Aussi, les scientifiques se demandent si El Niño ne va pas devenir encore plus fréquent et plus virulent dans le futur, quand le réchauffement global plus fort prédit par les modèles climatiques se manifestera. La plupart des simulations numériques prévoient ce cas de figure, tandis que certains, minoritaires, décrivent au contraire une situation où La Niña (l'inverse d'El Niño) deviendra permanente.
Cette question a été au centre du colloque sur El Niño qui s'est tenu à Toulouse fin septembre sous le parrainage de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), de l'Institut des sciences de l'univers du CNRS, du Centre national d'études spatiales, de l'Observatoire Midi-Pyrénées et de l'université Paul-Sabatier de Toulouse.
Les glaciologues, les géologues, les paléoclimatologues, les modélisateurs et les théoriciens présents à cette réunion ont tenté de déterminer si le phénomène El Niño pouvait être amplifié par le réchauffement climatique.
"La réponse n'est pas aisée car d'autres variations climatiques dont la périodicité varie entre dix et trente ans se superposent à El Niño", explique Joël Picaut, océanographe physicien et directeur de recherches à l'IRD (au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales, à Toulouse).
L'étude des coraux, des cernes d'arbres et des dépôts lacustres sur une période de mille ans a mis en évidence dans le Pacifique l'existence de telles variations."Elles pourraient avoir contribué au renforcement d'El Niño. Mais il est nécessaire de réaliser des mesures complémentaires", ajoute le chercheur.
BOUILLOIRE THERMODYNAMIQUE
Ces variations se manifestent sous différents aspects. La Pacific Decadal Oscillation (PDO), par exemple, agit sur le climat de l'Amérique du Nord et du Japon, mais on ignore actuellement si elle interagit avec l'atmosphère tropicale. Les tempêtes qui font rage en hiver dans le Pacifique refroidissent ponctuellement les masses d'eau. Les eaux froides plongent alors à 200-300 mètres de profondeur et, au bout de dix ans, elles remontent à la surface vers l'équateur pour être ensuite repoussées par le vent. L'ensemble du cycle dure vingt ans.
Si ces variations sont confirmées, cela signifiera que, dans vingt ou trente ans, la température de surface de l'eau du Pacifique pourrait être moins élevée qu'aujourd'hui, ce qui limiterait les futurs Niños. Mais s'il se confirme que c'est le réchauffement qui a généré les deux Niños spectaculaires du XXe siècle, " cela pourrait indiquer que le phénomène gagnera en force et en pouvoir de destructions", s'inquiète Joël Picaut.
L'augmentation de la température de l'océan Pacifique joue un grand rôle lorsqu'elle passe de 27 °C à 28 °C. El Niño est en effet provoqué par le mouvement vers l'est du Pacifique d'une énorme masse d'eau chaude, grande comme les Etats-Unis, bloquée habituellement à l'ouest par les vents alizés. A 28 °C, l'eau de l'océan s'évapore fortement en formant d'imposantes masses nuageuses à l'origine de pluies diluviennes.
Si en plus le réchauffement climatique augmente l'étendue de cette "bulle" d'eau chaude, cela peut avoir des effets importants. El Niño est la " bouilloire thermodynamique du globe", rappelle Joël Picaut. La moitié des transferts naturels de chaleur des tropiques vers les pôles se fait par les courants marins et l'autre moitié par les vents atmosphériques. " On imagine facilement ce que l'augmentation d'un degré du réservoir d'eau chaude lié à El Niño peut entraîner comme dérèglement météorologique à l'échelle de la planète", ajoute l'océanographe français.
Une montée en puissance de la température de l'océan Indien risque aussi de modifier les interactions océan-atmosphère et d'ajouter ses effets à un Niño renforcé. Il est donc urgent d'en savoir plus sur les variations climatiques récentes et passées du Pacifique.
Une étude américaine réalisée sous la direction de Brad Adams, du département des sciences de l'environnement à l'université de Virginie (Charlottesville, Virginie), et publiée dans la revue Nature du 20 novembre, vient d'établir aussi une corrélation entre la fréquence d'El Niño et l'activité éruptive et explosive des grands volcans tropicaux. Les données statistiques concernant cette activité depuis 1649 révèlent " en gros un doublement de la probabilité de l'arrivée d'El Niño pendant l'hiver qui suivait l'éruption".
Les aérosols émis dans l'atmosphère lors de ces éruptions provoquent un refroidissement climatique de quelques dixièmes de degré, qui disparaît au bout de quelques années. Localement, cela peut modifier la circulation troposphérique et la température de surface de la mer. Deux phénomènes susceptibles de provoquer la naissance d'El Niño.
Ces nouvelles précisions, et celles fournies par d'autres études paléoclimatiques à venir, devraient permettre d'améliorer la dizaine de modèles climatiques prédictifs existants, qui pour l'heure ne sont pas encore assez précis.
Christiane Galus