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N°54/55
III - Les bonnes pages du passé

A. Les débats à l'Assemblée nationale autour de la loi «Giraud»



     En février 1979, le ministre de l'industrie, M. André Giraud, déposait un projet de loi «relatif aux matières nucléaires» qui se transforma rapidement en loi sur la «protection et le contrôle des matières nucléaires». Cette loi fut discutée à trois reprises à l'Assemblée nationale, les 26 avril 1979, 22 mai 1980 et 25 juin 1980.
     Certains députés, constatant l'absence d'un débat démocratique sur l'énergie nucléaire, en profitèrent pour poser au gouvernement les questions qu'ils jugeaient importantes.
     Profitant du fait que les journaux officiels qui relatent les débats parlementaires sont encore accessibles au public, nous avons lu les principales interventions. La crainte de certains députés était que, sous prétexte de vouloir éviter les vols de matières nucléaires à des fins malveillantes, I'on promulgue une loi qui accroisse encore le secret sur toutes les questions nucléaires et étouffe encore plus les citoyens désireux de participer à un véritable débat démocratique. Ce sont les raisons essentielles qui, à l'époque, poussèrent l'opposition à voter contre la loi Giraud.
     En février 1983, le gouvernement Mauroy publiait deux décrets qui aggravent encore l'esprit de la loi Giraud.
     Les questions que M. Darinot, député maire de Cherbourg, considéraient comme essentielles pour un débat démocratique, ont-elles été débattues à l'Assemblée nationale? NON.

Déclarations de M. Louis Darinot, député PS, maire de Cherbourg, à la séance du 26 avril 1979 de l'Assemblée nationale

M. Louis Darinot:
     Je traiterai d'abord de la sécurité et de l'information, questions qui sont indissociables. 
     (...) Pourquoi Mme Veil, présidente du conseil supérieur de I'information nucléaire, ministre de la santé, et donc doublement responsable de la protection des populations et des travailleurs de l'industrie nucléaire, n'a-t-elle pas daigné répondre au mémorandum et à la demande d'entretien qui lui ont été adressés au mois de mars 1979 par une dizaine d'organisations syndicales et politiques?
     (...) ll s'agissait pourtant de revendications précises et limitées dans le domaine de l'information et de la protection des travailleurs. Ces organisations souhaiteraient, en effet, discuter d'une amélioration possible dans les quatre domaines suivants, où la situation actuelle ne leur paraît pas satisfaisante: l'information de la population et la levée du secret dans tous les secteurs de l'industrie nucléaire; la prévention des incidents et des accidents dans les installations nucléaires; le renforcement du rôle des comités d'hygiène et de sécurité; le rôle et le fonctionnement du service central de protection contre les radiations ionisantes. (...) 

suite:
La Gazette Nucléaire.
M. Darinot n'intervenant plus sur ces questions, devons-nous en déduire que:
1. Le secret a été levé dans tous les secteurs de l'industrie nucléaire,
2. Le rôle des comités d'hygiène et de sécurité a enfin été renforcé,
3. Le SCPRI fonctionne correctement à la suite d'une profonde réorganisation?


M. Louis Darinot:
     Je rappelle que le gouvernement, pour des raisons purement commerciales, cherche à prendre le maximum de commandes de retraitement de combustibles irradiés et que, dans cette perspective, il veut imposer aux populations l'extension du centre de retraitement de La Hague. 
     Le procédé de retraitement utilisé actuellement n'est pas au point, et la Cogema s'avère incapable de traiter les quantités prévues: moins de cent tonnes de combustibles oxydés de la filière P.W.R. ont pu être traitées en deux ans, alors que la capacité théorique de traitement prévue était de 400 tonnes par an. 
     Toutes les installations de retraitement dans le monde, qui fonctionnent suivant le même procédé, sont arrêtées, à l'exception de l'unité de Windscale, en Grande-Bretagne, qui connaît malgré tout de graves difficultés de fonctionnement. 
     Sur la question fondamentale de notre capacité à retraiter les combustibles irradiés, qui conditionne le développement du programme nucléaire gouvernemental, et en particulier l'intérêt même de la filière du surrégénérateur, on trompe l'opinion publique française, comme on trompe l'opinion publique internationale. Faut-il citer, à ce propos, les interrogations des parlementaires allemands venus à La Hague s'informer des conditions réelles de fonctionnement de cette unité?
     Je vous signale que trois communes voisines du site se sont prononcées, dimanche dernier, contre l'extension des installations nucléaires de La Hague. Cette consultation locale semble avoir rencontré un grand succès. La population demande à s'exprimer sur l'extension exigée par le retraitement des combustibles irradiés étrangers. Un débat national répondrait mieux aux préoccupations de nos concitoyens, mais vous le refusez. Vous porterez ainsi la responsabilité des décisions locales quelles que soient leurs motivations.

