En mars 1977, la Gazette Nucléaire N°7 était consacrée à la prolifération de l'arme nucléaire. Parmi les pays sur lesquels nous attirions l'attention, se trouvent le Pakistan, l'Irak et l'Afrique du Sud. Malheureusement, les faits nous donnent raison, comme on en jugera: Pakistan tout d'abord, qui s'acharne à construire une bombe atomique - soit au plutonium, malgré les réticences tardives de la France, qui avait commencé à construire une usine de retraitement au Pakistan - soit à l'uranium enrichi (achat par le Pakistan de pièces détachées pour un dispositif d'ultracentrifugation). Selon les services de renseignement américains, la première expérience d'explosion nucléaire pourrait avoir lieu à la fin de 1981. Nous écrivions, dans la Gazette numéro 7: «Il est probable que l'URSS ne peut admettre l'armement atomique du Pakistan, voisin de ses frontières et allié de la Chine et des Etats-Unis. Il est clair que si les pressions diplomatiques ne suffisent pas, il existe d'autres moyens plus rudes mais plus efficaces d'empêcher ces projets de se réaliser.» Personne apparemment n'a émis l'hypothèse que si l'URSS a envahi l'Afghanistan, c'est pour pouvoir, le moment venu, détruire les installations nucléaires du Pakistan à l'occasion d'un incident de frontière bien préparé... Selon le Washington Post, Moscou et Washington auraient, en août 1978, coopéré pour empêcher un essai nucléaire de l'Afrique du Sud dans le désert du Kalahari. Mais ils n'ont pu empêcher l'essai qui a eu lieu (selon toute probabilité) dans l'Océan Indien, le 22 septembre 1979. En ce qui concerne l'Irak, nous écrivions, dans cette même Gazette: «Les 12 kg d'uranium 235 du réacteur que la France projette de vendre à l'Irak ne peuvent à eux seuls servir à faire une bombe, la masse critique de l'uranium 235 étant de 15 kg; mais, étant donné les nécessités d'un rechargement fréquent, l'Irak pourra peut-être avoir les quantités nécessaires à la fabrication d'une bombe.» Depuis, ce réacteur a eu une histoire mouvementée. En janvier 78, les Etats-Unis faisaient pression sur la France pour qu'elle renonce à la vente. A la suite de quoi la Françe proposait à l'Irak, au lieu du combustible enrichi à 93% en uranium 235, un combustible à 7%, impropre à la fabrication de la bombe, et baptisé «combustible caramel». Refus sec des Irakiens pendant l'été 1978. Le 6 avril 1979, la cuve du réacteur destiné à Bagdad était plastiquée dans les chantiers de La Seyne, près de Toulon. L'attentat, oeuvre de professionnels, était généralement attribué aux services secrets israéliens, avec la probable complicité de certains milieux proches du pouvoir en France. Mais que pouvons-nous refuser à un pays qui nous fournit 23% de notre pétrole? (suite)
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La décision de livraison du réacteur (baptisé «Osirak») était maintenue, et les travaux de construction des batiments destinés à l'accueillir se poursuivaient à Tamuz, à 30 km de Bagdad. Le 14 juin 1980, un ingénieur à la commission atomique irakienne, M. Yahia el Meshad, était mystérieusement assassiné dans son hôtel à Paris. Le 7 août 1980, un homonyme de M. Jean-Jacques Graf, ingénieur du CEA, travaillant sur Osirak, voyait son domicile plastiqué. L'attentat était revendiqué par un «Comité de sauvegarde de la révolution islamique». Les sociétés françaises qui, telles Technicatome, travaillent à ce projet recevaient des menaces du même «Comité islamique iranien» (couverture probable des services secrets israéliens). Le 7 août toujours, à Rome, attentat contre la société SNIA-Techint qui, elle aussi, fournit du matériel nucléaire à l'Irak. Mais les quelques kg d'uranium enrichi étaient quand même fournis à l'Irak peu après. Le 23 septembre, à l'aube, les chars irakiens pénétraient en Iran. Les Israéliens conseillaient peu après aux forces armées iraniennes de bombarder les installations nucléaires de l'Irak. Le 29 septembre, des chasseurs-bombardiers «Phantom» non identifiés (iraniens ou israéliens) bombardaient le centre d'«études» nucléaires de Tamuz, d'où un début de panique à Bagdad. Israël et l'Iran devaient dire chacun, par la suite: «Ce n'est pas moi; c'est l'autre!». Depuis ce bombardement, l'uranium est entièrement aux mains des Irakiens (il n'est resté à Tamuz que 7 techniciens français, au lieu de 100). Il faut faire deux remarques à ce sujet: - ni l'Iran, ni Israël n'ont intétêt à ce que l'Irak se dote d'une bombe atomique. L'Irak, en effet, peut soit détourner les charges neuves d'Osirak à leur arrivée, soit irradier de l'uranium 238 placé au voisinage de la charge, et ensuite retraiter cet uranium 238 de façon à en extraire le plutonium 239 qui s'y sera formé. A cet effet, l'Irak a acheté à l'Italie une «cellule» chaude pour examen et manipulation des éléments irradiés; - par ailleurs, dans le cadre d'un conflit armé, l'Iran (ou Israël) pourra avoir intérêt à bombarder Osirak lorsque celui-ci aura fonctionné quelque temps, de façon à ce que les produits de fission radioactifs formés se répandent dans l'environnement et contaminent la région de Bagdad. Signalons, à ce sujet, que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les centrales nucléaires françaises ne peuvent pas resister à un bombardement classique important (utilisant par exemple des bombes d'une tonne de T.N.T. ou des bombes à charge creuse et effet directionnel). Ce qui vient de se passer en Irak montre l'extrême vulnérabilité dans laquelle nous place le développement du nucléaire. p.9
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