La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°48/49
LA FACE CACHEE DE L'INFORMATION
6. A PROPOS DES ESSAIS NUCLEAIRES AMERICAINS


     Des procès sont actuellement intentés au gouvernement fédéral des États-Unis au nom des 460 victimes de leucémie et autres formes de cancer, afin de définir si la maladie qui les touche est due aux essais nucléaires du Nevada des années cinquante.
     Au cours de ces procès diverses révélations ont été faites sur les méthodes du gouvernement. Les témoignages sont très édifiants. Cette controverse vient d'être publiés dans Science vol. 218 (8 oct. 1982), sous titre: «Atom bom Tests Leave Infamous Legacy».
     Voici quelques extraits (traduits) de cet article:
     «Dans une déposition extraordinaire, le juge fédéral A. Sherman Christensen a déclaré récemment que le gouvernement fédéral des États-Unis a commis une fraude envers son tribunal en 1956 à propos de la mort de milliers de moutons du Nevada et de l'Utah. Il apparaît de façon claire et évidente, dit le juge, que les agents du gouvernement ont déguisé ou travesti la vérité, que les témoignages ont été utilisés abusivement, que des informations décisives ont été volontairement soustraites ou maquillées et que... par ces méthodes les jugements du tribunal ont été manipulés à l'avantage du gouvernement.
     Le but de la tromperie gouvernementale est apparemment d'éviter que l'on puisse établir un lien entre la mort des moutons et des irradiations occasionnées par les tests nucléaires atmosphériques qui battaient alors leur plein sur le site du sud du Nevada. Quand le gouvernement a gagné, les officiels de la Commission de l'Ënergie Atomique (AEC) ont sans doute pensé qu'ils avaient définitivement réglé la question.
     Ce dont ils ne pouvaient pas se douter c'est que, trente ans plus tard, un employé de haut niveau du département de la Défense se manifesterait et balaierait tout, après avoir, en prenant sur son temps libre, étudié attentivement les archives et les calculs de scientifiques.
     La Némésis de l'AEC est Harold Knapp qui y a travaillé et qui est reconnu couramment comme expert national des effets des armes nucléaires. Actuellement Knapp est conseiller technique de l'Agence de Communication de la Défense et travaille sur l'étude, le développement et la vérification des systèmes de communications militaires qui doivent rester opérationnels lors d'une attaque nucléaire.
     Les efforts de Knapp ont été tout à fait reconnus par les citoyens de l'Utah ainsi que des politiciens incluant le gouverneur Scott Matheson, mais l'ont soumis à l'hostilité de quelques anciens de l'AEC qui préfèreraient que ces événements soient oubliés. Tout ce qui concerne cette controverse a été archivé en de volumineux dossiers qui ont été utilisés pour cet article.
     Le gouvernement court un très gros risque. En effet, une des affirmations de Knapp que le gouvernement est négligent et scientifiquement irresponsable pourrait s'avérer grave pour certains membres du département de l'Énergie qui ont soutenu fermement la position de leurs prédécesseurs de l'AEC. Les jugements pourraient aussi avoir un très gros impact économique.  Une étude fédérale portant sur les compensations dues pour maladie liée à des irradiations a, en 1980, averti que le litige entraîne «le risque de précédents juridiques qui pourraient être nuisibles au gouvernement dans le cas d'autres litiges en matière de radiations et substances toxiques». Une victoire des victimes du cancer coûterait de l'ordre de 2 milliards de dollars. Mais il faut aussi ajouter des paiements aux milliers de soldats qui affirment avoir des blessures liées aux tests et probablement à d'autres victimes exposées à des radiations lors d'activités fédérales.
     Il n'est donc pas étonnant qu'on ait tenté vigoureusement de réfuter les affirmations des plaignants. En bref, la défense gouvernementale est que l'évidence d'un lien entre les retombées et les effets sur la santé n'est pas prouvé. Les représentants fédéraux soutiennent, par exemple, que les moutons, morts subitement en 1953 après avoir été exposés à des radiations, sont en fait les victimes du mauvais temps, de la malnutrition, d'un empoisonnement par les plantes toxiques ou d'un virus.
     Ils soutiennent aussi que les leucémies détectées en 1960 dans le sud de l'Utah et le nord de l'Arizona par Clark Heath, un scientifique fédéral, sont dues simplement à des fluctuations statistiques. Ils soutiennent enfin qu'il faut plus de recherches pour déterminer, s'il y a excès de cancer dans l'Utah, en dépit d'une publication de Joseph Lyon, épidémiologiste de l'Université de l'Utah qui affirme cet excès.
     En 1982 la ligne gouvernementale est essentiellement la même qu'en 1950, à savoir que l'exposition aux radiations venant des retombées est en dessous des normes fédérales (5 rads pour les travailleurs du nucléaire) et par conséquent sans danger. Les affirmations faites par les scientifiques nucléaires Edward Teller, Ernest Lawrence et Merill Eisenbud sont présentées maintenant par les agents fédéraux, les vétérans de l'Administration et quelques scientifiques des laboratoires nationaux d'armement. (Lawrence et Los Alamos).
suite:
     Les données utilisées pour appuyer ces rapports ont été consignées par un corps de contrôleurs envoyés par l'AEC après chaque tir du Nevada, à la fois pour contrôler les retombées locales et supprimer l'inquiétude des populations. Des appareils de détection ont été placés en différents points précis, des films dosimètres ont été distribués pour déterminer l'exposition individuelle. Le résultat est une assez forte exposition g liée aux retombées. Selon le gouvernement, ces enregistrements montrent que seulement quelques personnes - 19 pour être précis - ont été exposées à plus que 5 rads, tandis que 160.000 ont été exposées à moins de 1 rad et 11.000 ont reçu entre 1 et 5 rads. Un groupe interorganisme mis en place par le président Carter et présidé par un représentant du département de la Justice a estimé que ces expositions étaient suffisantes pour provoquer entre 19 et 96 cancers, dont 6 à 32 mortels.
     Donc, dans le cadre de la santé publique, le risque ajouté pour les populations directement affectées par les retombées est très faible, a conclu le groupe. Le procès intenté au gouvernement est fait au nom des 460 victimes de leucémie, du mal de Hodgkin et autres formes de cancer. Pour mettre en cause le gouvernement, il leur faut montrer que les irradiations sont plus fortes que celles admises officiellement».
     Voici maintenant le témoignage de Knapp sur les moutons:
     «... Peu de temps après les tests Nancy et Harry, deux bombes à haut rendement, pendant l'été 1953, les fermiers se sont aperçus que les moutons broutant au nord et au sud du site présentaient des brûlures dues aux radiations. Quelques moutons ont perdu des plaques de laine et après une courte période, 2.000 brebis et 2.200 agneaux sont morts. L'AEC a lancé immédiatement une enquête et six mois plus tard a conclu que - sur la base des informations actuellement accessibles, il est évident que les tests nucléaires ne sont pas en cause - les moutons ne sont pas morts à cause des radiations g ou b parce que les doses sont trop faibles, a dit l'AEC. Et ils ne sont pas non plus morts d'une dose excessive à la thyroïde parce que ceci entraîne une mort lente. Aucune autre explication n'a été fournie mais il a été suggéré que la malnutrition ou des problèmes liés à la gestation pouvaient être en cause.
     Knapp était présent lors de la déposition des bergers et il a emporté chez lui les données de l'AEC. Il a immédiatement remarqué que l'on n'avait pas pris en compte le fait que les moutons étaient morts à cause de l'ingestion de fourrage contaminé. Il s'est mis à enquêter dans les trois bibliothèques fédérales et, utilisant tout son temps libre, il a sorti quinze mois plus tard une analyse de 620 pages sur le comment de la mort des moutons. Ses conclusions sont que les moutons exposés à 4 rads en g externe ont reçu une dose entre 1.500 et 6.000 rads au tractus gastro-intestinal. Il a estimé la dose à la thyroïde des agneaux fœtus entre 20.000 et 40.000 rads.
     Knapp a conclu que de telles doses sont largement suffisantes pour entraîner la mort. Mais il a aussi découvert un document prouvant que les doses pouvaient être plus élevées. Un rapport de l'état-major de l'AEC au moment de la mort des moutons indiquait que les relevés des niveaux des radiations dans la laine des moutons au voisinage de Cedar City dans l'Utah étaient environ 2 à 4 mrems au-dessus du fond. Mais le rapport permettait de s'apercevoir que les mesures avaient été faites 25 à 26 jours après Harry, le second des tirs. En prenant en compte la décroissance des produits de fission, Knapp a calculé une dose g entre 38 et 169 rads et pas les 4 rads, ce qui pouvait être expliqué par des retombées non uniformes.  Kenneth Nagler, un ancien spécialiste des retombées du Service National de la météorologie affirme l'existence de telles accumulations. C'est dû, dit-il, à des effets locaux, en particulier le vent qui modifie les retombées. Il y a une chance non négligeable de ne pas voir le phénomène parce qu'il n'y a pratiquement pas d'enregistrement dans les pâturages. Et en plus, il y a une tendance à écarter les enregistrements élevés. Frank Buttica, un contrôleur de St-George, admet qu'il n'a pas pris de tels enregistrements parce que cela aurait renforcé ses doutes»...
     Voici les conclusions de Knapp:
     «Dans les documents du Congrès, Knapp a reconnu qu'il ne peut pas prouver de manière rigoureuse (...) que les retombées sont l'unique cause des morts ou la cause primaire (...) simplement les retombées sont l'explication la plus simple de la cause primaire de ces morts...» Il appartient au gouvernement, a-t-il dit, de montrer que certaines choses ne se sont pas produites. Ceci est particulièrement vrai s'il y a de bonnes raisons de soupçonner le gouvernement d'avoir été délibérément trompeur ou incompétent ou les deux à la fois, en présentant les faits.
     Voici la conclusion de l'article:
     «... Le système américain des armes nucléaires n'est pas tendre avec ceux qui ne suivent pas les positions officielles.
     Gofman et Tamplin dont les travaux ont utilisé les études initiales de Knapp sur la contamination du lait, ont été exclus de travaux liés à l'armement, d'après leurs propres dires. Mais la situation de Knapp est différente. Il est du bon côté: ses affirmations ne concernent que l'étude d'événements qui se sont produits il y a vingt ou trente ans. Son intention n'est manifestement pas de faire de l'agitation, mais de corriger l'histoire»...
p.16