 p.12

La Gazette Nucléaire
     Le gouvernement actuel assumerait-il les contrats de retraitement des combustibles étrangers pour des raisons non commerciales, alors que les gouvernements qui signèrent ces contrats n'agissaient que par pur mercantilisme?
     On pourrait le croire en voyant l'acharnement du gouvernement à poursuivre l'extension de l'usine de La Hague, malgré le déficit permanent de la COGEMA. Alors, pourquoi retraite-t-on?
     D'après M. Darinot, le procédé de retraitement en usage en 1979 n'était pas au point. Il nous expliquera peut-être ce qui a été fait depuis pour le mettre au point. 
     On a trompé l'opinion publique sur le retraitement et, le surrégénérateur, dit-il. M. Darinot voulait-il nous révéler par là que la gestion des déchets et la production d'électricité n'ont été que des alibis pour produire avec La Hague et Super-Phénix du plutonium destiné aux armements? Ne serait-ce plus des alibis? Alors pourquoi continue-t-on de retraiter?
     Les maires qui ont organisé des référendums contre l'extension de La Hague et contre le retraitement des combustibles étrangers pourraient peut-être donner leur avis sur la campagne menée actuellement par la COGEMA pour trouver d'autres marchés étrangers. 
     M. Louis Darinot
     Je souhaite également revenir sur l'argumentation par trop simpliste employée par le gouvernement et relayée par les mass-media sur la faiblesse des risques entraînés par l'industrie nucléaire, en particulier sur le peu de danger que présenteraient les rejets d'effluents radioactifs. 
     L'argument massue et dérisoire du Gouvernement reste le suivant: «Le nucléaire n'a encore tué personne».
     (...) Cet argument est d'ailleurs développé par des personnalités régionales importantes dans votre organigramme politique, tel le président du Comité économique et social de Basse-Normandie que j'ai personnellement entendu récemment à la radio - avec l'affliction que vous devinez aisément - comparer les morts du nucléaire à ceux de l'automobile pour en déduire une position sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
     Sur les domaines de la santé et de la survie, en savez-vous, monsieur le ministre, beaucoup plus que nous? Le nucléaire peut tuer, mais il tue différemment. Il tue rapidement ou lentement, mais il peut aussi frapper irrémédiablement notre patrimoine génétique. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas le droit d'esquiver ces problèmes par une pirouette.
     Que savez-vous, que savent les Français des effets à long terme des irradiations à faible dose, (...) des modalités et des effets de la concentration d'éléments radioactifs dans les chaînes alimentaires? Quelles études ont-elles été menées à ce sujet? Pouvez-vous les citer et en donner les résultats?
     Nous exigeons, et la population avec nous, d'être informés sur ces différents points, car la pollution nucléaire est irréversible, et c'est là son danger le plus profond. Il semble qu'on ne puisse espérer une réponse à ces questions, ni du conseil supérieur de l'information nucléaire, ni davantage du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, qui se contente de poser le principe général du contrôle des matières nucléaires par l'administration, dans des conditions qui restent à sa seule discrétion.
La Gazette Nucléaire
     Le ministre actuel de I'industrie connaît-il mieux le problème des faibles doses de rayonnement que M. Giraud?
     Peut-on être assuré que M Darinot va bientôt intervenir pour que les doses maximales admissibles pour les travailleurs et les populations soient réduites afin de réduire «Les effets à long terme» et de protéger «notre patrimoine génétique»?
suite:
Mais cela coûterait cher, vont répliquer les représentants du mercantilisme nucléaire!
     Enfin, peut-on espérer que les institutions actuelles vont fournir des réponses à toutes ces questions pertinentes que M. Darinot a posées?
Déclaration de M. Roger Gouhier, député PC, 
à la séance du 26 avril 1979 de l'Assemblée nationale

