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N°56/57
A. EVOLUTION DES NORMES DE RADIOPROTECTION*



     La traduction des «recommandations» de radioprotection, relative à la protection du public et des travailleurs contre les rayonnements ionisants, en dispositif législatif et réglementaire est complexe:

     1. L'élaboration de ces recommandations et des bases scientifiques qui les sous-tendent sont assurées par la Commission Internationale de Protection Radiologique - CIPR.
     Cette Commission, indépendante des Etats, est constituée de 13 experts au maximum et de comités qui l'aident à remplir sa mission. En matière de prévention contre les nuisances, l'exemple de la CIPR est unique en son genre. On ne peut que regretter qu'un tel schéma n'ait pas été mis en place par la Communauté Scientifique pour élaborer des mesures appropriées de protection contre les nuisances chimiques par exemple.

     2. Lorsque les «recommandations» sont élaborées, plusieurs organismes comme l'AIEA, l'OMS, l'OIT, l'AEN, bâtissent une version proche d'un texte législatif les «normes de base». Ce texte est parfois accompagné de «guides» qui sont des énoncés de règles pratiques.
     L'Organisation Internationale du Travail, par exemple, a adopté en juin 1960 une convention telle que les Etats-Membres qui la ratifient sont tenus d'inclure dans leur propre législation les dispositions de radioprotection des travailleurs, contenues dans les «normes de base».
     Pour ce qui concerne l'Europe, le Traité Euratom a prévu des dispositions analogues. Son article 30 stipule que les Normes de Base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les rayonnements ionisants sont instituées dans la Communauté. L'article 33 du Traité prévoit que chaque Etat-Membre s'engage à établir les dispositions législatives et réglementaires propres à assurer le respect des normes de base.

     3. Une circulaire rend applicable en France les directives adoptées par le Conseil de la Communauté Européenne. Ce fut le cas le 7 mars 1962 et plus récemment le 23 juin 1982.
     Les différents ministères concernés (Travail, Santé, Transports, Industrie, etc.) doivent prévoir les adaptations nécessaires des textes réglementaires.

LA COMMISSION INTERNATIONALE
DE PROTECTION RADIOLOGIQUE
(CIPR)

     La CIPR a été créée en 1928 lors du 2ème Congrès International de Radiologie à Stockholm. Elle s'appelait à cette date «Commission Internationaie de Radioprotection contre les Rayons X et le Radium».
     Elle a pris en 1950 le nom de CIPR et une forme d'organisation qui est depuis inchangée.
     Elle publia des recommandations fondamentales en 1951 et 1955.
     Le 9 septembre 1958, une révision des recommandations était adoptée. Elle fut publiée en 1959; ce fut la CIPR 1. Les recommandations de la CIPR furent complétées par le rapport du Comité II sur la dose admissible en cas d'irradiation interne (1959). Ce fut la publication CIPR II.

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     La CIPR 9, adoptée le 17 septembre 1965 et publiée en 1966 fut le document de base qui a inspiré le législateur français, notamment pour le décret 67-228 du 15 mars 1967 sur la «Protection des travailleurs contre les rayonnements ionisants». Ce décret est toujours en vigueur.
     Cependant, les modèles adoptés pour représenter le comportement du système respiratoire et la rétention des particules radioactives dans ce système furent remis en question par plusieurs membres de la CIPR. Il en fut de même pour ce qui concerne l'évaluation de la fraction incorporée qui passe au travers de la barrière intestinale, pour certains radionucléides.
     Dès décembre 1963, il fut décidé de réexaminer le concept de l'homme «Standard».
     En 1966, était publié le nouveau modèle dosimétrique relatif à la déposition et à la rétention des poussières radioactives dans le système respiratoire. En 1975, une véritable bible sur les données anatomiques et physiologiques fait l'objet de la publication CIPR 23. On en déduira les caractéristiques de l'homme de «référence» qui seront utilisées pour évaluer la dose aux différents organes résultant de l'incorporation par voie respiratoire ou digestive de radionucléides se présentant sous diverses formes physicochimiques.
     Le 17 janvier 1977, la CIPR adopte de nouvelles Recommandations fondamentales: la CIPR 26.
     Ce texte introduit de nouveaux concepts et assure leur articulation avec les principes élaborés progressivement par la CIPR depuis 1965. De nouvelles «limites fondamentales» sont choisies. A ces limites sont notamment associées, pour les organes radio-sensibles, des probabilités d'induction de cancers mortels qui représentent l'essentiel des risques radio-induits. La relation entre l'activité ingérée ou inhalée par un adulte et l'équivalent de dose (qui permet de calculer la probabilité d'induction des effets) est établie pour 760 radionucléides différents. La publication de ce travail important s'est étalée entre 1979 et 1981. Il s'agit des trois volumes de la CIPR 30. Les modifications les plus importantes des limites annuelles d'incorporation portent sur les transuraniens. La CIPR 30 est, par exemple, 23 fois plus sévère que la CIPR 9 (1965) pour l'américium-241 ingéré et 260 fois plus contraignante pour le neptunium-237 ingéré sous la forme d'un composé soluble.
     Quand on souligne ces problèmes, comme l'a fait notamment la Commission Castaing, cela ne peut laisser indifférents les groupes de pression nucléaires français, qu'ils se situent dans le secteur public ou privé. La grande peur occasionnée par les préparatifs du débat sur l'énergie à l'Assemblée Nationale (6 et 7 octobre 1981) prend avec le recul la dimension d'un petit frisson.

