La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°26/27

THREE MILE ISLAND
5. problèmes liés au plan de secours


LES DEUX PLANS DE SECOURS
     Il faut distinguer:
     · Le plan de secours interne à la centrale, qui est de la responsabilité de l'exploitant lorsque l'accident n'est pas susceptible d'avoir des répercussions à l'extérieur du site. Ce plan est régi aux ÉtatsUnis par l'annexe E du 10 CFR 50 (CFR: Code of Federal Regulations, équivalent du Journal Officiel en France).
     · Le plan de secours externe à la centrale qui est de la responsabilité du gouverneur de l'Etat considéré et des autorités locales. Ce plan ne fait pas l'objet d'un règlement précis. Il ne fait l'objet que d'un échange de lettres entre la RNC, qui donne son accord de principe sur les dispositions contenues dans le plan, et les autorités locales qui s'engagent à mettre en œuvre un certain nombre de moyens en cas d'accident. Il semble, en fait, que dans l'État de Pennsylvanie, le plan n'était pas parfaitement au point: tous les Etats américains concernés par des implantations nucléaires n'ont d'ailleurs pas encore de plan de secours bénéficiant de l'aval de la NRC.
     Ces plans de secours en cas d'accident sur une installation nucléaire civile semblent valables aussi dans les cas d'un accident survenant sur des installations militaires.

LES RESPONSABILITÉS DES DIFFÉRENTS INTERVENANTS

     Il convient de préciser que c'est le gouverneur de l'Etat qui prend ou non la décision d'évacuer les populations. La NRC n'a auprès de celui-ci qu'un rôle consultatif. Dans ces conditions, la NRC n'a pu nous fournir d'indications précises sur l'application du plan de secours.
     La direction des opérations d'évacuation est du ressort des autorités locales (États et Comtés).
     Il faut noter qu'en ce qui concerne les différentes décisions techniques à prendre au niveau de la conduite de la centrale en cas d'accident, l'exploitant propose des décisions à la NRC qui doit donner son avis conforme. Mais l'exploitant reste toujours responsable des conséquences de ses actes?

LE DÉROULEMENT DES OPÉRATlONS DE SECOURS [7]