     M. Roger Gouhier
     L'idée selon laquelle l'utilisation du nucléaire, comme toute activité industrielle, comporterait des risques me paraît dangereuse dans la mesure où elle ne traduit pas la différence d'ampleur entre les risques liés au nucléaire et ceux des autres activités industrielles. 
     (...) Notre responsabilité serait grande vis~à-vis de notre peuple si nous acceptions l'idée selon laquelle il serait possible de prendre certains risques.
     (...) Nous dénonçons les conditions d'exercice du contrôle de la sécurité. A notre avis, la qualité du contrôle suppose que les personnels concernés puissent largement s'exprimer et faire connaître leur opinion sur les problèmes de sécurité concernant tant les travailleurs des centrales que l'environnement.
     Non seulement les conditions d'exercice démocratique de ce contrôle n'ont pas été élargies, mais elles se réduisent. J'en donnerai quelques exemples.
     Dans les centrales E.D.F., les équipes de radioprotection avaient quelques pouvoirs dans la mesure où elles ne dépendaient pas directement du chef d'équipe des travaux. Il semblerait que l'on veuille supprimer ces équipes.
     (...) De même, les comités d'hygiène et de sécurité n'ont ni les moyens techniques ni les pouvoirs suffisants pour faire respecter les mesures essentielles de sécurité. A notre avis, ils devraient pouvoir faire arrêter tout travail dès que les conditions de sécurité ne sont pas garanties.
     (...) Il faut légalement permettre au personnel du service central de protection contre les radiations ionisantes de donner des informations sur les mesures de radioactivité qu'il effectue.
     (...) Il faut que le gouvernement cesse de se retrancher derrière un secret abusif et que puissent s'exprimer tous ceux qui ont une opinion dans le domaine de la sécurité. La question est trop sérieuse pour être abandonnée à quelques hommes.
     (...) La volonté du gouvernement de faire taire le personnel concerné révèle la peur que soit connue la pauvreté des moyens de protection.

La Gazette Nucléaire.
     M. Gouhier s'est-il assuré que son gouvernement a bien maintenant redonné des pouvoirs aux équipes de radioprotection de l'EDF?
     Hélas, nous attendons encore le décret qui autoriserait les comités d'hygiène et de sécurité à interrompre tout travail «quand les conditions de sécurité ne sont pas garanties».
     Par contre, les décrets renforçant le secret n'ont pas été oubliés. Celui du 10 février 1983 qui devrait rendre muets les fonctionnaires du contrôle de sécurité, celui du 23 février 1983 qui définit les documents administratifs non communicables au public.
     Le gouvernement actuel aurait-il encore plus peur que le gouvernement précédent que soit connue «la pauvreté des moyens de protection»? S'il faut croire M. Gouhier, la multiplication des décrets pour rendre secrètes toutes les activités nucléaires en serait la preuve évidente!
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PROPOSITION DE LOI
tendant à améliorer l'information en matière nucléaire

     (renvoyée à la commission de la production et des échanges à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du règlement).

