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N°25
L'UTOPIE SURGENERATRICE
3. le cycle du combustible


     Tous les réacteurs à fission nucléaire nécessitent un cycle de combustible assez complexe, de la mine au retraitement et au stockage des déchets. Les surgénérateurs ne faillisent pas à cette règle, bien au contraire. Ils ne peuvent en effet que trouver leur combustible dans des combustibles "usés" et ne se justifient que s'il est possible de récupérer des matériaux fissiles dans leurs aiguilles après passage dans le réacteur. Ils sont donc indissociables du retraitement. Toutes difficultés techniques, écologiques ou politiques sur cette opération ont des répercussions sur les surgénérateurs. Remarquons également qu'un programme surgénérateur ne se conçoit pratiquement que s'il a été précédé et s'il est accompagné d'un important programme de centrales à uranium naturel ou faiblement enrichi. C'est en effet dans les combustibles de ces filières que l'on pourra trouver le plutonium nécessaire au démarrage de la (nouvelle) filière.
     Pour mieux comprendre le cycle du combustible des surgénérateurs, nous le comparerons à celui de la filière à eau légère type PWR.
     Dans un PWR, il y a un seul type de combustible constitué d'assemblages de crayons d'oxyde d'uranium UO2 enrichi à 3,1% en uranium 235 (0,7% dans l'uranium naturel).
     Dans un FBR[9], il y a deux types de combustibles:
     - Le centre du réacteur est formé de matériau fissile, oxyde mixte UO2 PuO2 d'uranium et de plutonium, à 20% de plutonium.
     - La périphérie du réacteur, ou couverture, est formée de matériau fertile, essentiellement de l'uranium 238 (pratiquement de l'uranium appauvri ou naturel), dont une partie se transforme en plutonium sous l'action des neutrons.
     Ces différences se répercutent sur le combustible à la fin de son séjour dans le réacteur.
     Nous donnons ci-après les caractéristiques d'une tonne de combustible six mois après sa sortie du réacteur, donc déjà refroidie et moins active:
 
PWR
Filière rapide
Fissile
Taux de combustion
Plutonium
Produits de fission
Puissance résiduelle
30.000 MWj/t
9 kg/t
30 kg/t
15 kW/t
100.000 MWj/t
150 kg/t
90 kg/t
60 kW/t
Fertile
Plutonium
Puissance résiduelle
-
-
15 kg/t
2 kW/t

     On notera que les chiffres pour les surgénérateurs sont ceux attendus pour la filière et non ceux de Superphénix qui sont sensiblement inférieurs.
     Dans le cycle PWR le combustible est essentiellement constitué par de l'uranium enrichi issu de l'uranium naturel extrait des mines. Si ce combustible est retraité, on peut récupérer de l'uranium qui sera utilisé dans les combustibles, mais son rôle n'est pas vital. Le retraitement des combustibles PWR n'est donc pas une obligation pour le fonctionnement industriel de la filière; il peut être remplacé par un stockage de longue durée des éléments combustibles. Si on retraite les combustibles irradiés des PWR, c'est pour en extraire le plutonium qui servira de combustible au FBR de la même façon que l'on a extrait le plutonium des réacteurs graphite-gaz pour faire la bombe atomique.
Combustible neuf
Eau légère
Surgénérateur
 
PWR
1.300 MWé
Superphénix
1.160 MWé
Filière rapide
1.500 MWé
Première charge
105 tonnes de UO2[1]

(soit 2,4 t de U235[2])

32 tonnes de U/PuO2[3] dont 5,5 t de Pu[4]
+
70 t de UO2
(fertile)[5]
25 tonnes de U/PuO2 dont 4 de Pu
+
85 t de UO2
(fertile)
Rechargement annuel
35 tonnes de UO2
(soit 1 t de U235)
16 tonnes de U/PuO2
dont 2,5 t de Pu
+
18 t de UO2
9 tonnes de U/PuO2 dont 1,3 de Pu
+
14 t de UO2

1 - UO2: oxyde d'uranium
2 - U 235: isotope fissile de l'uranium
3 - U/PuO2 oxyde mixte d'uranium et de plutonium
4 - Pu: plutonium
5 - c'est-à-dire essentiellement de l'uranium 238.

