La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°54/55, sept.-oct. 1983
LES MINES D'URANIUM
Editorial / Sommaire
numérisation assurée par A.Léger/GSIEN
 

     Pourquoi un numéro sur les mines d'uranium? Parce que ce maillon de la chaîne du combustible est aussi faible que celui du stockage des déchets. Il est d'autant plus faible que le CEA envisage(ait) d'utiliser les mines d'uranium désaffectées comme site de stockage des déchets. Or, comme le faisait remarquer Mermaz, député PS, le 25 juin 1980, la situation mérite qu'on s'attarde sur le sujet:
    «... Mais, dans le même temps, le gouvernement n'organise pas lui-même les protections nécessaires et fait transporter et entreposer un peu n'importe où les déchets. Le cas de Saint-Priest-la-Prugne, véritable château alimentant de nombreuses communes à proximité du bassin de Vichy, est une triste illustration de cette politique...»
    Nous sommes en 1983 et nous attendons toujours une décision sur Saint-Priest.
     Le groupe Castaing, dans son rapport sur le programme de gestion des déchets du CEA, précisait que les «...massifs granitiques peu profonds déjà exploités en mines (...) ne seront en aucun cas des sites potentiels de stockage.»... 
     Ce groupe a demandé une étude des sites de stockage, une définition des normes de contamination alpha. La définition de ces normes est indispensable pour que cette étude tienne compte des risques résiduels d'un stockage en fonction de son conditionnement. Où en sont les études? 
     LE C.E.A. ou, pour être à la mode, l'ANDRA, a un oeil sur Saint-Priest. C'est facile, c'est une concession de la COGEMA (pour être très précis de la SIMO - Société Industrielle des Mines de l'Ouest -filiale de la COGEMA), certes pour l'extraction, pas pour le stockage des déchets. Mais sans le collectif des Bois Noirs, ce détail aurait été sans importance. La COGEMA fait en général ce qu'elle veut, enfin presque (voir encadré ci-dessous).
     Pendant la campagne présidentielle, puis pendant celle des législatives, des engagements ont été pris, en particulier par Auroux, actuel ministre à l'Énergie. A l'époque, nos politiques avaient de bons arguments contre le stockage sur le site de Saint-Priest. Curieux que ces arguments semblent oubliés, pourtant le granit est  toujours fissuré et la région est toujours le château d'eau du bassin de Vichy. 
    -- Pauvre Auroux! 
    -- Auroux, O désespoir, O Saint-Priest O ennemi 
    -- Que n'ai-je tant louvoyé pour être si incompris.
     Il n'en reste pas moins que stockage ou non (et il faut que ce soit «NON» compte tenu du dossier), ce site ne peut pas être banalisé simplement. En effet, il n'y a plus d'extraction depuis trois ans, mais il reste le bassin de décantation: surface 20 ha, bassin créé par un barrage de 500 m de longueur, de 180 m de largeur en bas et de 10 m en haut, de 41 m de hauteur. 
     Un petit bassin quoi! Ce bassin contient environ 1,3 million de tonnes de résidus, dont 2.200 g de radium 226.
     Diverses solutions sont envisagées pour régler ce petit problème (voir Le cas Saint-Priest de cette Gazette).
     La plus simple, évidemment envisagée par la COGEMA, est la vidange dans la Besdre. Mais il ne faudrait pas augmenter la contamination de la rivière qui en a tant vu en vingt ans d'exploitation que ses moindres dépôts de vase sont contaminés par du radium et de l'uranium.
     De toute façon, le bassin fuit et des mesures urgentes doivent être envisagées pour éviter de continuer la contamination de l'environnement. 
     Les officiels, dont Pellerin, ont beau jeu d'affirmer que ce qu'on décèle actuellement est naturel, puisqu'il n'y a jamais eu de point zéro. Ils ajoutent d'ailleurs que le filon a été trouvé, il y a vingt-cinq ans, grâce à la radioactivité plus élevée.
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     Toutes ces affirmations catégoriques n'empêchent pas: 
     1. qu'il est impensable de déverser ce bassin dans la Besdre;
     2. qu'il faut définir les conditions de stockage des stériles;
     3. qu'en l'absence de point zéro à Saint-Priest, il faut au moins définir l'état actuel des lieux. 
     Tout ceci pour éviter que, quelle que soit la solution mise en oeuvre, elle augmente la contamination en aval. 