     PRÉSENTÉE par MM. Paul Quilès, Louis Darinot, Albert Denvers, Hubert Dubedout, Laurent Fabius, Louis Mermaz, Louis Le Pensec, Jean Poperen, Christian Laurissergues, Michel Saint-Marie, et les membres du groupes socialiste (1) et apparentés (2), DÉPUTÉS. (...)
     Article Premier:
     Il est créé une Agence nationale de l'information nucléaire, A.N.I.N., qui reçoit le statut d'établissement public.
     (...)
     Article 3:
     Elle dispose, pour l'accomplissement de sa mission, d'un pouvoir d'information étendu à l'ensemble des installations industrielles, entreprises et administrations, participant directement ou indirectement à l'activité nucléaire du pays, à l'exclusion des informations qui pourraient être couvertes par le secret industriel ou le secret de la Défense nationale.

La Gazette Nucléaire
     L'article 3 montre bien la prévoyance des hommes de gouvernement. La fin de l'article permet à l'avance d'annuler les difficultés que pourrait amener le début de l'article.
     Plus de secrets dans le nucléaire, sauf ceux concernant ses aspects industriels et militaires. Quand ils ont déposé ce projet de loi, MM. Quilès, Darinot... ignoraient-ils que le nucléaire était essentiellement une affaire d'industrie et d'armement? Nous ne pouvons pas les croire naïfs et ignorants à ce point.
Déclaration de Roger Gouhier,
député PC, séance du 22 mai 1980

     Roger Gouhier:
     (...) Ainsi, les dispositions qu'il conviendrait d'observer pour éviter la prolifération des armes nucléaires sont absentes. Sans doute en êtes-vous restés, en dépit de vos dénégations lors de la discussion en première lecture, aux contraintes inacceptables que peut nous imposer l'étranger par le biais de l'Euratom.
     Nous avons, pour notre part, demandé que la France se débarrasse de cette institution d'intégration et qu'elle soit réellement maîtresse de sa politique nucléaire, en prenant, dans le cadre des instances internationales qualifiées, des dispositions de nature à éviter une prolifération. (...)

La Gazette Nucléaire:
     Quelles dispositions a prises la France en matière de prolifération depuis 1981?
     Elle a continué Super-Phénix qui fournira du Pu aux militaires.
     Elle a continué les essais à Mururoa en dépit des demandes réitérées de l'Australie et des Tahitiens.
     Elle a continué le stockage de bombes.
     Elle a exploité OSIRAK.
     La liste est si longue qu'il vaut mieux en rester là. Quand la France fera-t-elle le pas? Quand décidera-t-elle le gel nucléaire, seule attitude réaliste devant la spirale fatale où s'engagent les nations.
suite:
Déclaration de M. Louis Mermaz, député PS, à la séance du 25 juin 1980 de l'Assemblée nationale

     M. Louis Mermaz:
     Bien au contraire, qui a dénoncé les dangers que court, sans le savoir, le public à cause de certains accidents et des fissures constatées, mais jamais avouées par les constructeurs des réacteurs nucléaires? Des cadres syndicalistes, et pourtant assez scrupuleux en matière de sécurité pour risquer celle de leur emploi!
     Qui a dénoncé les risques scandaleux que l'usine de La Hague fait courir à l'environnement et aux personnels qui y travaillent? Les syndicats et leurs adhérents.
     Alors, de grâce, mes chers collègues, ne faisons pas semblant de croire que nous augmenterons la sécurité des Français en limitant, par l'amendement que le gouvernement a déposé à l'article 4 du projet de loi, les moyens d'expression des travailleurs du nucléaire, qui ont agi en citoyens responsables pour demander que les normes de sécurité soient appliquées et renforcées. On peut craindre que ce ne soit désormais le contraire qui se produise.
     Le groupe socialiste, pour sa part, estime qu'en matière nucléaire, une concertation démocratique doit être respectée à tous les niveaux. C'est pourquoi il ne votera pas le projet de loi qui nous est soumis.
     En ce qui concerne la sécurité des habitants, je voudrais évoquer un problème qui prend des dimensions considérables, celui du stockage des déchets nucléaires. Outre que le confinement et le conditionnement de ces déchets ne sont pas encore au point, le choix des sites s'opère à l'heure actuelle dans la plus grande précipitation et en l'absence d'études préalables: c'est le cas à Saint-Priest-la-Prugne dans la Loire. 
     On nous propose un texte pour nous protéger en cas de vol de matières nucléaires - qui ne serait d'accord, à condition encore une fois que le statut des personnels soit respecté? - mais, dans le même temps, le gouvernement n'organise pas lui-même les protections nécessaires et fait transporter et entreposer un peu n'importe où les déchets. Le cas de Saint-Priest-la-Prugne, véritable château d'eau alimentant de nombreuses communes à proximité du bassin de Vichy, est une triste illustration de cette politique.
     Je demande donc que, pour le transport et le stockage des déchets nucléaires, les plus grandes précautions soient prises et que l'opinion soit informée (applaudissements sur les bancs des socialistes).