7. OU L'ON REPARLE D'OSIRAK

     Voici un extrait du Point du 11 octobre 1982.
Paris-Bagdad: «caramel» édulcoré
     Accord conclu entre Paris et Bagdad sur la reconstruction du réacteur nucléaire expérimental détruit à Tammouz par les Israéliens. Les Irakiens ont renoncé à exiger la fourniture d'un combustible hautement enrichi et ont accepté les propositions françaises. L'uranium utilisé sera moins riche encore que le «caramel» et ne serait donc susceptible d'aucune utilisation militaire. Paris a estimé que la mise en œuvre de cet accord ne pourrait commencer qu'après la fin de la guerre Irak-Iran.
Le Point, 11 octobre 1982 p. 72 
     La conclusion est claire: quels qu'aient été le travail que nous avons fourni, les mémoires que nous avons rédigés, les entrevues jusqu'au niveau de l'Elysée, le CEA a donc gagné.
     Nous vous avions présenté dans la Gazette N°45 le dossier OSIRAK rédigé à la suite des réunions avec PUGWASH-FRANCE, peu avant l'attaque du site irakien de Tamuz.
     Tous les démentis officiels, toutes les déclarations souvent fort contradictoires n'ont jamais, en définitive, infirmé le fait qu'un réacteur de 70 MW thermique pouvait produire dans une couverture suffisamment de Pu pour qu'un pays qui le désire se dote en deux ou trois ans de l'arme nucléaire.
     Les seuls argumentaires «sérieux» portaient sur un contrôle de l'AIEA et la présence permanente pendant plusieurs années de techniciens français. La déposition d'un contrôleur de l'AIEA devant une commission du Sénat américain avait fortement ébranlé le premier argument.
     Le second semblait ignorer qu'il n'y a pas d'exemple où un régime politique quel qu'il soit n'ait éjecté des ressortissants étrangers qui le gênent pour parvenir à ses fins. A ce moment est apparue sur le marché une nouvelle fable, celle du combustible non proliférant: caramel! Cela a été orchestré par le CEA à coups de communiqués de presse - Une belle «intox»!