p.6
9. F.B.R.: Fast Breeder Reactor: réacteur rapide surgénérateur.
     Par contre, le combustible rapide a un cycle fermé. Le plutonium qu'il utilise est issu du retraitement des combustibles PWR, puis du retraitement du combustible FBR lui-même. Si par la surgénération (liée à la production de plutonium dans la couverture), le réacteur produit plus de plutonium qu'i1 n'en consomme, il n'y a pas d'approvisionnement externe, mais au contraire constitution d'un stock de plutonium en supplément de celui nécessaire au fonctionnement du réacteur dont il est issu. L'alimentation «externe» du FBR ne nécessite alors que quelques tonnes d'uranium appauvri par an (sous-produit des usines d'enrichissement: EURODIF en fonctionnement «produira» environ dix mille tonnes d'uranium appauvri par an).
     Ainsi, la durée du cycle du combustible est, pour le PWR, de faible incidence sur le coût global, car il n'y a pas récupération des matériaux. A l'inverse, le cycle FBR est centré sur le plutonium: le séjour du plutonium hors du réacteur doit être le plus court possible, donc les combustibles irradiés qui sortent du réacteur doivent être retraités le plus vite possible pour permettre la fabrication de nouveaux combustibles au plutonium, qui seront changés à nouveau, etc. Dans un PWR, entre l'extraction du minerai et la fin du retraitement, on compte cinq années hors réacteur. Pour un FBR, il faudrait arriver à deux années hors réacteur entre le début de fabrication du combustible au Pu et la fin du retraitement de ce même combustible.

Cycle rapide

     Il apparaît clairement que le cycle rapide... doit être rapide et en particulier le retraitement doit être fait tout de suite après la sortie de pile ... ce qui est loin d'être le cas, et il faut relire la Gazette n°24 pour se souvenir de l'état actuel de l'industrie du retraitement.
     Mais la nécessité de retraiter rapidement n'est pas le seul problème du cycle du combustible des réacteurs surgénérateurs. Parlons maintenant du temps de doublement.
     Un réacteur FBR[10] devrait être construit lorsqu'on est sûr de pouvoir disposer de la quantité de plutonium nécessaire à la fabrication de la première charge en combustible du réacteur et aux premières recharges. Normalement, le combustible irradié déchargé doit être retraité et fournir ainsi le plutonium nécessaire aux recharges suivantes (plutonium provenant du combustible du cœur et de la couverture). Le bilan global en plutonium doit d'ailleurs être excédentaire et chaque déchargement doit permettre d'augmenter le stock de plutonium non utilisé pour les recharges. Lorsque ce stock atteindra à son tour le niveau nécessaire à la construction d'une première charge et de premières recharges, on pourra démarrer un nouveau FBR, et ainsi de suite.

suite:
     On appellera «temps de doublement» le temps au bout duquel un FBR a fabriqué - grâce à la surgénération - la quantité de plutonium nécessaire au démarrage d'un nouveau réacteur.
     On peut ainsi définir une stratégie de construction et de démarrage d'une série de FBR sur la seule considération du plutonium disponible.
     Le temps de doublement est d'autant plus faible, donc l'introduction des FBR est d'autant plus rapide, que la masse de plutonium dans le cycle est plus faible. Il faut donc que le temps d'irradiation (séjour dans le réacteur) soit long, ce qui implique des taux de combustion élevés et que le temps hors réacteur soit court. Il faudrait donc un taux de combustion élevé et un temps de refroidissement du combustible irradié avant retraitement, court. Ces deux exigences sont contradictoires et font du retraitement du combustible FBR une opération spécifique, plus complexe et délicate et, par conséquent, plus coûteuse que celui du retraitement PWR. Ces difficultés sont aggravées par la forte teneur du combustible FBR en plutonium et les risques de criticité qui en résultent.
     Autant dire qu'actuellement on ne peut donner aucun chiffre pour le temps de doublement, car personne ne peut s'engager sur le délai de retraitement du combustible des premiers FBR, ni sur les pertes totales en plutonium qui auront lieu dans le cycle.
     Officiellement, pour Superphénix, on donne un temps de doublement de 46 ans. Mais de fait on considère en privé que ce réacteur ne sera pas surgénérateur, ce que l'on justifie par ailleurs par son caractère prototype... En outre la question de l'approvisionnement en combustible plutonium est posée par Superphénix. Il est clair que celui-ci fonctionnera en cycle ouvert pendant longtemps... Il faudra donc trouver 2,5 tonnes de Pu chaque année pour l'alimenter. A raison de 9 k/t produit en PWR (voir plus haut), cela nécessite de retraiter 300 t/an de combustible PWR...
     Si les successeurs de Superphénix démarraient entre 1985 et 1990, il faudrait approvisionner le plutonium des premiers cœurs dès les premières années 1980. Le décollage éventuel de la fiière FBR est donc étroitement lié au fonctionnement de l'usine de retraitement des combustibles PWR: une usine de capacité nominale de 800 tonnes de combustibles irradiés retraités par an, et qui ne fonctionne qu'au cinquième de sa capacité, ne produit que 1 à 1,5 tonne de plutonium par an...
     L'étape suivante est évidemment le retraitement des combustibles FBR pour pouvoir utiliser le plutonium qu'ils fabriquent et profiter de la surgénération. Ce traitement conditionne en fait la fiière. Or, c'est un domaine où l'expérience industrielle est nulle: les études sur installation pilote vont commencer. Les problèmes seront peut-être résolus, mais à quel prix en argent et en hommes?
     Actuellement on peut affirmer en tous cas que la situation est celle de panne - voir Gazette n°24 et encart n°2 page suivante.
p.7
10. Ce qui est loin d'être le cas pour Phénix et pour Superphénix.
Dans ce cycle du combustible des réacteurs à neutrons rapides, il nous reste encore à aborder deux problèmes:
     - les pertes de plutonium lors du cycle,
     - les conditions de travail dans la fabrication du combustible.