     De toute façon la législation française précise bien que les pollueurs sont les payeurs. Donc la situation est simple:
     a) le problème du bassin doit être réglé par n'importe quel moyen (mais un moyen sûr), c'est-à-dire évacuation des boues, stabilisation sur place, etc., en accord avec la population;
     b) la rivière doit être décontaminée aussi loin que nécessaire. Tout cela payé par l'exploitant: la COGEMA. On nous a assez répété, en mai 1981, lorsqu'il s'agissait des contrats de retraitement, que la COGEMA était une société PRIVÉE tout à fait indépendante de l'État. Aujourd'hui, souvenons-nous et demandons que l'État fasse appliquer la loi à cette société privée, comme il l'a fait pour le dépôt de Roumazières où les déchets arsenicés non autorisés ont été repris et réexpédiés. 
     Le programme électronucléaire français a conduit à une prospection accrue en France, à l'ouverture de mines et aux stockages de stériles. L'absence d'études sérieuses conduit à une situation dommageable pour l'environnement et les populations. Saint-Priest est un test important car on ne peut pas, sous prétexte de rapidité, faire l'impasse sur les études nécessaires. En attendant toute décision, la COGEMA doit surveiller et entretenir le bassin de décantation. 
     Actuellement, le ralentissement du programme de construction, la marche sporadique des réacteurs a des conséquences pour le Tiers Monde. En effet, la COGEMA a ralenti ses achats d'uranium; en particulier, le Niger, en 1982, a eu 1.000 tonnes d'invendus, Le résultat pour ce pays est catastrophique, car c'est, malheureusement, l'essentiel de ses ressources: les revenus du Niger ont été divisés par quatre sous l'effet combiné de la mévente et de la baisse des prix de l'uranium.
     Dur, dur d'être englué jusqu'au cou dans le nucléaire civil et militaire. La surcapacité de production et la politique d'utilisation massive de l'électricité vont conduire à casser l'élan des énergies alternatives. 
     Est-ce une action concertée des nucléocrates et des nécrocrates du nucléaire?
     Malheureusement, ce n'est pas l'AFME, empêtrée dans les contradictions de la participation à la politique gouvernementale, qui arrivera à maintenir le cap. On y est loin des idées généreuses des quelques anciens militants qui s'y agitent. La décentralisation et l'autonomie énergétique locale sont passées à la trappe des grands programmes qui font vivre les grands groupes. 
     Faire du biogaz? Bof, seulement s'il s'agit d'une exploitation de plusieurs milliers de têtes. 
     Étudier les digesteurs? Bien sûr si c'est Bertin et tant pis si ça ne marche pas dans ce cas (Oxygène le rappelle dans son numéro 50). Pourtant des systèmes marchent en France et surtout à l'étranger, serait-ce des mirages? Il est vrai que les systèmes totem développés par FIAT, avec un moteur classique de voiture équipé d'un carburateur adapté au gaz, récupérant la chaleur dégagée et produisant de l'électricité, sont des choses bien trop compliquées pour Renault ou Peugeot-Citroën. A moins que FIAT ne bénéficie de la complicité de l'église qui, en douce, fait de la pub «Fiat lux». Bien sûr «Renault Amen» ne rend pas si bien. 
     Dans le même registre, E.D.F. vient de lancer une publicité démente - une publicité pour ne rien dire, simplement pour faire de la publicité et en plus de la publicité mensongère (voir encadré). De surcroît, cette publicité, nous nous la payons grâce à nos factures E.D.F.-G.D.F.. 
     On pourrait nous consulter car à quoi cela rime-t-il? D'une part, EDF a le monopole de la distribution, donc aucun Français ne peut lui échapper. D'autre part, c'est en contradiction avec toute une politique d'économie d'énergie: le fait d'avoir trop d'électricité potentiellement ne nous dispense en rien des économies. L'énergie est toujours aussi rare et chère. Même si nous avons réussi le truc incroyable d'être imprévoyant au point de trop construire de réacteurs, en oubliant ou gommant le fait que l'électricité est un vecteur non stockable. 
     Bonne lecture à tous. Et nous attendons toujours vos remarques et suggestions.
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Encadré
A Monsieur Boiteux
Président directeur général d'E.D.F.