     Nous avons rédigé un nouveau mémoire et le bon-sens aidant, convaincu trois académiciens des Sciences de la logique de l'argumentaire. Puis, ce mémoire (que vous pourrez lire ci-après) fut aussitôt envoyé à la présidence de la République.
     Voici donc la réponse: La France, par ce genre d'opération, compte rester en tête du peloton des responsables de la prolifération nucléaire militaire, quoi qu'elle affirme.
OSIRAK ET CARAMEL

1. CARAMEL et la prolifération
     De nombreux commentaires et informations ont paru récemment dans la presse suggérant que la substitution du combustible «Caramel» à l'uranium très enrichi «assure l'utilisation exclusivement pacifique» du réacteur Osirak dont la reconstruction éventuelle est à l'étude, un journal allant jusqu'à parler de «garantie absolue»(1) et une dépêche de l'AFP rapportant de «très bonne source» que la composition de Caramel «exclut totalement son utilisation à des fins militaires»(2). Ainsi risque d'être accréditée dans le public l'idée que l'acceptation par l'Irak de la fourniture de Caramel éliminerait ipso facto tout risque de prolifération nucléaire. Le Président de la République a maintes fois proclamé(3) et réaffirmé encore tout dernièrement(4) sa ferme volonté de s'opposer à toute exportation, où que ce soit, qui ne présenterait pas «la certitude de la non-utilisation militaire». Compte tenu des aspects très techniques en jeu, le problème de l'expertise technologique indépendante et celui de l'information scrupuleusement juste du pouvoir politique comme du public se pose avec une acuité particulière pour le respect de la volonté présidentielle.


(1) Le Matin, 15.1.1982 
(2) AFP, 14.1.1982 
(3) Le Monde, 19.6.1981 
(4) Le Monde, 6.3.1982 
p.17

     Osirak était une « pile piscine» du type le plus puissant qui existe, de même type qu'Osiris (situé à Saclay) dont la destination normale était l'étude du comportement sous irradiation intense prolongée de matériaux de structure pour la conception et la construction de centrales nucléaires de puissance (MTR dans la nomenclature anglo-saxonne), et qui devait fonctionner avec des charges de 13 kg de combustible enrichi à 93% en uranium 235, durant chacune quatre mois(5). C'était donc un réacteur de caractère plus technologique que scientifique en dépit de l'adjonction d'un système d'extraction de faisceaux de neutrons qui ne modifie pas fondamentalement les potentialités du réacteur. Deux risques de prolifération étaient liés à Osirak: celui du détournement de son usage pacifique du combustible hautement enrichi qui constitue par lui-même un explosif nucléaire, et celui de la production de plutonium, autre explosif nucléaire, par l'irradiation d'une "couverture" d'uranium naturel disposée à la place des échantillons de matériaux de structure(6).
     Dans le contrat liant la France et l'Irak à l'origine, la fourniture de six charges, soit 80 kg, était prévue. La livraison en une fois de cet uranium de qualité militaire aurait pu permettre à l'Irak de construire, en le détournant, plusieurs bombes atomiques(6). Après la décision du président Giscard d'Estaing en mars 1978 de ne livrer le combustible que charge par charge, au fur et à mesure qu'il est consommé (13 kg à la fois, en principe insuffisants pour fabriquer une bombe atomique), ce danger de détournement direct a été écarté. La voie de production de la bombe atomique à partir d'uranium enrichi était de cette façon aisément contrôlable; c'était donc une voie improbable car (sauf dans l'hypothèse de la livraison complète des 80 kg) toute tentative de détournement aurait conduit, sans contrepartie valable, à l'arrêt du réacteur donc à l'interruption du programme de formation des spécialistes et de la mise en place de l'infrastructure nucléaire ambitionnée en tout état de cause par l'Irak(8,9). D'ailleurs les Israéliens n'ont attribué qu'une importance très réduite à cette voie(10).
     Le passage à Caramel n'a donc d'autre effet que de fermer cette voie improbable, l'accès à l'autre voie, celle du plutonium restant inchangé. En effet, Caramel ne contient que 7% d'uranium 235 et ne peut former par lui-même un explosif nucléaire (voir la note technique). En revanche, chargé avec Caramel, le réacteur fonctionne normalement et comme la voie plutonium consiste à exploiter ce fonctionnement normal, que le combustible placé dans le cœur soit de l'uranium très enrichi ou Caramel, cela produit, pour ce qui est de cette voie, le même effet.
     Nous ne discuterons pas ici de la capacité de production potentielle de plutonium externe au combustible par Osirak, ni l'efficacité d'éventuels contrôles, étudiées en détail dans un rapport remis au Président de la République au lendemain de l'attaque d'Osirak et paru dans Les Temps Modernes(6): les chiffres varient selon les sources et les méthodes d'estimation(7) mais les valeurs inspirent en tout état de cause l'inquiétude. Voici quelques chiffres avancés, entre autres, sur la production annuelle potentielle de plutonium d'Osirak: 3,3 kg d'après la conférence de presse du 15 juin 1981 du CEA(11); 5 à 10 kg d'après la référence (6); 8 kg d'après le directeur de l'Agence de l'ONU chargée des contrôles internationaux(9); 10 kg d'après le porte-parole du CEA, début 1981, selon la référence (7). On admet qu'il faut environ 6 kg de plutonium pour fabriquer une bombe atomique(6)..
     On peut noter cependant, pour ce qui est des contrôles internationaux actuels qu'une commission spéciale du Sénat américain a conclu à leur inefficacité pour ce type de réacteurs(l2). Le risque a en tout cas été jugé suffisant pour que même les Soviétiques, la Syrie, les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite (au début au moins pour cette dernière)(7) s'en inquiètent. Nous insistons seulement ici pour dire que dans le cas du combustible très enrichi comme dans celui de Caramel, le problème se pose dans les mêmes termes.
(5) Notice du CEA sur Osiris, janv. 1976. 
(6) Les diverses voies possibles pour parvenir à une utilisation non pacifique d'Osirak et l'ensemble des problèmes que cela pose ont été étudiées en détail dans un rapport paru dans Les Temps Modernes, sept. 1981, sous la signature de G. Amsel, J.P. Pharabod et R. Sené.
(7) The Islamic Bomb, S. Weissman et H. Krosney, Times Book, janv. 1982. 
(8) Francis Perrin dans France-Soir, 5.8.1980. 
(9) M. Eklund, directeur de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, Bulletin de l'AIEA, sept. 1981. 
(10) Livre blanc israélien destiné à l'ONU, sept. 1981. 
11) La presse du 16.6.1981; voir à ce sujet la discussion de la réf. (6) p.412. 
(12) New York Times, 1.12.1981. 
suite:
     En dehors de sa valeur symbolique très importante, le passage à Caramel ne change donc en rien les données fondamentales, si ce n'est que cela débarrasse la France et du souci de contrôler avec rigueur le devenir avant irradiation du combustible hautement enrichi et de la nécessité d'étager avec soin les fournitures, ce qui pourrait l'exposer à d'éventuels chantages. A ce titre Caramel représente une commodité pour la France. Dire qu'a priori le faible enrichissement de Caramel «exclut totalement son utilisation à des fins militaires», c'est jouer sur les mots: c'est vrai s'il s'agit d'utiliser le combustible comme matière première de la bombe; c'est totalement faux si on l'utilise pour faire fonctionner un réacteur exploité par ailleurs pour produire de l'explosif nucléaire. Dans le cas d'Osirak, présenter le passage à Caramel comme la solution radicale du problème de la prolifération ou même comme un progrès appréciable est UN LEURRE