Aspects juridiques européens

     Le 1er juin 1976, le Conseil des Communautés Européennes arrête une Directive (publiée le 12 juillet 1976 au J.O. des Communautés Européennes) fixant des normes de base révisées relatives à la protection du public et des travailleurs. Cette Directive apporte peu de choses nouvelles sur le plan des concepts. Les limites de doses restent inchangées qu'il s'agisse des travailleurs ou du public. Le concept de l'organe «critique» est maintenu.

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     Cependant, les premières modifications d'appellations techniques apparaissent. La «Concentration Maximale Admissible» - CMA - dans l'air laisse la place à la notion de «Limite Dérivée de Concentration» - LDC - de radionucléide dans l'air. Il est vrai que la notion de CMA était ambiguë dans la mesure où cette notion laissait sous-entendre un dispositif binaire: en-dessous de la CMA, il n'y a pas de problème, au-dessus, le pire est à craindre. On peut toutefois s'interroger sur l'objectif visé: améliorer la compréhension des phénomènes ou s'aseptiser le langage? La suite des affaires a montré que la deuxième hypothèse est la bonne.
     Une autre idée est introduite, que l'on retrouvera plus tard: elle consiste à se préoccuper de la radioprotection des travailleurs seulement lorsque les doses annuelles qu'ils sont susceptibles de recevoir dépassent les valeurs maximales admissibles pour le public. C'est le concept de la «ration»; chacun a «droit» à la «dose public».
     Les Etats-Membres de la Communauté avaient deux ans pour se conformer à la Directive et le 1er juin 1978, seule la RFA avait introduit (dès le 10 octobre 1976) ces dispositions dans son système législatif national. Les raisons françaises de cette non-applications sont simples: «Il ne fallait pas donner à l'opposition l'occasion de poursuivre ou de relancer le débat sur le nucléaire».
     Une raison extérieure vient cependant légitimer cette non-application de la Directive. La CIPR publie en 1977 ses nouvelles normes de radioprotection: la CIPR 26.
     Les experts de la Communauté se remettent au travail.
     Le 2 avril 1979 une proposition de Directive est publiée au Journal Officiel des Communautés Européennes.
     Les délégations du pays fournissent des remarques sur cette proposition qui seront examinées au «groupe des questions atomiques» siégeant au niveau des experts «Normes de base». Pour ce qui concerne la France, sur l'impulsion du Professeur Pellerin du SCPRI, des modifications fondamentales sont apportées. Elles concernent le vocabulaire:
     1. Remplacer le terme «groupe critique», utilisé dans les études d'impacts, par «groupe de référence» (sic!).
     2. Les termes «irradiation» et «contamination», qui constituent un prétexte constant à une utilisation abusive, doivent être éliminés (re-sic!).
     Ces remarques sont cependant acceptées et le «Journal Officiel des Communautés Européennes» publie, le 17 septembre 1980 la «Directive 80/386 Euratom» du 15 juillet 1980. Cette dernière modifie les directives antérieures fixant les «Normes de base» relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre le danger résultant des rayonnements ionisants. L'article 46 précise que les Etats-Membres, donc la France, «doivent se conformer à la présente directive dans un délai de 30 mois à compter du 3 juin 1980», soit au plus tard le 3 décembre 1982.
     A cette date (décembre 1983), aucun Etat-Membre n'a encore modifié sa législation. Des travaux préparatoires ont toutefois été engagés dans plusieurs pays. Il faut cependant noter que la CIPR n'avait publié qu'un seul des trois volumes de la publication CIPR 30, lorsque le groupe d'experts des «Normes de base» (visé à l'article 31 du Traité d'Euratom) avait terminé ses travaux et que le Conseil avait promulgué le 15 juillet 1980 la Directive.
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     Une nouvelle proposition de Directive a été présentée au Conseil le 28 octobre 1983. Elle est destinée à compléter les annexes I et III de la première Directive Euratom, prenant ainsi en compte l'ensemble des Limites Annuelles d'Incorporation (LAI) et des Limites Dérivées de Concentration dans l'air (LDC-air) calculées par la CIPR.
     Cette Directive complémentaire va donner en fait un nouveau délai aux législateurs européens. En cas de non-application des Directives, c'est la «Cour de Justice», organe de contrôle juridictionnel des Communautés Européennes qui peut être saisie pour assurer le respect du droit dans l'exécution des traités par les Etats-Membres.
 