     L'accident ayant eu lieu vers 4 heures du matin le mercredi 28 mars, ce n'est que vers 7 heures du matin que la NRC et l'Etat de Pennsylvanie ont été informés de l'accident, ce qui peut signifier que l'exploitant ne s'est pas rendu compte immédiatement de sa gravité. L'alerte a été déclenchée vers 10 heures du matin.
     Dès le 28 mars au matin, 40 personnes du laboratoire de Brookhaven (Etat de New-York) arrivaient sur les lieux avec leur matériel: cette unité est particulièrement hien entraînée aux échantillonnage des sols et d'eau. 
     Le mercredi 28 mars dans l'après-midi, arrivaient sur les lieux un certain nombre d'unités mobiles de la NRC chargées du prélèvement d'échantillons et des mesures éventuelles de décontamination. Le jeudi 29 mars dans l'après-midi, des unités de l'armée américaine arrivaient, avec avions et hélicoptères, du centre d'expérimentation nucléaire du Névada. Ces unités étaient chargées exclusivement des prélèvements atmosphériques.
     Le vendredi 30 mars, les experts fédéraux du Ministère chargé de la santé publique et de l'alimentation (FDA Food and Drug Administration) arrivèrent sur le site.
     Les premières journées après l'accident semblent avoir été marquée, d'après les renseignements recueillis auprès de la NRC, par certaines difficultés d'organisation et de coordination entre les différents intervenants (autorités locales, organismes fédéraux, sociétés privées).
suite:
     Ces difficultés se sont concrétisées notamment par:
     - une saturation totale des lignes téléphoniques dans la zone concernée par l'accident. La compagnie de téléphone est arrivée toutefois à mettre en place, très rapidement, un certain nombre de lignes directes qui ont permis de débloquer la situation.
     - la difficulté d'utiliser les différents échantillons recueillis par les différents organismes chargés du prélèvement par suite de difficultés de repérage des lieux de prélèvement, et de l'absence de normalisation des prélèvements: les 3/4 des échantillons (de lait, d'eau) recueillis dans les deux premiers jours après l'accident ont été inutilisables.
     Le vendredi, l'exploitant a décidé d'effectuer des rejets importants à la cheminée (1,2 rem/h à la cheminée), ce qui a amené le gouverneur, sur une suggestion de la NRC, à recommander, dans une intervention télévisée, l'évacuation des femmes enceintes et des enfants d'âge pré-scolaire, dans un rayon de 5 miles (8 km) autour de la centrale. Cette recommandation a été interprétée par les populations comme un ordre d'évacuatiun. Dans un rayon de 8 à 10 miles (13 à 16 km) autour de la centrale, les populations ont cherché à quitter les lieux, ce qui a engendré de nomhreux embouteillages: les automobilistes se sont précipités, pour faire le plein, vers les pompes à essence, qui ont pu cependant faire face à la demande, et vers les banques qui ont enregistré des retraits très importants (l0 à 15 millions de dollars en un jour et demi).
     D'après les informations dont nous avons pu disposer, le responsable du plan de secours au niveau local n'était pas favorable à cette évacuation. Il semble qu'une bonne partie des personnes qui ont quitté les lieux, soient revenues assez rapidement à leur domicile. En fait, 15.000 personnes environ (femmes enceintes et jeunes enfants) seraient restées de façon prolongée loin de leur domicile.
     Les responsables achevaient l'étude, vers le mardi 2 avril, d'un plan d'évacuation concernant 600.000 personnes habitant dans un rayon de 20 miles (32 km) autour de la centrale. Ce plan aurait sans doute été appliqué s'il avait été nécessaire de faire une intervention particulière pour supprimer la bulle située en partie supérieure du cœur du réacteur ou si la teneur en hydrogène de l'enceinte avait atteint un niveau dangereux (plus de 4%).
     Depuis de nombreux mois avaient lieu des discussions sur l'efficacité de l'ingestion d'iode à titre préventif: cet iode non radioactif est susceptible de saturer la thyroïde et donc d'éviter l'absorption d'iode radioactif. L'accident de Three Mile Island a permis de mettre un point final à ces discussions: le samedi 31 mars, les responsables du plan de secours se sont préoccupés de la distribution de doses d'iodure de potassium aux populations. Or ce produit n'était pas disponible au matin du 31 mars sur le sol américain. Grâce à la diligence d'une société chimique américaine, 50.000 doses d'iodure de potassium furent fournies le samedi soir sur l'aéroport d'Harrisburg. En fait, aucune dose n'a été distribuée, même pas aux employés de la centrale, la direction de celle-ci pensant que ce n'était plus utile.
     Par ailleurs, il a été recommandé par les autorités de nourrir le bétail avec du fourrage engrangé, mais il n'y a pas eu d'interdiction de vente du lait.
     Malgré certaines difficultés pendant les premières heures, sinon même les deux premiers jours qui ont suivi le début de l'accident, la mise en place d'un plan de secours a, semble-t-il, pu être menée à bien par les autorités locales.
p.7
7. Voir note 5.

6. impact biologique
(de notre envoyé spécial à Harrisburg) 
     Nous présentons ici des informations recueillies auprès de la NRC, de l'Institut de Politique de l'Environnement et des Docteurs K.Z. Morgan et D.E. Sternglass.

1. Mesures effectuées
     La dose collective subie par la population lors de l'accident est fort mal connue. En effet, les seules données relatives aux deux premiers jours viennent de 17 dosimètres thermoluminescents (TLD) mis en place trois mois auparavant par l'exploitant. Ces dosimètres, pour la plupart hors du trajet du panache radioactif, ne sont pas sensibles au rayonnement bêta. Or le xénon 133 est surtout émetteur bêta. Par ailleurs, les doses mesurées ne concernent que l'irradiation, et non une contamination éventuelle.
     L'Agence de Protection de l'Environnement n'a pu commencer les mesures aériennes que 48 heures après le début de l'accident. La radioactivité mesurée était alors de 5 à 10 fois la radioactivité naturelle. 
     Actuellement 37 TLD sont en place.

