Application de l'intelligence virtuelle
Conventionnellement, l'automatisation fonctionne
à
partir de courbes calculées selon des moyennes de départ.
Or, au Leso, les courbes sont reprogrammées chaque jour et l'intelligence
artificielle va étudier et apprendre à s'adapter aux conditions
de vie des personnes. Le système élaboré par le Leso
va changer de lui-même ses algorithmes. Certes, il existe déjà
par exemple de nombreux stores commandés automatiquement, mais dans
la plupart des cas, le résultat n'est pas satisfaisant, pour diverses
raisons, dont la plus importante est la non prise en considération
des voeux des utilisateurs. A Lausanne, les chercheurs ont travaillé
à l'élaboration d'un algorithme de contrôle des stores
qui s'adapte progressivement aux voeux des utilisateurs. Finalement, ce
dernier n'a plus besoin d'intervenir manuellement puisque le système
apprend les préférences de l'utilisateur. Il en va de même
pour tous les autres systèmes de réglage implémentés
au Leso-PB (chauffage et éclairage artificiel).
Un projet international
C'est notamment au cours du projet européen
Edificio [2] qu'a été élaborée
cette intelligence artificielle, permettant de contrôler les installations
du bâtiment telles que le chauffage, le refroidissement, la ventilation,
les stores ou encore l'éclairage artificiel et ce, de façon
intégrée et optimale. La démonstration expérimentale
de ces algorithmes par simulation et par la mesure sur trois bâtiments
choisis de façon à couvrir l'ensemble des climats européens
(Catane en Italie, Lausanne en Suisse et Helsinki en Finlande) fait aussi
partie de ce projet.
Habiter son laboratoire
Entouré d'un complexe plutôt hightech,
le bâtiment Leso semble d'une autre époque avec ses murs étranges.
Réalisé en 1981, afin de permettre de tester «in situ» des façades solaires expérimentales, le bâtiment a été récemment équipé d'une nouvelle façade, après presque 20 ans d'expérimentations de divers composants modulaires, complètement démontables au gré des expériences. Conçue pour respecter les critères du développement durable, et notamment une consommation d'énergie très faible par rapport à la moyenne suisse, la façade assure également aux occupants du bâtiment un confort optimal. Un confort que les scientifiques souhaitent non seulement visuel mais aussi thermique et de qualité de l'air.
La façade anidolique
Chaque bureau du Leso a donc sa façade sud
vitrée jusqu'à la moitié de sa hauteur environ, alliant
en son sein vitres, bois et miroirs (fig. 1). Des stores externes
peuvent être positionnés en fonction de la protection solaire
désirée. Mais le point important de cette installation est
un système de miroir placé sur une poutre horizontale qui
sépare la vitre en deux parties (fig. 2). Il accentue la
luminosité de la pièce en renvoyant la lumière extérieure
sur le plafond et en illuminant ainsi le fond de la pièce.
Neuf laboratoires équipés
Le bâtiment est composé de trois niveaux,
subdivisés chacun en trois parties distinctes, et offre ainsi neuf
unités physiquement indépendantes. Ces unités sont
isolées thermiquement les unes des autres. Elles disposent chacune
d'un système de chauffage propre avec compteur d'énergie,
d'un dispositif automatique de mesure d'échange d'air entre unités
et avec l'extérieur, ainsi que d'un module d'acquisition des données.
Cet équipement a permis de mesurer simultanément et dans
les mêmes conditions de climat et d'utilisation jusqu'à neuf
éléments de façades.
Du point de vue architectural, la façade
est équilibrée et s'intègre harmonieusement au bâtiment
en maçonnerie. Les éléments anidoliques inclinés
captent la lumière zénithale, tout en protégeant les
fenêtres des intempéries. Les tablettes des fenêtres,
en saillie, permettent d'accueillir les stores et protègent efficacement
les contre-coeurs en bois. Finalement, le mouvement en zigzag, donné
aux fenêtres pour des raisons architecturales, contribue à
les distinguer des parties anidoliques continues et parallèles à
la façade. Grâce à cette technique, l'employé
à son poste bénéficie d'une lumière naturelle
et agréable, même à plusieurs mètres de distance
de la fenêtre (fig. 3 à 5).