La Gazette Nucléaire:
     Les fissures ont-elles miraculeusement disparu?
     Qu'a-t-on fait pour que l'usine de La Hague ne fasse plus courir de risques scandaleux à l'environnement et aux personnels?
     Où en est Saint-Priest? Le dossier que vous venez de lire laisse un goût amer au vu d'une telle déclaration en 1980.
Déclaration de M. Paul Laurent, 
député PC, à la séance du 25 juin 1980 

     M. Paul Laurent
     Les ingénieurs, les techniciens, les cadres et les ouvriers devraient avoir la liberté d'exprimer leur opinion sur tout ce qui concerne la sécurité des personnels et des populations.
     Le pouvoir des équipes de radioprotection devrait être étendu, et il faudrait que les inspecteurs de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire soient autorisés à faire connaître aux comités d'hygiène et de sécurité leur point de vue sur le solutions à adopter.

La Gazette Nucléaire:
     Mais le décret n° 83-100 du 10 février 1983 le leur interdit. Il est vrai que le texte de M. Paul Laurent date du 25 juin 1980.
p.14

B. UNE BONNE PAGE DU MONDE

     Voici un court extrait d'un article libre opinion publié dans le Monde le 19 juillet 1983: «Faut-il brader le nucléaire civil?» par Louis Leprince-Ringuet:
     « (...) Il est bien certain que le nucléaire fournit surtout de l'électricité et que l'uranium ne peut se brûler comme du charbon pour donner directement de la chaleur. Aussi les arguments anti-électricité faisant intervenir le rendement thermodynamique de la production du courant ne sont pas valables pour le nucléaire, alors qu'ils le sont pour le charbon et le fuel. (...)»

     Gazette Nucléaire:
     Dans ces conditions, que devient le projet Thermos du CEA, destiné à produire uniquement de la chaleur et non de l'électricité à l'aide d'une chaudière nucléaire? Ce projet serait-il une absurdité, tout au moins selon cet éminent membre de l'Académie française?
     Ce cher Leprince-Ringuet veut-il nous faire oublier qu'il est membre de l'Académie des sciences, ancien professeur au Collège de France, ancien enseignant à l'École polytechnique, en écrivant de telles énormités?
On comprend mieux où nos chers technocrates puisent leurs sources. Que ceci ne nous fasse pas oublier que fission ou fusion, on en est toujours à l'invention de Denis Papin.
C. LES VIEUX DOSSIERS CFDT

     1. Le pillage financier du contribuable et du consommateur français par la firme multinationale FRAMATOME (CFDT, juin 1976)
     Nous connaissions, depuis quelques années déjà, les appétits en capitaux rémunérateurs d'un des plus beaux et des plus représentatifs échantillons du capitalisme international, la multinationale FRAMATOME. Mais cette formidable ponction opérée sur l'économie française, en fin de compte sur les travailleurs, par le transfert au travers d'E.D.F. entre ces derniers et Framatome, ne suffit plus à cette multinationale. C'est un ogre financier.
     En effet, non seulement cet ogre ingurgite d'énormes capitaux à l'achat des tranches nucléaires, mais encore il lui faut des plus-values qu'il se procure par l'intermédiaire de réparations de son matériel défectueux. C'est là un comble: à la C.F.D.T. nous préférons appeler cela un scandale.
     Un scandale, car il semble bien aussi que les responsables EDF s'y prêtent à merveille.
     C'est ce scandale que nous dénonçons aujourd'hui à ce C.M.P. 
Nous voulons, par quelques exemples, porter ce scandale aux yeux de tous les agents qui sont aussi des contribuables et des consommateurs.