2. Estimation des doses 
Doses aux travailleurs 
     Ce sont les moins mal connues. Douze travailleurs ont reçu des doses comprises entre 1 et 4 rem dès le début de l'accident (la dose maximale autorisée pour un travailleur du nucléaire est de 5 rem par an). D'autres doses ont été et continuent à être reçues au cours de diverses interventions: par exemple, changement des fiItres à iode (qui semblent avoir bien fonctionné).

Dose collective à la population 
     La dose individuelle intégrée par un individu au point le plus critique est estimée à 100 millirem par la NRC. 
     L'estimation de la dose collective est passée successivement de 1.800 à 2.500, puis enfm à 3.500 homme x rem (dernière estimation en date du 18.4.1979). 
     Si cette dose vient des indications des TLD sans tenir compte du rayonnement bêta, elle est sous-estimée d'un facteur 5 environ. 
     Une dose collective entraîne un nombre supplémentaire de cas de cancer, parmi la population soumise aux rayonnements. D'après les premiers travaux, effectués sur de fortes doses, on admettait généralement 6 cancers pour 10.000 homme x rem, soit 2 cancers supplémentaires pour 3.500 h x rem (abrévation de homme x rem). Les travaux récents de Mancuso, Stecart et Kneale sur les faibles doses reçues par les travailleurs de l'usine de retraitement de Hanford conduiraient à multiplier par 10 ce chiffre. Enfm, si la dose réelle est bien de 5 fois supérieure aux 3.500 h x rem officiels, et si on fait confiance aux travaux (fort sérieux) de Mancuso, on arrive à 100 cancers supplémentaires. 
     Il n'est évidemment pas possible de trancher à l'heure actuelle. Les deux incertitudes sur la dose collective réelle et le rapport cancer/dose obligent à donner une «fourchette» très large: l'accident du réacteur de Three Mile Island fera entre 2 et 100 victimes parmi la population. La seule chose sûre est qu'affirmer que cet accident n'aura pas de conséquences est un mensonge (un de plus ... ).
p.8a

7. petite revue de presse
     Il nous a semblé intéressant de reprendre quelques extraits des multiples déclarations de quelques-uns de nos nucléocrates français. 
     Nous avons dû en oublier beaucoup d'autres toutes aussi réjouissantes les unes que les autres, mais nous pensons que l'échantillonnage donne bien les grandes lignes de l'ensemble.

GIRAUD
2.04.79
     «... A première vue je ne vois pas de raison de bouleverser notre programme. Après l'accident d'Harrisburg, l'électricité d'origine nucléaire apparaît aussi nécessaire à notre équilibre énergétique qu'elle l'était avant. Et du point de vue de la sécurité, il faut tout de même rappeler qu'il n'y a pas eu la moindre victime à Harrisburg, bien que l'accident ait été du type le plus grave et le plus dangereux qui puisse arriver à une centrale
     «Ces problèmes sont étudiés site par site. Mais il ne faut pas exagérer les dimensions de la zone qui, même dans les cas les plus graves, serait affectée"