Les stores lui évitent l'excès de chaleur et, point important, permettent d'économiser l'énergie que consommerait une climatisation dans les mêmes conditions, en l'absence de stores. Par ailleurs, le système anidolique permet de diminuer de façon considérable les besoins en éclairage artificiel. Dans son état initial, le bâtiment se caractérisait déjà par de faibles besoins en énergie, seulement 190 MJ/m2 de plancher par an. Au fil des années, cet indice a légèrement augmenté du fait de l'extension de l'équipement informatique du bâtiment. Les apports électriques ne couvraient pas moins de la moitié des besoins en chauffage. A présent, les améliorations attendues, dues au changement de façade, se situent essentiellement au niveau des besoins en éclairage artificiel et de l'amélioration du confort estival.
Le nerf de la maison
Après avoir testé plusieurs systèmes
de bus d'installation, les chercheurs de Lausanne ont retenu l'instabus
EIB de Siemens. L'ensemble des installations techniques du bâtiment
a été amélioré: les anciens luminaires des
bureaux et des espaces de circulation ont été remplacés
par des modèles récents plus efficaces. L'installation électrique
traditionnelle a fait place à un unique instabus EIB regroupant
l'ensemble des installations techniques. Grâce à ce bus, les
appareils et les consommateurs d'énergie peuvent communiquer entre
eux par le biais de puces électroniques intégrées
qui utilisent un câble à deux fils comme une ligne téléphonique.
Le réglage du chauffage, des stores automatiques, de la lumière
et d'une multitude d'autres appareils électriques peut alors être
décentralisé et un seul interrupteur permet une commande
simultanée. En l'état actuel des choses, le système
doit être géré manuellement par les scientifiques de
l'EPFL. Mais bientôt, c'est un logiciel, une intelligence artificielle
qui devrait remplacer la main de l'homme. La maison du futur sera alors
une bâtisse intelligente, réfléchissant par elle-même
et s'adaptant automatiquement aux conditions d'ensoleillement, aux températures
mais aussi aux désirs de ses habitants.
L'intelligence décentralisée
Au Leso, le bus a été installé
conventionnellement sur cinque lignes auxquelles correspondent 179 participants
constitués par des capteurs, des actionneurs et des détecteurs.
L'avantage est que chaque participant est intelligent et sait avec quels
éléments il doit agir (fig. 6). En même temps,
tout le système est sous le contrôle de l'intelligence artificielle.
Basé sur des modules Siemens EIB, le système comprend dans
chaque local une commande de chauffage, de stores et d'éclairage
artificiel, un détecteur de présence des personnes, une mesure
de l'éclairement, une mesure de la température de l'air,
un détecteur d'ouverture de fenêtres ainsi que les actionneurs
nécessaires pour commander le chauffage, les stores et les luminaires.
Chacun de ces modules est muni d'un microprocesseur dans lequel sont chargés
les paramètres de sa propre fonction: «L'intelligence»
est donc décentralisée dans chacun des modules. La communication
se fait par l'intermédiaire de télégrammes envoyés
sur la ligne du bus qui assure également l'alimentation.
Ce système permet à un PC branché
sur le bus de commander l'ensemble des installations techniques et c'est
là la finalité de cette installation: il s'agit de mettre
en place une régulation de plus haut niveau sur l'ensemble du bâtiment,
non seulement sur le chauffage, mais aussi sur les stores, l'éclairage
artificiel ainsi que la ventilation nocturne.