     1er exemple: les volants des pompes primaires
     Les volants de Fessenheim et Bugey ne satisfaisaient pas aux normes de sûreté (RG -14), ni même à celles du licencieur Westinghouse. Tous les rapports des experts EDF qui se sont penchés sur ce problème l'ont dit, eh bien, malgré cela, Framatome se permet, pour modifier ces volants, dont la technologie est d'ailleurs moins poussée et plus facile à réaliser, de demander une plus-value qui accroît le prix d'une tranche PWR 900 MW de deux cent mille francs environ (hors taxe) (base économique du 1.1.74). C'est un scandale.

     2e exemple: outillage de levage des structures internes de la cuve
     La multinationale Framatome propose à EDF-REAM un nouvel outillage, qui doit faciliter la man¦uvre et réduire les risques éventuels de grippage! Voilà un matériel fort bien conçu! Mais ce n'est pas tout car «pas d'argent, pas de cuisse», comme dit la chanson de Brassens, et la multinationale ne demande rien moins qu'un surcoût, qui s'élève, par tranche, à cent cinquante mille francs environ (base économique 1.1.74). C'est un scandale.

     3e exemple: essais complémentaires ASME sur le métal de la cuve
     La multinationale Framatome est très sûre des qualités de son métal de base, mais voilà que les essais certifiant cette bonne qualité ne sont pas complets, vis-à-vis de la réglementation sur les normes de sûreté et, bien sûr, c'est EDF qui va payer cette non-conformité entièrement.
     C'est là déjà un petit scandale, mais il y en a un de plus gros, c'est le prix, qui s'élève jusqu'à environ quarante mille francs (base économique 1.1.74) par cuve. Figurez-vous, à ce qu'il paraît, qu'il faut au moins une semaine pour transporter un échantillon de fer de 50 kg environ, de l'atelier sur l'aire de stockage, c'est une performance n'est-ce pas?

     4e exemple: casemate vapeur
     La casemate vapeur diffère des locaux de Fessenheim et Bugey, jouant ce rôle pour différentes raisons et notamment l'effet de site lié à un séisme plus important. Ah! quelle aubaine pour notre ogre financier, dont la référence à la centrale ne s'applique plus (en l'occurrence ici, Bugey) et voilà que notre ogre nous apporte son menu type à la carte:
     - deux cent cinquante mille francs environ, de frais d'étude et rien moins que
     - cinq cent mille francs environ, par tranche de fabrication (base économique 1.11.73).
     Nous affirmons que c'est un scandale !

     5e exemple: modification de la boulonnerie des trous d'homme, des pressuriseurs et des générateurs de vapeur
     C'est une sombre histoire qui se perpétue et s'amplifie, semble-t-il, depuis Fessenheim, en passant par Bugey, pour arriver au contrat CP1.
Il s'agit de remplacer des vis fixant les tapes des trous d'homme, mais n'assurant pas le contrôle du serrage et donc de l'étanchéité, par des goujons (ce qui permet le contrôle du serrage). Soit dit en passant, c'est encore une affaire techniquement au point!
     Mais c'est aussi un scandale financier car la multinationale Framatome ne lésine pas et demande rien moins qu'un surcoût par tranche d'environ cent mille francs (base économique 1.11.73).

suite:
     Nous devons tout de même ajouter, à la décharge d'EDF, que cette affaire, qui traîne depuis la fin de 1975, n'est pas encore réglée; EDF, pour une fois, semble timidement réagir, mais attendons.

