Coûts des nouveaux réacteurs
Il va donc falloir officiellement près de 52 milliards d’euros pour six réacteurs, sans compter le coût de financement et aussi les inévitables dérapages financiers auxquels le nucléaire nous a habitué. Rappelons la facture extravagante de l’EPR de Flamanville 3, de l’ordre de 21,6 milliards d’euros (avec les frais de financement) selon nos estimations d’avril 2022 [Gazette n° 296] pour 3 milliards de devis initial en 2007. Mais le planning de mise en service a de nouveau glissé de plusieurs mois (Cf. page suivante), avec une ardoise supplémentaire de 500 M€ selon EDF.
La facture des deux EPR d’Hinkley Point explose elle aussi : « Le géant énergéticien EDF pourrait devoir augmenter sa "contribution" dans son projet de réacteurs nucléaires EPR au Royaume-Uni Hinkley Point en raison de l'inflation, a indiqué mercredi le groupe à l'AFP. EDF pourrait avoir à supporter une augmentation des coûts du projet, poussés par l'inflation, faute de participation de son partenaire chinois et actionnaire CGN à des coûts supplémentaires. "Sur la base des indices d’inflation au 30 juin 2022, le coût à terminaison nominal estimé pourrait atteindre 32,7 milliards de livres [38,3 Md€], le coût réel du projet restant inchangé à 25-26 milliards" en livres sterling de 2015, a précisé le groupe », « contre 18 milliards en 2016, au début du chantier » [Capital, 22/02/23].
Nouvel exemple de dérapage incontrôlé avec le réacteur de Vogtle 3 (1150 MWe) qui a réalisé sa première divergence cet été. C’est le premier réacteur construit depuis 30 ans aux États-Unis et, comme le fait remarquer Révolution Énergétique, cela « n’aura pas été un long fleuve tranquille. Le projet a multiplié les retards et dépassements de budget, puisque la mise en service de ce premier réacteur aurait dû avoir lieu en 2016. Côté financier, le coût total avait été estimé à 14 milliards de dollars pour la construction des deux réacteurs. Mais selon la Municipal Electric Authority of Georgia, l’investissement dépasserait désormais les 30 milliards de dollars » [Révolution Énergétique, 3/08/23].
Quant au réacteur de Vogtle 4, il est en cours de chargement de son combustible et la « mise en service est prévue pour la fin de cette année ou le début de 2024 » selon World nuclear news [WNN, 18/08/23]. Ce sera le dernier réacteur de puissance construit aux Etats-Unis, le pays misant désormais sur des réacteurs de plus faible puissance (<300 MW), les SMR (Small modular reactor).
« Des problèmes similaires avec des coûts gonflés et des calendriers de lancement décalés ont condamné l’autre grand projet nucléaire lancé aux États-Unis au cours de ce siècle. L’agrandissement de deux unités de la centrale nucléaire Virgil C. Summer en Caroline du Sud a été abandonné en 2017, quatre ans après le début de la construction. Les réacteurs devaient initialement être mis en service en 2017 et 2018, respectivement. Leur coût initial de 11,5 milliards de dollars était passé à environ 25,7 milliards de dollars au moment de la clôture du projet » [News-24, 9/06/21, Archive GSIEN].
« Jules Horowitz, cet autre réacteur français qui multiplie les dérapages ...et coûte très cher », selon La Tribune : « L'EPR de Flamanville en Normandie n'est pas le seul chantier nucléaire français à multiplier les dérapages de calendrier. Sur le site de Cadarache, au nord-est d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), le chantier de construction du réacteur de recherche Jules Horowitz, beaucoup moins médiatique, patine lui aussi. Après les premiers coups de pelleteuse en 2007, ce réacteur, piloté par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), à la tête d'un consortium international, devait initialement voir le jour en 2014. Le calendrier avait ensuite rapidement glissé pour une mise en service attendue en 2021. La France vise désormais une installation opérationnelle à l'horizon 2032-2034 ». On peut admirer la vaporeuse estimation de la date de mise en service du réacteur.
La Tribune donne des précisions sur l’explosion des coûts de construction : « initialement, le coût global du projet avait été estimé à un peu plus de 500 millions d'euros, avant d'être réévalué à 1,7 milliard d'euros, soit déjà un triplement du devis initial. Le réacteur Jules Horowitz (ou RJH dans le jargon) « a fait l'objet d'une reprise en main par le CEA en 2019 pour faire le bilan des travaux engagés et le bilan du reste à faire (...) un gros travail d'audit a été mené », explique encore le cabinet de la ministre. (...)
« Comment expliquer un tel dérapage ? La raison tient principalement aux multiples fonctionnalités attendues de l'installation, à son côté « couteau suisse », comme l'a qualifié Bernard Doroszczuk, le président de l'ASN lors de son audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 25 mai dernier.
« C'est un réacteur qui est d'une certaine manière complexe car très ambitieux dans ses fonctionnalités. Le fait de faire un réacteur unique à plusieurs fins a complexifié de manière redoutable sa conception et, donc aujourd'hui, sa réalisation. S'il y avait un retour d'expérience à tirer de ce réacteur qui répond à des besoins indiscutables, c'est : attention à la complexité liée au fait de vouloir avoir une ambition enveloppe en ce qui concerne les finalités des outils », a-t-il estimé, sans toutefois remettre en cause son utilité.
Dans le détail, contrairement à un réacteur de production, ce réacteur de 100 mégawatts de puissance n'est pas destiné à produire des électrons mais à fournir des données scientifiques sur le comportement des matériaux et des combustibles nucléaires. Le réacteur Jules Horowitz, dont le nom rend hommage au physicien éponyme qui a dirigé la recherche fondamentale du CEA de 1970 à 1986, a été pensé pour succéder au réacteur de recherche Osiris, définitivement arrêté en 2015 » [La Tribune, 21/07/23]. Le quoi qu’il en coûte a encore de l’avenir...