Didier Champion est directeur de l’environnement
à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Il répond dans cette interview à une accusation
lancée par la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information
Indépendantes sur la Radioactivité) d’avoir «sous-évalué»
la contamination due à l’accident de Fukushima en France.
La CRIIRAD vous accuse d’avoir "sous-évalué" la radioactivité
de l’air au-dessus de la France dans votre communiqué du 26 mars.
Acceptez-vous cette accusation?
Didier Champion: La CRIIRAD nous a reproché de ne
pas avoir précisé dans ce texte destiné au public
que nous n’avions pas encore détecté l’iode-131 radioactif
gazeux, alors que son objet était d’affirmer que nous avions la
première détection d’iode-131 particulaire, au Puy-de-Dôme.
Il nous a fallu d’ailleurs filtrer l’air par un prélèvement
massif - au rythme de 500 m3 par heure durant 4 jours - pour parvenir à
cette détection, en raison de l’extrême faiblesse de la contamination.
Je ne vois vraiment pas matière à polémique dans cette
affaire.
Pourquoi n’avoir pas précisé que vous n’aviez pas encore
réussi à mesurer l’iode radioactif gazeux?
Didier Champion: Est-ce vraiment nécessaire, dans
un communiqué destiné au public d’expliquer ce que l’on a
pas encore vu? La critique aurait pu être étendue au césium-137,
que nous n’avons pas encore pu détecter... comme la CRIIRAD d’ailleurs.
Surtout, cette non-détection de l’iode gazeux ne contredisait pas
la conclusion destinée aux citoyens: les niveaux observés
n’ont aucune conséquences sanitaires. Enfin, il me semble clair
que les responsables de la CRIIRAD, qui connaissent de très près
nos techniques, savaient que nous cherchions l’iode gazeux depuis 8 jours,
avec des cartouches de charbon actif. Et que, comme eux qui utilisent la
même technique, le seuil de détection n’avait pas encore été
atteint. Je viens d’apprendre que la station du CEA à Cadarache
vient de détecter pour la première fois l’iode-131 gazeux
de Fukushima, avec 0,75 millibecquerels par m3.
Comment expliquer que le réseau de balises Teleray n’ait enregistré
aucun effet du passage de Modélisation dispersion radioactivité
l’air contaminé par Fukushima?
Didier Champion: Parce que, comme
prévu par l’IRSN et Météo France, la radioactivité
ajoutée dans l’air est une fraction infime de la radioactivité
naturelle. Elle est même très inférieure aux variations
quotidiennes. Nous avions prévu un effet d’un millibecquerel par
mètre cube - ce qui est infime puisque la radioactivité naturelle
d’un corps humain est de 8.000 becquerels. La détection d’iode particulaire
donne un résultat dix fois inférieur. Et même si l’iode
radioactif gazeux est quatre fois plus important, une estimation raisonnable,
on reste au-dessous de notre prévision.
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suite:
Les niveaux de radioactivité dus à l’accident nucléaire
de Fukushima présentent-ils un risque sanitaire en dehors du Japon?
Didier Champion: Clairement non. Dès l’île d’Hawaï,
la dilution est telle que l’exposition en terme de dose est insignifiante,
ce que les autorités américaines confirment pour l’ensemble
de leur territoire. Seuls les Japonais sont affectés. Du moins pour
l’instant.
Les rejets en mer de plus en plus élevés sur le site
de la centrale posent quels problèmes environnementaux et sanitaires?
Didier Champion: Des rejets importants de liquides très
contaminés ont lieu près de la centrale comme le montrent
les mesures publiées par les Japonais. On peut donc redouter une
contamination des algues locales, de certains poissons sédentaires,
des coquillages, crustacés, produits de l’aquaculture, très
importante au Japon. Aujourd’hui, l’activité est arrêtée
sur le littoral dévasté par le tsunami, mais il faudra mesurer
les contaminations lorsque les activités de pèche ou d’aquaculture
reprendront. Et surveiller les transferts dans la chaîne alimentaire.
Mais les effets resteront concentrés au voisinage des côtes.
A l’échelle du Pacifique, il y aura une dilution plus lente mais
aussi effective que dans l’air.
Animation CTBO
La publication des mesures des stations du traité d’interdiction
des essais nucléaires est demandée depuis le 15 mars. Changeraient-elle
notre connaissance de la contamination?
Didier Champion: Ces mesures sont en théorie secrètes,
car liées à un traité international, mais plusieurs
pays les ont de toute façon publiées. Elles donnent les mêmes
ordres de grandeur et les mêmes niveaux que les données publiques.
Rien qu’en France, nous avons 9 stations de même qualité.
Qu’elles soient rendues publiques ou non ne changera pas vraiment le niveau
d’information. Il est regrettable d’avoir donné l’impression de
cacher quelque chose alors que cette information ne change rien à
la qualité de celle qui a été donnée en termes
de risques sanitaires ou environnementaux.
image: animation montrant l'arrivée de la radioactivité
de Fukushima sur les balises du CTBO Cliquer pour lancer l'animation.
Recueillis par Sylvestre Huet
Le dernier communiqué de l'IRSN dévoile
les premières détections d'iode radioactif gazeux. Réalisé
par les instruments de détection du CEA de Cadarache et de la base
navale de Cherbourg (respectivement 0,75 millibecquerel et 0,22 millibecquerel
par mètre cube d'air.
Par Sylvestre Huet, le 28 mars 2011
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