2. CARAMEL: quelques données techniques
     «Caramel» est un combustible mis au point pour les réacteurs à haut flux de neutrons, constitué d'oxyde d'uranium enrichi en uranium 235(1) (7% dans le cas d'Osiris, réacteur situé à Saclay qui a servi de modèle à Osirak), qui n'est pas par lui-même un explosif nucléaire, contrairement à l'uranium très enrichi. Depuis octobre 1979 Osiris fonctionne à pleine puissance avec Caramel, qui donne complète satisfaction(2). Sauf pour la première charge, Caramel n'est pas plus cher que l'uranium très enrichi car son coût de fabrication plus élevé est compensé par le coût plus bas de son enrichissement réduit(2) (d'autant que les Américains refusant de fournir à la France de l'uranium très enrichi destiné à l'Irak, il fallait produire celui-ci avec un prix de revient plus élevé dans l'usine de Pierrelatte qui fournit l'uranium militaire français)(3). Pour Osirak les caractéristiques de Caramel se présentent favorablement par rapport à celles d'un combustible à l'uranium très enrichi. Ce dernier est en effet constitué d'un alliage uranium-aluminium plaqué d'aluminium; la grande surface d'aluminium correspondante qui vient s'ajouter à celle de l'aluminium de structure, en contact avec l'eau de refroidissement forme une source de pollution radioactive au sodium 24, contrairement à Caramel, gainé de Zircaloy(l). Ainsi l'activité totale de sodium 24 dans la piscine est quatre fois plus faible avec Caramel: la présence d'une couche d'eau chaude superficielle a de ce fait moins d'importancel et le fonctionnement par température externe élevée (cas de l'Irak en été) pourrait être facilité. Qui plus est, «le flux de rayons g est réduit par l'autoabsorption des assemblages; ... corrélativement, les échauffements g dans les dispositifs expérimentaux sont réduits»(4). Dans l'ensemble le passage à Caramel présente donc plutôt des avantages pour l'irradiation d'une couverture d'uranium, en aucun cas une difficulté.
     Une charge de Caramel contient 21 kg d'uranium 235 et 280 kg d'uranium 238 (plus 40 kg d'oxygène); elle dure six mois avec un taux de combustion de 50% et un taux d'irradiation de 30.000 MW.jour par tonne(5), irradiation comparable à celle subie par les combustibles des centrales nucléaires. Elle contient alors environ 0,5% de plutonium, soit 1.7 kg(6). On produit donc 3,4 kg de plutonium par an dans le combustible, alors que pour de l'uranium très enrichi ce chiffre n'était que de quelques grammes. Ce plutonium est très difficile à séparer chimiquement vu la très forte activité du combustible. Sa production constitue néanmoins un problème et la question de rapatriement du combustible usé se pose tout autant que dans le cas de l'uranium très enrichi (qui restait très enrichi même après usage), sinon davantage.