Monsieur le Président,
     Tant en votre nom, qu'en celui des Amis de la Terre, du Groupe Énergie Développement, du Groupe de scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire, du Parti socialiste unifié et des Verts, nous avons l'honneur de vous demander de faire cesser immédiatement la campagne de publicité engagée par votre société et qui se révèle grossièrement mensongère.
     Compte tenu de la quantité de messages diffusés, tant dans la presse écrite que dans les média audiovisuels, il apparaît nécessaire qu'E.D.F. rétablisse la vérité sans délai.
     Notre démarche auprès de vous trouve son fondement dans les faits relatés dans le communiqué de presse que nous faisons diffuser et dont la teneur est la suivante;

     Paris, le 14 septembre 1983.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
     E.D.F. accusé de publicité mensongère.
     Selon la campagne publicitaire d'E.D.F., 80% de notre électricité sont de source purement française. Hélas, cette affirmation est fausse. 
     En effet, d'après les données fournies par E.D.F. elle-même, la production d'énergie électrique d'E.D.F. est assurée pour seulement 48% avec des combustibles provenant des ressources nationales. Si l'on prend en compte la production d'énergie électrique des autres producteurs nationaux, ce serait seulement 52% et non 80% de notre électricité qui mériterait le label «France».

     Il résulte en effet des données E.D.F., pour 1982, que 60,4% des approvisionnements en charbon et 100% des approvisionnements en fuel ont été importés par l'entreprise nationale. Quant à l'uranium, il provient pour les deux tiers de mines étrangères. E.D.F. s'est donc engagée dans une campagne de publicité grossièrement mensongère. 
     A l'horizon 1990, les sources purement françaises fourniraient la quasi totalité de notre électricité. Là encore, E.D.F. ment. 
     Dans le meilleur des cas, et toujours d'après les chiffres d'E.D.F., la part d'électricité produite à partir de combustibles nationaux, ne sera plus que de 49%. Toutes les prévisions montrent que la dépendance d'E.D.F. vis-à-vis de ses approvisionnements à l'étranger ne fera que croître. 
     Mais il y a pire. 
     La politique de développement de l'électronucléaire a été sans incidence sur l'évolution de notre consommation en produits pétroliers, si l'on compare la situation de la France à celle des autres pays industrialisés qui ont, pour leur part, fait l'économie d'un investissement dans l'électronucléaire sans rapport avec leurs besoins. Ce suréquipement, financé à 40% par des emprunts à l'étranger (et, notamment en dollars), contraindra E.D.F. à mendier auprès des pouvoirs publics une augmentation continue de ses tarifs. L'électricité, déjà deux fois plus chère que le gaz ou le fuel, trois fois plus chère que le charbon, ne pourra que voir décroître sa compétitivité. 
     Pour écouler une surproduction d'une énergie chère et condamnée à l'être, et donc contraire aux intérêts économiques des consommateurs, E.D.F. est à nouveau autorisée par les pouvoirs publics à en favoriser la consommation. 
     L'actuelle campagne de publicité mensongère en annonce d'autres, notamment en faveur du tout-électrique, qui demeure la solution la plus onéreuse pour répondre aux besoins des usagers. 
     On ne saurait admettre que, pour dissimuler ces réalités, E.D.F., entreprise nationalisée, chargée d'une mission de service public, s'engage dans une campagne de désinformation du public en recourant à une publicité mensongère. 
     Les Amis de la Terre, le Groupe Énergie Développement, le Groupe des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire, le Parti socialiste unifié, I'Union Fédérale des Consommateurs et les Verts ont décidé de mettre E.D.F. en demeure de cesser immédiatement cette campagne de manipulation de l'opinion publique et de rétablir la vérité par des annonces rectificatives. 
     A défaut par E.D.F. d'y satisfaire, rien ne semble devoir s'opposer à ce que les responsables de cette campagne publicitaire puissent être traduits, comme tout délinquant économique, devant les juridictions correctionnelles compétentes. 
     - Amis de la Terre, Henri Segelstein, 770.02.32. 
     - Groupe Énergie Développement, Yves Lenoir, 422.48.21, poste 449.
     - G.S.I.E.N., Monique Sené, 336.25.25, poste 47.94. 
     - P.S.U., Serge Depaquit, 566.45.37. 
     - U.F.C., Jean-Marie Gisclard, 807.24.01. 
     - Verts, Catherine Costa, 246.99.49.
     Nous espérons encore que vous pourrez accueillir favorablement notre démarche, qui n'a d'autre préoccupation que de voir mettre un terme à une campagne de désinformation du public. 

     Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en notre considération distinguée.

Jean-Marie GISCLARD, directeur délégué adjoint U.F.C. «Que Choisir?», 14, rue Froment, 75555 Paris cedex 11


SOMMAIRE
- EDITO
- Situation des mines d'uranium en France
- Information sur les mines: le cas de Saint-Priest
- Les bonnes pages du passé
- L'approvisionnement en uranium du programme nucléaire français

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