     6e exemple: modification des générateurs de vapeur, en vue d'amoindrir les effets de la corrosion du faisceau tubulaire
     C'est encore un matériel Framatome techniquement au point!
     En effet, une des caractéristiques de la haute technicité que notre firme multinationale a mis dans les générateurs de vapeur, c'est la corrosion du faisceau tubulaire.
     Vous pourriez penser que le constructeur de haute technicité serait affecté dans son amour propre et des effets néfastes que cela peut avoir sur le programme énergétique et donc sur l'économie nationale, c'est-à-dire sur les travailleurs. Eh bien non, c'est une fête pour cet ogre financier, qui va proposer à ce pauvre service national, une solution merveilleuse: la modification des générateurs de vapeur. On n'est pas sûr de la solution, mais qu'importe, «pas d'argent, pas de cuisse», et voilà que la multinationale va demander pour le contrat CP1:
     - six cent cinquante mille francs de frais d'études environ, et ce n'est pas tout,
      cent soixante mille francs environ par tranche, de surcoût.
     C'est splendide n'est-ce pas, chers agents!
     En effet, je te vends un «rossignol», je te propose une solution de réparation dont je ne sais même pas si elle marche et puis, toi tu me payes.
     C'est un bon truc, hein?
     Eh bien non, pour la C.F.D.T., c'est le scandale du scandale, car les responsables d'EDF ont accepté ce marché. Il faut le voir pour le croire. (Nous joignons, pour preuves, quelques pièces justificatives).
     Mais arrêtons-nous là, pour les exemples, et faisons une petite addition: ces six petits exemples cumulés ne représentent rien moins que la modeste somme de un million deux cent cinq mille francs (base économique 1.1.74) et si cela vous amuse, vous pouvez multiplier par 16 (sans compter Fessenheim et Bugey) et quand on connaît la suite des festivités, cela promet.
     Oui, mais la CFDT DIT: arrêtons le scandale, arrêtons le pillage financier des travailleurs et demandons à la direction de la R.E.A.M. de s'expliquer et quelle attitude elle entend prendre face à la multinationale Framatome.
     Nous savons que, lorsqu'un agent EDF demande une simple petite "catégorie", la direction sait parfaitement s'expliquer pour la lui refuser, elle ne manque pas d'arguments, alors soyons optimistes et attendons, avec confiance, les explications sur les scandales.

     2. Politique industrielle et dénationalisation d'E.D.F. C.F.D.T., novembre 1976
     Lors du CMP des 15 et 16 juin 1976, nous dénoncions dans la déclaration intitulée «Le pillage financier du contribuable et du consommateur français par la firme Framatome» les scandaleuses plus-values procurées en hâte à Framatome.
     Depuis cette date, les transferts de pouvoir et de connaissance toujours plus importants vers la multinationale Framatome s'accélèrent. Deux exemples récents le confirment encore:

     1. L'établissement d'un protocole d'accord en date du 15 juin 1976 signé (d'après Framatome) ou paraphé (d'après EDF), enfin peu importe, permet à ces transferts vers la multinationale Framatome de s'effectuer bel et bien. Nous en avons déjà un splendide exemple avec le télex n° FF 11240 du 4 octobre 1976, pas plus de 3 mois après ! dans lequel Framatome, s'adressant au Service des Contrôles et Fabrication d'EDF, fait appel au protocole en ces termes:
     « ...Nous regrettons que vous ayez adressé votre télex (DAGT 76654) précité directement à ce fabricant. En effet, un tel envoi ne nous semble respecter ni l'esprit ni la lettre de la Charte définissant les relations entre EDF et Framatome, et signé le 15 juin 1976 par Monsieur Hug pour EDF et Monsieur Leny pour Framatome...», d'ici que Framatome dicte ses ordres à EDF, ii n'y en pas pour longtemps.