A terme, ce système doit permettre une meilleure
gestion de l'énergie et du confort, tout en laissant à l'occupant
la possibilité d'adapter les consignes de température ou
d'agir sur les stores. Il est à noter que le système d'instabus
peut également fonctionner sans l'aide de l'intelligence artificielle
mais de façon conventionnelle.
De la technique et de l'économie
L'intégration d'éléments anidoliques
à la façade sud, ainsi que le remplacement des luminaires
ont permis de réduire sensiblement les besoins en éclairage
artificiel. La différence est sensible dans la partie arrière
de la pièce où l'autonomie en éclairage naturel, durant
les heures d'occupation, passe de 10 à 38%, soit une économie
moyenne d'éclairage artificiel comprise entre 14 et 28%, selon la
place de travail considérée et le comportement de l'occupant
(tableau I):
Le bâtiment dispose de deux circuits électriques:
un circuit «lumière» (230V), essentiellement destiné
à l'éclairage et aux petits appareils et un circuit «force»
(230/400 V), dédié aux équipements plus gourmands
en énergie (principalement le chauffage). La consommation mesurée
comprend l'éclairage artificiel et les ordinateurs personnels installés
dans les bureaux. Si l'on tient compte du fait que les besoins en éclairage
artificiel sont pratiquement nuls durant la période de juin à
août, la consommation moyenne des ordinateurs personnels atteint
120 MJ/ jour, soit une puissance moyenne d'environ 1,8 W/m2 de
plancher.
Suite au remplacement des luminaires du bâtiment,
les besoins en éclairage artificiel ont passé de 35,3 GJ,
pour la période du 1er juin 1999 au 31 mai 2000, à
24,7 GJ, pour la période du 1er juin 2000 au 31 mai 2001,
soit un gain de 30%. Le tableau II montre l'évolution des
puissances installées et appelées. On note en particulier
une diminution de plus de la moitié de la puissance installée:
Les besoins en chauffage du bâtiment sont assurés par des radiateurs électriques, dans la partie sud du bâtiment, et par des radiateurs à eau, dans la partie nord. Le chauffage étant coupé de juin à octobre, la consommation moyenne des machines (atelier et serveur informatique) qui sont également branchées sur le courant «force», atteint 125 MJ/ jour, soit une puissance moyenne de 1,85 W/m2 de plancher.
Une approche bio-mimétique
Elément original de la recherche: l'approche
dérivée des sciences du vivant. Pour mieux comprendre les
fonctions que doit remplir la maison, les scientifiques se sont basés
sur la mécanique humaine et ses composantes.
A l'exemple de la peau
Ils ont ainsi créé une gestion bio-mimétique
des installations techniques et c'est un véritable système
nerveux électronique qu'ils ont élaboré au Leso. Comme
notre peau qui est recouverte de cellules nerveuses, le bâtiment
a été équipé de capteurs et de détecteurs.
Repérant la présence, la luminosité, la température
de l'air et bien d'autres variables (notamment les conditions météorologiques),
ces terminaisons sont reliées au logiciel.
Après avoir traité l'information,
ce «cerveau domestique» va gérer tous les appareils
électriques pour que les conditions de vie à l'intérieur
de la maison soient optimales et que la consommation d'énergie soit
restreinte. En effet, il ne faut pas négliger les progrès
écologiques que laisse entrevoir cette étude. Bien qu'assez
complexe dans son fonctionnement, l'architecture intelligente permettra
de réduire les besoins énergétiques de façon
importante. De plus, des capteurs photovoltaïques permettront de couvrir
une bonne partie des besoins en électricité correspondant
aux appareils. Le laboratoire de Lausanne utilise d'ailleurs de tels panneaux
solaires qui ne suffisent certes pas à l'alimenter complètement
mais qui lui fournissent déjà une partie non négligeable
de son électricité.