Le Matin
5.04.79
     «La nécessité du programme n'est aucunement modifiée par l'accident de Three Mile Island, mais nous continuerons à y apporter le meilleur soin en matière de sécurité
Le Matin
3.04.79
     «Un accident de ce type est pris en compte dans la conception des centrales françaises. Nos centrales doivent pouvoir contenir des émissions de radioactivité même dans le cas de tels accidents. De plus, la centrale américaine comporte un appareil qui s'est avéré défaillant et qui est très différent sur les centrales françaises
Le Monde
2.04.79
     «Rien ne conduit à modifier le programme nucléaire français. Seuls les faits comptent. Ce n'est pas avec des arguments irrationnels que l'on mène une politique»
Libération
25.04.79
     «Nomination de 6 experts + analyse devant le Sénat
suite:
     «Les conséquences de l'accident sur l'environnement ont été pratiquement nulles.» «Il n'est apparu aucun élément de nature à modifier notre attitude à l'égard des centrales à eau légère du modèle utilisé en France ou à remettre en cause notre doctrine en matière de sûreté nucléaire.» «On doit d'ores et déjà noter qu'il n'est apparu aucun élément de nature soit à modifier notre attitude générale à l'égard des centrales à eau légère du modèle utilisé en France dans les conditions où elles sont exploitées, soit à remettre en cause la doctrine générale adoptée en matière de sûreté nucléaire, et notamment le principe des barrières successives dont le bien fondé vient d'être confirmé.» «Dans le souci d'assurer la plus large et la plus objective information des Français, le gouvernement mettra en œuvre lorsque les travaux d'analyse et d'interprétation seront suffisamment avancés, la procédure de la communication à la télévision comportant l'utilisation du droit de réponse et du débat contradictoire
Le Matin
7.04.79 (débat à l'assemblée)
     «Nul n'a contesté que le recours au nucléaire soit inéluctable.» «La Communauté Européenne va donner son concours au projet Thermox (réacteur calogène) qui va pouvoir être réalisé
Le Monde
  TANGUY  (IPSN - CEA) (2.04.79) 
     «Nous avons complètement refait l'analyse des problèmes de sûreté et de sécurité de la filière comme si les Américains ne l'avaient pas fait eux-mêmes.» «Il faut revoir les analyses prévisionnelles de risques.» «... Car EDF a eu la sagesse de choisir un réacteur standardisé et de porter tous ses efforts sur une seule et même technique
Le Matin
Christian GERONDEAU (Directeur de la Sécurité Civile et routière) (2.04.79) 
     «Ces plans sont en cours d'élaboration à l'échelon local. Nous sommes dans une phase de transition au plan de l'information nucléaire
Le Figaro
KOSCIUSKO-MORIZET (3.04.79) 
     «... Si des enseignements sur la sécurité montraient la nécessité de modifier certaines dispositions, celles-ci seraient instantanément modifiées dans toutes les centrales françaises.»
     « ... Modifications de détail: car ce sont des détails qui sont en jeu.»
Le Monde et Libération
p.8

25.04.79:
     «Le directeur adjoint de la NRC, Harold Dentov, déclare que la probabilité pour qu'un accident similaire se produise à l'avenir dans une centrale Babcock and Wilcox était de 10 %, alors qu'elle n'est que de 1% pour des centrales construites par d'autres sociétés
Le Matin
Raymond BARRE (3.04.79) 
     «C'est un événement considérable ... Il est plus considérable par ses retombées psychologiques que par la réalité technique que nous pouvons observer. Sur cette réalité technique, je ne peux encore rien dire ... Si la centrale de Three Mile Island est du même type que les réacteurs qui sont construits en France, cette centrale présente des caractéristiques techniques très différentes et le scénario qui s'est déroulé aux Etats-Unis ne pourrait se présenter de la même façon en France. Nous avons, en effet, des systèmes de sécurité qui prennent en compte la possibilité de tels accidents techniques et ceci nous met à l'abri de conséquences qui pourraient être considérables
Le Monde
     Question: «Le gouvernement est-il décidé à remettre en question son programme électronucléaire?»
     Réponse: «Ma réponse sera: non. Parce que si la France doit multiplier les mesures de sécurité, elle ne peut renoncer à l'énergie électronucléaire
     A propos des déchets: «jusqu'ici nous avons résolu le problème sans que cela provoque des drames et nous continuerons à le faire...»
     Question : «Où met-on les déchets?»
     Réponse: «En divers endroits
M. LEBLOND 
(Directeur de Fessenheim) (4.04.79) 
     «Au vu des renseignements qui me sont parvenus lundi, je puis affirmer que Fessenheim est à l'abri d'un accident comparable à celui de Three Mile Island."
Le Monde
p.9

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