Perte de plutonium dans le cycle du combustible

     Cette question est importante pour savoir si un surgénérateur l'est vraiment. Rappelons tout d'abord que Superphénix devrait produire chaque année environ 157 kg de Pu supplémentaire, soit environ 6,5% du Pu total à extraire lors du traitement. Il est évident que les pertes doivent être inférieures à ce chiffre. Que constate-t-on dans la réalité ? (Voir Gazette n°24).
     - Eurochemic (Belgique) sur le total de 683 kg de plutonium extrait, une perte de l'ordre de 6,5% a été constatée;
     - N.F.S. (USA) pertes en phase liquide de l'ordre de 2,6%, on ne connait pas les pertes dans la suite du cycle;
     - Windscale: entre 1967 et 1977 le total des pertes se situe entre 8,5 et 12%;
     - La Hague: officiellement 1 à 20% de perte mais il semble bien que l'on retrouve entre 2 et 4% de Pu dans les déchets de faible et moyenne activité ...!
     A cela s'ajoutent les pertes lors de la fabrication du combustible; actuellement, les chiffres suivants ont été relevés:
     - 2,7% à Cadarache lors de la fabrication du cœur du réacteur Rapsodie, chiffre auquel il faut ajouter au moins 1% lors du passage du nitrate à l'oxyde.
     - 2% au moins à Karlsruhe sans que la moyenne soit connue Ces chiffres varient entre 2 et 15%).
     Actuellement il faut considérer que c'est plus de 5% de plutonium au moins qui ne peut être récupéré et qu'environ 10% de ces 5% sont rejetés dans l'environnement; rappelons à ce niveau que les doses maximales admissibles sont au niveau du microgramme...!

suite:
Conditions de travail

     Alors que la fabrication des combustibles des réacteurs à eau légère ne pose pas trop de problèmes spécifiques, il n'en est pas de même lorsqu'on veut faire des combustibles avec des oxydes de plutonium. En raison de la toxicité particulière de cet élément et de la possibilité de criticité[11] lors des manipulations, les risques sont beaucoup plus grands et imposent des conditions de travail plus pénibles (travail en boîte à gants en particulier). Voir à ce propos l'encart n°3 ci-dessous.


encart n°2
Quelques nouvelles de la Hague et plus particulièrement de l'atelier pilote AT.1 pour le retraitement des aiguilles de rapide

    1) 9 novembre 1978 
     Trois ouvriers contaminés au plutonium. L'accident n'est révélé que le 13 et la direction déclare qu'il s'agit d'une erreur «humaine». De fait et malgré certaines déclarations fracassantes, la cause essentielle résulte de la vétusté et de l'inadéquation des installations: il y a eu transfert d'une bougie filtrante d'une zone à l'autre sous manche vinyl. Au moment de l'introduction de la bougie dans une boite à gants il y a eu rupture d'étanchéité. Cette zone était dépourvue de contrôle atmosphérique de détection de Pu; l'alarme n'a pas été immédiate et la contamination s'est répandue dans toutes les zones empruntées par les opérateurs.

