Fukushima: premières évaluations des conséquences
à long terme
Avec l'apparition des premiers
effets concrets associés à la radioactivité s'échappant
de la centrale de Fukushima, la question de l'impact à long terme
est posée. Il semble d'ores et déjà que la catastrophe
impactera le Japon pour des décennies.
C'est en fin de semaine dernière qu'ont
été détectées les premières traces de
contamination radioactive. Elles ont d'abord été mesurées
sur du lait et des épinards à proximité de la centrale
nucléaire de Fukushima Daiichi, puis dans l'eau courante jusqu'à
Tokyo, et enfin dans de l'eau de mer prélevée à 100
mètres de la centrale accidentée.
Une liste de produits contaminés qui
ne cesse d'évoluer au fil des jours et qui comprend aujourd'hui
11 légumes en provenance des préfectures de Fukushima et
d'Ibaraki (située entre Fukushima et Tokyo).
Le "nuage radioactif" serait trop faible pour
être décelé Les instances officielles (ASN et IRSN)
et indépendantes (Criirad) semblent s'accorder sur un point: le
panache radioactif qui devrait atteindre la France ce mercredi 23 mars
2011 ne devrait pas être perceptible. En effet, les matières
radioactives émises par les réacteurs de la centrale de Fukushima
se sont diluées dans les masses d'air. Le niveau de césium
137 dans l'air devrait être "trop faible pour être détecté
par les 170 balises d'alerte" de l'IRSN, estime l'institut. Un point
de vue partagé par la Criirad qui qualifie de "négligeables"
les possibles retombées radioactives dues au nuage.
Quant aux niveaux constatés, les mesures
font états de dépassements des seuils légaux sur certains
produits agricoles provenant d'exploitations situées à proximité
de la centrale. De même, le 23 mars, l'eau du robinet de Tokyo présentait
une concentration d'iode 131 de 210 becquerels par kilogramme (Bq/kg).
Un niveau qui dépasse le seuil de 100 bq/kg fixé pour l'eau
destinée aux nourrissons, mais qui reste inférieur au seuil
de 300 Bq/kg établi pour l'ensemble de la population. L'eau de mer
à proximité de la centrale présentait pour sa part
un taux d'iode 131 égal à plus de 125 fois la norme officielle
et un niveau de césium 134 représentant près de 25
fois le seuil autorisé.
En conséquence, le gouvernement a interdit
la vente des produits agricoles concernés. "Malheureusement,
cette situation risque de durer longtemps, c'est pourquoi nous demandons
leur interdiction dès maintenant" a indiqué, selon l'AFP,
Yukio Edano, le porte-parole du gouvernement. Il s'est néanmoins
montré rassurant et a expliqué que "même si ces
aliments sont mangés de façon ponctuelle, il n'y a pas de
risque pour la santé."
10% des rejets de Tchernobyl?
Si le gouvernement japonais communique peu
sur les rejets de radioactivité et l'étendue de la zone contaminée,
différents organismes ont néanmoins tenté d'établir
des estimations.
S'agissant de la zone contaminée, Peter
Cordingley, porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) pour la région Pacifique Ouest a déclaré à
Reuters que la situation est "bien plus grave que ce que n'importe qui
pouvait envisager les premiers jours lorsque nous pensions que ce
genre de problème pouvait être cantonné dans un rayon
de 20 à 30 kilomètres." Cependant, faute de données
officielles, il est difficile de confirmer les craintes de l'OMS.
En France, la Commission de recherche et d'information
indépendantes sur la radioactivité (Criirad) indiquait le
21 mars que "la contamination de l'air à Tokyo est passée
pour l'iode 131, de 0,1 Bq/m3 d'air le dimanche 20 mars sur
la période 00h à 8h (16h à 0h00 heure France) à
15,6 Bq/m3 le lundi 21 mars entre 8h et 10h", ajoutant que
"les niveaux ont légèrement décru depuis: 8 Bq/m3
entre 14h et 16h (soit 6h-8h HF)."
Cependant, la Criirad juge que "les
activités en iode radioactif sont sous-évaluées car
les analyses portent sur des filtres à poussières qui ne
retiennent que les aérosols" et elle précise
que "les iodes radioactifs (iode 131, 132 et 133) sont principalement
présents sous forme gazeuse." Et de conclure qu'"il est
assez probable qu'il faille multiplier les activités par 10 pour
avoir une meilleure appréciation du niveau de risque."
