. D’autre part, le Zinzin évoluera en DSIN, puis DGSNR pour devenir ASN en 2006 (loi dite TSN, Transparence et sécurité nucléaire).

Depuis cette loi, le long chemin vers la transparence, que d’aucuns trouve incomplète, agace prodigieusement les industriels de l’atome. Sans ce système dual, nous n’aurions probablement rien su des problèmes de l’EPR de Flamanville 3 que nous avons pu appréhender en partie grâce aux publications régulières de l’ASN et de l’IRSN.

Si un pognon de dingue ruisselle pour la construction d’ITER (financement international), les banques restent frileuses pour investir dans de nouveaux réacteurs de fission. Qu’importe, il n’y aura qu’à siphonner le livret A, une façon comme une autre de faire financer par les pauvres la future catastrophe qu’ils auront à subir.

Jean-Claude



* Citation de la SFEN. C’est le plan Messmer qui a lancé le programme de construction de réacteurs PWR (ou REP) sous licence américaine.

Le Patron ?

« Nucléaire : Macron le refondateur »
(Le Canard Enchaîné du 8/02/23)

La Fusion ASN / IRSN inquiétait au plus haut point Jean-Claude qui avait centré son édito sur ce sujet. Le rejet parlementaire qui se dessinait ne l’avait pas complètement rassuré et il craignait un passage en force du gouvernement pour faire aboutir cette réforme. C’était également la crainte du personnel de l’IRSN, mobilisé contre ce projet. Un récent communiqué de presse de l’intersyndicale de l’IRSN vient confirmer toutes ces inquiétudes.

Jean-Claude se faisait une joie de fêter cette 300ème Gazette : ce numéro lui est dédié avec une pensée pour sa compagne qui l’a soutenu pour passer, en toute sérénité, de l’autre côté. Bon vent Capitaine...

Michel