     2) Lors de retraitement à AT.1 de combustible peu «refroidi » (entre 45 et 60 jours de stockage), il y a échappement d'iode radioactif... Les informations manquent sur les conséquences. 

     3) Lors du conditionnement du Pu en fin de chaine, environ 6 g s'échappent. Les ouvriers ayant vu l'accident ont évacué la pièce qui est maintenant contaminée. 
     Actuellement, la capacité de retraitement de AT.1 est de 1 kg par jour de combustible de Rapsodie, soit 100 g de Pu ...

p.8a
11. Création d'une masse critique. Voir aussi note 6.

encart N°3
Combustibles au plutonium. 

     Lors d'une conférence à Liège en 1974, M. J. Van DIEVOET, directeur de la Société Belgonucléaire, donc directement intéressé au surgénérateur, tient des propos qui se veulent rassurants mais posent quelques questions. Que l'on en juge:
     «On voit que dans ses grandes lignes, la fabrication des combustibles rapides plutoniens est semblable à celle des barreaux d'UO2. Cependant toutes les opérations s'effectuent en boîtes à gants, y compris les contrôles sur le barreau non terminé, et elles sont mécanisées. La mécanisation n'a pas pour but d'accélérer la production ou de diminuer les frais de personnel. Elle est dictée par le souci légitime d'exposer le personnel le moins possible au contact avec le plutonium et les radiations qu'il émet. Bien entendu, on tire parti de cette mécanisation qui s'impose pour obtenir des opérations très reproductibles à chaque étape, ce qui est favorable au maintien d'une qualité constante.
     Durant toutes les étapes de la fabrication, un inventaire permanent du plutonium contenu est tenu à jour dans chaque boîte à gants, pour s'assurer qu'aucun détournement de matière ne peut être effectué, mais aussi que l'on reste loin de la masse critique à l'intérieur de chaque boîte.
     Qu'est-ce qui coûte cher dans une usine de fabrication de combustible au plutonium? D'abord l'investissement. Une usine capable de produire moins de 100 t/an de combustible pour réacteurs à eau légère coûte aujourd'hui près de dix millions de dollars. Or, une usine de grande capacité sera nécessairement constituée de chaînes de production en parallèle: non seulement parce que la taille des équipements individuels est limitée par la technique et la sécurité, mais aussi parce que le volume des lots à fabriquer impose de limiter la capacité d'une chaîne.

     Ou'entend-on par grande capacité? Si l'on considère que la taille des unités de retraitement plafonnera longtemps à 1.500-2.000 t/an, et que le plutonium extrait permet de reconstituer un quart du combustible à l'uranium entrant, on voit qu'une usine près de la mine ne devrait pas dépasser 375 à 500 t/an. Il y aura certainement un gain sur investissement spécifique, mais il ne sera pas énorme. 
     Après l'investissement, le personnel coûte cher. En effet, il doit être bien entraîné, donc stable et convenablement rémunéré, et il doit être suivi médicalement. Mais surtout, une partie de l'avantage que procure la mécanisation est annulée par la lenteur des opérations d'entretien à effectuer en boîte à gants. Il en va de même pour les analyses et contrôles. 
(...)
     Notons aussi que si le plutonium n'est pas utilisé, son stockage soit sous forme d'élément irradié, soit sous forme purifiée, est coûteux, et le coût d'un tel stockage vient s'ajouter à la valeur du plutonium si on recycle ce dernier. 
Lorsque les barreaux sont fabriqués, décontaminés et contrôlés, ils ne se différencient guère de barreaux d'uranium. Cependant, si on les stocke trop longtemps, la croissance de l'americium 241 va donner lieu à des difficultés de montage, celui-ci devant se faire derrière un écran biologique.» 
     Notons que ceci est valable pour les combustibles des surgénérateurs ou des centrales à eau légère dans lesquelles on recyclerait le plutonium. 
p.8b

