EDITORIAL / SOMMAIRE
Le 28 mars 1979, à 8 heures
du matin à la centrale de Three Mile Island, s'est produit un événement
dont les conséquences sont loin d'être connues. Ce jour-là,
en effet, est arrivé un accident dans une installation nucléaire
civile, accident non prévu dans la liste des accidents «enveloppes»
«étudiés?» par les autorités de sûreté
et dérivant de l'enchaînement, estimé très improbable,
d'une défaillance de matériel, d'une faute de maintenance
non prévue à la conception, de deux erreurs de conception
(au moins) et de la non-validité de la «procédure de
conduite » fournie aux opérateurs.
D'une certaine façon tout le monde savait que ceci arriverait un jour, très exactement le jour où un grand nombre de réacteurs nucléaires seraient en service, et chacun savait qu'alors une page serait tournée. En schématisant, on peut dire que cet événement peut avoir, selon la façon dont le recevra l'opinion publique, deux conséquences: soit la remise en cause de l'utilisation pacifique (?) de l'énergie dc fission, soit au contraire son acceptation quasi définitive par la société. En effet, d'un côté, on avance que toute entreprise industrielle a sa part de risques et que, en comparaison l'industrie nucléaire a fait la preuve de son haut degré de sécurité, de l'autre on constate que divers principes de sûreté ont finalement été mis en échec: rupture ou contournement des trois barrières, à cause du principe de défaillance unique adopté pour définir les scénarins d'accidents enveloppes, impossibilité de prendre en compte les différentes possibilités pour définir a priori une séquence accidentelle, etc. Nous n'entrons pas ici dans le débat «Pour ou Contre l'énergie nucléaire». Le débat n'est pas entre le mal ou le bien, chacun des termes recouvrant l'une ou l'autre opinion. La question qui est de fait posée par l'accident d'Harrisburg est plutôt quels risques écologiques, économiques, sociologiques, politiques, nous font courir les différentes sources d'énergie. C'est une interrogation plus profonde sur l'avenir, sur ce qui est acceptable par chaque société et ce qui ne l'est pas. C'est d'abord la question du pouvoir: qui impose le choix, qui décide de ce qui est acceptable ? au nom de qui ? Et cela commence dès la question de la nécessité et de la possibilité, de l'information du plus grand nombre. Aux Etats-Unis, les informations se succèdent, très rapidement, des mesures sont envisagées pour les autres centrales du même type ou de type similaire, la NRC, les constructeurs, exploitants, engagent des études remettant en cause la conception actuelle de la sûreté des centrales nucléaires. (suite)
|
suite:
En France, la satisfaction de soi, la béatitude ou l'indifférence semblent régner au niveau des instances dirigeantes. On confirme l'engagement accéléré de tranches supplémentaires (celles que l'Iran avait commandées puis annulées)! Reconnaissons que la situation française est assez particulière. Notre pays a engagé un pari tellement important pour son avenir que les autorités semblent déjà condamnées à la fuite en avant sous peine de catastrophe économique à court terme. Regardons de plus près: le programme français est basé sur une seule technique avec un seul constructeur, et prévoit la mise en service d'une tranche nucléaire tous les deux mois dans les années à venir. On ne construit plus que ce type d'installation pour la fourniture de l'électricité. Actuellement, une trentaine de tranches sont engagées. Et s'il faut tout arrêter pour réviser, modifier, maintenant ou dans quelques années parce que telle défaillance, tel accident est beaucoup plus probable que prévu ? On voit ce qu'il peut en être avec la situation des D.C. 10... Alors, c'est le pari, la tête dans le sable. Vis-à-vis de l'exportation, si nous voulons nous ouvrir d'autres marchés que l'Afrique, il faut montrer que chez nous il n'y a pas de problèmes, que les « Américains » sont des ânes, que notre technique est au point ! Plus le temps passe, plus le système tend à devenir irréversible. Il faudra accepter le nucléaire et les risques quels qu'ils soient. L'avenir ne serait d'ores et déjà plus à choisir mais à subir Bien entendu, il est bien clair pour les décideurs, que l'opinion publique est manipulée par les mass média au nom du sensationnel et que la question est trop importante, trop fondamentale pour que l'on puisse admettre que «les gens »décident. Le nucléaire, c'est trop compliqué ! Libéralisme avancé et marche vers le socialisme, inflation, politique internationale, mécanismes économiques, tout ceci est bien sûr très simple donc on peut le laisser au jugement de chacun, mais le nucléaire, jamais ! Au nom de la technique et de la rationalité ! Qu'est-ce donc que le nucléaire, sinon une technique, de mêrne que tout le reste. Il est encore temps que les Français soient informés des risques qui sont pris en leur nom. Il faudrait enfin que soient connus les termes de l'incroyable pari économique engagé et peut-être déjà perdu. Allons, messieurs, mesdames, les décideurs du gouvernement, d'EDF, des grands corps et des grandes administrations, il est plus que temps que vous demandîez aux Français ce qu'ils pensent de tous vos calculs ! Si vos dossiers (existent-ils d'ailleurs ?) sont si bons que vous le dîtes, qu'avez-vous à perdre, rien qu'un peu de temps? Alors? p.1
|