Les dispositions prises par la France

     Les premières «Normes de base» de la Communauté ont été intégrées dans le décret 46-450 du 20 juin 1966 relatif aux principes généraux de protection contre les rayonnements ionisants. L'ensemble des données de ce décret sont reprises dans le décret 67-228 du 17 mars 1967, relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants.
     Ces décrets sont toujours en vigueur.
     Cependant, la circulaire interministérielle signée par le Premier Ministre le 23 juin 1982 (JO du 1er juillet 1982) rappelle que la Directive des Communautés Européennes est applicable en France, et invite les ministres à procéder aux adaptations des textes réglementaires concernés.
     Dans cet esprit, le ministère du Travail a proposé un projet de décret appelé à modifier celui du 15 mars 1967. Ce projet donne lieu, depuis le 25 mars 1983, à des réunions de travail du Conseil Supérieur de la Prévention des risques professionnels. L'objectif visé consiste à disposer sur le texte amendé d'un avis final au début de l'année 1984. Il sera nécessaire, parallèlement d'harmoniser l'ensemble des autres textes et principalement le décret 66-450 du 20 juin 1966 (déjà cité) et le décret 75-306 du 28 avril 1975 relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants dans les installations nucléaires de base.

LE PROGRAMME ENERGETIQUE

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L'opposition du SCPRI

     Les problèmes sont cependant loin d'être réglés compte tenu de l'opposition des ministères de l'industrie et de la Santé à tout changement de texte en matière de radioprotection. Ce refus est assuré principalement par le SCPRI. Le Professeur Pellerin a ouvert le feu en refaisant publier, le 1er mars 1983, par le Journal Officiel, la brochure n°1420 relative à la protection contre les rayonnements ionisants. Dans la présentation du recueil (JO du 28 avril 1983), il est précisé:

     «Cette nouvelle édition tient notamment compte de la circulaire du Premier Ministre du 23 juin 1982 qui rend applicables en France les prescriptions d'une directive des Communautés européennes du 15 juillet 1980 relative aux normes de radioprotection. La réglementation française existante, l'une des plus avancées des pays de la Communauté en la matière, comporte près d'une centaine de textes (lois, décrets, arrêtés, circulaires, avis, etc.) dans lesquels figurent d'ailleurs de longue date les dispositions fondamentales des nouvelles normes de base de la Communauté...»
     On ne peut que s'interroger sur le fait que des interprétations aussi fantaisistes puissent sortir, sous contrôle du Journal Officiel de la République Française. Ce détail illustre éloquemment la puissance du personnage qui refuse toute tutelle ministérielle et intervient en France et parfois même à l'étranger bien au-delà des prérogatives du SCPRI. Dans les faits, le Professeur Pellerin se comporte comme s'il avait, en matière de radioprotection, rang de Premier Ministre. Ses derniers bilans d'activité sont publiés sous l'égide du ministère du Travail et de la Santé, alors qu'il n'est qu'un service de l'INSERM. Mais comme personne ne dit rien... (A propos, qui a pensé à lui demander pourquoi il ne publie pas de rapport d'activité depuis 1980?).
     Mis à part l'opposition organisée contre le projet de loi du ministre du Travail, il faut aussi mettre à l'actif du Professeur Pellerin sa bienveillance la plus totale pour les manquements les plus flagrants à l'application des textes réglementaires dans le monde de la santé, public et privé, qui représente plus des trois quarts de la population professionnelle exposée.
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     Les raisons de l'opposition de M. Pellerin au texte du ministère du Travail sont multiples:
     1. il n'est jamais bon de parler ou de reparler de nucléaire
     2. le texte du ministère du Travail ne reprend pas, comme le fait le décret en vigueur, la référence du SCPRI à propos de tout et de rien. C'est donc en quelque sorte un crime de «lèse-majesté»
     3. la modification des limites relatives à l'Américium et au Neptunium est perçue comme un coup de poignard dans le dos de la COGEMA qui assure la promotion nationale et internationale du retraitement des combustibles à l'usine de La Hague (cf. Commission Castaing: pour les premières Gazettes, voir les N°41/42, N°48/49, N°52, N°62, N°64/65. Pour les suivantes, faire une recherche depuis la page d'accueil. )
      4. le projet de texte du ministère du Travail est examiné et discuté démocratiquement au Conseil Supérieur de la Prévention et des Risques Professionnels où siègent les syndicats (Oh là là!)
     5. le projet de texte fait référence aux lois Auroux.
     Il est clair pour toutes ces raisons que M. Pellerin qui a l'habitude de se confectionner des textes sur mesure, de les faire signer par le ministre de la Santé puis de les imposer aux autres ministères en refusant d'y soustraire la moindre virgule, ne peut souscrire ni au projet de texte, ni à son examen par les partenaires sociaux.
     La Gazette suivra avec intérêt la suite de ce petit feuilleton. Elle ne manquera pas de vous dire si M. Pellerin, qui a connu deux Républiques, quatre Présidents et un certain nombre de ministres du Travail et de la Santé, pourra imposer sa loi à M. Beregovoy, ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale.
     SCPRI es-tu là?
     Si tu es là, frappe trois coups!

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* Consulter le gros dossier RADIOPROTECTION ET DROIT NUCLEAIRE de SEBES (accès webmaistre) avec en particulier le texte: Evolution of the ICRP System of Protection (accès webmaistre)
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