4. les aspects économiques et politiques
     Ainsi que le disaient MM. Rozendole (Novatome), Megy (CEA) et Robert (NEUSA-EDF) à l'exposition NUCLEX  78:
     «L'introduction des surgénérateurs dans le système énergétique suscite le débat et la prise en compte de problèmes économiques, sociaux, philosophiques et culturels tels que: modèle de développement économique des sociétés développées et des pays en voie de développement; acceptation par le public des risques réels ou imaginaires liés à l'introduction de cette technique sur une longue échelle; non-prolifération des armes nucléaires; problème de politique internationale
     Mais notre analyse des divers paramètres est différente de la leur et si, pour les auteurs cités, il faut poursuivre résolument dans la voie des surgénérateurs, nous nous disons qu'il y a plutôt urgence à arrêter. Mais examinons maintenant les problèmes économiques.

Le coût du réacteur Super-Phénix

     Actuellement le coût de Superphénix (1.160 MWé) se situe aux alentours de 9 milliards de francs "lourds". Pour permettre une comparaison, disons qu'une tranche PWR 1.300 MWe coûte 4,5 milliards, soit la moitié, et qu'une tranche 900 MWe ne coûte que 2,5 milliards. Bien sûr, il s'agit d'un prototype, mais il va falloir faire un bond sérieux en avant et peut-être «tirer sur la sûreté» si l'on veut baisser les prix. Aussi avance-t-on une taille plus importante pour les modèles de «série»: après avoir prévu 1.800 MWe, il semble que l'on parle maintenant plutôt de 1.500 MWe.
     Pour mener des entreprises de cette envergure et aussi pour s'assurer des appuis internationaux afin d'assurer le débouché de la filière, l'affaire est devenue une opération internationale.
     A l'origine, la responsabilité du développement du surgénérateur avait été confiée à un organisme public, le CEA. Le premier réacteur expérimental (Rapsodie) qui a démarré en 1967, a été conçu et réalisé sous la responsabilité du CEA. Pour le premier réacteur prototype de démonstration (Phénix 250 MWe), une équipe commune CEA-EDF, à laquelle avait été associée l'industrie privée, avait été mise en place.
     Mais pour Superphénix, on est passé au niveau international et, dès avril 1971, EDF et RWE (Rheinische-Westfäliche Electrizitätwerk - le plus gros distributeur d'électricité en Allemagne) signent un accord pour la réalisation de réacteurs rapides suffisamment grands. Cet accord est ensuite étendu à l'Italie et actuellement, on est dans la situation suivante:
     Superphénix est commandé par la Société NERSA qui l'exploitera. Cette société de droit français a pour actionnaires EDF (51%), l'ENEL (33%) et un groupement de compagnies belge, allemande, hollandaise et anglaise (16%). Il est curieux de constater qu'EDF ne veut payer qu'à concurrence de l'équivalent en eau légère et que c'est l'Etat, au travers du CEA (qui voit ainsi une partie de ses crédits engloutie) qui paye le surcroît. La situation est d'ailleurs analogue dans les autres pays. 

suite:
     Par ailleurs existent des associations industrielles pour la promotion des systèmes de réacteurs rapides; la situation après avoir évolué souvent au cours des dernières années semble maintenant se stabiliser et tourne autour de la Société SERENA créée en 1978, pour négocier les connaissances et percevoir les redevances. Le diagramme donné par ailleurs tente de débrouiller les affaires:
     On peut remarquer tout de suite que le groupe EMPAIN, par Creusot-Loire et Neyrpic interposés, se taille une belle part dans Novatome, c'est-à-dire dans l'industrialisation des réacteurs rapides.
     Nous avons déjà signalé plus haut le coût de l'ordre de 9 milliards pour Superphénix et ce alors qu'aux conditions économiques du 1er janvier 1977 on n'annonçait un coût que de 4,9 milliards (dont 3 pour la chaudière hors combustible). Il nous faut maintenant essayer d'évaluer le coût du combustible, ce qui n'est pas une mince affaire; tentons cependant. Bien entendu, l'essentiel du coût provient du retraitement du combustible puisqu'il n'y a que là que l'on trouve du plutonium. Examinons d'abord l'évolution de ce coût pour 1 kg de combustible oxyde:
1973: 290 F
1974: 450 F
   1975: 1.000 F
   1976: 1.500 F
   1977: 3.000 F
     Il semblerait d'ailleurs qu 'en 1978 on évaluerait plutôt ce coût aux alentours de 4.000 F.
     Rappelons qu'un kg de combustible donne aux environs de 10 g de plutonium et qu'il en faut 4,5 tonnes pour la première charge et 2,5 tonnes par an ensuite... Certes, le retraitement permet de récupérer aussi de l'uranium 235 et 238, mais avec une teneur en 235 peu différente de celle de l'uranium naturel et pour un coût beaucoup plus élevé. A ce premier coût il faut ajouter le coût de fabrication du combustible. On avance actuellement des chiffres de l'ordre de 5.000 F /kg contre 200 à 250 F pour le réacteur à eau légère (ce qui montre bien la difficulté signalée dans la deuxième partie).
p.9