     2. La création d'une filiale EDF-Framatome, qui permettrait à EDF de mettre dans ce mariage giscardien, l'Équipement dans la corbeille de mariage, quel magnifique cadeau que Giscard d'Estaing fait à Anne-Aymone Schneider [en fait, née de Brantes (note 2006)], avec la bénédiction de l'évêque Boiteux et de ses acolytes Hug, Carle, Caillaud, Bellin, etc.
     La CFDT, cette diable d'organisation, soyez-en sûrs, mettra tout en oeuvre pour le divorce, car le jour de ce mariage sera celui de l'enterrement de l'Équipement qui serait ainsi sacrifié sur l'autel du profit capitaliste, comme le C.E.A. est en train de le vivre et tout cela au détriment de l'intérêt national. 
     Dans le domaine de la restructuration capitaliste de l'industrie que Giscard d'Estaing donne comme objectif aux entreprises encore nationalisées, EDF s'en fait le champion.
     Nous voudrions poser à la Direction quelques questions:

     1. Dans quel but, le but réel bien sûr, la planification industrielle a été mise en place à EDF ?
     2. Quelles relations y a-t-il eues dans ce domaine entre EDF et le ministère de l'industrie? Nous croyons savoir que le dossier a été transmis à ce ministère alors qu'il reste confidentiel à EDF.
     3. Cette planification industrielle est un outil fourni par EDF au gouvernement et même à certaines entreprises pour faciliter cette restructuration. Quel jeu EDF joue-t-il donc? Pourquoi une récente note (PCD/CL - GE) rend obligatoire la demande d'avis technique au SEPTEN ou à la D.T.E. lors de la phase préliminaire d'examen des offres?

     Nous voyons à nouveau dans cette décision une volonté de centralisation d'orientation technique dans le choix des constructeurs qui peut être très utile, pour faciliter la politique de restructuration industrielle du gouvernement.
     Quel rôle obscur faites-vous jouer aux services centraux?
     Enfin, pourquoi le dossier a-t-il été retiré de la R.E.A.M. pour le transférer aux services centraux?

p.15

Encadré
LES PRODIGES DE FESSENHEIM

     La lecture des rapports annuels d'information des G.R.P.T. (Groupe régional de production thermique) est fort instructive.
     Dans celui de 1982, se rapportant à Fessenheim, on trouve tout d'abord les courbes de fonctionnement des tranches 1 et 2.

REGIME DE MARCHE EN COURS D'ANNÉE 1992 
PUISSANCE ELECTRIQUE NETTE TRANCHES 1

REGIME DE MARCHE EN COURS D'ANNE 1982
PUISSANCE ELECTRIQUE NETTE TRANCHE 2

     La tranche 1, empatouillée dans ses problèmes de broches, a fonctionné environ 3 mois sur 12.
     La tranche 2, à partir de fin septembre, a fonctionné en prolongation de cycle de combustible à mi-puissance...

     Quelques pages plus loin, on a le plaisir de découvrir:
     «Le coût du kilowattheure fourni par Fessenheim au réseau E.D.F. s'établit donc, pour 1982, à 13,03 centimes (9,2 en 1981)
     Ce coût comprend une provision pour frais de retraitement de combustible, ainsi que la participation aux dépenses de démantèlement (estimées à 10% de l'investissement initial). 
     Ce prix de revient est à comparer au prix moyen de l'énergie produite par l'ensemble des centrales thermiques E.D.F., qui a été de:
     - pour le charbon: 25,70 centimes/kWh;
     - pour le fuel: 41,20 centimes/kWh,
     soit une moyenne de 31,06 centimes pour le combustible fossile.
     Le coût moyen du kWh fourni par le parc thermique classique et nucléaire E.D.F. est de 25,23 centimes (à comparer avec 23,27 centimes pour 1981 en monnaie constante).
     Celui du nucléaire moyen en exploitation est de 19,20 centimes

     Gazette Nucléaire:
     C'est extraordinaire. Avec un fonctionnement pareil, on a un prix de revient inférieur au prix moyen en exploitation de l'ensemble du parc. 
Serait-ce que les autres tranches nucléaires françaises marchaient encore plus mal? Mais, alors, comment a fait le directeur de Gravelines pour être lui aussi le meilleur (14 centimes pour Gravelines)?
     Cela relève du miracle. Si on arrêtait totalement un réacteur toute l'année, le prix de revient de son kWh descendrait en dessous de 10 centimes, du moins on peut l'espérer!

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