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De même, les mesures ne portent que
sur quelques éléments radioactifs et la Commission appelle
à diverses mesures de l'activité du tritium, des isotopes
du ruthénium, du tellure, du strontium et des émetteurs alpha
très radiotoxiques comme les plutoniums 238, 239 ou 240 ou encore
l'américium 241. "Ces informations ne pourront pas être
reconstituées", prévient la Criirad qui juge que "des
mesures de l'activité volumique de l'air sont indispensables."
Du côté des organismes officiels,
l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN) a proposé une évaluation des rejets radioactifs survenus
entre le 12 et 22 mars 2011. Selon les calculs de l'institut, la somme
des éléments radioactifs émis dans l'atmosphère
est "de l'ordre de 10% des rejets estimés lors de l'accident
de Tchernobyl."
Des chiffres qui devraient croître jusqu'à
ce que la situation soit totalement sous contrôle. À ce sujet,
l'IRSN est particulièrement prudent et insiste sur le fait que son
évaluation est "établie sur la base des informations disponibles"
et en particulier sur "l'activité rejetée lors des opérations
d'éventage des enceintes de confinement des réacteurs."
La gestion de l'après crise est l'objet
de premières évaluations et l'AFP rapporte les propos d'André-Claude
Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire
française (ASN), qui juge que les rejets radioactifs "sont
d'ores et déjà importants [et il] faut donc s'attendre à
ce que le Japon ait à gérer durablement les conséquences
de rejets importants sur son territoire, c'est un problème que le
Japon aura à traiter pendant des dizaines et des dizaines d'années."
Des conséquences d'autant plus graves que "les dépôts
de particules radioactives au sol seront importants", a précisé
Jean-Luc Godet, directeur à la direction des rayonnements ionisants
et de la santé à l'ASN. Pour l'instant, "les autorités
japonaises n'ont pas établi, ou pas transmis de cartographie de
ces dépôts, et il n'est pas illusoire de penser que cette
zone [contaminée] s'étend au-delà de la zone des 20
km" a indiqué Jean-Luc Godet, précisant que "compte
tenu de la météo, il est probable que des contaminations
aient eu lieu au-delà, jusqu'à une centaine de kilomètres."
Le démantèlement de la centrale suspendu à l'état
des réacteurs
Plus précisément, l'avenir de
la centrale fait lui aussi l'objet de spéculations. Pour l'instant
le porte-parole du gouvernement japonais, Yukio Edano, a simplement admis
qu'"en considérant avec objectivité la situation, [...]
il semble évident que la centrale de Fukushima Daiichi n'est pas
en état de fonctionner de nouveau", rapporte l'AFP.
À plus long terme, dans le meilleur
des cas, c'est - à - dire si les enceintes de confinement sont encore
étanches et si le refroidissement est rétabli rapidement,
il faudra alors refroidir les différents combustibles avant de décontaminer
le site. À Three Miles Island, il a fallu attendre six ans avant
de retirer le combustible partiellement fondu du réacteur endommagé
en mars 1979, rappelle Le Monde dans son édition du 22 mars.
Par contre, dans le pire des scénarios,
si le refroidissement ne peut être rétabli et si certaines
enceintes ne sont plus étanches, il faudrait alors envisager la
construction d'un sarcophage similaire à celui de Tchernobyl.
Une solution particulièrement délicate si l'on considère
l'exemple ukrainien. En effet, la construction de la structure de protection
"définitive", prévue pour être efficace pendant un
siècle, s'annonce longue et complexe. Il s'agit de construire une
arche de 105 mètres de haut, pesant 29.000 tonnes et dont le coût
est estimé à 1,6 milliards €.
L'exemple de Tchernobyl soulève indirectement
la question du financement de la réparation des dommages causés
par la catastrophe. Pour l'instant, personne ne se risque à une
quelconque évaluation de la facture. Ainsi, dans son estimation
du coût des destructions du séisme, allant de 140 à
218 milliards €, le gouvernement japonais précise qu'il ne
tient pas compte des impacts associés aux accidents en cascade sur
la centrale de Fukushima.
Qui payera la note? L'AFP révèle
que la centrale n'était plus assurée depuis sept mois, l'exploitant
jugeant la facture trop élevée. Un élément
qui ne change cependant pas la situation puisque les cas de force majeure,
tels que les séismes, sont généralement exclus de
la couverture. De plus, la loi japonaise limite à un peu plus d'un
milliard €, le montant des indemnisations versées pour les
dommages subis par les tiers. Si cette somme semble à la portée
de Tepco, rien n'est fixé s'agissant des compensations au-delà
de cette indemnisation légale.
Philippe Collet
Monique et Raymond Sené
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