Des algorithmes bio-mimétiques permettent
de doter le bâtiment de propriétés analogues à
celles d'un être vivant, à savoir la capacité de s'adapter
à un environnement changeant et à conserver de façon
interne des conditions propres à la vie. L'aspect bio-mimétique
est aussi lié au fait que les techniques informatiques et mathématiques
utilisées pour les algorithmes de réglage s'inspirent du
fonctionnement des êtres vivants. Pour ce faire, la logique floue,
des réseaux de neurones artificiels et des algorithmes génétiques
sont utilisés. Avec des façades anidoliques en guise de peau,
un système EIB pour nerfs et un logiciel pour cerveau, la maison
de demain ressemblera en tous points à ses habitants.
Un futur pas si lointain
Si les recherches sur ces maisons du futur sont
déjà bien entamées, l'équipe de physiciens
et d'architectes se heurte à quelques problèmes de logiciel.
Après avoir utilisé divers systèmes d'exploitation,
une nouvelle programmation va permettre une meilleure compatibilité
entre le bus EIB et le cerveau de la maison. Une fois la gestion informatique
mise au point, habiter ou travailler dans un bâtiment intelligent
ne sera plus une utopie, mais bel et bien une réalité de
notre époque. Mais il ne suffira pas de construire des bâtiments
intelligents, il faudra également adopter une conception intelligente.
En effet, après des excès de démesure et de négligence
du confort et de la fonctionnalité au profit du style, les professionnels
se recentrent sur l'homme et sur ses besoins. L'habitat se conçoit
à nouveau à l'échelle humaine et c'est là,
la plus grande qualité de la maison de demain.
Vitrages électrochromiques
L'efficacité optique élevée
des systèmes d'éclairage naturel anidoliques (sans formation
d'image) peut engendrer des troubles de la vue et provoquer une gêne
en cas de ciel dégagé: le puissant rayonnement solaire provoquerait
l'éblouissement s'il touchait directement les habitants du bâtiment.
La possibilité de contrôler le flux de lumière du jour
collectée par le système anidolique à l'aide d'un
vitrage électrochromique est une idée très intéressante
qui requiert des essais plus approfondis.
Les éléments de base d'un dispositif
électrochromique sont les couches de films d'oxydes conductrices
transparentes. Ces couches d'oxydes permettent le déplacement des
ions. Le coeur du dispositif est formé par un matériau polymère.
Il sert d'électrolyte et de conducteur ionique car il permet la
transmission élevée pour les ions et est pratiquement imperméable
aux électrons. Le principe de ce mécanisme est donné
dans la figure 7:
Lorsqu'une tension est appliquée entre les
conducteurs transparents, un champ électrique s'établit et
des ions se déplacent uniformément en entrant et sortant
du film électrochromique. Et si des ions sont insérés,
il se produit un contre-courant d'équilibrage de charges. Le contre-courant
ionique d'équilibrage de charges traverse le circuit externe, puis
induit une variation de la densité d'électrons dans le matériau
électrochromique en provoquant une modulation de ses propriétés
optiques. En fonction de l'oxyde électrochromique utilisé,
l'injection d'électrons peut augmenter ou diminuer la transparence.
L'oxyde de Tungstène (WOx) peut être transformé
de manière réversible d'un état transparent vers un
état bleu foncé de faible transparence alors que l'électrode
de stockage ionique reste pratiquement inchangée. Comme le conducteur
ionique a une conductivité électronique négligeable,
le dispositif présente une mémoire de circuit ouvert, de
sorte que les propriétés optiques restent stables après
avoir coupé la tension.
Les exigences pour l'utilisation pratique du principe
électrochromique résident dans la durabilité des couches,
une conductivité suffisante pour que le processus de modulation
soit rapide et une grande capacité de coloration.
Adresses des auteurs
Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Leso-PBIEPFL,
1015 Lausanne: Dr. Nicolas Morel nicolas.morel@epfl.ch; Siemens
Suisse SA, 1020 Renens: Pierre Blatti, ingénieur de vente,
pierre.blatti@siemens.ch