     Mais notre raisonnement nous conduisant à un coût de la première charge de près de 2 milliards, il y a quelque chose qui ne va pas puisqu'on annonce officiellement (au 1 .1.77) que la première chrage coûtera 625 millions, soit trois fois moins! Toute l'affaire consiste à dire que le retraitement est une opération nécessaire pour les autres combustibles et que le plutonium récupéré vient lui en déduction du coût du retraitement. Autrement dit, il faut affecter le coût du retraitement aux réacteurs actuels, et certains ainsi n'hésitent pas à franchir le pas en déclarant que le Pu ne vaut rien... ou presque. On s'interroge sur le raisonnement qu'il y aura lieu de faire lors du retraitement des aiguilles de rapides. Actuellement on avance des coûts de retraitement qu'on est loin de savoir faire, de l'ordre de 9 à 10 fois plus chers que pour les combustibles oxydes PWR.
     Il est maintenant admis par tout le monde que le coût du kWh de Creys Malville sera très élevé, mais malgré cela on espère qu'il sera équivalent au «coût du kWh d'une centrale classique répondant aux normes, modernes de pollution». Admirez la formule!...
     Et on ajoute que «le taux de combustion moyen devrait douhler et passer à 100.000 MWj/t» et enfin «qu'il est raisonnable de considérer qu'en passant du stade de l'atelier pilote à celui d'usine de taille commerciale, les coûts de fabrication et de retraitement s'abaisseront d'une manière significative.» (Rozenhole et suivants, article cité)
     Quel bel optimisme qui conforte largement les espoire de Novatome qui voit le programme suivant: 2 tranches Superphénix II (1.200 à 1.500 MWe) engagées en 1980, puis 8 à 10.000 MWe (soit de l'ordre de 6 tranches!) installés en 1992. Les prévisions du CEA de juillet 1978, encore plus optimistes, vont elles jusqu'à 2025? Nous les livrons à la réflexion de nos lecteurs (voir tableau ci-dessous).
     Signalons que ce beau programme s'accompague d'une capacité de retraitement de 2400 t/an à la fin de 1980... Il nous faut signaler, à ces prévisionnistes, la réalité: campagne de retraitement 1979 commencée à La Hague le 12 décembre 1978, et au 12 février 1979 il y avait eu 10 tonnes de retraitées...!  et au prix de difficultés assez invraisemblables!
p.10a

REPARTITION PAR FILIERE DU PARC ELECTRONUCLEAIRE FRANÇAIS
1978 - 2025

Années
1978
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
2025
 
 
 
 
(1)
(2)
(1)
(2)
(1)
(2)
(1)
(2)
(2)
(1)
(2)
(1)
(2)
(1)
(1)
(2)
Puis. installée (GWé)
6,5
17,5
39
59
67
73
84
86
106
93
120
100
132
106
143
112
153
116
162
Eau ordinaire
3,9
14,9
35,6
53,1
59,6
63
72
70
83
70
81
68
78
65
69
62
63
58
52
Graphite
-gaz
2,4
2,4
2
2
1,5
1,5
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Neutrons rapides
0,2
0,2
1,4
4,4
5,9
10
12
16
23
23
39
32
54
41
74
50
90
58
110
1. Hypothèse basse de consommation en l'an 2000: 300 MTEp
2. Hypothèse haute de consommation en l'an 2000: 350MTEp,
On remarquera qu'en l'an 2000 on prévoit entre 10 et 14 tranches rapides! De nombreux Superphénix en perspective.