(1) Notice du CEA sur Caramel, 1979. 
(2) Information précisée par des ingénieurs de Saclay hautement qualifiés. 
(3) Le Monde, 31.7.1980. 
(4) Notice du CEA sur Caramel (1979) 
(5) Informations précisées par des ingénieurs du CEA. 
(6) Le Monde du 3.7.80.
p.18

A PROPOS DE LA PROLlFÉRATION
      Dans Le Monde du 10 septembre 1982, on pouvait lire un article concernant les négociations franco-indiennes sur la fourniture de combustible pour la centrale de TARAPUR.
     Ces négociations achoppaient sur la question des contrôles que la France voulait appliquer sur les combustibles irradiés.
     Il est vrai que l'Inde n'est pas signataire du traité de non-prolifération et a déjà à son actif, la caractéristique d'avoir ridiculisé l'AIEA.
     Le 18 mai 1974 elle faisait exploser sa première bombe atomique, fabriquée avec du Pu provenant de combustibles irradiés dans un réacteur de recherche à eau lourde de 40 MW livré par le Canada (voir Gazette Nucléaire n°7, 1977). Quand nous avons dit ridiculisé, nous aurions pu dire «avec la complicité de l'AIEA», car le réacteur livré avait quelques canaux vides. Tout le monde savait à l'AIEA et à l'Agence canadienne que l'Inde pourrait mettre dans ces canaux des combustibles hors contrôle... ce qu'elle fit!!!
     Le gouvernement français, à cheval sur ses principes de non-prolifération, décide d'imposer des mesures de contrôle draconiennes sur les combustibles que la France devait fournir.
     Le 24 septembre, comme par hasard, l'URSS proposait à l'Inde de lui vendre une centrale nucléaire...
     Le 9 octobre 1982, le ministère indien des Affaires Extérieures était très ferme: «l'Inde n'acceptera aucune nouvelle condition ...». Un article du Monde du 10-11 octobre précisait que "à l'ambassade de France, les choses paraissent être suivies avec sérénité, et on espère qu'une étude plus approfondie permettra d'arriver finalement à une solution".
     Il est vrai que l'étude avait de bons arguments en réserve car la semaine suivante, notre super-démarcheur en articles de mort, notre ministre de la Défense, examinait avec son homologue indien les divers aspects de la coopération militaire franco-indienne.
     Cela a dû bien se passer car l'Inde a signé, le 16 octobre 82 un contrat prévoyant, entre autres, la fourniture de 40 mirages 2000.
     Et depuis... on n'entend plus parler de clauses draconiennes de contrôle sur les combustibles irradiés.
     Ce n'aura été qu'une déclaration de bonnes intentions de plus qui sera passée à la trappe. Que voulez-vous, l'humanisme ne fait pas le poids face au lobby militaire!
     Nous commençons à en avoir l'habitude à défaut de pouvoir l'accepter.
p.19

Retour vers la G@zette N°48/49