     Après ces extrapolations hardies que ni les difficultés techniques, ni les considérations économiques ne troublent puisque de toutes les façons les surgénérateurs sont indispensables, abordons la question des problèmes politiques soulevés par l'utilisation des surgénérateurs.

Les surgénérateurs et les problèmes politiques

     Pour aborder ce volet, nous citerons l'article écrit par deux adhérents du GSIEN pour l'Encyclopaedia Universalis (Plurisciences):
     «Il nous faut d'abord détruire une légende, qui a été pendant longtemps complaisamment diffusée par les milieux officiels, et selon laquelle le plutonium issu des réacteurs nucléaires commerciaux, appelé pour la circonstance «plutonium civil», serait impropre à la fabrication de bombes atomiques, en raison de la présence d'isotopes non fissiles tel le plutonium 240, En réalité, la fabrication est un peu plus difficile, mais tout à fait possible: un essai a même été effectué aux États-Unis et s'est révélé concluant. Cette information a été confirmée par l'Energy Research and Development Administration, le 14 septembre 1977»
     Le rapport très étroit entre dissémination et surgénérateur entraîne un certain nombre de problèmes politiques que nous allons essayer d'évoquer maintenant.
     Le surgénérateur impose une circulation du plutonium entre usine de retraitement et centrales, ce qui entraîne que cette filière peut permettre un accès assez facile à un matériau stratégique.
     En effet, un pays qui désire s'équiper de l'arme atomique a le choix entre deux solutions: ou bien obtenir de l'uranium 235 presque pur par enrichissement très poussé de l'uranium naturel, ou bien obtenir du plutonium par retraitement du combustible irradié d'un réacteur.
     Le retraitement du combustible de réacteurs civils a permis à l'Inde (explosion du 18 mai 1974) et sans doute à Israël de fabriquer des bombes au plutonium. D'autres pays à technologie moins évoluée se sont portés acquéreurs d'usines de retraitement : Pakistan (contrat avec la France), Brésil (contrat avec la RFA). Le retraitement est en effet une opération délicate: le combustible irradié est inapprochable (produits de fission, émetteurs de gamma) et doit être manipulé à distance derrière des écrans de protection.

     Avec les surgénérateurs, ces obstacles techniques à l'obtention de plutonium pourraient disparaître. En effet, le combustible neuf contiendra du plutonium; il sera facile d'extraire ce plutonium par traitement chimique, car le combustible neuf ne contient ni émetteurs gamma, ni produits de fission. Pour contrer cette possibilité, la Grande-Bretagne a proposé de préirradier le combustible avant livraison (Royal Commission on Environmental Pollution, 6ème rapport, paragr. 318, septembre 1976). Cette suggestion louable dans son principe, présente des désavantages pour les travailleurs (difficultés de transport et de manipulation), et financiers (coût du combustible accru).
     Enfin, il faut bien voir que la surgénération entraînera une augmentation considérable de la durée de l'ère nucléaire, donc rendra possible une extension progressive de la prolifération de l'arme nucléaire à l'ensemble de la planète.
     La hantise de la prolifération de l'arme nucléaire jointe au fait que les EtatsUnis possèdent des quantités importantes d'uranium et qu'ils ont un certain retard à la fois sur le retraitement et sur la technique «rapide», entraîne que les EtatsUnis, pour bloquer le développement des surgénérateurs, ont eux-mêmes considérablement diminué les crédits pour leur réacteur de Clinch River. Dès lors, on assiste à une partie de «bras de fer» entre les Etats-Unis et la France soutenue par l'Allemagne. La position américaine, pour ambiguë qu'elle soit, pèse d'un poids considérable dans l'avenir des surgénérateurs: qui ne se souvient de l'opération Concorde (voir à ce propos l'encart n°3 ci-dessus).
     A cela s'ajoute le fait que la France joue un drôle de jeu de nation intermédiaire peu soucieuse des équilibres internationaux et toute disposée à vendre des armes et des surgénérateurs à qui les lui demandera. Ajoutons même que la rentabilité de la filière est liée aux nombreux exemplaires que l'on pourra vendre. Et on retrouve à ce niveau le mythe du nucléaire qui serait un créneau d'exportation pour la France, et par conséquent une des bonnes voies pour sortir de la crise internationale que connaissent les pays industriels. Poursuivra-t-on longtemps ce mythe?
p.10b

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